De la lutte contre la grippe au nazisme

L’actuelle épidémie de grippe A nous rappelle un chose : nous n’en aurons jamais fini avec les maladies infectieuses. Il fut pourtant un temps où l’on crut pouvoir toutes  les éradiquer un jour. Comme le montre l’ouvrage de l’universitaire Silvia Berger, Bakterien in Krieg und Frieden. Eine Geschichte der medizinischen Bakteriologie in Deutschland, 1890-1933 (« Les bactéries en temps de guerre et en temps de paix. Une histoire de la bactériologie médicale en Allemagne, 1890-1933 »).

A la fin du XIXe siècle, la bactériologie est l’une des sciences majeures de l'Empire guillaumien. Le médecin Robert Koch (1843-1910) préside à ses destinées. On croit alors que les bactéries sont les principales causes de maladies et qu’il suffit de les éliminer pour ne plus être malade. On privilégie non seulement le vaccin, mais aussi la mise en quarantaine et la désinfection. « Koch mena son combat contre les microbes comme une guerre d’extermination contre un ennemi invisible. Il fonda la jeune bactériologie comme un prolongement du militarisme prussien par d'autres moyens, en l'occurrence du microscope », note Andreas Weber dans Die Zeit.

Dès l’origine, le langage bactériologique et le langage politique ont tendance à s'influencer l’un l’autre, à se « contaminer », pour ainsi dire. En considérant la bactérie comme un ennemi à éliminer, le médecin fondait sa démarche sur une conception erronée. Koch qui avait pourtant réussi à identifier la bactérie responsable de la tuberculose, ne parvint jamais à mettre au point un remède. De plus, l’épidémie de choléra qui sévit à Hambourg durant l’hiver 1892-1893 mit en évidence que certaines personnes pouvaient être porteuses d'agents pathogènes sans pour autant contracter la maladie.

Alors même que les faits apportaient un sérieux démenti à ses hypothèses, la bactériologie n’en continua pas moins à user d’une rhétorique martiale. « Lors de la Première Guerre mondiale, elle fut prise d’un vertige guerrier et se mit volontairement au diapason de la propagande. C’est une double guerre défensive qui était menée, celle de la Nation et celle du corps individuel », explique pour sa part Thomas Weber dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung.


L’ouvrage de Silvia Berger s’achève en 1933, année de la prise de pouvoir des nazis, mais on sait l’usage que firent ces derniers du langage bactériologique. « La vision de la guerre d’extermination contre un agent pathogène ennemi devint alors le moteur de la politique allemande », remarque Andreas Weber. Hitler entreprit d’appliquer au corps social ce que la bactériologie préconisait pour le corps individuel.


Il faut se méfier des métaphores. C’est l’une des leçons du livre de Silvia Berger. Mais, comme le conclut le critique du Frankfurter Allgemeine Zeitung, « en matière de combat contre les agents pathogènes, il n’est malheureusement pas facile de se débarrasser des vieilles habitudes de langage et de pensée. »

LE LIVRE
LE LIVRE

Les bactéries en temps de guerre et en temps de paix. Une histoire de la bactériologie médicale en Allemagne, 1890-1933 de De la lutte contre la grippe au nazisme, Wallstein Verlag

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