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« Je me suis réveillée ce matin après avoir fini le dernier Hunger Games de Suzanne Collins avec mal à la tête… à force de pleurer non-stop, écrit Ashley Whitlatch sur le site « Books are my third place ». Suis-je émotionnellement dévastée ? Oui. Bouleversée et pas sûre de m’en remettre jamais ? Oui. […] Je n’étais pas préparée à ce que ce livre soit à ce point déchirant. Je me suis même remise plusieurs fois à pleurer en écrivant ce compte rendu. […] C’est peut-être l’histoire la plus brutale qu’elle ait jamais écrite.  Prêt(e) à y entrer ? »

À la fin du premier chapitre, un coup de feu a retenti, et la tête d’un garçon a « explosé », cite The Economist. Un peu plus tard, la tête d’une fille craque et s’ouvre sur le sol, le sang se répandant sur sa natte. Une autre est empoisonnée et « le sang se met à sortir de ses yeux, de son nez, de sa bouche ». L’œil d’une troisième est sorti de son orbite. Le héros est éviscéré. Son amoureuse est empoisonnée et « une écume sanglante fait des bulles sur ses lèvres ». 

C’est déjà le livre le plus vendu sur Amazon. Inaugurée en 2008, la série s’est écoulée à plus de 100 millions d’exemplaires dans le monde. Les traductions sont quasi simultanées (la version française de la dernière livraison est sortie le 20 mars). Les lecteurs, en majorité des lectrices, sont ce que les éditeurs anglo-saxons appellent les young adults, une catégorie extensive allant de 13-14 à 35 ans voire 40 ans. Les livres donnent bien sûr lieu à des films, dont les premiers ont déjà engrangé quelque 4,4 milliards de dollars « ajustés pour l’inflation », calcule The Economist.  

Chaque épisode est fondé sur le même scénario, inspiré de la légende du Minotaure mais aussi du 1984 d’Orwell, de la prégnance des réseaux sociaux et des angoisses latentes : chaque année, les douze districts d’un État dictatorial désignent par tirage au sort deux enfants appelés à se battre à mort les uns contre les autres. Ils sont filmés par des caméras omniprésentes et la nation tout entière est rivée au spectacle sur des écrans. Les combattants les plus appréciés étant « likés », ce qui leur donne des avantages.

D’une façon générale, les dystopies pour « jeunes adultes » jouissent d’une « immense popularité », constate Gregory Claeys, professeur à l’université de Londres. La catégorie de livres dans laquelle Hunger Games figure en tête s’intitule « Books on Death for Young Adults ».  

[post_title] => Du sang frais pour les jeunes [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => du-sang-frais-pour-les-jeunes [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-04-17 17:16:52 [post_modified_gmt] => 2025-04-17 17:16:52 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=131763 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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« Je ne suis pas né pour être célèbre, ni illustre, je ne me mesure pas à cette aune, je ne me suis jamais senti un écrivain important, un grand homme. […] Je veux seulement conter quelques histoires, certaines drôles, d’autres mélancoliques, comme la vie. » Cet aveu figure au début de Navigation de cabotage, un gros recueil désordonné de souvenirs, d’impressions et de réflexions que Jorge Amado a publié à l’âge de 80 ans. Il frappe par sa modestie. Son auteur est en effet l’écrivain brésilien du XXe siècle le plus connu. À l’étranger, son nom est plus familier que ceux de ses aînés Mário de Andrade, Oswald de Andrade et Graciliano Ramos, que ceux de ses contemporains Clarice Lispector et João Guimarães Rosa, et même que celui du plus grand écrivain qu’a produit son pays, l’auteur du XIXe siècle Machado de Assis. Ses romans ont été traduits dans des dizaines de langues et ont fait l’objet de multiples adaptations au cinéma, au théâtre, à la radio et à la télévision.

Navigation de cabotage, ainsi que de succincts Mémoires d’enfance (O menino grapiúna), un remarquable livre d’entretiens avec Alice Raillard paru en 1992 en français, une brève biographie par Miecio Tati publiée quarante ans avant sa mort et les très nombreux livres de souvenirs de sa deuxième femme Zélia Gattai, ont longtemps constitué les principales sources d’information sur la vie de Jorge Amado. Ceci jusqu’à la publication, en 2018, par Joselia Aguiar, d’une biographie très documentée, fruit d’un travail de recherche minutieux. En s’appuyant sur de nombreuses citations, elle éclaire les multiples visages du personnage : journaliste, militant puis député du Parti communiste brésilien, intellectuel itinérant, romancier, ambassadeur culturel du Brésil sans en avoir le titre et, last but not least à ses propres yeux, dignitaire d’un « terreiro » de candomblé à Bahia.

Le candomblé a de fait occupé une place très importante dans son existence. Ce qui le séduisait dans ce culte d’origine africaine était son caractère à la fois populaire, subversif et joyeux. À Clarice Lispector, qui l’interrogeait à ce sujet pour un magazine, il répondit : « Je ne suis pas religieux, je n’ai aucune croyance religieuse, je suis matérialiste. Je n’ai pas eu d’expérience mystique mais j’ai vu beaucoup de magie, je suis superstitieux et je crois aux miracles, une vie est faite de choses ordinaires et de miracles. Sans être religieux, je possède une dignité élevée dans le candomblé bahianais, distinction que m’ont conférée mes amis du candomblé et dont je suis très honoré. » 

Jorge Amado se considérait moins comme un écrivain brésilien que comme un écrivain de Bahia. Né dans une petite plantation de cacao dont son père était l’exploitant, ce qui le familiarisa très tôt avec la terrible pauvreté de la population rurale, il fut envoyé à l’âge de 11 ans dans la capitale de l’État, qu’on n’appelait pas encore Salvador mais Bahia, pour y étudier. À l’âge de 14 ans, tout en continuant à suivre les cours au collège, il commença à travailler comme journaliste. Élève peu assidu, il menait une vie très libre dans les rues de la ville parmi les mauvais garçons et les lutteurs de capoeira,  fréquentant les bordels et les temples de candomblé, s’imprégnant de tout ce qui allait devenir l’univers de ses romans. Il était par ailleurs membre d’un cercle littéraire appelé L’Académie des rebelles. Ses auteurs de prédilection étaient alors les classiques français (Balzac, Flaubert, Maupassant, Zola) et anglo-saxons (Walter Scott, Dickens, Mark Twain). Viendront ensuite les auteurs américains contemporains (Faulkner, Steinbeck, Hemingway, Dos Passos) et les grandes figures du « roman prolétarien » soviétique. 

À l’âge de 18 ans, il publiait son premier roman, Le Pays du carnaval, dont l’action se déroule dans les quartiers populaires de Bahia. Suivront Cacao, qui évoque la détresse du milieu rural, et Sueur, qui dépeint la misère ouvrière à Bahia, deux livres qu’il définira par la suite comme des « cahiers d’un apprenti écrivain ». En 1935, Bahia de tous les saints, dont le protagoniste est un boxeur noir, lançait effectivement sa carrière d’écrivain. Ces livres ouvraient une veine de romans naturalistes d’inspiration sociale dont le plus puissant est sans doute Les Terres du bout du monde, paru en 1943. 

Parallèlement à son œuvre littéraire, et en lien étroit avec elle, Jorge Amado poursuivit durant quelque trente ans un parcours politique au sein du Parti communiste brésilien. Joselia Aguiar en raconte toutes les péripéties, dont l’histoire coïncide largement avec celle du régime de Getúlio Vargas : arrivé aux commandes du pays en 1930 à la faveur d’une révolution militaire, puis élu président, il institua en 1937 la dictature de l’Estado Novo, fut chassé du pouvoir en 1945, pour revenir quelques années plus tard comme président démocratiquement élu. 

Brièvement incarcéré en 1935, Jorge Amado dut s’exiler de 1941 à 1942 en Argentine et en Uruguay. Durant ces années-là, il publia des biographies romancées du poète abolitionniste Castro Alves et du secrétaire général du Parti communiste brésilien Luis Carlos Prestes. Revenu au Brésil, élu député en 1945, suite à l’interdiction du Parti communiste il fut à nouveau contraint de s’exiler, cette fois à Paris. Il s’y lia avec de nombreux intellectuels et artistes dont Aragon, Picasso et Jean-Paul Sartre, qu’il invitera par la suite au Brésil. En 1950, il était expulsé de France en même temps qu’une vingtaine de ses compatriotes et que l’écrivain chilien Pablo Neruda. Il restera interdit de séjour dans ce pays durant seize ans. Après avoir passé deux ans en Tchécoslovaquie, il revint définitivement au Brésil en 1954. Peu après, il abandonnait la vie politique pour se consacrer pleinement à la littérature. 

Bien qu’il ait toujours insisté sur l’unité de son œuvre, les romans qu’il produisit à partir de ce moment sont d’un autre caractère que ses premiers récits. L’humour y fait son  apparition, la fantaisie s’y déploie, la sensualité et l’érotisme s’y épanouissent. Ainsi que l’indiquent leurs titres (Gabriela, girofle et cannelle Dona Flor et ses deux maris Tereza Batista Tieta d’Agreste), les personnages principaux sont le plus souvent des femmes. Mulâtresses fréquemment issues de la prostitution, femmes de caractère prenant en main leur destin, elles incarnent l’idéal de mélange des races qui chez Amado a pris le relais de l’utopie socialiste. Ces romans figurent parmi ses plus populaires et ceux qui ont fait l’objet des adaptations les plus nombreuses. De celles-ci, il disait : « Quand je cède les droits d’adaptation d’un de mes livres au cinéma, au théâtre, à la télévision ou à la radio, je ne cherche pas à m’impliquer dans le travail d’adaptation. Je suis romancier, je ne suis pas cinéaste, dramaturge, homme de radio ou de télévision, et je pense que l’adaptation d’une œuvre littéraire pour une autre forme d’expression doit être une recréation. »

Jorge Amado était un homme plein de charme. À tort ou à raison, ses compagnes se méfièrent toujours de ses capacités de séduction. Joselia Aguiar a retrouvé la trace d’un amour de jeunesse passionné qui avait jusqu’ici échappé à l’attention des commentateurs. Il fut ensuite marié deux fois. La première avec une certaine Matilde Garcia Rosa, qui lui donna une fille et dont il divorça au bout de quelques années. La deuxième fois avec Zélia Gattai, qui fréquentait le milieu littéraire moderniste et les membres du Parti communiste. Il l’épousa en 1945. Ils eurent deux enfants, elle vécut avec lui jusqu’à sa mort et l’accompagna dans tous ses voyages, notamment en URSS. 

Dans le récit méticuleux et détaillé qu’elle fait de la vie d’Amado, Joselia Aguiar ne se départit jamais d’un ton bienveillant mais toujours factuel. Trois passages témoignent sobrement de sa capacité de compassion : lorsqu’elle évoque la mort de la première fille d’Amado, décédée à l’âge de 16 ans des suites d’une maladie auto-immune, et l’effet dévastateur que cette mort prématurée eut sur lui ; les pages consacrées aux dernières années de l’écrivain, marquées par une suite de problèmes de santé (diabète, crise cardiaque, perte progressive de la vue), qui minèrent sa vitalité ; enfin, l’ultime paragraphe dans lequel elle décrit le chagrin incoercible de Zélia, nonagénaire, à l’annonce de la mort du fils qu’elle avait eu d’un premier mariage.   

À la fin de sa vie, Jorge Amado était devenu une personnalité centrale de la vie intellectuelle et culturelle brésilienne. Connaissant tout le monde, il était ami de l’architecte Oscar Niemeyer, du cinéaste Glauber Rocha, d’intellectuels comme Celso Furtado, Josué de Castro, Paulo Freire et Fernando Henrique Cardoso, des compositeurs et chanteurs Chico Buarque, Caetano Veloso et Gilberto Gil. Il était aussi une figure familière de tous les Brésiliens – les chemises bariolées qu’il aimait porter faisaient partie de sa légende. Proposé sept fois pour le prix Nobel de littérature, il ne l’obtint jamais, en raison, apparemment, de l’hostilité d’un des jurés. Il ne tirait aucun orgueil de sa notoriété. « Je connais mes limites mieux que certains des critiques qui démolissent mes livres », disait-il. Dans son Dictionnaire amoureux de l’Amérique latine, Mario Vargas Llosa loue avec chaleur Jorge Amado pour son talent de raconteur, sa drôlerie, son optimisme, sa « splendide santé morale » et son extraordinaire générosité. À ces qualités, on pourrait ajouter la simplicité et l’absence de vanité qui lui faisaient écrire dans Navigation de cabotage : « La vie a été prodigue avec moi, elle m’a donné plus que je n’ai demandé et mérité ». 

[post_title] => Toutes les vies de Jorge Amado [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => toutes-les-vies-de-jorge-amado [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-04-17 17:14:31 [post_modified_gmt] => 2025-04-17 17:14:31 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=131759 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Largement motivée par des raisons idéologiques, l’offensive menée par Trump contre une bonne partie de l’establishment scientifique intervient dans un contexte de crise profonde dudit establishment. Un article publié dans la revue Science, qui en est le cœur, l’expose avec une rare crudité. Le prétexte est un livre-enquête publié par l’un de ses journalistes, Charles Piller, sur l’un des cas de fraude les plus saillants de ces dernières années. Il concerne la maladie d’Alzheimer. Résultat : le consensus sur l’implication des plaques dites amyloïdes dans la genèse de la maladie, consensus sur lequel des carrières se sont construites et de coûteux essais cliniques ont été réalisés, est remis en cause. À l’origine, des fraudes en série commises par un chercheur français recruté par l’un des plus célèbres laboratoires spécialisés en la matière, à l’université du Minnesota. Mais au-delà de ce cas personnel, c’est tout le système de recherche qui une fois de plus révèle sa déliquescence. 

Fait notable, le signataire du compte-rendu dans la célèbre revue, Carl Elliott, lui-même de l’université du Minnesota, expose la manière dont son université a couvert le chercheur. Fait non moins notable, il donne les noms de certaines des pointures elles aussi impliquées, y compris à Harvard, à l’université de Californie du Sud ainsi qu’au NIH (National Institutes of Health), lequel est dans le collimateur de Trump. La revue Nature est mise en cause : elle a mis dix-huit ans avant de « rétracter » l’article phare du chercheur français, censé avoir été « revu par les pairs ». En cause aussi l’entreprise Cassava Sciences, qui a obtenu de la FDA (Food and Drug Administration) de procéder à des essais cliniques pour le simufilam, l’une des molécules testées dans le cadre de la théorie amyloïde. 

« Le plus frappant est peut-être l’atmosphère de peur rapportée par l’auteur, écrit Elliott. Pratiquement tous ceux à qui il essaie de parler sont terrifiés. » Et la plupart de ceux à qui est présentée la preuve que des articles qu’ils ont cosignés comportent des images falsifiées « se cachent derrière des avocats et refusent de répondre aux questions ». Pourtant, observe Elliott, « il serait erroné de faire porter tout le blâme sur des chercheurs individuels. Ils travaillent dans un système qui leur donne de puissantes incitations à tricher, sans grand risque d’être punis. Les journaux scientifiques résistent aux pressions exercées pour rétracter des articles. Des chercheurs de renom ajoutent leur nom à des articles qu’ils n’ont pas examinés de près et rejoignent le conseil d’administration d’entreprises sujettes à caution. Le plus dommageable est peut-être le comportement des institutions de recherche, dont beaucoup font de leur mieux pour couvrir les inconduites des chercheurs et les protéger. »

Dans un compte-rendu du même livre paru dans le Times Literary Supplement, Kathleen Taylor, qui a publié deux livres sur les démences du type Alzheimer, cite sans émettre de réserve l’expression de « mafia amyloïde » utilisée par l’auteur et cite un passage où il évoque les conflits d’intérêts qui pervertissent les décisions de la FDA : « Des membres des comités consultatifs de la FDA gagnent des centaines de milliers de dollars versés par les entreprises dont ils ont approuvé les médicaments ». 

[post_title] => Le système scientifique sur le gril [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => le-systeme-scientifique-sur-le-gril [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-04-10 16:39:23 [post_modified_gmt] => 2025-04-10 16:39:23 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=131724 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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À eux deux, ils ont conquis puis partiellement reconquis, en l’espace de trois générations, « le plus vaste empire terrestre qui ait jamais existé ». Le grand aîné, Gengis Khan, a commencé en fédérant les clans batailleurs de la fruste tribu mongole. Issu d’un sous-clan inférieur dans une société obsédée de généalogie, il avait pourtant démarré très bas. Mais après une jeunesse plus que problématique (avec même des périodes d’esclavage), il avait peu à peu rassemblé des alliés, organisé l’armée sur des bases méritocratiques, connu quelques défaites et beaucoup de victoires. Vainqueur, il agrégeait les troupes battues et continuait d’avancer – allant jusqu’à la mer Caspienne et à la Volga, ainsi qu’en Sibérie et en Chine jusqu’à Pékin. Ses conquêtes, fondées sur la terreur mais aussi sur une certaine miséricorde envers les vaincus, servaient à permettre d’autres conquêtes. Et quand il mourut en 1227, dans des circonstances mystérieuses (peut-être lors du viol d’une reine capturée qui avait introduit une lame dans son vagin !), il laissait un État en bonne et due forme : des successeurs choisis (en assemblée) parmi ses fils, des infrastructures commerciales et routières, un système administratif centralisé et une sorte de code juridique et moral, le Yassa, très novateur économiquement, socialement, religieusement (tolérance intégrale) et même écologiquement (chasse interdite en période de reproduction). Ses conquêtes avaient par ailleurs eu l’effet bénéfique d’abattre les frontières entre les peuples domptés, donc de fluidifier les mouvements de marchandises, de technologies et d’idées. Pourtant, malgré l’instauration graduelle de la fameuse Pax Mongolica, un siècle plus tard l’empire mongol tombait déjà en pleine déréliction. 

Surgit alors, vers 1370, Timour Leng (Timour le Boiteux alias Tamerlan), un Gengis Khan bis, qui allait reconquérir une bonne partie des territoires soumis par son lointain précurseur et prolonger l’empire vers la Russie, le Moyen-Orient (Damas et Bagdad) et le Pendjab. On associe volontiers ces deux conquérants, pourtant bien différents, explique le médiéviste anglais Peter Jackson avec force détails (720 pages dont 267 de notes !). Le premier était un dévot chamaniste, un nomade qui de sa vie n’avait pénétré qu’une seule fois dans une ville (Boukhara), et qui n’avait laissé aucune trace matérielle de lui, même pas une tombe. En revanche, le second, issu d’encore plus bas (c’était un voleur de bétail), était un musulman qui massacra ses coreligionnaires par dizaines de milliers. Ses conquêtes, surtout motivées par le butin, étaient assorties d’actes de cruauté extrême. Il décapite peut-être 100 000 habitants de Delhi ; en Turquie, pour respecter une promesse de ne pas verser le sang des défenseurs de la ville de Sivas, il les enterre tous vivants. Il délaissait les régions pillées, quitte à repasser quelques années plus tard. Aussi, « tandis que l’empire mongol parvint à continuer à grandir pendant deux générations après la mort de Gengis Khan, celui de Timour s’est aussitôt fragmenté après la sienne, en 1405, comme un feu de paille inconcevablement brutal et mortel », écrit Peter Gordon dans la Asian Review of Books. Si Gengis Khan « bâtissait avec des nations », Tamerlan le faisait avec des blocs de pierre, notamment à Samarcande, chef-d’œuvre qui lui survit encore. Hélas, en Occident son image reste celle d’un destructeur si cruel qu’elle a valu au terme « mongol » une connotation fort péjorative. En Asie en revanche, les deux ravageurs sont quasiment déifiés. 

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En 1458, à l’aube de l’imprimerie, Nicolas Jenson, graveur à la Monnaie de Paris, arrive dans l’atelier de Gutenberg à Mayence, envoyé par le roi Charles VII pour apprendre le nouvel art de l’imprimerie mécanique à caractères mobiles. Plus tard, en 1470, installé à Venise, alors capitale de l’édition, Jenson ouvre son propre atelier et, avec des graveurs, des typographes et des imprimeurs, il jette les bases de l’édition moderne, standardise l’écriture, introduit des améliorations techniques. Surtout, il optimise les caractères. Il exerce une influence déterminante sur les graveurs qui vont suivre, comme Claude Garamond. Bien que créateur du Times New Roman, Stanley Morison, le grand historien de la typographie, considérait le Roman de Jenson comme le plus parfait caractère d’imprimerie jamais gravé. Il continue d’être utilisé de nos jours1

Avec une évidente ambition didactique, El príncipe de la imprenta se présente comme un dialogue sur l’origine et l’expansion des premiers imprimeurs en Europe. Enric Satué met en scène un Jenson mourant, intoxiqué par les vapeurs de plomb, faisant le bilan de sa vie avec Peter Ugelheimer, son associé et ami, qui a l’intention d’écrire sa biographie. Célèbre designer espagnol, Satué livre ici son premier roman. Il y développe une foule d’explications plus ou moins détaillées sur l’art de l’imprimerie à ses débuts : l’origine des majuscules et des minuscules, le rapport entre la peinture à l’huile et la graisse utilisée pour épaissir l’encre, ou encore le nombre de lignes par page des bibles imprimées par Gutenberg. Le descriptif méticuleux est à la fois louable et pesant, juge Diego Areso dans El País. « Les diagrammes, les gravures et les anecdotes techniques sont un régal pour tout amateur de design ou d’histoire, mais ils nuisent au récit, peut-être parce que l’objectif de Satué est davantage d’instruire que de divertir. L’auteur lui-même semble le reconnaître avec ironie, mettant dans la bouche du protagoniste un reproche à son biographe : “Votre histoire manque d’émotion. Le lecteur d’un livre y cherche avant tout la sagesse, mais aussi des émotions qui le touchent”. »

Le progrès de l’imprimerie peut-il être comparé à celui de l’intelligence artificielle ? Interrogé à ce sujet par le journal espagnol Diario 16Satué répond : « Bien sûr : toutes deux ont contribué à changer la société de leur époque. Ce que Nicolas Jenson et l’Italien Alde Manuce ont réalisé au XVe siècle, Bill Gates et Steve Jobs l’ont réalisé au XXe. Mais l’Histoire s’écrit toujours en caractères d’imprimerie… »

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« La marée montante soulève tous les bateaux », disait John Kennedy. La formule se vérifie, estime l’économiste suédois Daniel Waldenström. Son livre est le dernier en date des assauts répétés menés contre la thèse du Français Thomas Piketty, pour qui l’inégalité a fortement augmenté ces dernières décennies, lui faisant retrouver le niveau d’avant la Première Guerre mondiale. Waldenström a repris les données de base dans six pays : France, Allemagne, Espagne, Suède, Royaume-Uni et États-Unis. Il en tire deux conclusions essentielles. D’une part, en termes de pouvoir d’achat, la richesse a considérablement augmenté en un siècle, et plus encore depuis 1980 : « Nous sommes aujourd’hui plus de trois fois plus riches en termes de pouvoir d’achat que nous l’étions en 1980 et presque dix fois plus riches qu’il y a un siècle ». D’autre part, les 90 % les moins riches, donc le gros de la population, s’est plus enrichi que l’élite des 1 % les plus riches. Dans la revue qu’il dirige, The Independent Review, l’économiste américain Robert M. Whaples résume ainsi l’une des figures du livre : « Entre 1910 et 2010, la richesse de l’« élite » (les 1 %) a été multipliée par 3 en France, par 8 en Suède, par 16 aux États-Unis et n’a pas augmenté de manière significative au Royaume-Uni. Pendant ce temps, la richesse du « peuple » (les 90 % les moins riches) a été multipliée par 24 en France, par 54 en Suède, par 26 aux États-Unis et par 80 au Royaume-Uni. » L’un des facteurs essentiels de cette évolution, selon Waldenström, est l’accession à la propriété. Whaples insiste de son côté sur le rôle de la sécurité sociale. Si l’on prend en compte ce facteur, écrit-il, l’accroissement des inégalités constaté aux États-Unis depuis 1980 doit être fortement relativisé. Autre enseignement du travail de Waldenström : la proportion de milliardaires qui ont hérité de leur fortune a été presque divisée par deux entre 1980 et 2010, passant de 60 à 35 %.    

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On dit souvent de la peinture et de la musique qu’elles commencent là où finit le pouvoir des mots. La même affirmation peut être faite au sujet de la danse, le moins intellectuel et le plus physique des arts. Comme le peintre avec les formes et les couleurs, et le musicien avec les sons et les cadences, le chorégraphe travaille avec les mouvements. Mais ces mouvements sont ceux du corps humain, qui est à la fois son matériau et son instrument. La danse est aussi l’art de l’éphémère. Des traditions existent et sont enseignées, et des systèmes de notation plus ou moins convaincants ont été élaborés. Mais en l’absence d’enregistrements, qui ne sont pas toujours réalisés, il est malaisé de se faire une idée exacte des chorégraphies du passé et de la manière dont elles furent exécutées.

Est-ce parce qu’il est difficile d’écrire à son sujet que la plupart des ouvrages qui lui sont consacrés sont des recueils de photographies ou des livres de souvenirs de danseurs ? Les biographies de grands chorégraphes, notamment, ne sont pas très nombreuses. Une lacune importante vient d’être comblée avec la parution de la première biographie complète du plus grand chorégraphe du XXsiècle, George Balanchine, sur qui n’existaient jusqu’ici que quelques courts ouvrages. Très détaillée (700 pages), elle est due à Jennifer Homans, qui avait publié il y a quinze ans une volumineuse histoire du ballet, Apollo’s Angels.  

Né en Russie en 1904, George Balanchine est devenu danseur un peu par hasard. Sa sœur passait une audition à l’école impériale de danse de Saint-Pétersbourg et il fit de même pour la forme. Les candidats masculins étant peu nombreux, c’est lui qui fut retenu. En 1917, la révolution d’Octobre éclatait. Le théâtre impérial fut fermé, puis rouvrit sous un nouveau nom. Le monde de la danse russe connut une période de grand dynamisme, mais dans des conditions matérielles très dures, au sein d’une société accablée de pauvreté. En 1922, Balanchine formait sa propre compagnie. Deux ans plus tard, à l’occasion d’une tournée en Allemagne, sommé par les autorités de rentrer au pays, il choisit de faire carrière en Europe. Toute sa vie, il gardera cependant la nostalgie de la Russie impériale. Il restera profondément croyant et attaché à la religion de son enfance, comme à la culture musicale et littéraire russe. Et il ne cessera de détester férocement le communisme. 

À cette époque, la grande figure du monde de la danse en Europe de l’Ouest était l’imprésario Serge de Diaghilev, créateur des fameux « ballets russes » et découvreur et amant de Vaslav Nijinski. Il engagea Balanchine, qui monta des ballets pour lui jusqu’en 1929. Formé à l’école du chorégraphe Marius Petipa, premier maître de ballet du théâtre impérial de Saint-Pétersbourg, Balanchine n’en était pas moins résolu à rompre avec ce que le ballet classique avait de rigide et de conventionnel, pour développer un style mieux à même de faire « voir la musique ». Le premier produit de cet effort fut Apollon Musagète, sur une musique d’Igor Stravinski, dont il avait fait la connaissance, qu’il admirait profondément et qui restera son ami. Atteint de tuberculose, gravement malade, il dut interrompre quelques mois sa carrière pour effectuer un séjour dans un sanatorium en Suisse. Avoir frôlé la mort, souligne Jennifer Homans, lui donna un sens aigu du présent, du maintenant et de l’instant, qui se traduit dans sa danse et dans la philosophie de la vie qu’il enseignera à ses danseurs. 

En 1933, il rencontrait l’homme qui allait décider de son destin : un jeune juif américain de famille riche nommé Lincoln Kirstein. Homosexuel très actif, bourré d’idées et d’énergie, régulièrement en proie à des crises névrotiques ou psychotiques, Kirstein était passionné par la danse. Il convainquit Balanchine de l’accompagner aux États-Unis, où il lui servira de génie tutélaire jusqu’à la fin de ses jours. Grâce à sa fortune, ils créèrent ensemble en 1934 une école de danse, la School of American Ballet. La même année, Balanchine montait à New York avec ses élèves le premier long ballet de sa carrière américaine, Sérénade, sur une partition de Tchaïkovski. Comme beaucoup des quelque 400 ballets de Balanchine, il est sans véritable intrigue ; et comme presque tous, il contient une succession de moments de grâce en hommage à la femme. En 1948, Balanchine et Kirstein fondèrent ensuite une compagnie en bonne et due forme, le New York City Ballet, dont Kirstein sera le directeur général et Balanchine le chorégraphe attitré durant quatre décennies.   

Avant de devenir historienne et critique, Jennifer Homans a pratiqué la danse, qu’elle a étudiée notamment à la School of American Ballet. C’est donc en connaissance de cause qu’elle parle de ses aspects techniques, de l’expérience des danseurs qui ont travaillé avec George Balanchine et de ce qui distinguait ses chorégraphies. Celles-ci sont souvent qualifiées de « néo-classiques », une étiquette un peu trop générale et trompeuse. Contrairement à celui des pionnières de la danse moderne Isadora Duncan, Loïe Fuller ou Martha Graham, qui développèrent un style de danse très libre et affranchi des contraintes et conventions, le travail de Balanchine se situe dans le strict prolongement de la tradition du ballet classique. Mais il introduit des innovations radicales. « Les danses les plus classiques de Balanchine, souligne Jennifer Homans dans Apollo’s Angels, ont un côté révolutionnaire, et ses danses les plus révolutionnaires sont toujours enracinées dans les formes classiques. » Balanchine n’attaquait pas la tradition dans l’esprit de rébellion des avant-gardes. Il la changeait de l’intérieur en y incorporant avec inventivité des éléments inédits. Dans ses ballets, d’où l’effusion de sentimentalité est bannie au profit de la pureté des mouvements, les pas et les attitudes classiques sont subtilement reconfigurés, de manière à accentuer l’impression de fluidité, de musicalité, de rapidité. Les pliés sont particulièrement profonds, la montée sur les pointes et la descente de pointes se font de manière extrêmement souple. « Dans l’arabesque (une jambe étendue vers l’arrière, le dos arqué), [les danseurs] enfreignent les règles de placement traditionnel exigeant que les deux hanches restent rigoureusement parallèles. [Le bassin s’ouvre] comme si l’on tirait la jambe vers l’arrière, disloquant et réordonnant […] le corps pour réaliser une ligne plus longue. C’est toujours une arabesque très reconnaissable, mais l’organisation du corps est dynamique et asymétrique. »

Ce style de danse est exigeant et nécessite un corps réagissant avec vitesse et précision. Balanchine soumettait ses danseurs à un entraînement éprouvant : plus de soixante tendus en succession à la barre, d’un côté, puis de l’autre, puis en arrière, d’une jambe puis de l’autre, de plus en plus rapidement. Contrairement à Jerome Robbins, qui fut son collaborateur puis son rival, il ne s’emportait jamais et ses manières restaient toujours douces. Mais il était d’une rigueur impitoyable. Les membres de la troupe étaient supposés tout sacrifier à ce qui seul comptait pour lui, la danse. Avec ses danseuses, il était tyrannique. Obsédé par la beauté du corps humain, qu’il voulait exalter, il leur enjoignait en permanence de surveiller leur poids. Il les mettait aussi constamment en garde contre le mariage et n’appréciait guère qu’elles aient des enfants, une source inévitable de distraction et une cause d’indisponibilité. Les rôles étaient parfois assignés à la dernière minute, sans égard pour celles qui les avaient préparés. Ses danseurs l’adoraient cependant, ils lui vouaient un culte décrit par plusieurs observateurs comme quasiment religieux. 

On a souvent souligné l’imbrication complète de la vie sentimentale de Balanchine et de son travail artistique. Les cinq femmes avec lesquelles il a été marié ou a vécu, et les innombrables autres avec lesquelles il a eu des aventures, ont toutes été ses danseuses. C’est pour elles qu’il concevait les rôles qu’elles interprétaient, et, dans ses ballets, on trouve souvent le reflet des sentiments qu’il éprouvait à leur égard. Ils étaient souvent réciproques, mais pas toujours. Lorsqu’il fit la connaissance de Suzanne Farrell, il était marié avec Tanaquil Le Clercq, tragiquement frappée par la poliomyélite à l’âge de 27 ans (elle restera paralysée à partir de la taille toute sa vie). Suzanne avait 41 ans de moins que lui. Catholique, elle n’entendait pas avoir avec le chorégraphe d’autres relations que professionnelles. Mais il lui accordait un traitement de faveur, et les autres danseurs finirent par la détester et perdre le respect qu’ils avaient pour leur directeur. Le moral de la compagnie s’effondra. Un jour, elle se maria avec un autre membre de la troupe, à la grande contrariété de Balanchine. Lorsqu’elle exigea qu’il attribue à son mari un rôle qui lui revenait naturellement et qu’il lui avait refusé, il les expulsa du programme tous les deux. Le couple quitta le New York City Ballet. Six ans plus tard, elle réintégrait la troupe, sans jamais retrouver la place privilégiée qu’elle y avait occupée. Balanchine avait une nouvelle compagne, une danseuse d’Allemagne de l’Est, à qui il confiait les premiers rôles de ses ballets. 

Bien que profondément et durablement marqué par l’épisode (il restait obsédé par Farrell), Balanchine resta très créatif durant les années qui suivirent. Mais, avec le temps, ses forces s’amenuisèrent progressivement. En 1962, le New York City Ballet avait effectué une tournée en URSS, unanimement considérée comme un succès, mais qui l’avait laissé triste et amer : la Russie dont il avait la nostalgie et dont il chérissait le souvenir n’existait plus. En 1971, Stravinski, « qui avait été l’étoile Polaire de sa vie », commente Homans, mourut. L’esprit du temps tel qu’il se manifestait dans les chorégraphies de Jerome Robbins ou de Maurice Béjart lui était étranger, tout comme la mentalité des nouvelles générations de danseurs. Surtout, à partir du milieu des années 1970, sa santé toujours fragile se détériora. Pris de crises d’angine de poitrine et victime d’une crise cardiaque, il dut être opéré. En 1978 se manifestèrent les premiers signes de l’affection qui allait l’emporter : la maladie de Creutzfeldt-Jakob, une dégénérescence du système nerveux d’origine infectieuse qu’il contracta peut-être par l’intermédiaire d’injections de produits d’origine animale ou humaine contaminés, présents dans les sérums que certains médecins administraient à l’époque, censés prolonger la jeunesse et maintenir la virilité. Il mourut grabataire à l’âge de 79 ans. George Balanchine n’avait aucun goût pour le luxe. Il prenait plaisir à cuisiner ses repas et à repasser ses chemises. Il n’était pas riche et sa principale possession était les droits de ses ballets. Lorsqu’il se résigna à faire un testament, il ne les céda pas à sa compagnie mais les répartit entre ses danseurs, parce qu’une compagnie, disait-il, ce sont d’abord des danseurs. Ses deux grandes passions furent les femmes et la danse. Elles se confondaient. Ce qu’il aimait et attendait des femmes, c’était de pouvoir les faire danser. « La danse est femme », aimait-il dire. « Je distingue entre les choses matérielles et les choses de l’esprit – l’art, la beauté…, écrivit-il un jour à Jacqueline Kennedy ; l’homme s’occupe des choses matérielles et la femme prend soin de l’âme. » Il concevait ses chorégraphies avant tout pour les danseuses, parce que « les femmes ont des corps plus beaux et flexibles, capables de plus de choses ». Dans son esprit, la danse n’était pas destinée à exprimer des idées (« ne pensez pas, disait-il à ses danseurs, dansez »), mais avait vocation à célébrer la beauté : « Quand vous placez des fleurs sur une table, est-ce que vous affirmez, contestez ou réfutez quelque chose ? Vous aimez les fleurs parce qu’elles sont belles…. Je veux seulement prouver la danse en dansant. »

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Pas si russe, la Crimée. Ni ukrainienne, d’ailleurs. Difficile d’imaginer histoire plus complexe. Ses côtes furent colonisées par les Grecs dès le VIIe siècle avant notre ère. Ils y fondèrent plusieurs villes dont Chersonèse, près de l’actuelle Sébastopol. Ils y restèrent sous la domination romaine. Comparable à la Sicile pour sa position stratégique et en tant que grenier à blé, la péninsule passa sous la domination de la Horde d’or mongole. Laquelle la vendit à la fin du XIIIe siècle aux Génois. 

Rendant compte du livre de Kerstin S. Jobst, l’historien de la Méditerranée David Abulafia insiste sur cette période génoise. C’est à ce moment que prospéra la ville de Caffa (l’actuelle Théodosie, sur la côte est). Elle compta jusqu’à 50 000 habitants, avec toujours beaucoup de Grecs mais aussi des Arméniens, des juifs et des Tatars, musulmans. « C’était un grand centre commercial pour le blé, la cire d’abeille pour illuminer les cierges des églises d’Europe occidentale et les esclaves – ainsi que le caviar, dont le patriarche de Constantinople encourageait la consommation durant le Carême », écrit Abulafia dans la Literary Review (le caviar n’était pas un produit de luxe). La question de savoir si la Crimée était un point d’aboutissement de la route de la soie reste controversée. « Les épices qui arrivaient à Caffa venaient surtout d’Égypte et de Syrie, échangées contre des esclaves circassiens. » La ville fut l’un des points d’entrée de la peste noire en Europe. La Crimée vécut ensuite plus de trois siècles sous la domination des Tatars, eux-mêmes dépendant de la tolérante férule de l’Empire ottoman. 

Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour voir arriver les Russes. La Crimée est prise sur ordre de la Grande Catherine en 1783, qui y fait construire la base militaire de Sébastopol. La russification proprement dite n’eut lieu qu’après 1944, quand Staline décida de déporter les Tatars en Asie centrale, notamment en Ouzbékistan, dans les conditions qu’on peut imaginer. Une partie d’entre eux revinrent en Crimée à partir de la fin des années 1980. Elle sera rattachée à l’Ukraine en 1997, avant d’être reprise par les Russes en 2014. 

[post_title] => Du caviar au Carême [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => du-caviar-au-careme [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-04-03 17:50:08 [post_modified_gmt] => 2025-04-03 17:50:08 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=131668 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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En 1702, pendant la guerre de Succession d’Espagne, la mer a englouti des dizaines de frégates et de galions lors de la bataille navale de Rande, l’une des plus mémorables pour les habitants de Vigo, en Galice. Les Anglo-Hollandais convoitaient la cargaison des galions espagnols arrivant du Nouveau Monde que les Français tentaient de protéger, sans grand succès. Les navires qui y ont sombré ont même inspiré Jules Verne : dans Vingt mille lieues sous les mers, le capitaine Nemo parcourt les eaux de la baie de Vigo pour ravitailler le Nautilus.

María Oruña tisse deux histoires qui s’entremêlent. La première commence de nos jours avec la découverte sur la plage de A Calzoa du corps sans vie de Lucía, une historienne navale qui, avec son mari Marco, avait consacré sa vie à la recherche de trésors sous-marins. Le sous-inspecteur Pietro Rivas tente de résoudre l’énigme de l’assassinat de Lucía, en compagnie de Nagore Freire, une femme extravagante qui semble sortie d’une autre époque, et d’une étrange bande d’enquêteurs, de plongeurs, d’archéologues et de scientifiques. De nouveaux crimes se produisent, et le sous-inspecteur apprend que derrière cela se cache une bande de chasseurs de trésors qui veulent mettre la main sur les richesses cachées d’un galion fantôme enfoui au sud des îles Cíes, face à Vigo. Ce galion n’est autre que L’Albatros noir.   

La deuxième histoire nous transporte au début du XVIIIe siècle. Après quelques années dans le Nouveau Monde avec sa famille où elle développe son amour pour la nature et les insectes, la jeune Miranda Quiroga est mariée de force avec un important propriétaire terrien. En 1702, devenue veuve, elle décide de retourner dans sa ville de Vigo. Elle devra choisir entre devenir la première femme entomologiste de l’Histoire ou défendre sa ville de la menace anglo-hollandaise qui se profile à l’horizon. Cela l’amènera à s’impliquer dans la bataille de Rande, avec l’aide d’un étrange noble et d’un ex-moine devenu corsaire.

« À mon avis, les romans doivent comporter différents niveaux et c’est au lecteur de décider jusqu’où il veut aller, confie María Oruña à La Voz de GaliciaMon roman est fait pour divertir, il y a de l’amour, de l’humour, de l’action. L’intrigue policière s’intègre dans un récit historique. » Faisant allusion aux trésors qui restent enfouis au large des côtes espagnoles, elle dénonce aussi « l’abandon de notre patrimoine ».   

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Quand nous jetons nos déchets soigneusement sélectionnés dans les poubelles prévues à cet effet, nous satisfaisons à bon compte notre ego vert. La moitié seulement du plastique jeté au sein de l’Union européenne est recyclée à l’intérieur de ses frontières, relève The Economist. Le reste est envoyé dans des conditions douteuses vers des pays pauvres. Des journalistes de l’agence Bloomberg ont attaché un traceur numérique à un sac en plastique fourni à ses clients par un supermarché Tesco à Londres.  Soigneusement mis dans une poubelle à recycler, le sac voyage en camion jusqu’au port de Harwich, puis en bateau jusqu’à Rotterdam, puis en camion vers la Pologne, pour échouer finalement sur une colline de déchets à ciel ouvert dans le sud de la Turquie. Des conventions ont été signées, mais les mailles du filet son larges. En rendant compte avec un certain pathos du livre du journaliste Alexander Clapp, basé à Athènes, son collègue du mensuel américain The Atlantic parle de « colonoscopie du monde » : une analyse fouillée, c’est le cas de le dire, de la façon dont une bonne partie des déchets des pays riches se retrouvent non traités dans des pays-poubelles qui en tirent un maigre profit. Certains de ces derniers ont fini par réagir. La Chine cesse depuis 2017 de recevoir notre plastique, la Thaïlande et l’Indonésie depuis cette année. Mais cela ne fait que détourner le trafic. Des solutions ? Alexander Clapp, qui a la fibre anticapitaliste, énumère quelques mesures que The Economist considère comme autant de vœux pieux. Vu l’offensive menée par Donald Trump contre les réglementations environnementales, il n’y a en tout cas rien à attendre des États-Unis.

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