Bolívar, un «libérateur» opportuniste

Simón Bolívar est bien plus qu’un héros national. C’est un véritable héros « continental », célébré dans toute l’Amérique du Sud comme le « Libertador ». Dans les premières décennies du XIXe siècle, il prit part d’une façon décisive à l’indépendance d’une grande partie des colonies espagnoles de cette région du monde. La Bolivie lui doit son nom, la monnaie vénézuélienne s’appelle le bolivar en son honneur. Ces dernières années, le président Chavez, sans doute son plus bruyant thuriféraire, a revendiqué son héritage à tout propos, rebaptisant même son pays « République bolivarienne du Venezuela ». Inutile de préciser que la plupart des ouvrages consacrés à Bolívar sont autant d’hagiographies. Peut-être parce qu'il n’est pas Sud-Américain, mais Allemand, l’universitaire Norbert Rehrmann s’inscrit résolument à contre-courant de cette tendance, dans sa biographie Simón Bolívar. Die Lebensgeschichte des Mannes, der Lateinamerika befreite (« Simón Bolívar. Histoire de l’homme qui libéra l’Amérique latine »).

Un titre qui s’avère ironique : « Cette thèse de la libération est démontée par Rehrmann lui-même », note Sebastian Schoepp, dans le Süddeutsche Zeitung. Selon Rehrmann, Bolívar était avant tout « un chef créole, un de ces grands propriétaires blancs que la tutelle de l’Espagne, ses lois commerciales et ses impôts empêchaient d’accumuler autant de richesses qu’ils le désiraient », rapporte Schoepp. Un de leurs principaux griefs concernait notamment les lois instituées par les Espagnols pour protéger un minimum le mode de vie des populations indigènes. Ils auraient voulu pouvoir les exploiter à volonté. En matière de « libérateurs », on a vu mieux…

Le soulèvement fut donc, à l’origine, presque exclusivement le fait de ces riches propriétaires fonciers. « Beaucoup d’Indiens et de Noirs n’attendaient rien de bon de la rébellion de leurs maîtres contre Madrid et prirent le parti des Espagnols. Ce n’est qu’après sa seconde défaite que Bolívar reconnut son erreur et entama ce que Rehrmann appelle une ‘‘offensive de charme’’, afin de s’attirer les métisses, les esclaves, les indigènes », poursuit le critique. L’historien voit dans ce retournement, un acte machiavélique, dicté avant tout par l’opportunisme. Bolívar ne se départit d’ailleurs jamais de son mépris pour ceux qu’il qualifiait de « hordes venues des jungles africaines et américaines ».

Dernier grief de Rehrmann contre le « Libertador » : « La personnalisation extrême », qui accompagne son culte posthume. D’après lui, en exaltant la figure du caudillo, elle ne favorise pas la démocratisation des pays d’Amérique du Sud.
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Simón Bolívar. Histoire de l’homme qui libéra l’Amérique latine de Bolívar, un «libérateur» opportuniste, Wagenbach

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