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Il trône depuis 47 semaines sur la liste des best-sellers du New York Times et se serait vendu à plus d’un million d’exemplaires. Il compte pourtant plus de 500 pages, dont 40 de références, et est réputé de lecture difficile. Cela se conçoit, dans ce pays où la longévité a sensiblement régressé ces dernières années, même sans tenir compte du Covid. L’auteur a fait de brillantes études de médecine avant de partir chez McKinsey puis de fonder une clinique où il vend cher ses conseils en matière de longévité. 

Son message de base est relativement simple et plein de bon sens. Il se résume en quelques mots. Il s’agit de chercher les moyens de vivre le plus longtemps possible en bonne santé. Nos quatre ennemis principaux, les « quatre cavaliers » (de l’Apocalypse), sont la maladie cardiaque, le cancer, Alzheimer (et autres maladies neurologiques dégénératives) et les dysfonctionnements métaboliques, au premier rang desquels le diabète. Et voici les quatre remèdes clés : l’exercice, l’alimentation, le sommeil et la santé émotionnelle. L’exercice en tête : « Je considère désormais l’exercice comme le remède le plus puissant. »

Rien que de très consensuel jusque-là. Mais l’éminent cardiologue Eric Topol, lui aussi auteur de best-sellers sur la médecine, s’étonne sur son blog de voir Attia préconiser la prise régulière de rapamycine, qui certes accroît la longévité de diverses espèces animales, mais est un immunosuppresseur. Il s’étonne aussi de lire son conseil de se faire prescrire une imagerie corporelle totale pour déceler d’éventuels départs de cancer : c’est très cher et risque d’entraîner une série d’angoisses et d’interventions inopportunes. Il regrette d’avoir à constater que le « package » des préconisations prodiguées par Attia et ses collègues dans leur clinique est réservé à des gens très riches. 

Une critique plus sévère encore émane d’un urgentiste affilié au célèbre Kaiser Permanente, qui dépend d’une fondation à but non lucratif. Tout en recommandant la lecture du livre, s’exprimant sur LinkedIn, Graham Walker précise que le coût total des mesures proposées par Attia s’élève à 150 000 dollars par an, ce qui écarte « la grande majorité des Américains ». C’est là selon lui le principal biais du clinicien : il s’adresse à une clientèle fortunée et sous-estime l’ampleur des déterminants socioéconomiques, dans une société où un travailleur sur quatre n’a pas accès aux congés maladie payés et où un sur quatorze n’a pas d’assurance maladie. Il observe aussi qu’en dépit de son insistance sur la prévention, Attia exprime une confiance exagérée dans l’efficacité de certaines molécules : « Un médicament qui réduit efficacement le niveau du cholestérol ne semble pas pour autant réduire l’incidence des attaques cardiaques, des AVC et des décès. »

[post_title] => Les recettes de Monsieur Longévité [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => les-recettes-de-monsieur-longevite [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2024-02-27 18:03:24 [post_modified_gmt] => 2024-02-27 18:03:24 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=129088 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Maria Callas demeure un mythe. Près d’un demi-siècle après sa mort, en 1977 à Paris à l’âge de 53 ans, son aura est intacte et brille même davantage. Avec le temps, un aspect de sa personnalité mis en avant de son vivant tend en effet à s’estomper. Elle n’était pas toujours commode, ni insensible à la notoriété, et elle s’est laissé tenter par les plaisirs de la jet-set internationale. Mais on comprend mieux à présent combien l’image d’une diva capricieuse et tyrannique, jamais en reste d’un scandale et amoureuse du luxe, était largement le produit d’inventions des journalistes. 

La légende de la Callas, aujourd’hui, repose sur la combinaison de deux éléments. Tout d’abord un talent exceptionnel : même ceux qui ne sont pas prêts à voir en elle « la plus grande chanteuse d’opéra du XXsiècle, voire de tous les temps » (qualifications sans beaucoup de sens) reconnaissent qu’elle avait quelque chose d’unique et d’incomparable, qui jette sur les interprétations des cantatrices contemporaines l’ombre des siennes, inoubliables. Ensuite ce qu’il est convenu d’appeler son « destin tragique » : sa vie sentimentale malheureuse et surtout l’interruption précoce de sa carrière suite à la détérioration de sa voix pour des raisons jamais totalement élucidées, mais dans lesquelles l’usure engendrée par un travail acharné et l’enchaînement sans répit de rôles très exigeants a certainement joué un rôle.     

Des milliers de livres, d’articles, de reportages et de documentaires ont été consacrés à la Callas. Parmi les ouvrages publiés à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance, en 2023, celui de Fabio Dal Corobbo a pour caractéristique de se concentrer sur son art. C’est un monument d’érudition à l’italienne farci de références, de noms et de longues citations. Au fil de l’analyse des représentations et des enregistrements, et du récit de ses rapports avec les chanteurs et les chefs d’orchestre, on saisit la nature de ce qui faisait sa singularité artistique. 

La voix de la Callas n’a cessé de donner lieu à des gloses et des interrogations.  Immédiatement reconnaissable – une ou deux mesures suffisent –, elle exerce un effet d’envoûtement et il est commun d’entendre dire qu’on ne peut pas l’écouter sans frissonner. Les musicologues peinent à définir sa tessiture. Était-elle une mezzo-soprano ou une soprano colorature ? Une soprano dramatique ou lyrique ? Sa voix de base se situait dans une position intermédiaire de soprano dramatique colorature. Mais un travail opiniâtre lui permit de l’étendre dans le grave comme dans l’aigu, pour finir par couvrir trois octaves. C’est une performance moins rare qu’on le dit parfois. Ce qui la distinguait était plutôt sa très forte intensité et, surtout, son timbre très particulier : un timbre voilé, sombre, qu’elle qualifiait elle-même de « presque noir » et que Fabio Dal Corobbo n’hésite pas à appeler « gothique ». On a dit que cette voix était laide. Elle n’avait assurément pas la pureté cristalline, l’homogénéité et le velouté de celle d’autres cantatrices. Parfois décrite comme une voix « grecque » ou « orientale », elle pouvait être rauque, stridente et sauvage. Et elle s’est progressivement dégradée. Mais, sauf dans les toutes dernières années, elle n’a jamais perdu sa puissance expressive.   

Maria Callas a très peu chanté Mozart, un peu davantage les opéras français, et Wagner et Beethoven à ses débuts seulement, en italien. Elle n’a jamais touché au lied, ni à la musique sacrée. Mais son répertoire couvrait tout l’opéra italien, des grands auteurs de bel canto (Bellini, Donizetti), qu’elle a contribué à arracher de l’oubli où ils étaient tombés, au vérisme de Puccini et Mascagni, en passant par les grands opéras romantiques de Verdi. Un trait commun des œuvres de ces compositeurs est que leur rôle-titre est le plus souvent celui d’un personnage de femme trompée, trahie, abandonnée, frappée par le sort : Norma, Lucia di Lammermoor, Aïda, La Traviata, Tosca, Madame Butterfly. Dans ces rôles, Maria Callas donnait toute la mesure de son formidable talent dramatique. 

Sur scène, elle avait des gestes d’une grande sobriété, en petit nombre et assez stéréotypés. C’est dans l’expression du visage que passait l’émotion et, surtout, dans la voix, à un degré qui a fait dire qu’elle devenait littéralement les héroïnes qu’elle incarnait. Comme elle a joué tous ces rôles bien avant d’être elle-même délaissée par l’homme de sa vie (le milliardaire Aristote Onassis), on a pu soutenir qu’en les choisissant elle avait pressenti son destin. N’est-ce pas aller trop loin ? Plus juste est l’observation selon laquelle se trahit dans l’intensité de ses interprétations la tension qu’engendrait chez elle la recherche éperdue de la perfection. Une quête permanente qui la conduisait à ne jamais chanter deux fois de la même façon et contribuait à conférer à chacune de ses prestations, si extraordinaire qu’elle fût, un caractère de précarité et de fragilité qui renforçait encore l’émotion qu’on ressentait en l’écoutant. 

Un des chapitres les plus éclairants du livre de Fabio Dal Corobbo est celui qu’il consacre au cycle de cours qu’elle a donnés à la Juilliard School de New York en 1971 et 1972. En public, elle y dispensait à de jeunes chanteurs des conseils techniques et livrait des observations sur la psychologie des personnages qui frappent par leur pertinence. Elle appelait aussi ses élèves à faire preuve d’humilité : « Souvenez-vous, nous sommes au service de personnes meilleures que nous : les compositeurs. » Dans les nombreux entretiens qu’elle a donnés, sa correspondance et ses souvenirs, Maria Callas se montre une personne plus intelligente, sensible, modeste et touchante qu’on l’a accusée d’être. Peu cultivée en dehors de la musique, elle possédait de celle-ci une connaissance profonde et éprouvait pour elle une totale dévotion. « Chanter pour moi, écrit-elle dans une note mise en exergue de son livre par Fabio Dal Corobbo, n’est pas un acte d’orgueil, mais seulement une tentative d’élévation vers ces Cieux où tout est harmonie. » Elle vivait pour la musique. Quand elle n’a plus pu chanter, elle a perdu le goût de l’existence.  

Pour en savoir plus

Diplômé en lettres classiques et en histoire, Fabio Dal Corobbo a soutenu en 2019 une thèse en musicologie sur Maria Callas, d’où son livre est tiré. 

En français, une excellente introduction est la biographie de René de Ceccatty : Maria Callas (Gallimard Folio, 2009). 

Deux nouvelles biographies détaillées sont parues, l’une en anglais, The Callas Imprint par Sophia Lambton (The Crepuscular Press, 2023), l’autre en allemand, Maria Callas: Die Stimme der Leidenschaft par Eva Gesine Baur (C.H. Beck, 2023). 

Sur Maria Callas à la Juilliard School : Callas at Juilliard: The Master Classes (Amadeus Press, 2003). 

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Le groupe Actissia étant mis en liquidation, notre numéro de janvier-février (« Faut-il restituer l’art africain ? ») est aussi le dernier.

Books trouvera-t-il un nouveau sauveur, ou les moyens de renaître une seconde fois, sous une forme ou sous une autre ?

Vous pouvez adresser un message à 

Une soixantaine de personnalités ont signé notre appel à soutien, que voici :

Farid Abdelouahab, écrivain et historien

Claude Askolovitch, journaliste et écrivain

Jacques Attali, économiste et écrivain

Olivier Barrot, journaliste et écrivain

Olivier Bétourné, éditeur

Lucien Bianco, historien

Laurent Binet, écrivain

Pascal Blanchard, historien

Michel Blay, historien et philosophe des sciences

Mikkel Borch-Jacobsen, historien

Elvire de Brissac, romancière

Gérald Bronner, sociologue

Belinda Cannone, écrivain

Christophe Charle, historien

Catherine Clément, philosophe

Jérôme Clément, fondateur et ancien président d’Arte, écrivain

Sylvain Cypel, journaliste

Boris Cyrulnik, psychiatre et éthologue

Antoine Danchin, biologiste

Christophe Deloire, journaliste

Jean-Philippe Domecq, écrivain

Annie Ernaux, écrivaine

Sylvie Fainzang, anthropologue

Caryl Férey, romancier

Eric Fottorino, journaliste

Michel Foucher, géographe

Dan Franck, romancier et scénariste

Alain Genestar, journaliste

François Gèze, éditeur

Sophie Gherardi, journaliste

Bernard Granger, psychiatre

Christian Grataloup, géographe 

Frédéric Gros, philosophe

Nathalie Guérin, thérapeute

Cécile Guilbert, essayiste et romancière

Pierre Haski, journaliste

Nathalie Heinich, sociologue

Pierre Jacquet, économiste

Jean-Noël Jeanneney, historien

Jean de Kervasdoué, économiste de la santé

Eric La Blanche, auteur et écrivain

Rémi Labrusse, historien

José-Manuel Lamarque, journaliste

Alexandra Lapierre, romancière

Hervé Le Bras, démographe

Jean-Pierre Le Goff, sociologue

Jacques Le Rider, germaniste

Danièle Linhart, sociologue

Philippe Meyer, journaliste et écrivain

Gérard Mordillat, romancier et cinéaste

Priscilla De Moustier, présidente de Wendel-Participations

Anne Nivat, journaliste et écrivaine

Francoise Nyssen, éditrice

Denis Olivennes, chef d'entreprise et essayiste

ORLAN, plasticienne

Véronique Ovaldé, romancière

Robert Michel Palem, neuropsychiatre

Daniel Pennac, romancier

Anne Perrot, économiste

Michelle Perrot, historienne

Natacha Polony, journaliste

Jérôme Prieur, essayiste et cinéaste

Bruno Racine, haut fonctionnaire et écrivain

Robin Renucci, directeur du théâtre de La Criée, comédien 

Philippe Rey, éditeur

Angelo Rinaldi, écrivain et critique littéraire

Mustapha Saha, sociologue et poète

Steven Sampson, écrivain et critique littéraire

Maurice Sartre, historien

Dominique Schnapper, sociologue et politologue

Alain-Gérard Slama, essayiste et historien

Sylviane Tarsot-Gillery, haute fonctionnaire

Pierre-Henri Tavoillot, philosophe

Emmanuel Todd, historien et anthropologue

Jean Viard, sociologue et éditeur

Olivier Weber, écrivain et grand reporter

Michel Winock, historien

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Attisé par la vogue de la pensée « woke » et des études décoloniales, le mouvement en faveur de la restitution à leur terre d’origine des œuvres d’art pillées par les puissances coloniales, qui s’était endormi après un beau feu de paille entre les années 1960 et les années 1980, a repris de plus belle. Les arguments frappants fusent de toutes parts, certains convaincants, d’autres moins. D’un côté, on ne peut que souscrire au point de vue naguère superbement exprimé par le Sénégalais Amadou-Mahtar M’Bow, alors directeur général de l’Unesco : « Les peuples victimes de ce pillage parfois séculaire n’ont pas seulement été dépouillés de chefs-d’œuvre irremplaçables : ils ont été dépossédés d’une mémoire qui les aurait sans doute aidés à mieux se connaître eux-mêmes, certainement à se faire mieux comprendre des autres. » D’un autre côté, on ne peut qu’adhérer à l’argument invoqué en haut lieu en Europe et ailleurs, selon lequel les grands musées comme le British Museum ou le Louvre ont une vocation à l’universalité, confirmée par les foules qui les visitent.

La complexité de ce sujet sensible n’appelle pas de solution simple ; on doit s’attendre à des avancées et à des retours en arrière, à une évolution au cas par cas. Un exemple déjà ancien vaut d’être médité. En 1977, les organisateurs d’un festival d’art africain à Lagos avaient pris pour emblème La Reine mère Idia, un célèbre masque en ivoire représentant la mère d’un roi béninois du XVIe siècle. Le British Museum, qui le détient, a refusé de le prêter – mais proposa aux responsables du festival d’en envoyer une copie. Ils se sentirent injuriés, et l’écrivain nigérian Wole Soyinka, qui faisait partie du comité d’organisation, suggéra qu’on mette sur pied « un corps expéditionnaire de spécialistes, comprenant des mercenaires si nécessaire, pour aller récupérer le trésor ». 

Cet incident fait curieusement écho à l’un des mots utilisés par M’Bow dans son adresse, rédigée l’année suivante : « irremplaçable ». Irremplaçable, vraiment ? Jusqu’à quel point ? Rappelons l’histoire des Chevaux de Saint-Marc. Il s’agit d’un quadrige sans doute d’origine grecque qui ornait l’hippodrome de Constantinople. Ayant participé au sac de la ville par les croisés, les Vénitiens les enlevèrent en 1204 et les placèrent sur une galerie au-dessus du porche de la basilique Saint-Marc. En 1797, Bonaparte emporte les chevaux ; devenu empereur, il les fait installer sur l’arc de triomphe du Carrousel. Après Waterloo, les chevaux sont restitués à Venise. Vous pouvez toujours les admirer au-dessus du porche de la basilique Saint-Marc – sauf que ce sont des copies. Les vrais sont à l’intérieur. Le quadrige qui orne toujours le Carrousel à Paris est aussi une copie. Qui s’en soucie ? Et faudrait-il que la Turquie, ou pourquoi pas la Grèce, réclame les originaux à Venise ? 

Sans doute certains originaux sont-ils irremplaçables. Mais la copie est aujourd’hui un savoir-faire abouti qui empêche le visiteur non spécialiste de voir la différence. L’exemple le plus spectaculaire est Lascaux IV, reproduction quasi parfaite de la grotte d’origine. Il y a là clairement une piste à explorer pour régler des différends et apaiser les esprits.  

— Olivier Postel-Vinay

[post_title] => Une idée iconoclaste [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => une-idee-iconoclaste [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-12-22 08:50:47 [post_modified_gmt] => 2022-12-22 08:50:47 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=125862 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Les cellules des êtres vivants doivent leur nom à leur ressemblance avec celles des moines. P. 8

On a surévalué les performances intellectuelles des animaux. P. 12

La première technique de taille de la pierre a stagné pendant sept cent mille ans. P. 15

À Benin City, dans l’actuel Nigeria, l’oba n’apparaissait que deux fois par an, accompagné de 600 épouses. P. 17

Le nombre grandit d’artistes qui considèrent leur œuvre comme porteuse d’un message militant. P. 27

Des funambules sont représentés sur des peintures sur vase et des fresques datant de 1350 av. J.-C. P. 52

Certains logiciels de management peuvent surveiller le ton de la voix des employés. P. 59

Le scientisme est la croyance selon laquelle les sciences de la nature peuvent donner des réponses décisives aux questions sociales et intellectuelles. P. 65

Le mérite de la démocratie ne réside pas dans les valeurs auxquelles elle est associée mais dans son mode opératoire. P. 69 

Cervantès a vécu quelque temps avec cinq femmes. P. 75

Pour bien traduire, il faut trahir un peu et, si possible, à bon escient. P. 83

C’est l’instinct rituel qui conduit aux mythes et aux religions, plutôt que l’inverse. P. 85

Kim Il-sung s’attribue plus de 4 000 livres, sur tous les sujets concevables. P. 91

[post_title] => 13 faits & idées à glaner dans ce numéro [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => 13-faits-idees-a-glaner-dans-ce-numero-2 [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-12-22 08:50:42 [post_modified_gmt] => 2022-12-22 08:50:42 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=125859 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Par bonheur surnagent encore des éditeurs sagaces et des classiques à rafraîchir de manière inventive. Tout n’est donc pas perdu au royaume de la littérature qui sait mieux penser la bêtise (et surtout la « bêtise intelligente » chère à Robert Musil) que toute la philosophie. C’est ce que je me dis en découvrant avec joie que les éditions Vagabonde viennent de publier Histoire de Martinus Scriblérus, de ses ouvrages & de ses découvertes, qui n’avait pas été réédité en France depuis 1796 ! Une négligence incroyable s’agissant d’un livre écrit à plusieurs mains par la fine fleur des lettres anglo-irlandaises de l’époque et qui, excusez du peu, constitue l’une des sources majeures du Tristram Shandy de Laurence Sterne. Mais voilà, la littérature britannique des XVIIe et XVIIIe siècles, mal connue, peu traduite, a toujours été négligée par l’édition française.

Revenons au Scriblerus Club (de scribbler, « gribouilleur », « plumitif »), composé en 1714 de Jonathan Swift, John Arbuthnot, Alexander Pope, John Gay, Thomas Parnell et Henry Saint John. Ni mouvement littéraire, ni école, cette amicale d’esprits libres imagine de satiriser l’abus de savoir et la bêtise universelle en créant le personnage de Martinus Scriblérus, amusant pédant à la cervelle encombrée de langues mortes et d’humanités, pétri de sciences et d’arts, auteur par ailleurs d’un savoureux Peri Bathos ou l’anti-sublime, c’est-à-dire l’art de ramper en poésie. Joyeuse charge contre les faux savoirs, les postures politiques, l’esprit de sérieux – bref, toutes les impostures intellectuelles et morales de l’époque –, l’Histoire de Martinus Scriblérus a pourtant été oubliée. Et, si brillant et magistralement écrit fût-il, ce canular collectif publié en 1741 avait peu de chances d’intéresser les lecteurs contemporains, que les études socioculturelles situent à des années-lumière du règne de la reine Anne.

D’où le coup de génie de Benoît Laudier, maître éditeur de Vagabonde, qui a confié à Pierre Senges et à Pierre Lafargue le soin de préfacer, de postfacer et d’annoter l’ouvrage. On ne pouvait rêver attelage plus stimulant et jubilatoire que ces deux fines lames ironiques férues de rhétorique et de poésie. Le premier, auteur singulier de mémorables Fragments de Lichtenberg et de Projectiles au sens propre, est un esprit encyclopédique à l’aise dans l’érudition comme dans l’humour. Le second, tout aussi baroque, quoique dans une veine plus altière, est l’immortel auteur d’un Sermon sur les imbéciles prononcé dans ma cave avec toutes sortes de précautions fantastiques, de L’honneur se porte moins bien que la livrée et d’une douzaine d’autres livres où la crétinisation du lecteur à la manière féroce de Lautréamont le dispute aux accents du moraliste Grand Siècle. Aussi, à l’instar de celles qui accompagnaient son dernier roman 1, ses 438 notes constituent un régal de « satire dans la satire » et peuvent se lire de manière quasi autonome. Inspirées par les mânes d’Alfred Jarry et de Jacques Vaché, elles ne se refusent pas le plaisir de brocarder par anachronie « dame Christine Lagarde », Elon Musk ou le management de France Télécom. Mais c’est encore dans ce qu’il appelle « les égouts de la pleurnicherie universelle », peuplés de « victimes et victimettes », de « gentils racisés », de « fragiles offensés » et de « précieux discriminés systémiques », que Lafargue fait le mieux feu sur le quartier général de la « wokerie » et de ses jargons.

« Un jour viendra, écrit-il, où le nom du Scriblerus Club sera en exécration parmi les hommes à cause de ce genre de grosse plaisanterie que le goût, devenu bon, ne tolérera plus. Pour le moment, il est permis d’apprécier ce que l’on prend de bonne foi pour un aimable badinage. On doit aux simples cette indulgence. Mais quand ils entendront causer les gens qui sont les véritables illustrations de leur siècle, ils mesureront l’abîme qui les sépare les uns des autres et ne comprendront pas ce qui les aura éloignés si longtemps des vrais grands hommes pour l’avantage de quelques drôles qui n’auront pas rougi de se moquer d’eux. » Redoutable, vous dis-je !  

— Cécile Guilbert est essayiste et romancière. Son dernier livre, Roue libre (Flammarion, 2020), a reçu le Grand prix de la critique de l’Académie française.

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Quel est le point commun entre la mort d’Élisabeth II, Halloween, les élections de mi-mandat aux États-Unis, la Coupe du monde au Qatar et Noël ? A priori, ce sont simplement des événements d’actualité épars, entrecoupés de séquences ordinaires du calendrier annuel, qui ont rythmé les dernières semaines. Mais ils ont tous pour effet d’activer une constante anthropologique : ce sont des rituels.

À bien y regarder, en effet, nos cérémonies, commémorations, célébrations, manifestations, festivals et autres championnats sont remarquablement semblables et prévisibles. Pas dans le détail, bien sûr, mais dans leurs principes directeurs. Partout, et de tout temps, les êtres humains se sont réunis dans la performance commune de comportements stéréotypés, rigides, répétitifs et redondants, obéissant à des règles et orientés vers des buts dont il est étonnamment difficile d’identifier les origines et les fonctions exactes.

À quel mystérieux impératif répondent donc ces rituels ? Si l’on pose la question à ceux qui y participent, ils répondent généralement qu’ils ont « toujours fait comme ça » ou que c’est leur « tradition » – réponse bien peu satisfaisante si l’on veut aller au fond des choses. Pourquoi tel rituel et pas tel autre ? Pourquoi de cette façon précisément, et pas autrement ? Pourquoi à tel moment, dans tel lieu, pour telle durée, avec telles personnes ? C’est là ce que l’anthropologue Dimitris Xygalatas appelle le « paradoxe du rituel » : on ne sait pas vraiment pourquoi on le fait, mais il est impératif de le faire, et surtout de le faire correctement.

Dans son livre « Rituel » 1, il recense les études les plus récentes sur ces moments que le sociologue Émile Durkheim qualifiait d’« effervescence collective », en particulier dans leurs manifestations les plus exotiques et extrêmes : marches sur le feu dans des villages reculés, pèlerinages exténuants, automutilations démonstratives, transes collectives... Il en ressort que le rituel est une « technologie sociale » puissante, dont les effets sur le métabolisme, l’humeur, la mémoire, la sociabilité et la santé sont massifs et durables.

C’est précisément ce savant dosage entre arbitraire et nécessité qui en fait un dispositif culturel si prisé : dans un monde complexe, incertain et imprévisible, l’opacité causale au cœur du rituel dirige l’attention des foules sur des suites de comportements structurés et soude le groupe autour d’une activité commune. On ne sait pas exactement pourquoi on le fait ni à quoi ça sert, mais c’est précisément pour cela que l’activité parvient à transcender sa simple exécution. Véritable machine à produire du sens et Super Glue sociale, le rituel, par le coût qu’il impose en termes d’investissement personnel et collectif, offre à la fois le sentiment de contrôler son destin et un moyen efficace de distinguer « ceux qui en sont » et les autres.

D’où la face sombre des rituels. Leur caractère rigide, arbitraire, physique, synchrone et émotionnel en fait une arme de choix pour soulever les masses, exacerber leur grégarité et leur instiller la haine des autres. On pense bien sûr au caractère sectaire des mouvements totalitaires, mais on retrouve cette exploitation négative du rituel dans les pratiques de bizutage, les séances humiliantes de team building et notre soumission ordinaire à quantité de normes et d’habitudes qui nous paraîtraient absurdes et barbantes en toute autre circonstance.

Mais nous aimons malgré tout ces marques d’affiliation, ces débauches de symboles, cette solennité performative et théâtrale qui se transmettent à travers les générations et les siècles, et on peine à imaginer à quoi ressembleraient nos sociétés si on en extirpait leur composante purement rituelle. De fait, pour Xygalatas, c’est bien une sorte d’instinct rituel qui conduit aux mythes, aux religions, aux légendes, aux superstitions et à toutes les institutions qui les chapeautent, plutôt que l’inverse. Le rituel vient toujours avant le prétexte qui sert à le justifier ; c’est peut-être ce simple fait qui devrait suffire à nous rassembler. Tous, nous tentons désespérément de conjurer l’inconnu : l’universalité, la diversité et la persistance des rituels montrent que ce n’est pas encore gagné. 

— Sebastian Dieguez est chercheur en neurosciences au laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’Université de Fribourg,
en Suisse. Il est l’auteur de Total Bullshit ! Au cœur de la post-vérité (PUF, 2018).

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Chaque année, ça recommence. Le mois de janvier revient avec ses arbres nus, son crachin froid et sa masse graisseuse accumulée au cours de repas interminables. Il est là, charriant son lot d’exercices que l’on impose aux autres autant qu’à soi : résolutions remisées au placard avant le 10 février et autres « meilleurs vœux, etc. » copiés-collés dans des corps de mails professionnels. Le genre de geste social complexe en l’an 2023 : car il n’est pas simple de souhaiter la bonne année quand rien ne va. Un peu comme lancer un « Bonne soirée ! » enthousiaste à un type qui vient de se faire amputer d’une jambe : ça tombe à plat.

Ces derniers temps, il n’y a qu’à allumer la radio ou la télévision pour subir une litanie morose qui s’organise autour de quelques mots-clés : « guerre », « réchauffement climatique », « crise énergétique », « inflation » et le très actuel « récession ». Je ne parle même pas ici d’ouvrir Twitter. À l’heure où j’écris cette chronique, quantité de comptes migrent vers son rival Mastodon tandis qu’Elon Musk s’impose, un tweet après l’autre, comme le grand méchant que l’univers Marvel n’a pas osé imaginer. Un milliardaire mégalomane bien décidé à remodeler l’espace public mondial, ultralibertarien et long-termiste convaincu. À ce propos, le saviez-vous ? Le long-termisme, très en vogue dans le milieu de la tech, est un courant philosophique qui affirme la priorité morale de sauver des vies futures (dans plusieurs siècles, voire plusieurs millénaires) sur l’amélioration des vies présentes. Cette école est notablement portée par de jeunes philosophes anglo-saxons promouvant, depuis le milieu des années 2010, ce qu’ils désignent comme une « éthique efficace », qui se concentre sur les résultats à obtenir rapidement plutôt que sur les moyens d’y parvenir. Dans cette logique, mieux vaut travailler dans la finance pour devenir un multimillionnaire philanthrope plutôt que de bosser au smic dans un hospice pour enfants malades ou, soyons fous, de réfléchir à un système de répartition des richesses impliquant de construire autre chose que des pyramides de Ponzi. L’Écossais William MacAskill s’est imposé comme une figure de proue du mouvement long-termiste depuis la parution, en août dernier, de son livre « Ce que nous devons au futur », qui lui a valu un précieux retweet de Musk lui-même 1. Dans une tribune du New York Times, il explique que l’humanité a plusieurs centaines de milliers d’années devant elle : « L’avenir est grand, martèle-t-il, et l’ambition d’avoir une influence positive sur l’avenir à long terme est la priorité morale de notre époque. » MacAskill semble cependant gêné par la digestion de ses théories par quelques-uns des géants de la Silicon Valley. Il s’inquiète de voir son propos mal interprété par des « acteurs politiques nuisibles » ayant à leur disposition des équipements technologiques puissants. Le cas échéant, nous pourrions, selon lui, basculer dans un futur semblable à une « dystopie totalitaire perpétuelle ».

Mais pas de panique ! Le monde de l’édition pense aussi à nous, qui sommes contraints de donner la priorité à ce qui se passera au cours des douze prochains mois de notre vie plutôt qu’à l’avenir lointain de l’humanité. Des dizaines de milliers de personnes ont ainsi trouvé sous le sapin le dernier opus de Michelle Obama, qui semble faire de l’ultra-anxiété son nouveau combat en proposant un guide pour « survivre à tout » et « s’accomplir dans des temps incertains » 2. Elle y donne des clés révolutionnaires pour affronter le monde contemporain – comme avoir des amis et tricoter des bonnets. Les mauvaises langues ne manqueront pas de critiquer des réponses aussi court-termistes à l’angoisse générale de l’hiver 2022-2023. Mais peut-être est-ce finalement tout ce dont nous avons besoin en ce début janvier ? Alors, bonne année (et bon courage) !  

— Floriane Zaslavsky est sociologue. Elle a publié avec la journaliste Célia Héron Dernier Brunch avant la fin du monde (Arkhê Éditions, 2020).

[post_title] => Meilleurs vœux ! Mais lesquels ? [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => meilleurs-voeux%e2%80%89-mais-lesquels%e2%80%89 [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-12-22 08:50:25 [post_modified_gmt] => 2022-12-22 08:50:25 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=125974 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Ce dictionnaire des mots manquants est un vieux rêve, celui d’une Babel recomposée. Voyons, puisque tel mot n’existe pas en français, puis-je le trouver dans une autre langue ? Et, si je le trouve, pourquoi ne pas me l’approprier ? Ainsi rêve depuis toujours le romancier que je suis. Quand l’intuition me vient qu’à un point précis de mes cogitations (ou de mes élucubrations), le mot idoine manque à ma plume, et quand, vérification faite, je constate que ce mot n’existe pas dans notre langue, j’éprouve la tentation d’aller le chercher ailleurs, quelque part dans l’infini lexique des peuples. Un projet de dilettante. J’ai toujours su que sa réalisation – pour peu qu’elle soit possible – exigerait une vie entière de recherche, en butte à d’innombrables difficultés. Pour commencer, je ne parle aucune langue étrangère. Enfant, ma cancrerie me portait à supposer trop intelligent pour moi tout ce qui se disait dans un autre idiome que le mien. Autre difficulté, la définition du « manque ». Suffit-il qu’un mot me manque pour qu’il soit décrété manquant ? Ma langue en a-t-elle réellement besoin ? Quid de la métaphore, du néologisme et de la périphrase ? N’est-ce pas précisément leur rôle que de pallier ce déficit ? Et comment aller chercher un mot ailleurs ? Combien de langues questionner ? Par quelle méthode ? Autre chose : comment dresser a priori le répertoire de mes manques puisque je n’en prends conscience qu’au fil de mes besoins ? A fortiori,comment répertorier les manques de tous les autres locuteurs ? Est-il seulement possible d’établir une liste exhaustive des mots qui manqueraient à une langue ? Quel beau dictionnaire pourtant ce serait ! 

J’en étais là de mes paresseuses interrogations quand, il y a une dizaine d’années, je tombe sur un numéro de Books dans un kiosque de la gare Saint-Charles, à Marseille. Le parti pris de la revue me ravit. Faire connaître la littérature planétaire en chroniquant des bouquins qui ne seront jamais traduits chez nous, l’idée m’enchante. Magnifique ouverture ! Après en avoir parlé à l’ami Alberto Manguel, je propose à Olivier Postel-Vinay, directeur de la rédaction de Books, cette petite rubrique sur les mots manquants. Commence alors une aventure qui, soyons francs, tient davantage du jeu que de la recherche scientifique. Mais comme j’ai aimé les trouvailles de ce jeu ! Par exemple, la découverte de mots dont j’ignorais qu’ils me manquaient. Certains d’entre eux désignaient des habitudes miennes que je n’aurais jamais eu l’idée de nommer. Le fait que les Indonésiens possèdent un nom pour stigmatiser les histoires les plus idiotes que j’ai la manie de raconter à mes amis les plus chers m’en dit long sur le raffinement d’une langue dont j’ignore tout.

Jayus : nom indonésien désignant une plaisanterie si mal racontée et si peu drôle qu’on ne peut pas s’empêcher de rire. Nos meilleures histoires, nous les racontons aux inconnus, à des fins de séduction. Les pires, la blague la plus calamiteuse, le jayus intégral,c’est à nos meilleurs amis que nous les réservons. Il y a du joyau dans le jayus : nous y rions ensemble de la certitude que nous ne sommes pas bêtes à ce point-là.Exemple de jayus : « T’as vu Monte-Carlo ? Non, j’ai vu monter personne. » Hyper jayus : « T’as vu Monaco ? Non, j’ai vu monter personne. » Ah ! mes amis, faut-il que je vous aime, pour vous offrir pareils jayi !

Et combien me plaît ce desencuentro ­espagnol qui façonne nos existences infiniment plus sûrement que nos réalisations les plus abouties ! Desencuentro : substantif espagnol désignant le fait de ne pas s’être rencontré. Ils avaient tout pour se plaire, et tout les destinait à s’unir. De fait, ils se croisèrent une nuit, entre le soixante-quinzième et le soixante-­seizième étage de l’Empire State Building. Seulement, il grimpait par l’ascenseur B quand elle descendait par le A. Ce fut le desencuentro le plus désolant de la légende amoureuse.

Et que dire de la Schadenfreude allemande, cette joie mauvaise qu’on éprouve à voir le malheur des autres ? Le mot manque en français pour désigner les mises au pilori quotidiennes qui, en ces temps de dénonciations anonymes, réjouissent ce qu’il y a de plus bas en nous.

Sale époque, par ailleurs, que celle où l’on menace de fermeture une revue aussi généreusement ouverte que Books, signe que le monadisme l’emporte sur le nomadisme. J’aimerais tant que Books continue de paraître ! Au moins jusqu’à ce que soit fini mon dictionnaire des mots manquants. 

— Daniel Pennac

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Lémergence des lettres estoniennes est relativement récente. Elle remonte au réveil identitaire du XIXe siècle et se nourrit du folklore finno-ougrien. Aujourd’hui encore, cette jeune littérature, qui a connu un nouveau souffle depuis la restauration de l’indépendance en 1991, se fait l’écho d’une histoire troublée, marquée par les dominations étrangères à répétition. À partir de la christianisation de la région par les chevaliers Porte-Glaive allemands au XIIIe siècle, la petite nation estonienne a été soumise successivement aux puissances livonienne, danoise, germano-balte, tsariste, nazie et soviétique.

Témoin de l’engouement des Estoniens pour leur histoire, la « Chronique de la province de Livonie », écrite au XVIe siècle par Balthasar Russow, pasteur de l’église du Saint-Esprit à Tallinn : elle se hisse en deuxième position de la liste des meilleures ventes du principal réseau de librairies, Rahva Raamat. Ce texte fondateur a façonné la compréhension de la zone baltique durant des siècles. Il ne s’agit pas seulement d’un compte rendu sur la guerre de Livonie vue à travers les yeux d’un témoin direct des événements. C’est aussi l’une des rares sources évoquant les croyances préchrétiennes. Pays le plus tard christianisé et le moins croyant d’Europe, l’Estonie garde un attachement viscéral à la nature et aux pratiques néopaïennes.

En cinquième position du palmarès, Andrus Kivirähk est sans nul doute l’auteur estonien le plus emblématique (et le plus apprécié à l’international) : son livre L’Homme qui savait la langue des serpents (Le Tripode, 2013) a rencontré un beau succès en France. Jouant finement avec l’histoire et le folklore au moyen d’un humour grinçant, il s’efforce d’atteindre l’universel à travers le particulier. D’un genre hybride, son dernier livre, « Voyage sur la Lune », embarque le lecteur dans un périple plus métaphorique que réel, à travers un univers fantasque peuplé de personnages étranges mais d’autant plus humains. L’auteur fait s’attabler un cosmonaute dans un café : un être extraordinaire dans un lieu ordinaire, où le voyage qui se joue est avant tout intérieur.

Cette introspection, ancrée dans un folklore vivant, se retrouve chez Kristiina Ehin, poétesse et folkloriste très appréciée, dont le dernier recueil nous invite, au milieu des pandémies et des guerres, à rechercher la paix de l’esprit sur les rives de l’Ajajõgi (« le fleuve du temps »). Sa poésie fait d’ailleurs écho au chef-d’œuvre posthume de Fernando Pessoa, Le Livre de l’intranquillité, un kaléidoscope des paysages intérieurs de l’auteur et un voyage métaphysique au sein même de la réalité. 

— Audrey Vermillard

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