Jusqu’à leur prise de fonctions, les dictateurs ont souvent une jeunesse assez plan-plan. Pas Jules César ! Flamine (prêtre) de Jupiter à 17 ans, réfugié politique à 18, guerrier en Asie Mineure à 20, de nouveau exilé politique à 25 ans… César va alors à Rhodes étudier l’éloquence, qui peut toujours servir. Capturé en chemin par des pirates, il négocie sa rançon tout en leur promettant les pires supplices (de fait, à peine libéré il fera crucifier ses ravisseurs, quoique après les avoir fait égorger – admirable preuve de mansuétude selon Suétone, son biographe). César rentre à Rome et vraiment en politique, parcourt à toute vitesse le cursus honorum, conspire à droite à gauche, multiplie les rivaux puis les ennemis, échappe de très peu au lynchage. Pour asseoir sa popularité au sein de la plèbe, il dépense sans compter – monuments, banquets, jeux, combats de gladiateurs… – et noue des alliances. Le sommet de l’échelle, à savoir le consulat, il l’atteint à 41 ans. (Il y a deux consuls à Rome, mais le second, Bibulus, ne fait que de la figuration, tandis que les gens disent en rigolant qu’ils vivent « sous le consulat de Jules et de César ».) Oui, une jeunesse bien remplie…
Mais pas assez au goût de César, qui pleure en voyant une statue d’Alexandre : plus jeune, le Macédonien n’avait-il pas déjà conquis un bon morceau de la planète ? À la fin de son consulat, César donne libre cours à ses tendances dictatoriales, et, pour soutenir néanmoins sa popularité, dépense de plus en plus. Sa technique s’avère payante puisqu’on lui confie, par plébiscite, deux grandes provinces, l’Illyrie et surtout la Gaule, où il va déployer pendant neuf ans ses talents militaires et son appétit de conquêtes (jusqu’en Bretagne et en Germanie). Son palmarès militaire est stupéfiant : 300 tribus soumises, 3 millions d’hommes combattus dont les deux tiers finissent en cadavres ou en esclaves, 800 cités rasées et une seule vraie défaite (la bataille de Gergovie). Pour cristalliser ses hauts faits, il rédige en quelques semaines La Guerre des Gaules, qui lui permet d’ajouter une nouvelle plume à son chapeau, celle d’un des meilleurs écrivains de l’Antiquité. À son retour, en 49 av. J.-C., il n’a plus qu’un seul vrai rival, Pompée. Pour s’en défaire, César piétine la loi et franchit avec ses légions le Rubicon, petite rivière qui borne sa zone de commandement, déclenchant ainsi une guerre civile. Il la gagne et poursuit Pompée jusqu’en Égypte, où la tête de son rival finira en haut d’une pique tandis que la sienne se retrouvera dans le giron de Cléopâtre. Car, côté vie privée, César ne déçoit pas non plus. Fiancé à 15 ans avec une richissime bourgeoise, il la plaque à 17 pour Cornelia, fille de Cinna, aussi riche et beaucoup plus conséquente politiquement. Suivront deux autres officielles, Pompeia, petite-fille du dictateur Sylla, puis Calpurnia, fille de Lucius Calpurnius Piso Caesoninus – toutes deux fortunées et de familles influentes. Car la conquête du pouvoir coûte très cher et exige des alliés puissants. Mais les femmes ne sont pas que des atouts financiers ou stratégiques, elles ont des charmes spécifiques qui le poussent à multiplier les aventures tous azimuts (même avec des provinciales, note un Suétone admiratif), avec une prédilection pour les épouses de ses rivaux, voire de ses alliés. Pense-t-il par ses prouesses de séducteur effacer un épisode de jeunesse, lorsqu’il était en poste auprès du roi Nicomède ? En effet, « naquit alors une rumeur selon laquelle il se serait prostitué à ce souverain », écrit Suétone sans souci du politiquement correct. Les Romains ne seront pas dupes et chantonneront volontiers : « César est le mari de toutes les femmes – et la femme de tous les maris ! »
Qu’est-ce qui pousse César à déployer autant d’énergie et de courage, politiquement, militairement et amoureusement, de jour comme de nuit ? C’est la question que Suétone – Caius Suetonius Tranquillus, de son nom latin – ne pose pas, quoiqu’il semble y répondre. Suétone fait traditionnellement un peu pâle figure à côté de ses contemporains, les historiens Plutarque et Tacite. On le trouve imprécis, peu fiable, porté sur les cancans. Or ce bibliothécaire polygraphe, qui écrit un siècle et demi après la mort de César, fait preuve d’une approche holistique plutôt moderne. Il considère ses sujets dans leur globalité, politique, existentialiste, psychologique et même physique, les traits du visage révélant pour lui ceux de l’âme. Son César est mieux qu’un proto-Napoléon : un authentique surhomme. Formidable résistance physique malgré une petite santé, courage incroyable et exceptionnels talents de leader, de chef de guerre, d’administrateur ; écrivain remarquable ; séducteur impénitent et on en passe… Suétone tente surtout de comprendre la « passion de l’hégémonie » qui anime César, une ambition stratosphérique, inassouvissable, qu’on s’explique mal. À 20 ans, notre Romain ne fait-il pas déjà quasiment figure d’homme arrivé, grâce notamment à ses origines prestigieuses : royales du côté maternel et carrément divines du côté paternel, les Iulii descendant de Vénus via Énée ? Son ambition exprimerait-elle des intentions idéologiques, politiques, religieuses ? A priori, non. L’aristocratique César méprise et malmène le Sénat et les classes supérieures (les optimates) ; et, s’il s’appuie sur la plèbe de Rome, qu’il couvre de bienfaits, il la méprise tout autant. De la république, socle de la société romaine, il dit qu’« elle n’est rien, juste un mot sans consistance, une illusion », rapporte Suétone. La religion, il la traite complètement par-dessus la jambe (« Jamais aucune considération religieuse ne l’amena à renoncer à quelque entreprise »), jusqu’à ce qu’elle lui devienne utile – et qu’il soit lui-même divinisé. C’est un opportuniste invétéré qui ne recule devant aucune alliance. Serait-ce alors l’appétit du lucre qui le meut ? Mais son ascension lui coûte d’abord plus qu’elle ne lui rapporte, et ses dettes sont colossales. César aime clairement le pouvoir, qu’il exerce très bien, unifiant l’Italie, étendant son empire, aménageant le pays et embellissant sa capitale, réformant efficacement ses institutions.
Pourtant, César aime surtout César – et les honneurs qui lui sont rendus : cérémonies (les triomphes), distinctions (comme de voir un mois, Iulius, nommé d’après lui après avoir réformé le calendrier), statues, monuments, parures, palais… Il aime aussi les titres, qu’il a tous obtenus : consul, dictateur (une fonction quasi légale), grand pontife, imperator, demi-dieu… Tous, sauf celui de roi. Celui-là, qui horrifie les Romains, si fiers de leur république, le désire-t-il vraiment ? On lui offre pourtant à plusieurs reprises la couronne – au sens propre du terme, puisqu’on en dépose sur sa statue ou sur sa tête. Il refuse cette promotion, quoique assez mollement. C’est même ce qui causera sa perte.
Suétone attribue encore une autre cause à l’inassouvissable appétit de pouvoir de César : une altération psychologique consubstantielle à l’état de dictateur, la paranoïa. Pour conquérir le pouvoir, puis le conserver, tous les coups sont permis. D’où pléthore d’ennemis, dont il faut ensuite prévenir la vengeance. Si César franchit le Rubicon, c’est, allègue Suétone, parce qu’« il avait peur qu’on le forçât à rendre compte des actions qu’il avait menées pendant le premier consulat ». Or se protéger implique d’espionner et de réprimer, donc d’accroître son impopularité et, partant, les dangers. Un cercle vicieux sans autre issue que l’exil ou la mort. Celle de Jules César, sans doute l’événement le plus spectaculaire de sa vie, survient lorsque, après quelques années de pouvoir absolu, les rancœurs des uns et des autres explosent, tandis que les prétextes à conjuration se multiplient – de présumées velléités monarchiques, notamment. Un attentat prévu le jour des ides de mars (soit le 15 mars 44 av. J.-C.) est organisé, pas vraiment discrètement, par 60 conjurés menés par Marcus Brutus. César en est averti par sa femme, qui rêve de sa mort la nuit précédente, par les dieux, qui redoublent de présages funestes, et par des informateurs bienveillants. Mais il choisira d’assister tout de même à la réunion du Sénat, sans son escorte de gardes du corps ibères, faisant même fi d’un billet glissé dans sa main avec la liste des conspirateurs. Il semble aller presque de son plein gré au-devant des 23 coups de couteau que lui porteront les conjurés, dont celui de son protégé, l’ingrat Marcus Brutus (qui n’est pas son fils adoptif et qu’il n’accueillera pas d’un « Toi aussi, mon fils ! » en latin, mais plutôt d’un touchant « Toi aussi, mon petiot ! » en grec). Suétone s’interroge. Peut-être Jules César ne souhaitait-il pas « vivre plus longtemps pour voir sa santé décliner », à moins qu’il n’ait préféré « succomber une fois pour toutes aux pièges qui le menaçaient de tous côtés plutôt que de vivre perpétuellement aux aguets ». L’immensément courageux César aurait-il donc eu peur de la vieillesse, et de sa propre peur ?
— J.-L. M.
Extrait :
« À ce qu’on rapporte, il était grand ; son teint était blanc ; ses membres, bien tournés ; sa bouche, un peu trop charnue ; ses yeux, noirs et vifs ; sa santé, solide, si ce n’est qu’à la fin il était atteint, de façon chronique, d’évanouissements soudains et même de terreurs nocturnes. À deux reprises, il fut également frappé par des attaques d’épilepsie au beau milieu de ses activités. Il était particulièrement exigeant pour ses soins physiques, au point qu’il se faisait non seulement tondre et raser avec précision, mais aussi épiler – et cela suscita la réprobation de certaines personnes – ; au point aussi qu’il supportait très mal sa calvitie disgracieuse, qui lui attirait souvent des quolibets de ses détracteurs. C’est la raison pour laquelle il avait l’habitude de ramener vers l’avant du crâne sa chevelure qui se clairsemait ; en outre, parmi tous les honneurs que lui décernèrent le Sénat et le peuple, il n’y en eut aucun qu’il accueillît et exploitât plus volontiers que le droit de porter en permanence la couronne de laurier. Sa mise aussi, dit-on, le rendait remarquable, car il arborait un laticlave frangé qui lui descendait jusqu’aux mains et par-dessus lequel il serrait toujours une ceinture – du reste, elle le serrait fort peu. »
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Au cours d’une carrière d’un demi-siècle qui coïncide avec l’âge d’or du cinéma hollywoodien, Billy Wilder a réalisé une série de films qui sont autant de classiques des différents genres : film noir, drame psychologique, film sur le cinéma, film de critique sociale, comédie, film de procès, film de guerre. Arrivé aux États-Unis avec quelques dollars en poche après avoir été journaliste à Vienne et Berlin, où il a appris et commencé à exercer le métier de scénariste, il y est devenu en quelques années un des réalisateurs les plus renommés, qui faisait tourner les grands acteurs du moment : Marlene Dietrich, Gary Cooper, James Stewart, Humphrey Bogart, Charles Laughton et bien d’autres.
Doté d’un grand esprit de repartie, il était connu pour ses bons mots, parfois cruels, pas toujours de bon goût, mais le plus souvent très drôles. Jusqu’au moment où il rencontra celle qui allait devenir sa deuxième femme, Audrey Young, Wilder eut une vie sentimentale frénétique, enchaînant les aventures et entretenant parfois plusieurs liaisons simultanées. Travailleur acharné, il aimait les conversations entre amis, les bons restaurants, la vie sociale excitante d’Hollywood, faire des cadeaux à sa fille – issue d’un premier mariage –, conduire à toute allure, tous les jeux, plus particulièrement le bridge, et de nombreux sports. Sur les nombreuses photos de tournage qu’on a conservées, il est le plus souvent coiffé d’un chapeau ou d’une casquette, qu’il gardait sur la tête à l’intérieur des studios, et rarement sans une cigarette aux lèvres ou à la main. Amateur d’art, il amassa au cours des années de nombreuses toiles de maîtres contemporains, acquises bon marché et qu’il revendit très cher à la fin de sa vie, pour recommencer immédiatement à en acheter d’autres.
Parce que les journalistes appréciaient sa verve caustique, Wilder eut l’occasion, au cours de sa longue existence (il est mort en 2002, à 95 ans), de donner de nombreux entretiens, dont beaucoup ont été rassemblés en volumes 1. Sa vie a été racontée dans une demi-douzaine de biographies dont la plus longue, par Ed Sikov, est aussi la meilleure 2. Dans un gros essai très fouillé s’appuyant sur une longue familiarité avec son œuvre, Joseph McBride met en évidence ce qui, derrière sa diversité apparente, fait l’unité profonde de son cinéma, ainsi que la manière dont ses films, pourtant explicitement conçus dans le seul but de divertir, reflètent sa personnalité et expriment sa vision des rapports humains.
Billy Wilder est né de parents juifs polonais dans une petite bourgade d’une province éloignée de ce qui était alors l’Empire austro-hongrois, sous le nom de Samuel Wilder. Après un court séjour à Cracovie, sa famille s’installa à Vienne. Ses parents rêvaient de le voir embrasser la carrière d’avocat. Mais, à 18 ans, il abandonna ses études pour devenir journaliste. Un de ses biographes, Maurice Zolotow, attribue cette décision à une déception sentimentale, la découverte qu’une jeune fille dont il était amoureux se livrait à la prostitution 3. Il prétend expliquer ainsi la présence, dans ses films, de nombreux personnages de prostituées ou de femmes vénales. Mais Wilder a toujours soutenu qu’il n’était tout simplement pas attiré par le droit et a vigoureusement nié l’authenticité de cet épisode, tout en offrant de ce qui s’était réellement passé deux versions différentes, l’une à McBride et la seconde à un autre biographe 4. Une scène de La Vie privée de Sherlock Holmes coupée au montage, dans laquelle le détective évoque un souvenir de jeunesse, fait toutefois très fort penser à l’incident évoqué par Zolotow. Dans tous les cas, relève McBride, Wilder, qui avait été un temps danseur mondain pour subvenir à ses besoins, était obsédé par le conflit entre la poursuite des intérêts et la vie des sentiments, affectifs ou moraux. Cela explique « sa fascination pour une grande variété de formes de prostitution (y compris le jeu de rôle des gigolos), ainsi que les différents types d’exploitation sexuelle, économique et émotionnelle ».
Évoquant son travail de journaliste à Vienne, Wilder prétendit longtemps avoir interviewé au cours d’une même journée Arthur Schnitzler, Richard Strauss, Alfred Adler et Sigmund Freud – lequel l’aurait mis à la porte sans le recevoir. Il nuança par la suite cette affirmation. Invité à Berlin par un musicien américain de jazz dont il assurait la promotion, il y poursuivit sa carrière dans la presse. Comme à Vienne, il passait ses journées dans les cafés au milieu de journalistes, d’écrivains et d’intellectuels, déployant une activité trépidante, incapable de rester en place plus de quelques minutes – un trait qu’il conservera toute sa vie. Sa production, dont une partie a été publiée, couvre les genres les plus variés : reportages, portraits, critiques, petits essais et même mots croisés 5.
Ayant réussi à pénétrer le milieu du cinéma berlinois, il écrivit seul ou en collaboration les scénarios d’une quinzaine de films, dont Les Hommes le dimanche, réalisé par Robert Siodmak et Edgar George Ulmer : une fiction quasi documentaire montrant comment de jeunes Berlinois passent une journée de loisir. Au début de 1933, peu après l’accession d’Hitler au pouvoir et l’incendie du Reichstag, il quitta Berlin pour Paris. Il y resta quelques mois, le temps de réaliser son premier film, Mauvaise Graine (avec Danielle Darrieux), tourné faute de moyens dans les rues de la ville, comme le seront trente ans plus tard les films de la nouvelle vague. Peu de temps après, il prenait le bateau pour les États-Unis.
À son arrivée en Californie, Billy Wilder, bien que parlant mal l’anglais, trouva du travail dans les grands studios d’Hollywood, qui employaient à la chaîne des dizaines de scénaristes chichement payés. En écoutant assidûment la radio, il acquit rapidement la maîtrise de la langue américaine. Sa carrière de scénariste décolla le jour où le responsable des scénarios de la Paramount l’associa avec celui qui allait devenir son premier partenaire d’écriture, Charles Brackett. On ne pouvait imaginer deux hommes plus différents par leur origine, leur tempérament et leurs opinions politiques. Réservé et plus âgé que lui, Brackett était issu d’une famille patricienne républicaine de New York. Mais ils avaient tous deux le goût des mots et un fort sens de l’humour ; ils s’entendirent à merveille. Ensemble, ils écrivirent des scénarios pour Raoul Walsh, Howard Hawks et Mitchell Leisen.
C’est avec Ernst Lubitsch que leur collaboration fut la plus fructueuse, comme en témoignent les dialogues étincelants de Ninotchka, comédie sentimentale satirique dans laquelle Greta Garbo incarne une commissaire politique soviétique qui, à l’occasion d’une mission à Paris, tombe amoureuse d’un aristocrate français et de l’Occident capitaliste. Wilder a toujours considéré Lubitsch, arrivé à Hollywood en 1922 après une carrière en Allemagne, comme son maître. Sur un mur de son bureau, en référence à la fameuse « Lubitsch touch », un écriteau était affiché : « Comment Lubitsch aurait-il fait ? » « Lubitsch, écrit le critique Alex Ross, cherchait à transcender la division classique entre le “drame avec une touche de comédie” et la “comédie avec une touche dramatique” [...]. Wilder fit sienne cette formule. » 6 Wilder et Brackett restèrent associés lorsque le premier, suivant l’exemple de Preston Sturges, décida de réaliser les films qu’il écrivait. Parmi les longs-métrages qu’ils conçurent ensemble figurent Le Poison, drame sur l’alcoolisme, et le somptueux et funèbre Boulevard du Crépuscule, récit de la liaison fatale d’un écrivain désargenté (William Holden) et d’une star déchue du cinéma muet (Gloria Swanson), si perdue dans le souvenir de sa gloire passée qu’elle lui répond, quand il lui assure qu’elle a été une grande vedette : « Je suis grande, ce sont les films qui sont devenus petits. »
Assurance sur la mort fut réalisé sans l’aide de Brackett, qui trouvait le sujet trop sordide. Pour en écrire le scénario, on sollicita l’auteur de romans policiers Raymond Chandler. Entre lui et Wilder, la mésentente fut immédiate. Chandler était dépressif, buvait sans arrêt et était perturbé par le ballet incessant de jeunes femmes autour du réalisateur. Et il n’avait aucune expérience du cinéma. Mais il possédait un sens merveilleux des dialogues et, malgré sa relation houleuse avec Wilder, leur collaboration produisit un résultat d’une qualité exceptionnelle. Le film est basé sur un roman de James M. Cain. Chandler et Wilder modifièrent un peu le récit, à la satisfaction de Cain, qui exprima son regret de ne pas avoir eu lui-même certaines de leurs idées. Le film raconte le meurtre d’un homme par un agent d’assurances (Fred MacMurray) avec la complicité de la femme de la victime (Barbara Stanwyck), laquelle l’a ensorcelé et avec qui il pense partager le montant de l’assurance-vie. Quand il comprend qu’elle l’a manipulé, il la tue, non sans qu’elle l’ait elle-même blessé à mort. Il expire quasiment dans les bras de son supérieur (Edward G. Robinson), qui éprouvait pour lui un sentiment très fort, entre l’amitié amoureuse et l’amour paternel. C’est un chef-d’œuvre du film noir.
Au bout de quelques années, le couple Wilder-Brackett se défait. Brackett a toujours affirmé avoir regretté cette séparation, mais, dans son journal, on voit bien que ce partenariat ne le satisfaisait plus 7. Wilder réalisa alors quelques films avec différents scénaristes. Le Gouffre aux chimères, le plus sombre de son œuvre, met en scène un journaliste cynique sans travail (Kirk Douglas) prêt à tout pour retrouver un emploi. À l’éditeur d’un journal, il se présente en ces termes : « Je connais les journaux par l’arrière, par devant et de côté. Je peux les écrire, les éditer, les imprimer, les emballer et les vendre. Je peux traiter les grandes nouvelles et les petites nouvelles, et, s’il n’y a pas de nouvelles, je sortirai pour aller mordre un chien. » Dans le but de faire monter la tension pour un reportage exclusif, avec la complicité des autorités locales, il retarde l’opération de sauvetage d’un homme piégé sous des rochers. Une foule avide de sensations fortes se précipite, l’homme décède, le journaliste aussi, poignardé par la femme de la victime qu’il avait agressée. Le film fut très mal reçu. Quelques années après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le public n’était pas prêt à accepter une critique aussi virulente de la presse, du monde politique et de la société américaine.
Wilder était reconnaissant envers les États-Unis de l’avoir accueilli quand il fuyait le nazisme. Parlant des juifs d’Europe centrale, il disait, avec son humour noir habituel : « Les optimistes ont fini à Auschwitz, les pessimistes ont une piscine à Beverly Hills. » Son plus terrible remords fut de ne pas avoir réussi à convaincre sa mère de le rejoindre en exil. Elle et plusieurs membres de sa famille moururent en déportation dans des circonstances qu’il ne connut jamais exactement. Lorsque sortit sur les écrans La Liste de Schindler, de Steven Spielberg, un film qu’il aurait souhaité pouvoir faire lui-même, en conclusion d’un article sur l’Holocauste dans le Süddeutsche Zeitung Magazin, il écrira, à propos de la question du négationnisme : « Si les camps de concentration et les chambres à gaz sont le fruit de l’imagination, alors, s’il vous plaît, dites-le-moi : où est ma mère ? »
Sa gratitude envers les Américains ne le rendait pas aveugle aux défauts de la société d’outre-Atlantique. Dans La Scandaleuse de Berlin et Un, deux, trois, dont l’action se déroule également à Berlin, sa verve sarcastique s’exerce aux dépens des communistes et des anciens nazis, mais aussi des forces d’occupation et des capitalistes avides de nouveaux marchés. La « course de rats » qu’est la vie dans un monde dominé par l’argent lui déplaisait, comme le fanatisme anticommuniste qui régnait aux États-Unis. Lorsque la Commission des activités antiaméricaines veut imposer aux réalisateurs de s’engager dans la « chasse aux sorcières », il fait partie de ceux qui s’y opposent ouvertement.
Pour écrire le scénario d’Ariane, la seconde des deux comédies sentimentales avec Audrey Hepburn qu’il a réalisées, Wilder sollicite les services de celui qui va devenir son coscénariste attitré pour le reste de sa carrière : I. A. L. Diamond, un homme à la personnalité très différente de celle de Brackett mais avec qui l’alchimie créatrice fonctionnera aussi bien. Un des fruits de leur collaboration est le film pour lequel Wilder est le plus connu, Certains l’aiment chaud. Avec la célèbre séquence de la grille de métro de Sept Ans de réflexion (également de Wilder), c’est cette comédie qui a définitivement installé Marilyn Monroe dans l’imaginaire collectif. Elle y incarne la chanteuse d’un orchestre féminin dans lequel deux musiciens mâles se sont réfugiés après s’être travestis en femmes, pour échapper aux tueurs de la mafia qui sont à leurs trousses.
Ce film porte à son expression paroxystique un thème qui domine l’ensemble de l’œuvre de Billy Wilder, celui de la mascarade, du déguisement, de la confusion des rôles, des identités et des sexes. Comme le souligne McBride, ce thème s’enracine pour une part dans l’expérience du réalisateur : « Les exilés se trouvent [...] dans l’obligation de se créer une nouvelle identité, d’apprendre de nouvelles langues et de nouvelles habitudes et de revêtir un déguisement. » Mais il traduit aussi son intérêt pour le jeu de masques auquel se livrent les hommes et les femmes à la poursuite de leurs ambitions et de leurs rêves.
Ces ambitions sont à l’œuvre dans La Garçonnière, la comédie noire qui valut à Wilder trois oscars. L’histoire est celle d’un petit employé d’une société d’assurances (Jack Lemmon) qui, par carriérisme, prête son appartement à des collègues plus élevés que lui dans la hiérarchie afin qu’ils y abritent leurs liaisons adultères. Amoureux d’une des liftières de l’immeuble (Shirley MacLaine), il découvre qu’elle est la maîtresse de son supérieur. Le film se termine sur une note douce-amère. L’employé démissionne après avoir refusé à son patron de continuer à utiliser son appartement pour ses rencontres avec la liftière, celle-ci quitte son amant, et les deux protagonistes se retrouvent ensemble. Mais il est loin d’être sûr qu’ils vont connaître un amour durable.
En réaction aux accusations de cynisme souvent portées contre Wilder, McBride souligne son « romantisme caché » et son sens de la moralité. Selon le cinéaste, la plupart de ses films pouvaient de fait être résumés de la manière suivante : « Quelqu’un veut quelque chose, mais quand il l’obtient, il se rend compte qu’il s’est avili, et il le refuse. » McBride défend aussi Wilder contre les soupçons de misogynie : « La vision des femmes de Wilder n’est pas misogyne, mais elle est dépourvue de sentimentalité, comme celle qu’il a des hommes. Il dépeint les hommes et les femmes [...] comme des êtres humains profondément imparfaits. » Peut-être est-ce là une des façons dont il faut comprendre la célèbre dernière réplique de Certains l’aiment chaud, prononcée, avec un effet comique irrésistible, par le millionnaire tombé amoureux de Jerry/Daphne (Jack Lemmon) lorsque celui-ci, à bout d’arguments pour refuser sa demande en mariage, arrache sa perruque et lui avoue qu’il est un homme : « Personne n’est parfait. »
Wilder connaît son second grand échec commercial avec Embrasse-moi, idiot, une comédie satirique grinçante basée sur un scénario de comédie bouffonne : dans une petite ville du Nevada, pour satisfaire les caprices d’un crooner (Dean Martin) qui veut coucher avec sa femme, un parolier engage une prostituée pour jouer le rôle de celle-ci. Il finit par passer la nuit avec elle, et son épouse avec le crooner, à la satisfaction des deux femmes, heureuses d’avoir connu une expérience aux antipodes de leur quotidien. Le film fut jugé immoral et grossier. En 1964, aux États-Unis, il était délicat de présenter positivement l’adultère.
Comme d’autres critiques, notamment Michel Ciment 8, Joseph McBride place très haut trois films de la dernière partie de la carrière de Wilder : Avanti !, comédie romantique de facture très classique ; La Vie privée de Sherlock Holmes, drôle et mélancolique réflexion sur le conflit de la raison et des sentiments ; et Fedora, histoire d’une star si obsédée par sa beauté enfuie qu’elle fait passer sa fille pour elle, une méditation sur la vieillesse, en écho à Boulevard du Crépuscule, qui est en même temps une sorte d’adieu à un certain type de cinéma. Réalisés en couleur (Wilder est longtemps resté fidèle au noir et blanc), ces trois films sont d’une grande beauté plastique. Leur action se déroule en Europe, où ils ont été tournés, une partie du monde à laquelle Wilder est toujours demeuré profondément attaché.
Parce que les dialogues jouent un rôle central dans ses films, on a tendance à oublier les qualités formelles de son cinéma. Elles ne se limitent pas à la perfection du rythme narratif. Le réalisateur sait s’entourer de brillants professionnels et tirer le meilleur parti de leur talent. Pour la musique de ses films, il a ainsi exploité celui de deux des compositeurs les plus doués d’Hollywood, Franz Waxman et Miklós Rózsa. Le décorateur de huit de ses derniers films est le Hongrois Alexandre Trauner, associé, en France, au réalisme poétique de Marcel Carné. C’est lui qui a conçu l’immense salle de bureaux de La Garçonnière, produit d’un trucage donnant l’illusion, grâce à la perspective, d’une succession infinie de postes de travail.
L’atmosphère de ses premiers films doit beaucoup au savoir-faire du chef opérateur John F. Seitz : les rues nocturnes pleines d’ombres et les intérieurs sombres où le soleil ne pénètre que filtré par les stores vénitiens d’Assurance sur la mort, l’imagerie tantôt hallucinatoire, tantôt d’un réalisme saisissant du Poison, traduisant à la fois la folie alcoolique et la dureté de l’univers des grandes métropoles, l’ambiance gothique de la maison de Norma Desmond (Gloria Swanson) dans Boulevard du Crépuscule. Wilder déteste les plans sophistiqués et les mouvements de caméra acrobatiques utilisés gratuitement. Dans ses films, chaque gros plan a du sens et possède une énorme puissance dramatique. Qu’on songe à celui où, à la fin de La Garçonnière, Fran (Shirley MacLaine), au beau milieu d’une fête de Nouvel An d’une gaieté sinistre, comprend qu’elle doit quitter Sheldrake (Fred MacMurray) et qu’elle aime Baxter (Jack Lemmon). Son beau visage s’illumine lentement, avant qu’une ombre d’inquiétude l’envahisse à l’idée qu’il se suicide.
Billy Wilder affirmait n’avoir pour ambition que de faire de bons films distrayants. Il estimait en avoir tourné quelques-uns de trop, et certains de ses derniers sont assez faibles. La critique s’est souvent montrée féroce. L’influente critique du New Yorker Pauline Kael dénonçait « le manque de sentiment, de passion, de grâce, de beauté, d’élégance » de son travail. Après avoir dans un premier temps fustigé son « cynisme », Andrew Sarris fit une volte-face spectaculaire : « Peut-être me méfiais-je de Wilder, confessa-t-il, parce que je ne devais jamais faire d’effort pour apprécier ses films. » Si certains critiques ne l’aiment pas, écrira plus tard dans le même sens Jonathan Coe, auteur d’un roman sur le tournage de Fedora 9, c’est parce qu’il rend leur travail inutile : « Les films de Wilder n’ont pas besoin d’explication. […] On n’a pas besoin d’un critique pour comprendre que Certains l’aiment chaud est hilarant, que La Garçonnière est déchirant, que Le Gouffre aux chimères est une satire dévastatrice du journalisme à sensation. » 10 Lors des funérailles de Lubitsch, décédé précocement à l’âge de 55 ans, Wilder était parmi ceux qui portaient le cercueil. À l’issue de la cérémonie, il se tourna vers William Wyler, un des nombreux cinéastes présents : « Eh bien, lâcha-t-il, plus de Lubitsch. » « Pire que cela, répondit Wyler, plus de films de Lubitsch. » Lorsque lui-même mourut, bien plus vieux, sa carrière s’était arrêtée depuis très longtemps, faute de producteur prêt à financer ses films. Ceux qu’il nous a laissés continuent de nous éblouir et demeurent une source d’inspiration pour les réalisateurs d’aujourd’hui.
— Michel André, philosophe de formation, a travaillé sur la politique de recherche et de culture scientifique au niveau international. Né et vivant en Belgique, il a publié Le Cinquantième Parallèle. Petits essais sur les choses de l’esprit (L’Harmattan, 2008). — Cet article a été écrit pour Books.
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Sous l’abribus en verre d’un petit bourg, une jeune fille attend. C’est Sofie. Aucun véhicule ni être humain à la ronde. Des oiseaux peints sur la surface vitrée de l’arrêt de bus semblent tournoyer au-dessus de sa tête coiffée d’un chapeau. Cette première image donne le tempo : celui-ci sera lent, voire lentissimo. Nous sommes d’emblée plongés dans un état contemplatif, dans l’engourdissement moelleux d’un rêve éveillé. Nous découvrons pas à pas l’environnement de Sofie : une ancienne ferme, avec des airs de château ou de théâtre, où le temps s’est arrêté il y a deux ou trois siècles. Dans un encombrement savamment orchestré de meubles en bois sombre, de tableaux et d’objets travaillés par la patine, l’héroïne vit sa vie. Elle observe l’abdomen d’un scarabée, se repose dans le foin, traîne avec les amis de son frère Henny, se confectionne une robe de mariée avec un rideau de tulle.
Meeting Sofie est le premier livre de la Germano-Russe Snezhana von Büdingen-Dyba, issu d’une série de photographies multiprimée. Née à Perm, grande métropole de l’Oural, la photographe arrive en Allemagne en 2008, à l’âge de 23 ans, pour étudier la communication et le marketing. Mais elle se découvre rapidement une attirance pour l’image et entame une formation de portraitiste à la Fotoakademie de Cologne. Snezhana von Büdingen-Dyba réalise son premier projet photographique dans un village de l’oblast de Vladimir, non loin de Moscou, où vient de s’éteindre sa grand-mère. Reportage intime sur un lieu cher à son cœur depuis l’enfance, qui se meurt. Suivent d’autres projets, toujours autour de thèmes qui la touchent au plus profond. Pour Khrushchevka, elle est revenue dans la ville de Perm documenter les immeubles décrépits de l’ère soviétique et leurs habitants livrés à leur sort. Citons aussi la série de portraits intitulée Mother, née d’une séance de photos avec la mère d’un garçon porteur de trisomie 21, dont le témoignage l’émeut. Par ce travail visuel, la photographe cherche à changer le regard des gens sur les enfants touchés par cette anomalie chromosomique congénitale et à les sensibiliser aux mécaniques de l’exclusion.
Parmi les personnes qui la contactent à la suite d’un message diffusé sur les réseaux sociaux figure Barbara, la mère de Sofie. Elle tient beaucoup à participer au projet avec sa fille, mais, ne pouvant se déplacer jusqu’au studio, invite la photographe dans sa ferme, près de Leipzig.
La première visite de trois jours dans la famille de Sofie, en octobre 2017, est un déclic. Baignée d’une splendide lumière naturelle, la propriété du couple – elle est styliste, lui, antiquaire – est un décor rêvé. Le contact avec Sofie est aisé, et les premières prises de vue donnent lieu, entre autres, au magnifique portrait d’elle serrant un coq dans ses bras et à celui de Barbara et Sofie, toutes deux en longues chemises de nuit blanches. La jeune fille adore ses photos, les accroche aux murs de sa chambre. Au cours des quatre années qui suivent, Büdingen-Dyba rend visite à la famille de Sofie tous les mois. Elle délaisse le numérique et travaille avec des appareils argentiques moyen format, un Mamiya 7 et un Hasselblad 500 C/M. « Pour moi, c’est le sujet qui définit le choix de l’appareil », confie-t-elle. Sofie reste longtemps pensive, permettant à la photographe de guetter les microchangements dans le cadre ainsi que ses états émotionnels.
À travers ces images parfois oniriques, parfois rappelant la peinture hollandaise ou des instantanés plus ancrés dans le quotidien, l’auteure documente les premiers émois amoureux de son héroïne, la tristesse qui suit la rupture, son grand besoin d’être au contact d’autres personnes, sa volonté d’être une jeune femme moderne et sûre d’elle. Le livre se clôt sur une autre image de Sofie à l’arrêt de bus, qui attend. La photographe, elle, compte l’accompagner avec son appareil au fil des années, tant que Sofie en manifestera l’envie.
Les Enfants des riches est un livre hybride, à la croisée du documentaire, de la fiction, de l’enquête et du roman psychologique. Il s’agit d’une commande d’une maison d’édition taïwanaise qui assure l’exploitation d’une œuvre sous toutes ses formes, notamment sous celle de la série ; d’où une intrigue efficace et riche en rebondissements. Dans la revue « Opinions indépendantes », Lin Wei-yün se demande si elle n’aurait pas préféré que « le rythme soit moins rapide, les personnages moins nombreux et l’intrigue moins touffue ». Pas forcément, poursuit-elle, car c’est aussi le moyen pour l’auteure d’aborder des sujets de société : la manière dont l’éducation devient un marché plus concurrentiel que celui du travail, la place des femmes (surtout des mères) dans un environnement toujours marqué par le patriarcat, la course à l’enrichissement… Chen Yunxian, l’héroïne, jongle avec ses rôles de femme active, d’épouse et de mère sans parvenir au résultat escompté. La lucidité qu’elle acquiert lui permet d’identifier les mécanismes dont elle est victime, sans que cela suffise à l’absoudre entièrement. « J’assume et je continuerai à assumer la responsabilité pleine et entière de toute cette histoire » : un constat révélateur du chemin qu’il lui reste à parcourir, à elle et à la société tout entière.
Le déterminisme géographique a certes ses limites, mais, quand on considère la Méditerranée, difficile de ne pas y croire au moins un tout petit peu. Voilà une mer unique au monde avec une histoire unique au monde. Dans la somme qu’il lui consacre, David Abulafia, professeur à Cambridge, a beau tenter de se démarquer de l’inévitable modèle qu’est l’ouvrage culte (et fortement déterministe) de Fernand Braudel et insister sur la dimension « humaine » de son histoire et donc sa part de contingence, il reconnaît lui-même que la Méditerranée est « probablement le lieu d’interaction le plus vigoureux entre différentes sociétés à la surface de cette planète ». Et on voit mal comment le flot d’événements aussi décisifs que spectaculaires qu’il retrace aurait pu se produire ailleurs que sur les pourtours de cette mer assez vaste pour permettre à plusieurs civilisations bien distinctes de s’épanouir, mais aussi assez étroite pour faciliter les échanges entre elles.
À partir du iie millénaire avant notre ère, la Méditerranée, supplantant les vieilles civilisations fluviales de Mésopotamie et d’Égypte, devient le moteur du progrès humain : les Crétois développent des bateaux fiables, les Phéniciens inventent l’alphabet, les Grecs le perfectionnent… « Au fil du temps, la navigation a créé un immense réseau international de commerce de céréales, de minéraux, de bois et de marchandises qui s’étendait de la Syrie à Cadix », relate Tim Whitmarsh dans The Guardian. Abulafia brasse une quantité impressionnante de faits, de personnages, de données. L’un des grands mérites de son livre est d’éviter un trop grand déséquilibre au détriment des périodes plus anciennes. Un sommet en un sens indépassable est atteint assez vite, dès le Ier siècle avant notre ère, quand les Romains, pour l’unique fois dans l’histoire de la Méditerranée, la rassemble tout entière sous une même autorité politique.
Si la Corse n’est guère mentionnée, la Sicile peut prétendre au statut de « vedette incontestée » de l’ouvrage, note Tom Holland dans un autre article du Guardian. Et pour cause, sa position centrale en a fait, « jusqu’à sa relative paupérisation au XVIIIe siècle, la région la plus précieuse de toute la Méditerranée ». D’où quelques récurrences frappantes : « C’est au large de la Sicile que la puissance navale carthaginoise a été brisée à jamais par la marine de Rome, que les Ottomans ont été repoussés par les chevaliers de l’ordre de Saint-Jean et que les forces aériennes de l’Axe se sont heurtées sans succès au rocher de Malte. »
Reste que tout, bien sûr, n’est pas déterminisme. Dans TheTelegraph, Jonathan Keates en veut pour preuve Alexandrie, l’une des villes les plus brillantes et importantes à avoir jamais bordé la Méditerranée : « Quel avantage Alexandre le Grand a-t-il tiré de l’implantation, à l’ouest du delta du Nil, d’une métropole projetée sur un étroit éperon calcaire au-dessus d’une étendue de mer notoirement dangereuse ? Alexandrie, qui allait unir le commerce grec de l’huile, du vin et des éponges à celui de l’ivoire et des épices dans l’océan Indien, n’a eu d’autre origine qu’un rêve fait par le conquérant macédonien : il y voyait Homère en personne lui citer un passage de L’Odyssée évoquant la fondation d’une ville sur une île égyptienne. »
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On croit connaître les Vikings. C’est une illusion. Comme tous les peuples sans écriture ou presque (face aux chroniques carolingiennes ou anglaises, les fameuses inscriptions runiques sont bien peu de chose), ce qui nous a été transmis l’a été, pour l’essentiel, par leurs ennemis et victimes. Dès que les peuples scandinaves eurent acquis une écriture commune digne de ce nom, par définition, ils cessèrent d’être des Vikings : ils quittèrent cette zone trouble et dangereuse (surtout pour leurs voisins) qui avait été, avant eux, celle des Celtes, puis des Germains, à la lisière des peuples plus avancés sans en être tout à fait eux-mêmes, et entrèrent résolument dans la civilisation.
L’un des grands mérites de l’ouvrage de Neil Price est de tenter de reconstituer la manière dont pensaient et sentaient les Vikings, de dire quelque chose de leur énigmatique rapport au monde. Pour ce faire, il dispose d’un atout de poids : l’archéologie. Il a passé plusieurs décennies à mener des fouilles (notamment dans les fosses d’aisance). Bien entendu, le résultat ne peut qu’être limité. Comme le note le spécialiste de la littérature médiévale Tom Shippey dans la London Review of Books, « plus nous en savons sur les Vikings, plus il devient difficile d’affirmer quoi que ce soit de certain à leur sujet. Cela s’applique en particulier au domaine pour lequel nous avons le plus de données archéologiques – les pratiques funéraires ». Impossible d’y dégager aucune règle : les Vikings pratiquaient l’inhumation comme l’incinération, l’enterrement dans des bateaux comme sous des tumulus… Et comment interpréter certains de leurs rituels les plus spectaculaires ? « Enterrer quelqu’un avec deux chevaux pourrait être une sorte d’hommage, mais pourquoi couper les chevaux en deux et intervertir ensuite les moitiés ? » interroge Shippey. Neil Price évite les spéculations hasardeuses : il se contente de constater les limites de ce qu’il est possible de dire. On ne saurait par exemple, reconnaît-il, déduire un système de croyances des mythes nordiques.
Il est d’autres questions, en revanche, auxquelles l’archéologue peut apporter des réponses plus satisfaisantes, et l’une d’elles est le fascinant mystère des origines du phénomène viking.
Pour l’expliquer, Price remonte loin, aux cataclysmiques éruptions volcaniques de 536, 539-540 et peut-être 547. « La seconde, qui a pris naissance à Ilopango, dans l’actuel Salvador, a projeté dans l’atmosphère environ 90 km3 de poussière, de cendres et d’aérosols, rapporte Tom Shippey. Le monde entier a souffert, mais la Scandinavie, avec sa brève saison agricole et son agriculture, par ailleurs souvent marginale, a été la plus touchée. On estime que la moitié de la population est morte de faim. Au cœur de la mythologie nordique se trouve le Fimbulvetr, trois hivers sans été. » À l’origine de ce mythe, un événement peut-être donc bien réel, et qui bouleversa la société scandinave : « La famine pourrait bien avoir renforcé les élites militarisées post-romaines qui ont laissé leur empreinte dans les tumulus géants et les sépultures de bateaux d’Uppsala et de Valsgärde, ainsi que dans l’énorme salle en bois de Borg, en Norvège, qui, avec ses 270 pieds de long [environ 80 mètres], est aussi grande qu’une cathédrale. » Il semble aussi y avoir eu à un moment donné pénurie de femmes : les puissants pratiquaient la polygynie, tandis que les filles, étant moins bien traitées que les garçons, mouraient davantage (l’étude des squelettes a montré que si environ 7 % des hommes ont souffert de malnutrition dans leur enfance, pour les femmes la proportion montait à 37 %). « Le monopole des élites et les taux de survie différentiels ont dû créer une sous-classe de ce que nous appellerions aujourd’hui des “incels” [involuntary celibates, des célibataires involontaires], de jeunes hommes mécontents, en colère, désespérés et faciles à recruter. »
Dans de telles conditions, il ne manquait plus que l’occasion de laisser s’exprimer ces énergies frustrées. Même si les raids vikings ont commencé plus tôt qu’on l’a longtemps cru (non pas avec l’attaque contre le monastère anglais de Lindisfarne en 793, mais sans doute à l’est, contre les Baltes), l’élément déclencheur fondamental fut l’éclatement de l’Empire carolingien et la guerre civile entre les petits-fils de Charlemagne, qui créa comme un immense appel d’air pour les pilleurs de tous horizons (non seulement scandinaves, mais aussi arabes et hongrois).
Price a calculé que, sur un siècle, les Vikings sont parvenus à extraire 14 % de la production totale de l’Empire. L’Occident ne fut pas leur unique victime : on a découvert en tout plus de 1 million de dirhams d’argent en Scandinavie ou sur les bords de la Baltique. C’est six fois plus que dans l’Orient arabe.
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Un an après la parution de « Une blessure », un roman-poème dans lequel la narratrice explorait sa relation avec sa mère [voir Books n° 118, mars/avril 2022], Oksana Vassiakina publie « La steppe », un texte consacré au lien paternel. Si les deux livres empruntent la forme d’un récit de voyage, ils diffèrent sur plus d’un point. Dans le premier, l’héroïne transportait les cendres de sa mère, emportée par un cancer, jusqu’à une lointaine bourgade de Sibérie ; c’était un périple-remémoration, émaillé de réflexions sur la féminité, la sexualité et la mort. « La steppe » fait davantage penser à un road-movie : absent durant dix années, le père chauffeur routier décide de faire découvrir à sa fille les trajets qu’il effectue habituellement pour livrer ses cargaisons. Pendant plusieurs semaines, ils sillonnent les étendues de la steppe russe à bord de son poids lourd. Dans le huis clos de l’habitacle, la narratrice observe son père, questionne le lien de parenté qui les lie. Elle lui ressemble, physiquement et par son caractère, pourtant l’homme à ses côtés lui semble être « un parfait inconnu ». Vassiakina livre un portrait sensible et sans concession de ce quadragénaire vieilli prématurément, tel un arbre frappé par la foudre. Son épiderme est criblé de cicatrices et imprégné de diesel ; ses vêtements sont marqués de circonvolutions blanches laissées par la sueur ; son quotidien nomade est d’un dénuement extrême. Et la narratrice de dévoiler par bribes de souvenirs le passé sombre de cet homme qui a œuvré au sein d’une bande criminelle et fait de la prison. On découvre que c’est un homme violent, y compris avec ses proches. Ainsi, apprenant l’infidélité de sa compagne, il la brutalise, avant de lui ordonner de laver le sang répandu sur le sol. Ancien héroïnomane, il succombera finalement au sida, faute d’une prise en charge appropriée, mais aussi par simple négligence.
À travers la figure de ce père transparaît tout un pan de la société post-soviétique, où la culture carcérale reste très prégnante. Comme Vassiakina l’explique dans une interview au site Glasnaya, elle s’est documentée sur l’histoire du crime organisé, a réécouté les chansons populaires et revu les séries télévisées qui exaltent l’univers de la pègre. « C’est un livre sur la Russie, contaminée par le mythe de la masculinité dans lequel le pays reste figé. À sa lecture, on ressent un malaise tant “La steppe” résonne avec l’actualité », réagit Elizaveta Podkolzina dans son podcast Polka, consacré aux livres (le roman a été envoyé chez l’imprimeur le 24 février, le jour où l’armée russe a attaqué l’Ukraine). Pour Edouard Loukoïanov, du site Gorky, ce récit pourtant très intime reflète en réalité un dysfonctionnement au niveau collectif, puisque « l’intégrité de la société repose sur la coercition, qu’il s’agisse de la subordination répressive au sein de l’armée, de l’ordre dicté par la mafia ou encore des rapports marchands mortifères ». Dans le magazine en ligne Aficha, Andreï Miagkov admire le « regard affûté » de Vassiakina, capable de dénicher « une foule de détails », et salue sa prose aussi maîtrisée et alléchante qu’« une pâte bien levée ».
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Le 21 octobre 1966, à Aberfan, petit village du pays de Galles, se produit un des pires accidents miniers de l’histoire britannique. Le terril qui surplombe la localité subit un glissement de terrain. En quelques minutes, une école et dix-huit maisons sont ensevelies sous une gigantesque coulée de boue et de gravats. 144 personnes meurent, parmi lesquelles 116 enfants. Alors qu’ambulances, engins de terrassement et journalistes affluent à Aberfan, un certain John Barker, psychiatre à l’hôpital Shelton, près de Shrewsbury, arrive également sur les lieux. C’est un personnage excentrique qui s’intéresse aux troubles mentaux inhabituels et à l’effet nocebo (l’inverse du placebo, l’effet néfaste d’une substance inerte). Sur place, Barker relève plusieurs incidents étranges : les familles endeuillées évoquent les rêves et les pressentiments funestes de leurs enfants peu avant l’effondrement du terril. Le psychiatre décide d’élargir son champ de recherche et de recueillir d’autres prophéties liées à la catastrophe d’Aberfan. Il sollicite Peter Fairley, correspondant scientifique du quotidien Evening Standard, qui publie un appel à témoignages dans sa rubrique, le 28 octobre. Barker reçoit 76 réponses, dont sept particulièrement troublantes. Parmi celles-ci, la lettre de Kathleen Lorna Middleton, qui affirme s’être réveillée haletante le jour de l’accident avec l’impression que « les murs s’effondraient ». Enthousiaste, Barker avance alors l’hypothèse d’un « syndrome pré-catastrophe » touchant une infime frange de la population. En collectant leurs avertissements, il compte être en mesure de prédire les désastres à venir. Le duo parvient à persuader le rédacteur en chef du Evening Standard de créer le Bureau des prémonitions, dans lequel des opérateurs enregistreront les alertes. Le 4 janvier 1967, c’est chose faite.
Relatée d’abord dans un long article du New Yorker par le journaliste Sam Knight, l’histoire du Bureau des prémonitions a finalement donné lieu à un livre, paru en mai dans les librairies britanniques et américaines. « C’est un récit efficace et truculent, qui met en scène une galerie de personnages plus étranges les uns que les autres, une série de coïncidences troublantes et quelques catastrophes anticipées », résume The New Statesman. Le potentiel cinématographique du livre n’a pas échappé à Amazon Studios, qui en a acheté les droits. La fin de l’expérimentation n’a d’ailleurs rien à envier à un scénario de film bien ficelé. Deux voyants « stars », Middleton et Hencher, se mettent à prédire de façon insistante la mort du psychiatre. Le 18 août 1968, Barker est victime d’une hémorragie cérébrale et décède peu après à l’hôpital, à 44 ans.
Hannah Koppelman est la dernière des cinq enfants d’une famille juive polonaise immigrée au Danemark. Elle grandit à Copenhague où son père est tailleur. Dans les années précédant la Seconde Guerre mondiale, ses quatre frères, tous doués pour la musique, aspirent à s’intégrer à la société danoise. Ils épousent des femmes du cru, contre l’avis de leur mère, qui va alors tout faire pour qu’Hannah, elle, perpétue les traditions juives. Quitte à ce qu’elle doive renoncer à sa passion, le piano, et à Aksel, le jeune communiste danois qu’elle aime. Après son exil vers la Suède fin 1943, avec près de 7 000 autres juifs danois, Hannah prend la route de Paris où l’attend ce futur époux dont elle ne veut pas. « Annas Sang est un roman impressionnant, dans la tradition classique, sur la vie d’une femme sacrifiée pour sa famille », juge le quotidien danois Information. « De nombreux fils s’entrelacent pour composer l’intrigue d’un récit à la fois grave et drôle, à la trame riche en nuances », estime Politiken. L’histoire est ouvertement inspirée de la vie d’une grand-tante de l’auteur, Benjamin Koppel, saxophoniste de jazz, dont c’est le premier roman. L’ouvrage « constitue aussi un aperçu d’une famille de grands musiciens danois, les Koppel, qui ont contribué à la vie culturelle » du royaume scandinave, se félicite le site Litteratursiden.dk.
« Mes ancêtres étaient nazis. J’essaie d’y faire face en écrivant. » Le tabou de l’expulsion des Allemands des Sudètes avait déjà volé en éclats dans la littérature tchèque, mais Alice Horáčková est allée plus loin, comme elle l’explique sur le site Aktuálně.cz : c’est à sa propre histoire qu’elle s’attaque dans son best-seller « Une maison divisée », celle d’une famille tchéco-allemande déchirée par l’histoire des Sudètes (cohabitation entre Allemands et Tchèques, montée en puissance des pronazis et expulsion d’environ 2 millions d’Allemands à l’issue de la guerre). Depuis 1945, la famille de Horáčková est donc coupée en deux – une partie expulsée en Allemagne, l’autre restée dans les monts des Géants –, et la guerre a été effacée de la mémoire familiale. Alors pour faire un sort aux non-dits, l’écrivaine a interrogé les survivants, fouillé dans les archives. Elle a découvert, par exemple, que son arrière-grand-père a fini nazi ; ou que le frère de celui-ci était proche de Heydrich. Mais cela en valait la peine, assure Vogue, qui applaudit « un grand roman familial ». Lequel « se lit en un souffle, dit à iRozhlas l’écrivain Jaroslav Rudiš. Dans les monts des Géants, on parlait allemand et tchèque, les destins familiaux s’entremêlaient. Et tout cela se ressent dans ce livre extraordinaire ».
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