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Blessé par un cinglé en 1990, Wolfgang Schäuble a fait la moitié de son immense carrière politique en chaise roulante. Élu au Bundestag en 1972, il est resté député jusqu’à sa mort, au lendemain de Noël 2023. Ministre de l’Intérieur du chancelier Kohl, c’est lui qui a mené les négociations de réunification de l’Allemagne. Atteint par le « scandale des dons » en 1999 (contributions illégales à son parti, la CDU, dont il était devenu président), il a rebondi de façon spectaculaire sous Merkel, qui l’a nommé ministre de l’Intérieur puis et surtout ministre des Finances : il a géré (durement) la crise grecque lors de la crise de l’eurozone.

Parus trois mois après sa mort, ses souvenirs (650 pages) sont un bestseller. On y apprend que la CDU avait aussi une caisse noire au Parlement européen, et que Schäuble a pensé renverser Merkel pendant la crise des réfugiés. Le livre comprend d’interminables comptes-rendus de réunions ministérielles, écrit Lukas Wallraff dans Die Tageszeitung, mais aussi des notes plus personnelles, quand il parle par exemple des moqueries de ses enfants à son égard. Il met souvent en avant son credo politique : « L’optimisme est un devoir », relève Stephan Lamby, de la chaîne régionale publique SWR, mais les dernières pages du livre sont plus sombres. Il y évoque l’intervention russe en Ukraine, « à laquelle il ne s’attendait pas ».

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Comme Ingmar Bergman et Federico Fellini, Luchino Visconti a créé un univers cinématographique très personnel. Il est évident qu’il avait un monde intérieur extrêmement riche et qu’il a mis beaucoup de lui-même dans ses films. Mais c’était un homme peu porté à la confidence, qui n’aimait pas beaucoup s’exprimer à son propre sujet, moins par goût du secret et de la dissimulation que dans un souci de discrétion. Dans des textes et des entretiens, il lui est arrivé de mentionner des souvenirs d’enfance, d’évoquer, par exemple, la plaine du Pô noyée dans un épais brouillard, comme elle l’était souvent avant l’assèchement des canaux et des rizières de la vallée, ou la circulation des calèches et l’odeur des chevaux dans les rues de Milan au début du siècle dernier. Il parlait aussi volontiers de ses films, de la portée psychologique et sociale des histoires qu’ils racontent, ainsi que de la manière dont les œuvres de Verga, Dostoïevski, Proust, Thomas Mann et d’autres écrivains l’ont nourri et influencé. 

Mais ce que nous savons de son existence et de son caractère, c’est essentiellement à d’autres que lui que nous le devons. Des biographies qui lui ont été consacrées (la plus complète est celle de Laurence Schifano), des témoignages de ceux qui l’ont connu, comme ceux du romancier et dramaturge Giovanni Testori dans un livre récemment réédité, et des films documentaires réalisés sur sa vie, ressort l’image d’une personnalité pleine d’apparentes contradictions : un aristocrate aimant les chevaux et les chiens qui était un fervent communiste ; un homosexuel dont toutes les femmes (notamment Coco Chanel, Elsa Morante, Maria Callas et Marlene Dietrich) tombaient amoureuses ; un homme profondément catholique d’éducation et de culture mais qui croyait surtout à un « Dieu intérieur » ; qui a vécu toute son existence entouré de domestiques mais d’une générosité légendaire, comblant ses amis de cadeaux, et qui voyait dans le peuple le véritable héritier des valeurs de la noblesse en train de disparaître au profit de la bourgeoisie ; un célibataire solitaire qui vécut toujours très entouré et accordait une importance fondamentale à la famille. 

Sous le titre Epistolario 1920-1961, un premier volume de sa correspondance vient de paraître. Nous aide-t-il à mieux comprendre l’homme ? Malheureusement pas beaucoup, pour plusieurs raisons. La première est que, parmi les quelque 700 lettres reproduites, la proportion de celles qui sont de lui est limitée. Pour l’essentiel, le recueil comprend des lettres qu’on lui a adressées, retrouvées dans ses archives.  

Le livre ne couvre par ailleurs que ses années de jeunesse et de maturité. En 1961, âgé de 55 ans, il était l’auteur de six longs métrages, parmi lesquels les produits exemplaires du néoréalisme italien que sont Ossessione (Les Amants diaboliques), première adaptation du roman de James Cain Le facteur sonne toujours deux fois ; La Terre tremble, fiction documentaire sur la vie des pauvres pêcheurs siciliens, et Rocco et ses frères, histoire d’une famille du Mezzogiorno venue chercher fortune à Milan, qui finit en tragédie. Tournés en noir et banc, ces trois films marient réalisme des situations et des personnages et extrême beauté des images. Il avait aussi déjà réalisé Senso, le premier de ses films en couleur, drame sentimental sur le fond historique de l’occupation de la Vénétie par l’Autriche. Mais pas encore Le Guépard (1963), adaptation du roman du même titre de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, justement considéré comme son chef d’œuvre, ni les trois volets de sa « trilogie allemande » (Les DamnésMort à Venise et Ludwig), funèbres et crépusculaires variations sur les thèmes de la fin d’un monde, de l’inexorable passage du temps, de la déchéance physique et morale, de la vieillesse et de la mort, de la fragilité de la beauté. 

Enfin et surtout, la plupart des lettres rassemblées dans le livre ne concernent que des problèmes pratiques et d’organisation : questions administratives, calendrier des spectacles, indications techniques de mise en scène. Un de leurs mérites à cet égard est de mettre en lumière la place considérable qu’ont occupé le théâtre et l’opéra dans la carrière de Visconti. Jusqu’à la fin de sa vie, à côté de ses films, il a travaillé pour la scène. Et c’est surtout dans la période couverte par le livre que se sont concentrées ses créations dans ce domaine. 

S’inspirant d’une formule de Stendhal, Visconti disait souhaiter qu’on inscrivît sur sa tombe : « Il adorait Shakespeare, Tchekhov et Verdi ». À un moment où, dans une Italie en modernisation rapide, la disparition du monde ancien auquel il était attaché n’était pas rachetée par l’avènement du monde nouveau dont l’espoir était né au sortir de la guerre, le désenchantement de l’écrivain russe le touchait beaucoup. Mais il monta aussi souvent des pièces d’auteurs contemporains, français (Cocteau, Anouilh, Sartre) et américains, Tennessee Williams et Arthur Miller. Chez ces derniers, il retrouvait des thèmes qui lui étaient chers et qu’il traitera souvent dans ses films : la violence du désir, les tensions destructrices engendrées dans les familles par les forces sociales. On retiendra une instructive lettre à Arthur Miller, que préoccupait l’utilisation du dialecte sicilien dans la représentation en italien de Vu du pont : n’allait-elle pas atténuer le caractère tragique de la pièce ? Après avoir précisé que seuls deux personnages étaient en cause, et pour quelques expressions, Visconti souligne l’importance du dialecte dans ses films et ceux de Vittorio De Sica et de Fellini, avant d’ajouter : « Tout le meilleur théâtre italien, de la commedia dell’arte à Goldoni, à Pirandello, est basé sur le dialecte, qui reflète de la façon la plus authentique la vie italienne. » 

Quant à l’opéra, il y baignait depuis l’enfance. Ses parents habitaient à proximité de La Scala et l’y emmenaient souvent. La magie du lever du rideau rouge au moment où se font entendre les premiers accords de l’orchestre l’a envoûté précocement, et il n’est pas fortuit que Senso s’ouvre sur une représentation du Trouvère de Verdi à La Fenice de Venise. Il aimait le mélodrame, qui se situe, disait-il, « à mi-chemin du théâtre et de la vie ». La rencontre avec Maria Callas lui a fourni une occasion unique de donner à celle-ci le moyen d’épanouir son formidable talent dramatique tout en renouvelant en profondeur la mise en scène d’opéra. La Traviata qu’il a montée avec elle en 1955 est de l’avis général la représentation d’opéra la plus mémorable du XXsiècle. 

On ne peut qu’être frappé à ce propos par la place qu’occupent dans cette correspondance les échanges avec les costumiers : Marcel Escoffier, Lila de Nobili, Piero Tosi. L’obsession de Visconti pour le réalisme des costumes, comme d’ailleurs celui des accessoires et des décors, était notoire. Dans ces domaines, il a toujours voulu s’entourer des meilleurs professionnels, comme d’ailleurs, pour ses films, des meilleurs chefs opérateurs : Armando Nannuzzi, Pasquale de Santis et, surtout, Giuseppe Rotunno.

Assez similaires par leur contenu – elles traitent largement des mêmes types de sujet –, les lettres de Visconti se distinguent surtout par leur ton, qui varie en fonction des correspondants. Avec les femmes, il est généralement plus libre et joyeux, avec les hommes souvent plus strictement professionnel. Ses lettres à ses amies se terminent par un affectueux « un abbraccio ». Dans le cas des hommes, la formule la plus fréquente est « tanti saluti ». Ses lettres à Maria Callas sont particulièrement chaleureuses : autant que par une énorme admiration mutuelle, ils étaient liés par une profonde affection. On sent également celle-ci dans ses lettres à la scénariste Suso Cecchi d’Amico, qui a travaillé sur six de ses films, et l’actrice Lilla Brignone. Un peu curieusement, rien, dans la teneur et le ton de ses échanges avec le réalisateur Franco Zeffirelli, avec lequel il eut une longue liaison, ne trahit l’intimité de leur rapport. Visconti avait avec ses amants des relations compliquées qui n’étaient pas exemptes de violence. Dans un entretien, Zeffirelli évoque la manière brutale dont il a mis fin à leur histoire, d’un jour à l’autre. Ses rapports passionnés avec Helmut Berger furent également souvent dramatiques. 

Il avait la réputation d’être un réalisateur tyrannique, et ses colères légendaires ont été comparées à celles d’Arturo Toscanini. Comme le chef d’orchestre, s’il malmenait ses collaborateurs, c’était pour les forcer à tirer le meilleur d’eux-mêmes, ce à quoi il parvenait à force d’acharnement et dont, tout en se plaignant de ses sarcasmes et de ses remarques cruelles, ils lui gardèrent presque toujours reconnaissance. Il est difficile de se faire une idée de ses rapports avec les acteurs à partir de sa correspondance, car peu d’entre eux y figurent, surtout au nombre des destinataires (certains, par exemple Anna Magnani, Ingrid Bergman, Vittorio Gassman ou Raf Vallone, lui ont écrit sans qu’on ait sa réponse). Ni Alain Delon, ni Annie Girardot, ni Marcello Mastroianni, ni Claudia Cardinale, qui avaient pourtant déjà travaillé sous sa direction et dont il a contribué à lancer la carrière, n’apparaissent dans le livre. A fortiori Dirk Bogarde et Burt Lancaster, qui tournèrent chacun à deux reprises dans ses films, mais plus tard. 

On notera tout de même une longue lettre de reproches envoyée à un de ses plus fidèles collaborateurs au théâtre, Paolo Stoppa, à la suite d’un article paru dans le magazine Oggi. Par son ton indigné et sa férocité, elle fait penser à celle qui mit fin à l’amitié de François Truffaut et Jean-Luc Godard. Stoppa protesta énergiquement, mettant les propos qu’on lui reprochait sur le compte de l’imagination de la journaliste responsable, et ils se réconcilièrent suffisamment pour que Visconti lui confie cinq ans plus tard le rôle de Don Calogero dans Le Guépard. On a dit de certains écrivains (Flaubert est le meilleur exemple) que c’est dans leur correspondance qu’ils se révèlent complètement et sont vraiment eux-mêmes. Mais l’observation ne vaut pas pour tous, et encore moins pour tous les artistes. Pour appréhender la personnalité complexe et tourmentée de Luchino Visconti, ses lettres sont d’un médiocre secours. Le meilleur moyen, sinon de la cerner, en tout cas de l’approcher, reste de se plonger dans l’abondante littérature que son œuvre et sa personne ont suscitée, et de la confronter avec ses films, dont la plupart ont été restaurés et sont à présent visibles tels qu’il les avait conçus, dans tout l’éclat de leur beauté. Après tout, si lettré qu’il fût, c’est avant tout visuellement qu’il s’est exprimé, et si certains de ses films sont loin d’être parfaits, tous contiennent quelques images et séquences inoubliables, très révélatrices à leur manière. 

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La Booksletter n’est en principe consacrée qu’à des ouvrages non traduits. Nous faisons ici une exception, pour évoquer un pays que les médias français ont tendance à ignorer : l’Indonésie, quatrième État du monde par sa population. En février dernier, 200 millions d’Indonésiens inscrits sur les listes électorales ont élu à la présidence Prabowo Subianto. Cet ancien général avait contribué à l’invasion du Timor oriental en 1975 et soutenu la dictature de Suharto jusqu’à sa chute en 1998. Il était directement impliqué dans la répression, y compris l’enlèvement de militants hostiles à la dictature. En rendant compte du livre majeur de David Van Reybrouck consacré à la lutte des Indonésiens pour leur indépendance (les Hollandais avaient envoyé une armée les combattre, en 1945-1949), Max Lane, un spécialiste de l’Indonésie vivant à Singapour, en profite pour s’interroger sur les raisons pour lesquelles les Indonésiens ont élu, avec 58 % des voix, ce suppôt de l’ancienne dictature. « Les électeurs n’ont pas consciemment avalisé ses actions passées, écrit-il dans la Literary Review. Cela reflète plutôt le fait que l’histoire est pratiquement absente dans l’Indonésie actuelle. » Suharto avait pris soin de falsifier l’enseignement de l’histoire dans le cursus scolaire, et « cette falsification a perduré », souligne-t-il.

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La globalisation, un phénomène récent ? Non : « Chez les experts de la littérature et de l’histoire médiévales, le concept de “Moyen Âge globalisé” a déjà au moins vingt ans d’existence », écrit Marion Turner dans la London Review of Books. Mais il ne s’agit pas de la même globalisation que la nôtre, issue de la domination postcoloniale et fondée sur une langue quasi unique, l’anglais. Au Moyen Âge, en revanche, les langues s’entremêlaient au point que l’on ne faisait parfois pas la différence entre elles, et le plurilinguisme était la règle. Dans le royaume d’Angleterre on parlait cinq langues (l’anglais, le gallois, le vieil irlandais, le cornouaillais et le gascon, plus le français, l’anglais et le latin chez les seigneurs) ; trois dans le duché de Bourgogne (le français, le flamand et le latin) ; et dans la péninsule Ibérique, l’arabe faisait jeu égal avec les langues vernaculaires. Même les ordres religieux devaient être polyglottes, prosélytisme oblige : outre le grec et l’hébreu, les dominicains enseignaient à leurs recrues l’arabe, le tartare et l’arménien ; et le roi Jacques II d’Aragon avait établi à Majorque un monastère où étaient enseignés l’arabe et « les langues schismatiques » comme le persan, le chaldéen. Le « paradigme » des échanges, explique la médiéviste croato-américaine Zrinka Stahuljak, était différent du nôtre. Dans l’écrit, les textes existaient surtout dans leur traduction – le savoir antique ne se diffusant que via les versions arabes des textes grecs – et le nom de l’auteur disparaissait derrière celui du traducteur. Et quand on voyageait, on se reposait sur des interprètes qui étaient surtout des « arrangeurs » – des « fixers » comme disent les journalistes, auxquels Zrinka Stahuljak a emprunté le titre de son ouvrage. C’est-à-dire des « drogmans » (d’où « truchement », en français), des intermédiaires tous azimuts dont le champ d’intervention allait de la linguistique à la diplomatie en passant par les arrangements financiers et la friponnerie. La fluidité des langues avait même un effet sur les religions, et ce que l’on connaissait du lointain bouddhisme s’était dilué au fil de son cheminement d’est en ouest, le Bouddha lui-même devenant Yudhasaf dans le monde arabe, puis Yusafad en Géorgie avant d’intégrer le christianisme romain, et aussi son calendrier, sous le nom de Saint Josaphat ! Notre globalisation d’aujourd’hui ne fait-elle pas pauvre figure, de ce point de vue-là du moins ?

[post_title] => La Babel médiévale [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => la-babel-medievale [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2024-05-30 17:46:11 [post_modified_gmt] => 2024-05-30 17:46:11 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=129784 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Le roman se déroule dans les années 1980 et met en scène deux jeunes hommes qui, en pleine dictature de Pinochet, vivent une histoire d’amour. Tomás Mena et Clemente Fabres viennent de deux mondes différents. Tomás attend avec impatience d’entrer à l’université pour inaugurer une nouvelle étape de sa vie. Il développe un sentiment de répulsion envers sa famille qui soutient Pinochet, son quartier et la dictature. Clemente est un « cuico » (nouveau riche), fils d’exilés en Angleterre. À 22 ans, il est dans un pays qu’il ne considère pas comme le sien. Il envisage de retourner en Angleterre dès qu’il aura terminé ses études de journalisme. Ce qui le sauve, c’est d’écrire un fanzine sur la musique, le cinéma et les livres, qu’il distribue gratuitement. Clemente est rejeté par ses camarades de gauche, qui ne lui pardonnent ni son espagnol, ni son physique, ni le fait qu’il lise des écrivains japonais au lieu de Galeano, l’auteur uruguayen des Veines ouvertes de l’Amérique latine (1971). 

Tomás et Clemente se poursuivent, se cherchent chez les disquaires, au cinéma et lors de soirées underground pleines de personnages excentriques. Chacun lutte à sa façon contre une atmosphère étouffante et conservatrice.

Dans une interview à l’édition chilienne du journal El País, l’auteur, le Chilien Alberto Fuguet, raconte : « Je suis peut-être en train de rembourser une dette : j’écris sur mes années universitaires, la dictature, mais aussi sur l’ère de la nouvelle vague et mes débuts. J’ai l’impression que personne ne s’en souvient. Peut-être qu’en entrant dans le troisième âge, il est plus facile de regarder cela en face. J’ai plus de liberté et moins de pudeur […]. J’ai quelque chose des deux protagonistes, mais je me reconnais plus chez Clemente : la même paranoïa, la même solitude, le même sentiment de non-appartenance, la peur du harcèlement et de la haine. La peur à la fois de la culture de la gauche anti-pop et de celle de la droite qui prétendait être cultivée alors qu’elle ne parvenait pas même à être kitsch. »

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Aujourd’hui, l’affaire est à peu près entendue, on s’accorde à considérer Claus von Stauffenberg comme l’un des grands héros de la résistance allemande au nazisme. Son attentat contre Hitler, en juillet 1944, et, surtout, son improbable échec avaient, il est vrai, de quoi marquer les esprits : une mallette bourrée d’explosifs qui aurait dû faire des ravages, mais un Führer qui, par un concours stupéfiant de circonstances, sort indemne de la déflagration. 

Dans son livre « L’alibi allemand », la journaliste Ruth Hoffmann ne se contente pas de reconstituer la genèse d’une action qui valut à Stauffenberg et ses complices d’être fusillés, puis à leurs familles d’être implacablement pourchassées. Elle s’intéresse aussi à la suite : comment ces hommes ont-ils été perçus dans l’après-guerre ? Stauffenberg a-t-il tout de suite été salué comme l’un des rares à avoir sauvé l’honneur de son pays ? 

La réponse pourra étonner : à l’instar des autres résistants allemands, ses compatriotes virent d’abord en lui un traître. « Il a fallu attendre un bon moment avant que l’attentat du 20 juillet 1944 – qui donne aujourd’hui lieu à de fiers discours du dimanche – ne soit considéré comme une rébellion légitime contre un régime ignoble », rapporte Ulrich Rüdenauer dans le Tagesspiegel. C’est qu’après 1945, l’épuration ne concerna qu’une petite minorité de nazis : beaucoup continuaient d’occuper « des postes clés dans les tribunaux, en politique et dans les institutions publiques » de l’Allemagne de l’Ouest. Hors de question pour eux de remuer un passé où ils avaient fait si piètre figure. Jusque dans les années 1950, écrit Hoffmann, « à quelques exceptions près, ce ne sont donc pas les persécuteurs et les bourreaux qui étaient au pilori, mais leurs victimes. Tandis que les uns bénéficiaient de pensions, d’une assistance juridique ou d’attestations en leur faveur, les autres continuaient à être exposés à la calomnie – et le gouvernement laissait faire. » L’ouvrage d’Hoffmann montre que même la reconnaissance d’une valeur positive à l’attentat du 20 juillet semble avoir été dictée par de mauvaises raisons. D’abord, on le réduisit à un complot d’officiers conservateurs alors que des sociaux-démocrates avaient été étroitement impliqués dans ses préparatifs. Ensuite et surtout, cette reconnaissance eut moins pour but de réparer une injustice que de dévaloriser les autres actes de résistance. Lesquels avaient un inconvénient majeur : ils étaient, pour un bon nombre, le fait de communistes. 

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Durant toute l’année 1848 et une partie de 1849, l’Europe a été le théâtre d’une vague d’insurrections politiques et de révoltes sociales qui ont fait vaciller les régimes en place. Parce que ces épisodes forment un ensemble confus et complexe et se sont terminés par une répression très dure et l’écrasement des insurgés, il est courant de ne considérer ces événements que comme une révolution ratée. Dans son magistral nouvel ouvrage, l’historien Christopher Clark s’emploie à corriger cette vision réductrice : par sa dimension paneuropéenne, la révolution de 1848 a constitué un phénomène sans précédent, qui demeure unique dans l’histoire du continent. 

Certes, les protagonistes de ces soulèvements n’ont que très partiellement atteint leurs objectifs, qui étaient d’ailleurs variés et souvent contradictoires. Mais il ne faut pas pour autant sous-estimer l’importance de cette séquence historique. Celle-ci, suggère Clark en usant d’une métaphore basée sur la physique des particules, a joué le rôle d’une « chambre de collision au cœur du XIXe siècle » : des courants d’idées politiques encore en formation – le radicalisme, le socialisme, le libéralisme, le nationalisme, le conservatisme – s’y sont brutalement heurtés, engendrant par leur fusion ou leur fragmentation des configurations nouvelles. Avec le choc des révolutions, puis de la contre-révolution qui a suivi, une page de l’histoire européenne s’est tournée. Le chemin vers la création de nouveaux États, dont l’Allemagne et l’Italie, était tracé. Les monarchies d’ancien régime sont devenues des figures du passé. En association avec le plein développement de l’économie moderne, une société nouvelle s’est mise en place, dominée par les idées libérales et caractérisée par des régimes d’assemblée et le rôle des administrations.    

Le contexte politique dans lequel les révolutions éclatèrent est celui du « concert européen », le système d’alliance entre les grands États européens mis en place au congrès de Vienne après la défaite de la France napoléonienne, pour prévenir de nouveaux conflits et le retour d’épisodes terrifiants comme celui de la Révolution française. Le contexte économique et social est celui de l’essor du capitalisme avec, au nombre de ses conséquences les plus déplorables, la concentration dans les grandes villes d’un prolétariat misérable vivant dans des conditions sordides, que Clark décrit de manière poignante. Si le paupérisme des masses et le mécontentement populaire ont fourni du combustible aux révoltes, précise-t-il, ils n’en ont cependant pas été la cause première, qu’il faut plutôt chercher du côté de la diffusion, dans les classes moyennes, des revendications en matière de libertés publiques, de liberté économique et d’indépendance des peuples. 

Les premières étincelles de révolte jaillirent en Suisse (loin d’être alors un pays paisible et pacifique) dans l’hiver 1847-1848 à l’occasion d’une guerre entre cantons libéraux et conservateurs, ainsi qu’en Sicile, en février 1848, sous la forme d’une rébellion contre la monarchie des Bourbons. Quelques jours plus tard, les premières barricades étaient dressées à Paris. Avant la fin du mois, après de sanglantes émeutes, le roi Louis-Philippe abdiquait et la IIe République était proclamée. En quelques jours, le feu ainsi allumé à Paris se propageait à Berlin, Vienne, Milan, Prague, Budapest, Copenhague et Bucarest, avec des conséquences comparables : fuite du gouvernement, abandon de la capitale par l’armée, création d’assemblées législatives, établissement de constitutions, adoption de réformes libérales.

Ce « printemps des peuples » fut suivi par un été tendu et conflictuel avec l’approfondissement de la fracture entre, d’un côté, les radicaux et les socialistes, partisans du suffrage universel, voire de l’appropriation des usines par des conseils ouvriers, de l’autre les libéraux, attachés aux droits de propriété et au vote censitaire. Mais l’automne vit le triomphe de la contre-révolution : reprise du contrôle par l’armée, dissolution des assemblées, arrestation et exécution des insurgés. Elle fut accompagnée, notamment dans le sud de l’Allemagne et à Rome, par une seconde vague d’insurrections menées par des groupes de radicaux et de démocrates, qui ne furent matées qu’au milieu de 1849. 

Christopher Clark n’est pas le premier à souligner le caractère européen des révolutions de 1848. D’autres, notamment l’historien allemand Dieter Langewiesche, l’avaient déjà fait. Mais personne avant lui n’avait aussi brillamment mis en lumière à quel point cette dimension était fondamentale. Les feux de la révolte se sont communiqués d’une capitale à l’autre par un effet de contagion, et les révolutionnaires éprouvaient un très fort sentiment de solidarité par-delà les frontières. Des volontaires ont d’ailleurs été se battre dans d’autres pays que le leur. De même, dans une logique d’échanges de services, les forces à l’œuvre dans la contre-révolution étaient fréquemment étrangères : ce sont des troupes françaises qui ont mis à bas la République de Rome, des soldats prussiens qui ont jugulé celle proclamée dans le grand-duché de Bade, et si l’empereur François-Joseph d’Autriche parvint à gagner la guerre d’indépendance menée par la Hongrie, c’est grâce à l’aide de troupes russes. En matière de collaboration internationale, les contre-révolutionnaires étaient plus puissants et organisés que les révolutionnaires. Le nationalisme, objectera-t-on, n’était-il pourtant pas présent au cœur des révolutions de 1848 ? Assurément répond Clark, et plus particulièrement dans certains pays, mais c’était précisément là une caractéristique partagée à l’échelle européenne et les différents nationalismes s’enrichissaient les uns les autres.  

On a justement souligné, au-delà de l’érudition hors du commun dont il témoigne, la très grande qualité littéraire et dramatique du livre. Constellé de descriptions saisissantes des combats dans les rues et sur les barricades, des débats dans les assemblées et des massacres de masse, le récit des événements, qui ont souvent lieu simultanément, est à la fois très clair, extraordinairement précis, constamment vivant et passionnant. Il est émaillé de portraits de figures célèbres ou moins connues : des personnages ayant servi d’inspirateurs aux révolutionnaires comme le socialiste français Louis Blanqui ou l’austère patriote italien Giuseppe Mazzini, des acteurs-clés comme Robert Blum (un des héros du livre), fils de tisserand devenu député au Parlement de Francfort, charismatique orateur fusillé par les Autrichiens alors qu’il prêtait main-forte aux insurgés viennois ; du côté du pouvoir, François Guizot, l’intellectuel et homme politique libéral qui fut le dernier Premier ministre de Louis-Philippe avant que celui-ci ne fût renversé, et Metternich, brillant diplomate, pragmatique en politique étrangère mais rigide défenseur de l’ordre établi sur le plan intérieur. Clark, qui consacre plusieurs pages aux revendications en matière d’égalité et de droits des femmes formulées dans les années ayant précédé la révolution, ainsi qu’à la présence des femmes sur les barricades, évoque aussi les figures de plusieurs d’entre elles qui ont laissé des récits des événements particulièrement perspicaces et instructifs : la journaliste américaine Margaret Fuller, Marie d’Agoult, femme de lettres française et maîtresse de Franz Liszt, et la princesse italienne Cristina di Belgioioso, qu’il présente comme une « George Sand italienne ». 

Karl Marx dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte et Alexis de Tocqueville dans ses Souvenirs qualifient tous les deux la révolution de 1848 d’imitation de celle de 1789. En France, mais aussi ailleurs en Europe, le souvenir de la Révolution française hantait de fait les révolutionnaires, pour qui elle était clairement un modèle et une source d’inspiration. La raison pour laquelle il est tentant de ne voir dans la révolution de 1848 qu’une parodie (un retour « en farce », selon le mot de Marx) est qu’elle a échoué dans ses objectifs. Considérer la question de cette manière, selon Clark, n’a pas de sens. L’important est de déterminer si cet événement a eu un impact. Sa thèse est qu’il en a eu effectivement un, et qu’il est considérable. Certes, une fois le tumulte calmé, abandonnant leurs éphémères alliés démocrates, les libéraux se sont de plus en plus souvent associés aux conservateurs. Ni eux ni les radicaux, concentrés sur les besoins des habitants des villes, ne se sont jamais réellement intéressés à la société rurale qui représentait à cette époque la plus grande partie de la population. Elle le leur a d’ailleurs fait sentir en soutenant la contre-révolution. Et la question sociale est largement restée non résolue. Mais les événements de 1848, en forçant les régimes en place à se moderniser, ont conduit à une transformation profonde de la vie politique en Europe. Ils ont suscité le développement à grande échelle d’un système fondé sur les composantes fondamentales des démocraties modernes : des constitutions, des parlements, des élections, des partis. Et cette transformation par l’intermédiaire de la mise en place d’une structure de gouvernement de caractère technocratique a rendu possible une amélioration spectaculaire du fonctionnement des États, soutient Clark, ainsi que des conditions matérielles de la vie collective grâce aux grands travaux de rénovation urbaine et au développement des chemins de fer. De sensibilité social-démocrate, Christopher Clark ne résiste pas à la tentation de poser au sujet des révolutions de 1848 la question suivante : que se serait-il passé si libéraux et radicaux avaient réussi à s’entendre ? Mais on pourrait aussi s’interroger sur ce qui se serait passé si ces événements n’avaient tout simplement pas eu lieu. Les sociétés européennes n’auraient-elles pas de toute manière évolué dans une direction très semblable ? Clark compare les révolutions de 1848 aux révoltes du « Printemps arabe » qui étaient, comme elles, à la fois géographiquement dispersées et, bien qu’enracinées localement, liées les unes aux autres. Une autre comparaison vient à l’esprit, appelée par une de ses observations : parmi les artisans des réformes qui ont produit en Europe l’État libéral moderne, beaucoup étaient d’anciens révolutionnaires de 1848. On ne peut s’empêcher de songer aux événements de 1968, pas du tout sanglants, ceux-là, et bien plus susceptibles d’être légitimement qualifiés de parodie théâtrale d’une vraie révolution, dont on a dit à la fois qu’ils n’étaient (comme on l’a dit des révoltes de 1848) qu’une « révolution d’intellectuels » et qu’ils avaient complètement changé la société, pour le meilleur se réjouissent certains, pour le pire déplorent d’autres, pointant la manière dont ils ont aidé à l’avènement d’une forme paroxystique de société marchande. Ici aussi, on peut se demander dans quelle mesure ces transformations n’auraient pas eu lieu de toute façon. On peut même aller plus loin : les révolutions ne sont-elles pas autant le produit des changements sociaux qui leur sont associés que leur cause ? Le capitalisme, dirait un marxiste, engendre les révolutions dont il a besoin.

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Publié un an avant le livre de Vogelsang sous le même titre, le livre de son quasi homonyme, l’Américain Ezra Vogel, est largement consacré à la question troublante de savoir pourquoi le Japon est passé si rapidement du régime semi-féodal qui était encore le sien au milieu du XIXe siècle à celui d’une puissance mondiale, capable dès 1905 de battre militairement la Russie. Ceci alors qu’en face la Chine, après avoir été la plus puissante civilisation de la planète, sombrait dans la déchéance puis la guerre civile. Vogel éclaire le sujet utilement, écrit John D. Van Fleet dans la Asian Review of Books. Van Fleet est lui-même un bon connaisseur des deux pays ; il vit à Shanghai après avoir vécu au Japon. 

Un point essentiel est le haut degré culturel auquel une bonne partie de la population japonaise avait accédé à la fin du XIXe siècle. Dans les premières années du XXe, écrit Vogel, « la Chine avait une poignée de journaux indépendants lus par les élites côtières, tandis que le Japon avait 375 journaux, publiés dans tout l’archipel, avec, pour la seule Tokyo, un lectorat estimé à 200 000 ».

Un autre apport du livre de Vogel est son analyse de la colonisation par les Japonais de Taïwan puis de la Mandchourie, souligne le sinologue Edward S. Steinfeld dans Harvard Magazine. Dans les premières décennies du XXe siècle, la Mandchourie est devenue pour les Japonais un peu ce qu’avait été le Far West pour les Américains. En 1937, 270 000 agriculteurs japonais s’y étaient installés et en 1940 quelque 850 000 Japonais y vivaient, si bien qu’aujourd’hui même « des familles un peu partout au Japon se trouvent sans difficulté des liens directs et personnels avec la Chine ». Qui plus est, nombre de Chinois de Taïwan furent envoyés en Mandchourie pour servir la colonisation japonaise. Beaucoup ont même servi dans les forces armées japonaises pendant la guerre. Lee Teng-hui, qui fut président de Taïwan de 1988 à 2000, avait été sous-lieutenant dans l’armée impériale pendant la Seconde Guerre mondiale.Mort à 90 ans en 2020, Vogel est une institution au Japon comme en Chine. Le premier livre qui l’a fait connaître, Japan as Number One, publié à la fin des années 1970, reste en tête des bestsellers de livres traduits. Et sa biographie de Deng Xiaoping (2011) jouit en Chine d’une grande popularité. Van Fleet explique cette double notoriété par une sérieuse faiblesse de l’auteur : son penchant pour l’hagiographie et sa faculté de minimiser les données gênantes pour l’histoire des deux pays.

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Alors que le procès de Nuremberg est dans toutes les têtes, on connaît moins celui de Tokyo, au cours duquel vingt-huit personnalités militaires et civiles jugées responsables de l’offensive militaire japonaise en Asie ont été condamnées pour crimes de guerre. Si l’on s’en tient à la Chine, le Japon envahit la Mandchourie en 1931 puis une bonne partie du territoire chinois en 1937, de Nankin à Pékin en passant par Shanghai. Entre autres atrocités, le bilan du massacre de Nankin est aujourd’hui estimé à 200 000 morts et 20 000 viols.

Institué par les États-Unis et leurs alliés en 1946, le tribunal de Tokyo comprenait notamment un juge chinois, Mei Ruao, désigné par le Kuomintang de Chiang Kaï-shek. D’origine modeste, Mei Ruao avait étudié à Stanford et Chicago. Contrairement à Chiang Kaï-shek, qui pour des raisons politiques tint à protéger certains criminels de guerre japonais, comme le général Yasuji Okamura, Mei Ruao estimait nécessaire une criminalisation judiciaire. Il approuva pleinement la condamnation à mort des sept dirigeants japonais, dont l’ancien Premier ministre Hideki Tojo.

Après le procès, qui s’acheva en 1948, Mei Ruao se rallia au régime communiste, victorieux de Chiang Kaï-shek en 1949. Respecté pendant vingt ans, il fut néanmoins persécuté par la Révolution culturelle, au motif paradoxal d’avoir critiqué trop durement les Japonais, rapporte le sinologue Rana Mitter dans The Times Literary Supplement : à cette époque, Mao voulait renouer de bonnes relations avec le Japon. Il mourut en 1973 dans des conditions affreuses. Il fut réhabilité vingt ans plus tard, présenté comme un patriote qui avait su défendre l’honneur de la Chine et avait contribué à introduire son pays dans le jeu de ce que Mitter appelle « l’ordre juridique international ».

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Pendant les cent dernières années, Chinois et Japonais n’ont pas d’abord été des ennemis acharnés puis, aujourd’hui, des partenaires ambivalents tiraillés entre conflits territoriaux toujours à vif (les îles Senkaku) et relations économiques intenses. Dans les années 1920, à Shanghai, les deux peuples s’entremêlaient au sein de cette quasi ville-monde, chaudron de toutes les turpitudes, de tous les trafics, de toutes les misères et de tous les tumultes politiques. L’écrivain japonaisRiichi Yokomitsu entraîne le lecteur dans les pérégrinations d’une poignée de Japonais vivant à Shanghai en 1925, voici un siècle exactement, au moment de l’incident du 30 mai, quand la police ouvre le feu sur des manifestants chinois. Le journaliste Segawa évolue dans le sillage d’un trouble « fixeur », Ishihara, et d’une geisha, Saeko. Cet attelage permet de parcourir tous les milieux, toutes les perversions sexuelles et tous les quartiers depuis celui, riche et cosmopolite, des Légations jusqu’aux bas-fonds les plus glauques. Un personnage exporte des squelettes humains. On découvre au passage des clivages qui surprennent – par exemple, il n’y avait pas les Japonais aisés d’un côté et les Chinois de l’autre, mais les riches de toutes les nationalités, chinoise comprise, qui vivaient entre le fleuve et la rivière Suzhou, et le bas peuple sino-japonais qui grouillait conjointement dans la zone sordide du nord de ladite rivière. Quant à l’auteur, Riichi Yokomitsu, mort à Tokyo en 1947, c’était un théoricien littéraire de haut niveau, une sorte de Roland Barthes qui aurait été en plus un (excellent) romancier – un pape des lettres nippones ou, mieux encore, « quelqu’un qu’on appelait à son apogée dans les années 1920 “bungaku no kamisama”, un dieu de la littérature ! », écrit sur son site Paul French, journaliste spécialiste de la littérature chinoise. Au Japon, le prix Yokomitsu est quasiment l’équivalent du Goncourt – et l’auteur éponyme aurait largement mérité cette distinction pour ce roman-ci, d’abord publié en feuilleton dans un magazine littéraire de 1928 à 1931. 

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