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Beaucoup de parents occidentaux ayant adopté un enfant chinois le découvrent aujourd’hui, le bébé qui leur a été fourni moyennant finances n’avait pas été abandonné, mais brutalement arraché à sa famille par des apparatchiks locaux en quête d’argent. Inspirée par une croissance démographique jugée alarmante, la politique de l’enfant unique adoptée en 1979 leur donnait toute latitude. La journaliste américaine Barbara Demick a retrouvé l’un de ces enfants, dont la sœur jumelle était restée en Chine, et est parvenue à les réunir. Auteure de livres remarqués et traduits en français sur la Corée du Nord et le Tibet, elle se saisit de cette histoire pour explorer les tenants et aboutissants de l’une des plus belles bêtises politiques de la seconde moitié du XXe siècle.

La politique de l’enfant unique a généré un gigantesque système répressif, animé par un Planning familial dont l’administration a compté dans les années 1990 jusqu’à 83 millions d’intervenants. Les contrevenants se voyaient imposer une amende mais aussi parfois saisir leur maison et perdre leur emploi. Les autorités locales vendaient l’enfant à des trafiquants qui le revendaient à des agences d’adoption d’apparence respectable, lesquelles faisaient croire aux parents occidentaux en quête d’enfant qu’il avait été abandonné. Les grands médias occidentaux ont été dupes du système. En raison de cette politique mais aussi, et désormais surtout, de la baisse de la fécondité qui s’est déclenchée, la population chinoise vieillit et se rétracte rapidement. D’après les projections moyennes de l’ONU, elle perdra 110 millions d’habitants d’ici 2050 et devrait passer à la fin du siècle à moins de 800 millions (contre plus de 1,4 milliard actuellement).  

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Le mot « antisémitisme », auquel l’historien britannique Mark Mazower consacre ce livre, trouve son origine dans un curieux paradoxe. Le mot « sémite », nous dit Littré dans les années 1870, désignait « les peuples qui parlèrent ou qui parlent babylonien, chaldéen, phénicien, hébreu, samaritain, syriaque, arabe et éthiopien ». Autrement dit les langues dites « sémitiques ». Il s’agissait donc, entre autres, à la fois des juifs et des arabes. Or c’est justement à l’époque où écrivait Littré que le mot « antisémite » est apparu – se rapportant dès lors exclusivement aux juifs. En 1879 exactement, sous la plume d’un journaliste allemand, Wilhelm Marr. S’opposant à l’émancipation des juifs, il a créé une Ligue des antisémites. 

On le sait, l’antisémitisme a percolé dans les décennies suivantes dans toutes les classes sociales, des deux côtés de l’Atlantique. Le grand industriel Henry Ford, rappelle The Economist, a propagé le sinistre Protocole des Sages de Sion, un faux concocté en Russie. Un second paradoxe a émergé après la Première Guerre mondiale, souligne Mazower : c’est que l’antisémitisme a visé à la fois les capitalistes et les communistes. Hitler était « obsédé par la notion de “judéo-bolchevisme” », mais aussi par la croyance que Roosevelt et Churchill étaient des marionnettes de la « finance juive », écrit Ian Buruma dans le New Yorker. Après la Shoah, l’antisémitisme affiché s’est retranché à l’extrême droite, mais du fait de la création de l’État d’Israël, en 1948, il a trouvé un nouveau point d’appui : la politique menée par ledit État à l’égard des Palestiniens. Et du coup, il s’est discrètement propagé à gauche, au nom de la lutte pour les droits civiques mais aussi contre le colonialisme, associé au capitalisme. D’où l’extension d’une confusion regrettable, celle de « l’antisémitisme » avec « l’antisionisme ». Le philosophe Vladimir Jankélévitch l’avait anticipée dans les années suivant la guerre des Six Jours de 1967 : « l’antisionisme est une incroyable aubaine, car il nous donne la permission – et même le droit, et même le devoir – d’être antisémite au nom de la démocratie ! L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. Et si les juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les plaindre ; ils auraient mérité leur sort. »

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Après une vie consacrée au monde de l’édition, l’octogénaire Enrique Murillo livre une autobiographie qui est aussi un procès et un avertissement. Traducteur de Tom Wolfe et Julian Barnes, il a été un conseiller éditorial réputé, a piloté des magazines (dont le Vogue espagnol), lancé le supplément Babelia du journal El País, puis dirigé trois maisons d’édition avant de monter la sienne. Murillo offre un regard intime sur les coulisses de l’édition : le fonctionnement des comités éditoriaux, des conseils d'administration, des droits d’auteur, des prix littéraires et des stratégies commerciales.

Nourri d’anecdotes, le livre expose les misères et les plaisirs d’un secteur qui lui paraît de plus en plus dominé par la recherche du best-seller et de moins en moins par la valeur littéraire. Murillo présente son rôle de « personnage secondaire » dans un monde où les vedettes sont les auteurs en vue. Il reconnaît avec humour certaines erreurs de jugement, ayant écarté des œuvres devenues des succès, ou, à l’inverse, misé sur des auteurs qui n’ont pas répondu aux attentes.  

Hommage au métier d’éditeur, c’est aussi une critique courageuse de ses tares, comme la mauvaise rémunération des traducteurs et des correcteurs, le fait de pouvoir longtemps travailler sans contrat (ce qui lui est arrivé) ou encore la manipulation des chiffres de vente pour réduire les paiements aux auteurs.« L’Espagne est un pays où presque personne ne lit ! dit-il au journal digital elDiario.es. Comment alors expliquez-vous qu’elle ait l’un des taux de nouveautés les plus élevés d’Europe ? Eh bien, entre autres raisons, parce qu’ici on lance des nouveautés pour maquiller les chiffres et masquer les retours qui ont lieu chaque mois, et qui sont très nombreux. Cela permet de maintenir un ratio élevé de livres en circulation et de donner l’impression que tout va pour le mieux, mais en réalité, cela ne fait que tourmenter le libraire, qui voit le nombre de retours exploser. »

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La fin d’une librairie ou la fin d’un monde ? Amoureux des livres, le père et le fils Robb ouvrent en 1984 un petit commerce de livres à Chelmsford, une ville au nord-est de Londres. Pendant seize ans, « ça a été sans conteste le meilleur job de ma vie – mais aussi le plus dur », raconte Michael, le fils. En 2000, hélas, il doit baisser le rideau. Puis, de ses ruminations sur les causes lointaines et proches de son malheur, il fait un livre. Il incrimine d’abord la concurrence des grandes chaînes comme Waterstones, avec leur offre immense, leurs prix compétitifs et leurs évènements à jet continu – toutes choses auxquelles les inconstants lecteurs cèdent sans trop d’états d’âme. Et voici qu’en 1995 débarque Amazon qui non content de conquérir 50 % du marché américain du livre-papier lance aussi l’e-book Kindle, dont l’objectif revendiqué par Jeff Bezos est de « tuer le job de tous les vendeurs de livres physiques ». Puis c’est l’efflorescence dans le monde anglo-saxon des livres digitaux, ou/et auto-publiés, ou des livres audio (digitaux eux aussi). « L’histoire du business du livre est celle d’une disruption continuelle », philosophe Michael Robb, résigné. 

Mais le coupable N° 1 est autre. C’est l’iPhone, qui après l’avènement d’Internet, provoque un désintérêt croissant pour la lecture de livres. James Marriott, journaliste du Times spécialiste des nouvelles technologies, dissèque dans sa newsletter Cultural Capital (sur Substack) les marqueurs, les causes, mais surtout les tristes conséquences de ce qu’il appelle « la plus grande transformation sociale à s’être jamais produite si discrètement ». Résumons : après une formidable expansion de la lecture « extensive » commencée en Europe au XVIIIe siècle (beaucoup plus de livres, mais lus moins « intensivement » qu’auparavant), voici qu’en Amérique au cours des 20 dernières années « la lecture de livres “de plaisir” a chuté de 40 % » ; et qu’en Angleterre, un adulte anglais sur trois déclare carrément l’avoir abandonnée. Du coup, un peu partout dans les deux dernières décennies, les ventes moyennes de livres qui se chiffraient par dizaines ou centaines de milliers sont tombées à 5 000 – pour les plus chanceux. Curieusement, la parade face à cette baisse a été d’augmenter le nombre de publications, notamment en France (cf. le fameux apophtegme de Jérôme Lindon : « L’édition est le seul secteur de l’économie qui répond à une baisse de la demande par une hausse de l’offre »). Aujourd’hui en France, 80 000 à 100 000 nouvelles publications, tous genres confondus, arrivent chaque année sur nos rayons, dont environ 500 romans pour la seule « rentrée littéraire » post-estivale. Mais la « politique de l’offre » chère à Emmanuel Macron dans le domaine économique ne semble pas, dans le domaine littéraire, pouvoir contrer le déclin de l’achat et donc de la lecture de livres. Cela aurait même un effet dissuasif, que le grincheux Kohélet avait déjà identifié au IIIe siècle de notre ère lorsqu’il mettait en garde dans l’Ecclésiaste contre la tentation « de faire trop de livres ».

James Marriott considère cette dégringolade comme « une véritable tragédie intellectuelle ». Alors que, dit-il, « la révolution de la lecture a induit le plus grand transfert de technologie de l’Histoire, la présente révolution des écrans constitue quant à elle le plus grand vol de savoir jamais opéré ». La généralisation à partir de 2010 du smartphone « qui accapare massivement notre vie – à raison de neuf heures par jour pour la génération Z » – a déclenché un mesurable déclin de l’effet Flynn, la progression jusque-là régulière du QI. Partout sur la planète, les performances universitaires régressent (tests PISA). Les étudiants auraient même tendance à devenir « fonctionnellement analphabètes », voire à retourner à un mode de pensée « orale », alors qu’« on ne peut atteindre certains degrés de réflexion complexe et logique sans la lecture et l’écriture », écrivait le jésuite-historien canadien Walter Ong. En effet, précise un autre théoricien des médias, Neil Postman, « se confronter à l’écrit nous contraint à suivre une ligne de pensée – un effort qui requiert d’énormes capacités de classification, de déduction, de raisonnement ». Sans surprise, James Marriott en profite pour rappeler que la lecture si mal-en-point entraîne pourtant nombre de bénéfices bien connus tels que l’amélioration de la mémoire et de la concentration, de la réflexion analytique, des capacités verbales, et une réduction de la chute des capacités connectives sur le tard de la vie. Il serait donc tragique que le livre, socle de notre civilisation actuelle, dise son dernier mot. Nous devrions alors changer de civilisation.

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Durant plusieurs décennies, Walter Lippmann fut le commentateur politique le plus influent des États-Unis. Au pic de sa carrière, qui va de la Première Guerre mondiale à la guerre du Vietnam, ses chroniques « Today and Tomorrow » du New York Herald Tribune – il en écrivit quelque 4 000 – étaient reproduites dans plus de 200 journaux et atteignaient un public de 8 à 10 millions de lecteurs. Il est l’auteur d’une vingtaine de livres dont plusieurs – Public OpinionLe Public fantômeLa Cité libre – sont devenus des classiques de la réflexion sur la démocratie, le libéralisme, l’opinion publique, le journalisme, la technocratie, les élites et le rôle des experts dans les affaires publiques. C’est à lui que l’on doit la popularisation de l’expression « guerre froide » et l’introduction dans la langue du mot « stéréotype » dans le sens où il est employé aujourd’hui. 

Ayant côtoyé tous les présidents des États-Unis de Woodrow Wilson à Richard Nixon, il se montra souvent sévère à l’égard de leur politique, critiquant le New Deal de F. D. Roosevelt après avoir soutenu l’initiative à ses débuts, attaquant la « doctrine Truman » d’opposition agressive à l’Union soviétique et au communisme dans le monde et, à la fin de sa vie, condamnant avec vigueur l’engagement des troupes américaines au Vietnam voulu par Lyndon Johnson. Bien que familier des grands textes de philosophie et de science politique (il admirait particulièrement Tocqueville), ce n’était pas un théoricien. Il n’était ni dogmatique, ni doctrinaire. Sur bien des points, son opinion a changé en fonction des circonstances et des controverses du moment, et il lui est arrivé de commettre des erreurs de jugement. Mais en raison de la qualité de ses analyses et de la clarté de son style, ce qu’il écrivait a contribué à façonner le débat sur les grandes questions politiques aux États-Unis. L’impact de ses idées, sa productivité impressionnante, sa grande notoriété et sa forte personnalité n’ont cessé de fasciner. Plusieurs livres lui ont été consacrés, dont un, par Craufurd D.Goodwin, sur ses vues en économie et une volumineuse biographie, par Ronald Steel, qui fait une large place à sa vie privée. Sous-titré « une biographie intellectuelle », le récent ouvrage de Tom Arnold-Forster se présente comme un exposé méthodique très complet de ses idées.  

Avant de rallier le New York Herald Tribune, Lippmann avait co-fondé l’hebdomadaire progressiste The New Republic et travaillé dix ans pour le New York World, le journal fondé par Joseph Pulitzer qui servait de porte-parole au Parti démocrate. Après avoir quitté le New York Herald Tribune, il publia régulièrement ses chroniques dans Newsweek et le Washington Post. Le journalisme répondait chez lui à une vocation profonde. La presse, pensait-il, a la responsabilité politique d’informer le public pour aider la démocratie à fonctionner. 

Lippmann, dont les idées étaient au départ sociales-libérales, fut très influencé dans sa jeunesse par la lecture d’un ouvrage qui resta déterminant pour lui, The Great Society, publié en 1914 par Graham Wallas, universitaire anglais membre de la Fabian Society. Dans ce livre, rappelle Arnold-Forster, Wallas s’interroge sur les conditions de fonctionnement de la société moderne « vaste, complexe, fragmentée et inédite [produite par] l’industrialisation, l’urbanisation […], les communications de masse […] et la division du travail ». Comment, dans un environnement de ce type, un gouvernement démocratique comme celui dont se sont dotés les États-Unis peut-il fonctionner ? Lippmann resta préoccupé toute sa vie par cette question. Dans son ouvrage le plus connu, Public Opinion, s’appuyant sur les idées du psychologue William James, qu’il avait connu étant étudiant, à l’aide de notions comme celles de « stéréotypes » et de « pseudo-environnement », il s’emploie à décrire et analyser la façon dont l’opinion publique se forme à partir de l’expérience personnelle des individus et des informations diffusées par la presse et les médias. Parce qu’il y évoque le phénomène de « fabrication du consentement », il a été accusé, notamment par des critiques de gauche comme Noam Chomsky et Edward Herman, d’avoir théorisé et promu la propagande à la manière du pionnier des relations publiques Edward Bernays. Et parce qu’il s’interroge sur le rôle des experts dans la formation d’une opinion publique éclairée, on l’a présenté comme un apologiste de la technocratie. Mais ses vues ne sont pas celles-là. L’expression « fabrication du consentement » a chez lui un sens fondamentalement descriptif. Et si, contrairement au philosophe John Dewey, il ne pense pas que les citoyens puissent tous devenir des experts, dans son esprit, les experts, indispensables dans un monde complexe, doivent rester sous le contrôle de la société par l’intermédiaire du débat public.  

De 1931 à 1946, quasiment deux tiers des articles de Lippmann furent consacrés aux questions économiques. Avant même le lancement du New Deal par Roosevelt, il avait eu des conversations prolongées avec John Maynard Keynes. À l’instar de ce dernier, il considérait le chômage de masse et ses conséquences sociales comme le pire des problèmes économiques et recommandait pour le résoudre des politiques actives de création d’emplois pouvant impliquer un déséquilibre temporaire du budget. Mais certaines des politiques du New Deal, notamment les politiques redistributives relevant de la simple assistance économique, lui semblaient dangereusement pencher vers le socialisme et le collectivisme. Avec le temps, tout en demeurant keynésien, il fit davantage de place dans sa vision de l’économie aux idées libérales de Friedrich Hayek, avec lequel il correspondit abondamment. 

Son nom est associé au colloque organisé à Paris en 1938 (le colloque Walter Lippmann), généralement considéré comme ayant donné naissance au néolibéralisme. Beaucoup de malentendus existent à ce sujet, liés au sens même de ce mot. Derrière une hostilité commune au totalitarisme et à l’économie planifiée, les participants à cette rencontre représentaient des sensibilités différentes, en opposition les unes aux autres sur certains points. Le néolibéralisme tel que l’entendait Lippmann, libéralisme « régénéré » qui se voulait simplement un retour à l’inspiration initiale de cette doctrine, est très éloigné à la fois de l’ordolibéralisme allemand, très présent au colloque, et des thèses radicales de l’école autrichienne (Hayek, von Mises) ou de celles défendues plus tard par l’école monétariste de Chicago. 

Dans l’ensemble, les idées politiques de Lippmann évoluèrent de plus en plus nettement vers le libéral-conservatisme. Ceci ne le prémunit pas contre les critiques de conservateurs bon teint comme le fondateur de la National Review William Buckley, qui se méfiaient du libéralisme politique. En politique étrangère, il fut selon les circonstances internationaliste, réaliste, interventionniste et non-interventionniste. Avocat fervent de l’entrée en guerre des États-Unis en 1917, il contribua à la confection du plan de Woodrow Wilson en 14 points pour la construction d’un nouvel ordre international après la cessation des hostilités. Durant la Seconde Guerre mondiale, il milita pour la mobilisation des forces économiques du pays dans un esprit keynésien. Son soutien résolu à la lutte contre le Japon le conduisit à appuyer l’idée de l’internement des ressortissants japonais vivant aux États-Unis et des Américains d’origine japonaise, considérés comme des « ennemis intérieurs ». 

À l’issue du conflit, durant les premières années de la guerre froide, il s’opposa à la doctrine de « l’endiguement » du communisme russe proposée par George Kennan, qu’il jugeait  irréaliste et dangereuse. Pourtant, souligne Arnold-Forster, Lippmann et Kennan n’étaient pas si éloignés que cela l’un de l’autre : « [Tous deux] considéraient la politique étrangère des États-Unis comme importante pour la civilisation et l’histoire mondiale. Kennan convenait avec Lippmann que la politique de l’endiguement telle que la pratiquait Truman comportait un risque d’erreur stratégique et d’excès. » Ce qui les séparait était leur point de vue sur l’origine de la menace soviétique. Kennan y voyait un produit de l’idéologie et de la psychologie communiste, Lippmann une nouvelle manifestation de l’impérialisme russe tel qu’il s’est constamment manifesté dans l’Histoire. Lippmann considérait les États-Unis comme un empire qui n’en portait pas le nom. Mais il n’estimait pas opportun de mener une politique impérialiste à l’échelle de la terre entière. Pour cette raison, et parce qu’il considérait la guerre du Vietnam impossible à gagner et nuisible à l’image du pays, il s’opposa de toutes ses forces à celle-ci, ce qui lui valut de tomber en disgrâce auprès de Lyndon Johnson. Fatigué par ce combat et découragé, il cessa de publier sa chronique régulière en 1967. 

Il n’avait pas l’allure d’un intellectuel. Solidement bâti, sportif, doté d’un visage dur aux traits décidés et volontaires, il impressionnait les hommes et attirait les femmes par sa présence physique. Habillé de costumes de la meilleure coupe, s’exprimant avec une grande aisance en public, capable de réparties brillantes, il menait une vie sociale intense, cultivant avec plaisir ses rapports avec les figures connues des mondes politique, économique, intellectuel et judiciaire : un de ses amis de jeunesse fut le célèbre juge de la Cour suprême Oliver Wendell Holmes. On a pourtant gardé aussi de lui l’image d’un homme assez froid, réservé jusqu’au secret, peu doué pour l’introspection en dépit de son intérêt pour la psychologie, et guère enclin à parler de lui-même : un projet de Mémoires qu’il envisagea de rédiger à la fin de sa vie tomba rapidement à l’eau. Perspicace quand il s’agissait de déchiffrer le comportement des individus en société, il ne se préoccupait guère de se comprendre lui-même.

Dans sa biographie, Ronald Steel met en lumière deux aspects de sa personne sur lesquels il peinait à s’exprimer. Le premier est sa judéité, qu’il avait décidé d’ignorer, voire de nier. Partisan d’une assimilation complète des juifs américains dans le modèle social anglo-saxon, tout en condamnant publiquement l’idée de plafonner le nombre d’étudiants juifs à Harvard, où ils étaient nombreux, ainsi que l’utilisation de tests d’admission basés sur des critères autres que les connaissances, il encourageait l’idée d’y diluer la présence de minorités présentant des caractéristiques culturelles particulières. Et il ne se montra guère favorable à l’idée d’accueillir aux États-Unis les juifs fuyant le régime nazi dont, dans un premier temps, il sous-estima étonnamment le danger. 

Le second aspect est sa vie sentimentale. Au bout de vingt ans d’un mariage peu satisfaisant, tant lui et son épouse partageaient peu d’intérêts, il tomba amoureux de la femme de son meilleur ami, le rédacteur en chef de la revue Foreign Affairs Hamilton Fish Armstrong. Cette passion était réciproque et, après un divorce dans des conditions très généreuses pour l’ex-épouse, Lippmann et Helen Armstrong se marièrent. Dans une société très tolérante envers l’adultère mais réprouvant le divorce, l’affaire fit scandale. Surtout, Armstrong ne pardonna jamais à Lippmann, au point d’interdire que son nom soit mentionné dans Foreign Affairs. Avec le temps, Helen se révéla une femme au caractère parfois très difficile. Mais elle lui était totalement dévouée, et la force de ses sentiments pour elle l’aida à surmonter la tentation de se réfugier stoïquement dans la vie de l’esprit qui s’était emparée de lui avec la détérioration de son premier mariage. 

Sous la surface de détachement ironique qu’il offrait aux regards, Walter Lippmann était souvent agité par de puissantes émotions. Son approche de la politique et des questions de société n’avait rien d’intellectualiste, elle était nourrie d’expériences réelles. Combinée avec la langue simple et de belle qualité littéraire dont il usait pour exposer ses idées, elle fait la richesse et l’attrait de ses articles et de ses livres et explique qu’on les lise encore aujourd’hui.  

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Cervantes joue dans la littérature espagnole un rôle encore plus important que Shakespeare dans la littérature anglaise, Dante dans l’italienne ou Goethe dans les lettres allemandes. Pour les écrivains espagnols, particulièrement depuis Benito Pérez Galdós à la fin du XIXe siècle, l’auteur de Don Quichotte n’est pas seulement une gloire nationale et une référence en matière d’art littéraire. Il est à la fois une source d’inspiration, un modèle auquel ils éprouvent le besoin de se confronter et le créateur d’une œuvre essentielle au sujet de laquelle ils ressentent l’obligation de s’exprimer. Rares sont ceux d’entre eux qui ne lui ont pas consacré de nombreuses pages, voire des livres entiers, projetant souvent sur lui leurs propres préoccupations. Les écrivains du début du XXe siècle comme Azorín, Pío Baroja, Miguel de Unamuno et José Ortega y Gasset lisaient ainsi Don Quichotte à la lumière de la question nationale, qui agitait les esprits à ce moment. À leurs yeux, ce roman détenait la clé du caractère espagnol, donc de l’histoire et du destin du pays, à propos duquel leurs vues ne coïncidaient d’ailleurs pas. 

Don Quichotte occupe une place également centrale dans le cœur de plusieurs auteurs espagnols contemporains, qui abordent cette œuvre dans une perspective plus personnelle. Avant de proposer au public une version du roman en castillan moderne, Andrés Trapiello avait fait paraître en 1993 un essai biographique sur Cervantes qu’il présentait comme le livre qu’il avait écrit avec le plus d’amour et de soin. Au terme de dix années d’un travail fréquemment interrompu par d’autres projets et obligations, Antonio Muñoz Molina vient de publier un ouvrage encore plus intime, mélange de souvenirs de lecture de Don Quichotte et de réflexions sur le contenu du livre et son influence. 

Si le livre s’intitule « L’été de Cervantes », explique Muñoz Molina, c’est que l’été est la saison de Don Quichotte (dans le roman, il ne pleut presque jamais) et la plus appropriée pour lire et relire cette longue œuvre de fiction : « Le temps intérieur du roman et le temps extérieur à lui, mais également intime, de l’acte de lire confluent en une forme particulière de souvenir [...] dans lequel se superposent la lecture actuelle et chacune des lectures qu’on a effectuées tout au long de sa vie, au cours d’étés successifs qui se présentent comme un unique été. » Ses premiers étés de lecture de Don Quichotte, à la fin de son enfance et au cours de sa prime adolescence, il les a vécus dans une région rurale d’Andalousie qui n’était pas très différente à l’époque où il y a grandi de ce qu’était au XVIsiècle la Manche où Cervantes situe les aventures de son héros : une terre extrêmement pauvre et aride, où les champs étaient cultivés à la force des bras, avec l’aide de quelques animaux, et où les maisons, dépourvues de confort, n’avaient pas l’eau courante. 

Le livre est organisé en quelque 150 courtes sections permettant à Muñoz Molina de passer d’un sujet à l’autre « par sauts et gambades » à la manière de Montaigne, écrivain qu’il rapproche constamment de son contemporain Cervantes en raison des traits qu’ils partagent à ses yeux : un aimable scepticisme, un profond humanisme, un réalisme foncier. Les Essais sont d’ailleurs avec À la recherche du temps perdu de Marcel Proust un des deux livres qu’à côté de Don Quichotte, il relit le plus souvent. Le réalisme de Cervantes, souligne-t-il, qui tranche avec la préciosité et le formalisme des auteurs qui l’ont précédé, est le produit de la richesse et de la variété de son expérience de la vie. Contrairement aux autres grandes figures du Siècle d’or, Lope de Vega, Góngora, Quevedo, Calderón, Cervantes est mort sans nous avoir laissé un portrait de lui qu’on puisse considérer comme authentique. Mais on en sait suffisamment sur sa vie pour mesurer à quel point elle a été aventureuse et romanesque : une jeunesse vagabonde faite d’errances et de déménagements en compagnie de son père harcelé par les créanciers, l’entrée sur la scène littéraire madrilène qu’il abandonne précipitamment pour partir en Italie, sans doute pour échapper à une condamnation après avoir blessé un homme en duel, l’engagement sous les ordres de don Juan d’Autriche et la perte de sa main gauche lors de la bataille navale de Lépante contre la flotte ottomane, sa capture par des corsaires barbaresques suivie de cinq ans de captivité à Alger, son retour en Espagne marqué par de nouveaux succès au théâtre, mais aussi plusieurs séjours en prison pour des délits et des crimes dont il était innocent ; la publication, enfin, à dix ans d’intervalle et au milieu de difficultés financières, des deux parties de Don Quichotte, la seconde, encore meilleure que la première, écrite pour faire pièce à la parution d’une suite à la première publiée sous pseudonyme par un contrefacteur demeuré inconnu, qui exploitait le grand succès populaire du livre. 

« Cervantes, observe Muñoz Molina, identifie les langages particuliers des métiers et des classes sociales, le jargon des délinquants, des juristes et des gardiens de l’ordre, des soldats, des bergers, des prêtres, de la pègre, des prisonniers. Son acuité de perception et son sens de l’observation sont aussi exceptionnels que l’ampleur de ses lectures et la profondeur de son expérience du monde. Il a la culture littéraire de celui qui a passé toute sa vie au milieu des livres et la fraîcheur de perception de quelqu’un qui n’a jamais cessé de se trouver engagé dans la vie réelle, par choix délibéré ou par hasard, y compris par malchance. »

L’imagination de Cervantes, souligne-t-il, est fondamentalement narrative et s’exprime avant tout dans les conversations. On a de fait souvent relevé la pauvreté relative de ses descriptions, largement compensée par le brio et le caractère extraordinairement vivant des échanges entre Don Quichotte et Sancho Panza. Ils portent tout le roman et laissent percevoir un vrai sage derrière le vieux fou qui se prend pour un chevalier et veut redresser tous les torts du monde, et, sous les apparences du grossier paysan qui lui sert d’écuyer, un homme plein d’authentique bon sens. Muñoz Molina salue la force des personnages féminins du roman, auxquels il rend hommage dans la dédicace de son livre, notamment la bergère Marcelle, qui, dans une tirade fameuse, se refuse à endosser la responsabilité du suicide du jeune homme qui s’est tué par amour pour elle : « Je suis née libre, et c’est pour garder ma liberté que j’ai choisi la solitude des champs. […] J’ai le goût de la liberté et ne veux pas être asservie. » Il relève la grande violence qui traverse le roman, reflet de celle qui prévalait à l’époque, sur laquelle Nietzsche a attiré l’attention et qui révulsait Vladimir Nabokov, l’extrême cruauté qui s’abat régulièrement sur les deux protagonistes, battus, frappés, humiliés, trompés, en des scènes dont seul le caractère excessif et parodique désamorce la gêne qu’on éprouve à les lire. 

Avec justesse, il compare l’apparition de Cervantes dans son roman à celle de Vélasquez dans son tableau Les Ménines. Comme on sait, la structure narrative de Don Quichotte est d’une grande complexité, le récit étant successivement attribué à différents auteurs : Cervantes lui-même dans les deux prologues, mais aussi un personnage non identifié parlant à la première personne, un historien arabe fictif, un traducteur morisque. Dans la  deuxième partie, Don Quichotte et Sancho Panza rencontrent des personnages qui ont lu leurs aventures dans la première et connaissent donc leur histoire. Don Quichotte reproche même à l’auteur de cette première partie d’avoir trop digressé en multipliant les épisodes qui ne le concernent pas, enchâssés dans le récit principal (un peu à la manière du Décaméron de Boccace ou des Contes de Canterbury de Chaucer). 

Ce procédé de construction sophistiqué impliquant des appels réguliers au lecteur et la reconnaissance explicite du caractère fabriqué, artificiel et imaginaire de l’histoire racontée sera repris par Diderot, Laurence Sterne et Henry Fielding. Parmi les autres écrivains qui mirent Cervantes et Don Quichotte au plus haut ou subirent son influence figurent Samuel Johnson, Goethe, Balzac, Stendhal, Flaubert, Dickens, Mark Twain, Herman Melville, Thomas Mann et James Joyce. Antonio Muñoz Molina consacre quelques lignes à plusieurs d’entre eux, ainsi qu’à Sigmund Freud : comme il l’a affirmé en toutes lettres, le fondateur de la psychanalyse était convaincu que les grands romanciers en savent davantage sur l’âme humaine que les médecins et les neurologues. 

On s’est souvent interrogé sur le message que Cervantes voulait transmettre par l’intermédiaire de sa tragi-comédie, toujours très enlevée, souvent bouffonne, profonde et émouvante à plus d’un endroit, surtout dans la deuxième partie. « [Don Quichotte], suggère Antonio Muñoz Molina, est l’expression de la conscience […] que rien n’est solide, ni entièrement noble, ni durable, ni totalement nuisible ou bénéfique, que chaque personne est un monde, et même plusieurs mondes […]. Le roman irrite et déconcerte, parce qu’il ne se marie à aucune préconception, n’offre aucune des certitudes qu’exigent les théories de la littérature ou du bonheur social. [Il] peut paraître progressiste, parce qu’il ne respecte aucune hiérarchie et illustre la bassesse de tous les privilèges et la fausseté et le ridicule de toutes les rhétoriques ; mais aussi réactionnaire, parce qu’il peut se montrer aussi acide et irrespectueux avec les opprimés qu’avec les puissants, aussi proche de l’âme des canailles que de celle des justes. » Si Don Quichotte peut revendiquer le titre de premier vrai roman de la littérature occidentale, autant que pour avoir inauguré une nouvelle forme de récit, c’est en effet pour cette ouverture à un large spectre d’interprétations, qui le rend aussi riche, mouvant et ambigu que la vie elle-même.

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Le groupe Wagner a été décapité en août 2023 lors de l’explosion artistement provoquée de l’avion transportant son chef Evgueni Prigojine. Mais ses mercenaires pilotés par Moscou continuent d’œuvrer en Afrique sahélienne, pour le bénéfice supposé de chefs d’État qui refusent désormais les services des militaires français. Dans un livre fouillé, Candace Rondeaux, l’une des dirigeantes du think tank New America (gauche modérée), revient sur l’historique du groupe Wagner. Si l’itinéraire de Prigojine est relativement bien connu, depuis son statut de « cuisinier » de Poutine jusqu’à sa tentative de coup d’État, Rondeaux éclaire cette personnalité complexe, qui aurait notamment servi de sex toy pendant le long séjour en prison que lui avait valu l’étranglement d’une femme qu’il avait assailli dans la rue pour la voler. Elle explique l’origine principale des mercenaires qui ont constitué le groupe : pour l’essentiel, d’anciens combattants en Tchétchénie, démobilisés, dont certains ont servi à convoyer les bateaux amenant des armes russes au dictateur syrien Bachar el-Assad, puis à faire le coup de feu contre les djihadistes. Quand Poutine a envahi la Crimée en 2014, le groupe Wagner alors officiellement formé a servi à faire le « sale boulot » dans le Donbass, rappelle le journaliste Joshua Hammer dans The New York Review of Books. Le nom « Wagner » était le surnom que s’était donné son commandant en chef, Dmitri Outkine, en hommage au compositeur préféré d’Hitler.  Outkine avait un tatouage « SS » et signait ses ordres avec ce sigle, rapporte Candace Rondeaux. Il est mort aux côtés de Prigojine, dans l’avion qui a explosé. 

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Avant la pandémie de Covid-19, elle avait écrit un roman postapocalyptique quelque peu visionnaire, dans lequel une femme enfermée avec un enfant tente de comprendre une épidémie mortelle qui frappe l’humanité. Publié en 2020, il rencontra un beau succès et fut traduit en français (Crasse rose, Actes Sud). La pandémie, la vraie, la romancière uruguayenne la vécut en Colombie, à Bogotá, devant une fenêtre donnant sur une montagne. Son nouveau livre s’inspire de cette expérience. Elle imagine une femme ayant noué avec cette montagne une relation presque mystique. La voix de la montagne se fait entendre, un chapitre sur deux. La femme a sa vie empoisonnée par un passé terrible et tente de se concentrer sur la tâche qu’elle s’est donnée, sauver cette montagne de l’action délétère des hommes. Des cadavres commencent à apparaître…

La montagne se superpose à une figure de légende du folklore andin, celle de femmes-montagnes, « des présences redoutées, créatures velues, moussues, fortes, des sortes de chamans, explique-t-elle au portail Infobae. Je les pense incomprises et j’ai voulu les réhabiliter. » Fernanda Trías entend établir un parallèle entre la violence envers les femmes et celle envers l’environnement. « Je voulais réfléchir aux violences historiques exercées sur les femmes, mais aussi sur la montagne, car la violence patriarcale s’exerce sur ces deux corps, et je voulais établir ce parallèle entre la maltraitance des femmes et celle de l'environnement. Pour moi, on ne peut pas être féministe sans être écologiste. »

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De toutes les grandes figures de la Renaissance, époque agitée s’il en fut, la plus extravagante est sans doute celle du bien nommé Giovanni Pico della Mirandola, comte de la Concordia. C’était un surhomme tous azimuts : belle origine aristocrate et très, très grande richesse ; naissance semble-t-il saluée, comme celle de Jésus ou de Kim Jong-il, par des prodiges (en l’occurrence des cercles de feu) ; beauté physique qui faisait tourner toutes les têtes, féminines et masculines, intelligence et capacités séductrices faisant le reste ; vie amoureuse XXL (il avait par exemple enlevé la femme d’un Médicis – une très mauvaise idée), mais un sentiment plus durable l’attachait à son ami Piazano, auquel, dans un échange de poèmes érotiques, il réclamait de « mourir par la pointe de son épée » ; mémoire si prodigieuse que tout enfant, il pouvait déjà réciter La Divine Comédie à l’envers ; capacité de travail sans limite… On s’en doute, l’arrogance de Pico était elle aussi exponentielle ; et s’il reconnaissait modestement ne pas TOUT savoir, il prétendait néanmoins en savoir bien plus que les autres.

D’ailleurs, si l’auteur de cette étude, Edward Wilson-Lee, s’autorise à proclamer Pico « l’incontestée merveille de la Renaissance », c’est en référence d’abord à ses performances intellectuelles. Tout jeune, Pico décida de voyager et de lire un maximum, ce qui supposait d’apprendre, outre les langues classiques, l’hébreu, l’arabe, le chaldéen, l’éthiopien clérical et des bribes d’araméen. Il étudia également la philosophie, sous l’égide du néoplatonicien Marsile Ficin ; et, sous celle de maîtres plus inquiétants, divers ésotérismes ou hermétismes en tête desquels la Kabbale et le zoroastrisme. Ce qui fera dire à Voltaire que « le prince de La Mirandole n’est qu’un écolier plein de génie, parcourant une vaste carrière d’erreurs, et guidé en aveugle par des maîtres aveugles ». On comprend toutefois les réticences de Voltaire, car, à peine sorti de l’adolescence, le débauché prodige allait orienter sa trajectoire intellectuelle vers le spirituel. Pico allait en effet tenter de compacter tout ce qu’il avait appris dans un savoir unifié, au sein d’un grand Un qui transcende la division âme-corps et réconcilie l’homme avec lui-même. Et comme il ne faisait jamais rien à moitié, il s’attaqua aussi, dans la foulée, à la hantise de la scolastique médiévale, la conciliation Platon-Aristote. En gros, dit-il, Platon décrit le super-monde parfait des Idées, tandis que son successeur s’attache à décrypter le bas-monde naturel sous tous ses aspects. Les deux démarches se superposent et s’interpénètrent jusqu’à ce que le physique soit subsumé dans le métaphysique, si bien que Pico pouvait affirmer que la division des deux philosophies n’était que le résultat des erreurs d’interprétation de leurs imitateurs.

Quant à lui, son ambition personnelle était de se positionner à mi-chemin entre les cieux et le monde, autrement dit de devenir… un ange. Et cette postulation présomptueuse, il entendait la défendre devant Innocent VIII en personne lors d’un grand débat où il présenterait son Discours sur la dignité de l’homme, suivi de ses 900 conclusions philosophiques, pour beaucoup nébuleuses et certaines carrément cryptiques. Mais le pape ne s’y tromperait pas : l’ouvrage fut aussitôt interdit (premier livre imprimé à connaître ce sort, avant même l’institution formelle de l’Index) et son auteur dut fuir à toute bride en France. Il finirait, après quelques détours, par retrouver à Florence la protection de Laurent de Médicis et la symbiose avec le cher Piazano. Mais une symbiose confinée à l’âme et au cerveau, dans une double poursuite spirituelle et intellectuelle, rien de plus. Ce corps avantageux dont il avait si bien profité, désormais le néo-mystique non seulement le dédaignerait (« Pour Pico, le désir érotique est quasiment une erreur philosophique », écrit Erin Maglaque dans la London Review of Books), mais en plus le meurtrirait et le flagellerait sous le regard sévère de l’autre grand exalté florentin du temps, le dominicain Savonarole. Pico mourut à 31 ans – non pas de ses propres mortifications mais empoisonné au cyanure, présume-t-on désormais (après l’analyse d’un ongle de pied), sans qu’on sache par qui ni pourquoi, querelles politiques Médicis ou jalousie de Savonarole. Quoi qu’il en soit, la mort du polymathe et polygraphe coupe court au fantasme d’un savoir universel unifié, issu de tous les textes écrits dans toutes les langues. Du moins jusqu’à ce que notre IA ne vienne reprendre la revendication à son compte, immortalité en plus.

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Nul doute que les États-Unis vivent un pic d’instabilité depuis l’assaut contre le Capitole en janvier 2021. Plus intrigant, ce pic avait été prévu en 2010 par l’historien Peter Turchin dans un article publié dans la revue scientifique Nature qui rétrospectivement a fait sensation. Plus intrigant encore, cette prédiction avait été formulée sur la base d’un modèle mathématique intégrant des variables clefs, comme l’appauvrissement, le creusement des inégalités et la « surproduction des élites ». Trois livres et quinze ans plus tard, Turchin teste son projet de quantifier l’Histoire dans un nouvel ouvrage censé rendre compte de l’évolution des sociétés depuis les débuts de l’Holocène, voici 12 000 ans, jusqu’à l’aube de la révolution industrielle. Le livre fait l’objet d’un vibrant éloge dans Naturesous la plume de la journaliste Laura Spinney, auteure d’un livre sur l’histoire des langues indo-européennes. Avec « une petite armée d’archéologues, d’économistes et autres spécialistes des sciences sociales », rapporte-t-elle, Turchin a constitué une base de données intitulée Seshat, qui intègre des informations numérisées sur plus de 800 sociétés. Lui et son équipe sont persuadés que « cette quantification révélera des motifs évolutifs dans l’Histoire : plus vous rassemblerez de données, plus un signal clair émergera du bruit », écrit-elle. L’un des points que Turchin pense avoir établi grâce à son modèle est que le passage aux sociétés complexes a eu lieu avant l’émergence des religions moralisatrices. Laura Spinney conclut son article en assurant que les historiens qui expriment encore des réticences à l’égard d’une telle approche « manquent d’humilité ». Wait and see

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