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Acteur en perte de vitesse après la Seconde Guerre mondiale, Ronald Reagan se maintint à Hollywood en se faisant élire six fois de suite à la présidence du syndicat des acteurs. Il s’engagea à fond dans le maccarthysme, mensonges complotistes à la clef. Il alimenta la liste noire des acteurs soupçonnés plus souvent à tort qu’à raison de sympathies pour le communisme. « Son peu d’égard pour la vérité devint sa marque de fabrique », écrit le journaliste politique Jacob Weisberg en commentant la biographie de son collègue Max Boot dans la New York Review of Books. Reagan aiguisa ensuite sa rhétorique pendant une dizaine d’années comme porte-parole de General Electric, révélant au passage une déroutante inculture. Il nourrissait ses discours de fausses citations véhiculées par un organisme ultraconservateur, évoquant sans se lasser « les dix commandements de Nicolas Lénine ». Ledit « Nicolas » était censé, par exemple, avoir dit : « Ce serait sans importance si les trois quarts de la race humaine périssaient, pourvu que le quart restant soit communiste ». Reagan s’y référa encore deux ans après son élection à la présidence, dans une conférence de presse tenue en 1983.  

Coutumier de plaisanteries racistes, il s’éleva contre la loi sur les droits civiques de 1964. Mais tout l’intérêt de cette biographie que Weisberg qualifie de « définitive » est de montrer comment l’exercice du pouvoir a peu à peu converti cette âme simple à un « pragmatisme » fondé sur une réelle intelligence des situations et une ouverture à l’égard des opinions contraires aux siennes. Il a pesté contre les universités publiques et doublé leur budget. Il a dénoncé les réglementations pro-environnement et fait adopter diverses mesures protectrices, dont un sévère encadrement des émissions polluantes. Il a vilipendé l’excès d’impôts et les a augmentés. Il a légalisé l’avortement en Californie avant que la Cour suprême emboîte le pas. Il a entériné les mesures d’amnistie en faveur des migrants sans papiers. Ce fieffé maccartiste est devenu une sorte d’anti-Trump avant la lettre, ce qui lui vaut aujourd’hui l’affection rétrospective des démocrates.  

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Est-ce un cliché de penser que la traite des Noirs a joué un rôle important dans l’essor du capitalisme ? C’est le point de vue défendu par l’historien américain David Eltis. S’appuyant sur l’exceptionnelle base de données Slave Voyages, qu’il a contribué à constituer, il commence par s’attaquer à un mythe, celui d’après lequel la traite des Noirs opérée par les « Anglo-Américains » ait joué le rôle principal. Le gros de la traite s’est fait à partir du Brésil. Trois des plus gros centres du commerce des esclaves étaient au Brésil. Les bateaux portugais et brésiliens allaient chercher les Noirs par la voie la plus courte, qui était la partie de l’Afrique située dans l’hémisphère Sud. Au total, les esclaves qui ont survécu à la traversée ont été dix-sept fois plus nombreux au Brésil qu’aux États-Unis et cinq fois plus nombreux qu’à la Jamaïque. Portugais et Brésiliens ne construisaient pas des navires spécialement conçus pour ce trafic ; n’importe quel bateau pouvait être aménagé en ce sens. 

Jusque-là, la démonstration d’Eltis est impeccable, estime le Canadien Padraic X. Scanlan dans le Times Literary Supplement. Mais Eltis va plus loin. Il pense que la traite des Noirs a joué un rôle négligeable dans l’émergence du capitalisme. Pour lui, les interventions des Britanniques, des Français et d’autres puissances du nord de l’Europe n’ont constitué que des « incursions » dans le commerce transatlantique lusophone, qui était de nature précapitaliste. Il juge en outre que la traite des Noirs, que ce soit en Atlantique Nord ou en Atlantique Sud, n’a pas exercé d’effet significatif sur la croissance économique. Pour étayer ce point de vue, il fait valoir que l’or, l’argent et les marchandises convoyés du Brésil vers le Portugal ont rapporté bien plus que le sucre des Caraïbes. Ce faisant, il s’oppose de manière souvent contestable au consensus établi par la plupart des historiens, estime Scanlan.

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En 1967, un groupe d’intellectuels anti-guerre du Vietnam monte un canular : une mystérieuse officine gouvernementale, le Special Study Group, aurait produit un rapport, le Iron Mountain Report, dénonçant les conséquences d’une paix prolongée pour l’économie américaine (faillites en série au sein du « complexe militaro-industriel »), mais aussi pour la société tout entière (sans la ponction régulière d’une guerre les jeunes pulluleraient, poussant leurs aînés au rancart et flanquant un bazar universel). Ces intellectuels, le journaliste Victor Navasky et ses acolytes, dont l’écrivain Doctorow et même J. K. Galbraith, confient à un écrivain sur la touche, Leonard Lewin, le soin de raconter l’histoire dans un livre. Mais Lewin juge plus percutant d’écrire carrément un faux rapport qu’il publie comme un document fuité. Stupeur générale, panique à Washington (s’agirait-il encore d’un délire de l’administration Kennedy ?), et phénoménal succès dans les librairies. Pourtant, même si la mystification est mieux que bien orchestrée – le rapport, que crédibilisent des myriades de notes et de références irrécusables, parodie à la perfection le plat jargon d’experts étalant froidement des énormités cyniques –, tout le monde ne tombe pas dans le panneau, bien que Lewin multiplie les confirmations alambiquées. L’administration Johnson ne trouve aucune trace du SSG ; quant au bunker de l’Iron Mountain, s’il existe bel et bien, à 200 kilomètres de New York, c’est en fait un abri antiatomique de luxe pour VIP du capitalisme. Mais voilà : beaucoup de gens pensent que beaucoup d’autres gens pensent en effet que « la guerre est le meilleur stabilisateur économique des sociétés modernes […] et un outil indispensable pour contrôler les tentatives anti-sociales destructives », comme dit le rapport. Après tout, Reagan, McNamara, et d’autres (même Churchill) ont tenu des propos ambigus sur les mérites de l’état de guerre, économiquement mais aussi politiquement et psychologiquement. L’essentiel, pour les auteurs du canular, c’est que leur message (« l’insanité de l’intervention au Vietnam et de la guerre froide », résume la rédactrice en chef de The Guardian, Katharine Viner) ait été reçu 5 sur 5. Le rapport n’est pas vrai – Lewin a fini par le reconnaître en 1972 – mais il est, hélas !, tout à fait vraisemblable. D’ailleurs, la réalité des « Pentagon Papers » fera bientôt pâlir – en cynisme, amoralisme et mensonges – la fiction produite par Lewin. Ce qui n’avait pas été prévu, en revanche, c’est que le faux/vrai rapport « a été si formidablement concocté qu’il va être érigé en “preuve” que revendiqueraient une floppée de théoriciens complotistes », écrit encore Katharine Viner. Ce n’est bien sûr pas la première fois qu’en politique un faux document à visée satirique a de lourdes et inattendues conséquences. Mais le parcours de l’ouvrage de Lewin laisse pantois. Ayant commencé sa première vie à gauche, il va être réimprimé sans autorisation et entamer à la droite de la droite une seconde vie, que Phil Tinline, auteur du « livre sur le livre », détaille avec minutie. Il a bien du mérite, car les lignes idéologiques, écologiques, économiques, politiques s’entremêlent à l’infini. Ainsi la défiance initialement ancrée à gauche envers un « Deep State » omnipotent et mal intentionné (qui se serait notamment débarrassé d’un Kennedy pas assez va-t-en-guerre) sera récupérée, avec une bonne dose d’antisémitisme en plus, par les milices et extrémistes de tout poil à l’autre bout du spectre. Hélas pour Navasky, Lewin et complices, « ils ont bel et bien donné naissance à une théorie conspirationniste increvable et multiforme qui peut conforter les fantasmes les plus dingues sur les méfaits des élites », écrit Phil Tinline. Dans ce maelstrom, la notion de véracité s’estompe. Mais à l’ère du « bullshit » (c’est-à-dire, selon le philosophe Harry Frankfurt, « non pas le rejet de la vérité – juste une souveraine indifférence à son égard ») – qu’importe ?

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On ne sait pas à quoi ressemblait Jésus car aucun Évangile n’en donne une description physique. Aucun des Évangiles n’a d’ailleurs été rédigé de son vivant – mais seulement quarante ou soixante ans après sa crucifixion. De surcroît, aucun d’eux n’est attribuable à un auteur identifiable. Ce sont des écrits anonymes rédigés en grec, une langue que l’entourage du rabbin ne pratiquait pas. Le mot Christ était en usage pour désigner un dirigeant militaire ou religieux. Voilà quelques-uns des faits historiques que l’on apprend ou qui se voient confirmés par Elaine Pagels, spécialiste américaine des débuts du christianisme (deux de ses livres ont été traduits en français). Quant à Paul, seules sept de ses lettres sont considérées comme authentiques, et elles ont été écrites quinze ou vingt ans après la crucifixion. Paul n’a jamais rencontré Jésus. Il ne dit pas sa naissance d’une vierge, mythe religieux courant à l’époque hellénistique (Romulus lui-même, le fondateur de Rome, était censé être né d’une vierge). Les cures miraculeuses du genre de celles pratiquées par Jésus étaient monnaie courante dans l’Antiquité. Idem pour les résurrections et les tombeaux vides. 

En rendant compte du nouveau livre d’Elaine Pagels dans le New Yorker, Adam Gopnik en profite pour évoquer d’autres ouvrages de spécialistes parus ces dernières années sur la question de l’historicité de Jésus et de son itinéraire, question déjà explorée voici un siècle et demi par Renan. Pagels ne va pas jusqu’à nier l’existence même du Christ, comme le fait par exemple le chercheur indépendant et très médiatique Richard Carrier (On the Historicity of Jesus, 2014). Les contradictions et incohérences des textes fondateurs « ne sont pas des aberrations qu’il s’agirait d’expliquer, écrit Gopnik, mais des signes de la puissance de la foi. Les miracles sont des miracles parce qu’ils sont une source d’émerveillement. »L’essentiel est que le message de cette nouvelle religion « a introduit une manière de penser sur le pouvoir et la souffrance sans réel précédent dans le monde ancien ».

[post_title] => Jésus a-t-il existé ? Mais qu’importe ? [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => jesus-a-t-il-existe-mais-quimporte [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-05-01 17:34:43 [post_modified_gmt] => 2025-05-01 17:34:43 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=131848 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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C’est en 1840 que le terme « scientifique » apparaît pour la première fois, sous la plume de l’esprit universel William Whewell. À partir du milieu du XIXe siècle, dans le prolongement de l’âge des Lumières et en liaison avec la révolution industrielle, l’histoire de la science devient aussi celle de son institutionnalisation et de sa professionnalisation. Ce double processus est directement lié au développement de l’économie capitaliste et à l’essor des États-nations. Il va de pair avec une implication de plus en plus active des gouvernements et de l’industrie dans la recherche scientifique, avec des résultats variables et changeants selon les pays. À la fin du XIXe siècle, c’est l’Allemagne qui domine la scène européenne, du fait du dynamisme de son industrie (chimique, métallurgique, optique, électrique) et du rôle de personnalités comme Justus von Liebig, un des fondateurs de la chimie organique. Dans son livre El poder de la ciencia, José Manuel Sánchez Ron attribue le retard relatif de l’Angleterre à cette époque, en dépit de la qualité de ses savants (James Clerk Maxwell, Michael Faraday, Lord Kelvin) et de son statut de première puissance industrielle du monde, au poids et aux contraintes de l’administration de l’Empire et au conservatisme des institutions d’enseignement. Il explique la perte d’influence de la France après l’âge d’or qu’a été de ce point de vue la période napoléonienne (avec Laplace, Monge, Arago, Berthollet, Chaptal, Joseph Fourier) par la centralisation excessive du système universitaire. À ce moment de l’Histoire, les États-Unis commencent seulement à exister sur la scène scientifique. Dans ce pays, « la période qui va de la création de la National Academy of Sciences [1863] au début de la Première Guerre mondiale en 1914, peut être décrite comme une période de croissance modérée [...] sans appui important de fonds publics et sans aucun type de planification fédérale ». L’évolution du système de production des connaissances a démarré avec les sciences physico-chimiques. Mais les décennies qui ont précédé la Première Guerre mondiale virent aussi la création de la médecine scientifique et expérimentale, avec Claude Bernard, puis l’essor de la théorie microbienne de Louis Pasteur et Robert Koch, avec pour conséquence la mise en œuvre des premières politiques de santé et d’hygiène.

Comme toutes les formes de connaissance, la science est source de pouvoir ; elle peut aussi être mise au service du pouvoir politique, militaire ou économique. Le pouvoir, d’un autre côté, peut encourager, soutenir et organiser le progrès scientifique, chercher à l’orienter, tenter de le contraindre ou de l’empêcher. L’histoire des sciences et celle du pouvoir sous ses formes variées sont inextricablement imbriquées.

Cette imbrication est au cœur de El poder de la ciencia, dont une troisième édition  augmentée est récemment parueTel qu’il est évoqué dans le sous-titre (« Histoire sociale, politique et économique de la science »), l’objectif est de mettre en lumière à la fois la manière dont la science et la technologie ont façonné la société contemporaine et le jeu complexe d’interactions entre le pouvoir de la science et les autres formes de pouvoir. Pour cette raison, l’auteur avoue qu’au lieu de El poder de la ciencia, réflexion faite, il aurait mieux fait de donner à son livre le titre Poder y ciencia (« Le pouvoir et la science »), qui reflète plus fidèlement son contenu. Long de près de 1200 pages, contenant des centaines de noms, de dates et de références, l’ouvrage est organisé selon un ordre à la fois chronologique et thématique. Il traite de nombreux sujets, mais les rapports du pouvoir politique et de la science, plus particulièrement sous la forme de ses utilisations militaires, y occupent une place centrale.  

On dit souvent de la Première Guerre mondiale qu’elle fut la première guerre de l’ère industrielle. Elle est aussi la première dans laquelle la science a été mise à contribution à grande échelle. Dès son éclatement, tous les belligérants mobilisèrent leurs capacités dans ce domaine au service de la victoire. Le résultat le plus connu de ces efforts est la mise au point de la première génération de gaz de combat : dichlore, phosgène, gaz moutarde. Ils furent produits en grande quantité et, sans qu’on puisse leur attribuer un rôle décisif, régulièrement utilisés sur le front par toutes les armées en présence, l’armée allemande avec une efficacité particulière. Il faut aussi mentionner les travaux menés par les savants français, anglais et américains pour développer des systèmes de détection acoustique des sous-marins. 

Mais le conflit ralentit l’internationalisation de la science qui s’était amorcée à la fin du XIXsiècle. Les liens qui avaient été établis furent circonscrits aux pays victorieux et à leurs alliés, à la contrariété des scientifiques allemands, blessés dans leur orgueil. C’est ce que montre cette déclaration de Fritz Haber, inventeur du procédé de synthèse de l’ammoniac, utilisé pour la fabrication d’engrais azotés, mais aussi d’explosifs, et artisan de la guerre chimique : « Nous savons parfaitement que nous avons perdu la guerre et que nous ne pouvons prétendre à la direction du monde en termes  politiques et économiques. Mais, sur le plan scientifique, nous figurons parmi les [...] principales nations. »

En dépit de l’inflation galopante et de la montée de courants de pensée irrationalistes, grâce au soutien de l’industrie du pays et d’institutions comme la fondation Rockefeller américaine, la science allemande se maintint sous la République de Weimar. Mais l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler et la mise en œuvre des politiques de déjudaïsation lui portèrent un coup fatal. De 1933 à 1945, dix lauréats ou futurs lauréats du prix Nobel de physique (dont Albert Einstein, Max Born et Hans Bethe), quatre de celui de chimie  (dont Fritz Haber) et six de celui de physiologie ou médecine quittèrent le pays. La plupart d’entre eux, tout comme de nombreux savants juifs autrichiens ou hongrois (John von Neumann, Edward Teller, Leo Szilard, Eugene Wigner) s’établirent aux États-Unis, où beaucoup s’étaient déjà rendus. Tous ces réfugiés y trouvèrent des postes, certains non sans difficultés, compte tenu notamment de l’antisémitisme fréquent dans le milieu universitaire américain. 

Plus encore que la Première, la Seconde Guerre mondiale donna une impulsion décisive à la militarisation de la science. Sánchez Ron raconte en détail la gestation de l’idée d’une bombe extraordinairement puissante basée sur la réaction de fission, dont le principe avait été découvert par Lise Meitner et Otto Hahn, puis sa réalisation dans le cadre du projet Manhattan auquel contribuèrent, sous la direction de Robert Oppenheimer, à côté de Szilard, Teller et von Neumann, les physiciens Niels Bohr, Richard Feynman, Enrico Fermi, Emilio Segrè, Isidore Rabi, Ernest Lawrence et bien d’autres. Il explique aussi pour quelle raison, en dépit des efforts de Werner Heisenberg, l’Allemagne ne parvint pas à se doter en temps utile de l’arme atomique : le manque de cyclotrons, nécessaires pour la production de l’uranium enrichi et du plutonium composant le matériau explosif des bombes atomiques, le faible nombre de scientifiques mobilisés et le peu d’intérêt d’Hitler pour ce type de recherche. Dans ses Mémoires, son ministre de l’Armement Albert Speer rapporte n’avoir parlé qu’une seule fois de ce sujet avec lui.    

Il passe également en revue les multiples autres retombées scientifiques de l’effort de guerre : la mise au point du radar (« si la bombe atomique a terminé la guerre, dit-on parfois, c’est le radar qui l’a gagnée ») ; les premiers développements de l’ordinateur, sur la base des travaux d’Alan Turing et de von Neumann, pour le décryptage des codes secrets, le calcul des trajectoires de projectiles d’artillerie (« solutions de tir ») et la modélisation des explosions nucléaires ; et les technologies de propulsion spatiale, dans le prolongement des moteurs-fusées mis au point au centre de recherche dePeenemünde par Wernher von Braun, récupéré par les Américains : « Von Braun accomplit son travail aux États-Unis avec le même enthousiasme qu’en Allemagne, splendide exemple de la souplesse politique des scientifiques – malléabilité ou un terme équivalent serait peut-être plus approprié dans ce cas. » 

Durant la guerre froide, l’intérêt des autorités politiques et militaires américaines pour la recherche scientifique continua à se manifester dans de nombreux autres domaines : l’aéronautique, sous l’impulsion de l’expert en dynamique des fluides et aérodynamique Theodore von Kármán, la physique de l’état solide, avec les transistors puis les microprocesseurs, la physique des hautes énergies et des particules. 

Dans la dernière partie du livre, d’autres formes de pouvoir apparaissent au premier plan parmi les facteurs qui, à côté de la curiosité et de la volonté de connaître, guident, modèlent et déterminent le développement scientifique : les intérêts économiques et industriels, les puissantes forces du marché, les attentes et les pressions de la société. Ce sont eux qui sont largement à l’œuvre derrière les progrès spectaculaires, au cours de la dernière partie du XXe siècle, des technologies de l’information et de la communication, jusqu’aux récentes réalisations en matière d’intelligence artificielle. Derrière, aussi, l’essor des technologies médicales (par exemple d’imagerie), ainsi que les multiples applications de la génétique et de la biologie moléculaire en médecine et en agronomie,  sur la base de la découverte, en 1953, par James Watson et Francis Crick, du code génétique, dans le prolongement des idées du physicien Erwin Schrödinger et des travaux de Max Delbrück et Max Perutz. La période la plus récente voit par ailleurs surgir de nouveaux acteurs : le livre se termine par l’évocation d’une expérience sur le phénomène d’intrication quantique menée par une équipe internationale à l’aide de satellites chinois. Si une quatrième édition paraît un jour, la politique scientifique et technologique de la Chine y occupera obligatoirement une place très importante.

La science et la politique et leurs rapports ont leur logique propre mais sont aussi affaires d’hommes. On ne peut qu’être frappé par le rôle particulier joué, dans l’histoire des relations de la science et du pouvoir, par des scientifiques un peu atypiques, familiers de plusieurs disciplines et passant de l’une à l’autre, liés souvent de surcroît au monde politique : des personnalités comme von Neumann, Szilard, Oppenheimer, Vannevar Bush (créateur de la National Science Foundation), J. D. Bernal (pionnier de la cristallographie en biologie moléculaire et théoricien de la science), Norbert Wiener (fondateur de la cybernétique), Claude Shannon (père de la théorie de l’information) et de nombreux autres. 

On notera qu’il n’est pas question, dans El poder de la ciencia, de la statistique, dont la naissance et le développement sont pourtant inséparables de l’histoire politique, économique et sociale. Résolu à s’en tenir aux disciplines qu’il connaît le mieux, Sánchez Ron laisse aussi de côté l’économie, la démographie, la psychologie et la sociologie, dont les liens avec les réalités politiques et les formes de pouvoir qui leur sont associées ne sont pas moindres.L’ouvrage ne s’appuie par ailleurs sur aucune théorie particulière, philosophique, politique ou sociologique de la science et du pouvoir. Il laisse largement au lecteur le soin de forger sa vision de leurs relations sur la base des faits et des développements qu’il rapporte, avec un luxe de détails et une précision qui font de ce livre une riche source d’information. Sánchez Ron aborde son sujet en historien aimant se plonger dans les archives. En faisant entendre la voix des scientifiques eux-mêmes, les nombreux extraits de correspondance, d’écrits autobiographiques, de notes personnelles, d’articles de presse et de textes de conférences pour le grand public qu’il cite aident à rendre vivant ce gros livre touffu. 

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« L’histoire de la découverte et de la colonisation de l’Amérique est pour moitié un champ de bataille, pour l’autre un tabou, soit parce que certains veulent en faire le symbole héroïque de leur petite terre natale, soit parce que des universitaires barbants et conformistes consacrent tous leurs efforts à condamner le passé plutôt qu’à tenter de le comprendre », écrit l’historien espagnol Manuel Burón en introduction de son livre de « chroniques ». 

Dans la dernière chronique on pourra lire les lettres émouvantes que les premiers migrants aux « Indes » (les Antilles) ont envoyées à l’Espagne, leur ancienne patrie. « Il s’agit de documents irremplaçables, non seulement en raison de la manière dont ils sont écrits, dans un espagnol qui semble tiré des pages de Cervantès lui-même, mais aussi parce qu’ils nous offrent une fresque vivante des premières décennies de la vie coloniale », peut-on lire dans Zenda, le portail littéraire espagnol. Son objet est de restituer dans leur fraîcheur d’origine une demi-douzaine de chroniques rédigées par les premiers colonisateurs, dont Christophe Colomb et Hernán Cortés. « Il est impossible de les lire sans participer au moins en partie à la fascination ou l’esprit de curiosité qui les animaient. En lisant leurs témoignages, on s’invite au premier rang du spectacle de ce moment singulier où les habitants d’une petite péninsule européenne se sont aventurés dans le vaste monde pour la première fois. » Il faut lire ces chroniques pour comprendre, par exemple, pourquoi Christophe Colomb, loin de faire preuve de naïveté, avait de bonnes raisons de penser qu’en découvrant l’Amérique il allait découvrir le paradis décrit dans la Bible. Il s’agit de documents merveilleux qui, pour une raison ou une autre, ont été quelque peu ignorés », explique Burón dans un entretien publié par le journal en ligne Vozpópuli.

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Les dystopies rédigées par des scientifiques se suivent et se ressemblent, alignant les innombrables catastrophes qui nous menacent : changement climatique, robotique, nanotechnologies, intelligence artificielle, guerre nucléaire ou biologique, etc. Celle du paléontologue britannique Henry Gee ne déroge pas aux règles du genre, mais s’en distingue par la voie d’extinction qu’il privilégie : la démographie. De la bombe explosive agitée naguère par Paul Ehrlich et bien d’autres, nous voilà passés à la bombe implosive : après le pic attendu vers le deuxième tiers de ce siècle, la population mondiale ne va cesser de décliner. Ce déclin va se traduire par un émiettement des zones habitées. Ces poches d’humanité auront perdu la faculté d’innover, ne sauront pas se protéger contre les effets du changement climatique, ne trouveront plus de quoi se nourrir et, vu notre cruelle absence de diversité génétique, seront fortement exposées à la disette et aux agents pathogènes. Nous allons donc rejoindre l’immense liste des espèces disparues (99 %, depuis les origines). La seule issue qu’il entrevoit ne déplairait pas à Elon Musk : partir coloniser d’autres planètes.  

Pas très convaincant, juge le journaliste scientifique Jon Turney sur le site The Arts Desk. Lui-même auteur d’un « guide pour le futur » (The Rough Guide to the Future, 2010), il fait respectueusement observer que « l’espèce que Gee ajoute à la liste de celles menacées d’extinction est la première à avoir vu (pour autant qu’on le sache) ce qui arrive habituellement aux espèces […]. Il me paraît plausible qu’une espèce qui a une claire conscience du risque de son extinction est mieux placée que toutes celles qui l’ont précédée pour l’éviter. »

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La campagne menée par l’administration Trump contre les universitaires et les universités qui lui déplaisent va donner lieu à des débats judiciaires, lesquels vont forcément remonter un jour ou l’autre à la Cour suprême. Peut-on anticiper la manière dont celle-ci va trancher ? Éminent professeur de droit à Yale, considéré comme conservateur, Keith Whittington pose la question en examinant notamment le Stop WOKE Act voté par le parlement de Floride, qui interdit aux professeurs de l’université d’État de promouvoir certaines idées dans leurs cours. Au nombre de huit, ces idées sont associées par les trumpistes à la théorie critique de la race, explique le juriste de gauche David Cole en rendant compte du livre de son collègue dans les colonnes de la New York Review of Books. Par exemple, l’idée « qu’une personne, en vertu de sa race, de sa couleur, de son origine nationale ou de son sexe soit discriminée ou fasse l’objet d’un traitement défavorable au nom de la diversité, de l’équité ou de l’inclusion ».

Le conservateur Whittington est catégorique : il n’appartient pas au pouvoir politique de se mêler de ce que dit un professeur d’université dans ses cours, tant que ce que ses propos rentrent dans les « standards » de son magistère reconnus par la tradition. L’intervention des trumpistes dans ce domaine relève de « tentatives politiques d’empêcher le public d’entendre des idées que les politiciens au pouvoir n’apprécient pas ».

Les États-Unis ont connu semblable expérience durant la guerre froide, relève Cole, et la Cour suprême a été saisie. « Mais après avoir d’abord cautionné certaines attaques contre des universités, elle a finalement pris fermement position pour défendre la liberté académique. » Il cite un écrit significatif du Chief Justice William Rehnquist, considéré comme particulièrement conservateur, qui a occupé la présidence de la Cour suprême de 1986 à 2005 : « L’université est une sphère traditionnelle de la libre expression si fondamentale pour le fonctionnement de notre société que la faculté de l’Administration de contrôler le discours tenu au sein de cette sphère en posant des conditions à l’octroi de fonds publics est limitée par les doctrines aussi vagues qu’extensives du Premier amendement ». 

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Si on ne comprend rien à ce qui se passe aujourd’hui à Washington, si le futur paraît d’une inquiétante opacité, il faut regarder en arrière : vers les quatre années « d’exil » (2021- 2025) que l’ex-président Trump a endurées dans sa Maison-Blanche-bis de Mar-a-Lago, et que le journaliste Michael Wolff a scrutées sans la moindre bienveillance. « Trump-obsessed », Wolff a méthodiquement suscité/recueilli des monceaux de confidences/trahisons en provenance d’une nuée de courtisans recrus de jalousies et de frustrations. À la lumière (si l’on peut dire) de ce passé-là, tout ce que l’on vit actuellement s’éclaire, mais d’une lueur peu rassurante. Wolff avait déjà raconté comment Le Donald était arrivé à sa première présidence après une campagne consternante et sans l’avoir vraiment souhaité (il entendait juste « devenir l’homme le plus connu au monde », faire encore du fric et jouer tout son soûl au golf). Il était non seulement mal préparé à exercer une telle responsabilité, mais hélas dépourvu des compétences indispensables (« Il ne connaît rien à rien, hormis la promotion immobilière, et c’est un épouvantable manager » écrit James Surowiecki dans la Yale Review). On connaît la suite – « quelque chose de plutôt comique, si ce n’était aussi répugnant et terrifiant », assène Surowiecki – jusqu’au bouquet final, « l’élection volée » et le quasi-coup d’État du 6 janvier 2021.

Mais ce qui allait se passer dans les livres suivants de la tétralogie trumpienne que Wolff a poursuivie avec acharnement (et une indignation mêlée d’admiration incrédule) est encore plus ahurissant. Un : Trump est sincèrement et irréductiblement persuadé qu’il y a eu trucage. Deux : Mar-a-Lago deviendra le décor surréaliste et théâtral d’une réalité « extra-cartésienne », où une cour des miracles d’aigrefins, de fayots opportunistes, de milliardaires énamourés et de jolies conspirationnistes entretiendra dans son illusion celui qu’on continuerait d’appeler « Mr. President » – une illusion abondamment promue via le réseau social trumpien, le très mal nommé Truth Social. Trois : tandis que le Roi Lear de Floride joue au golf en vitupérant, il doit aussi faire face aux assauts juridiques motivés par ses débordements multidirectionnels, politiques, comptables, organisationnels, sexuels... Il faut donc que Trump mobilise une ruineuse armée d’avocats et la malmène épouvantablement pour qu’elle le défende par tous les moyens, au civil ou au pénal, devant des tribunaux fédéraux ou étatiques (Géorgie, New York, Colorado, Floride). Cela n’empêche pas toutefois l’ex-président de côtoyer de plus en plus près la prison et, pire encore, la ruine financière et l’humiliation de ne pouvoir payer personnellement, lui qui se disait multimilliardaire, une caution de 454 millions de dollars. Mais – MAIS – grâce à sa combativité hors norme, Trump va se sortir de presque tous ses embarras.

Il clame en effet à tout-va qu’on le persécute parce qu’il veut redevenir président (et vice et versa), et décide, puisque la justice américaine est tout sauf aveugle, de l’affronter les yeux dans les yeux par médias interposés, insultant les magistrats et transformant la plus humiliante des péripéties judiciaires en formidable plateau TV. Or non seulement le sort lui sourit plus souvent qu’à son tour (le pompon : l’immunité présidentielle concoctée in extremis par la Cour suprême), mais plus il est incriminé, plus il s’en tire d’extrême justesse, plus il est populaire auprès de gens dont il bafoue pourtant les convictions morales et sans doute les intérêts à long terme. Les « Unes » (bonnes ou mauvaises) le font implacablement grimper dans les sondages. D’où le triomphe électoral de novembre 2024, coups de chance – les tentatives d’assassinat, la médiocrité de son opposante – à l’appui... Donc revoici Trump à la Maison-Blanche. Inchangé, sauf peut-être en pire : plus enragé, plus vindicatif, plus enfermé dans sa bulle de réalité alternative. Mais pas mieux préparé (où aurait-il trouvé le temps, alors qu’il a même dû sacrifier le golf ? D’ailleurs Trump écoute très peu et ne lit pas du tout ; il ne croit qu’en son instinct). Et beaucoup plus mal entouré, car les quelques « adultes dans la pièce » de la fois précédente ont été remplacés par la clique de Mar-a-Lago ou des ralliés de dernière minute (dont Melania ?). Si bien que l’on peut s’attendre au pire, conclut l’impitoyable Michael Wolff, car « Trump va persévérer dans le chaos et l’audace qui le maintiennent, conjointement, au centre de l’attention publique et le distraient des problèmes requérant son attention ». En attendant, le narrateur de « cette histoire bien trop extraordinaire pour ne pas être racontée » n’a eu droit qu’à des tombereaux d’insultes (« fake news », « sac de merde ») et une propulsion immédiate au rang de best-seller.

[post_title] => Les habits neufs du président Trump [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => les-habits-neufs-du-president-trump [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-04-24 16:23:20 [post_modified_gmt] => 2025-04-24 16:23:20 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=131809 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Parce qu’il a impitoyablement critiqué la Révolution française, Edmund Burke est volontiers présenté en France comme un réactionnaire, à l’instar de Louis de Bonald et de Joseph de Maistre. Dans le monde anglo-saxon, après avoir été décrit par certains historiens anglais comme un opportuniste carriériste, il est aujourd’hui célébré comme leur père spirituel par différentes familles de conservateurs. Les libéraux voient en lui un homme pénétré des idéaux des Lumières, à commencer par la défense des libertés publiques et de la liberté de commerce. Ses vues en esthétique, son style flamboyant, l’importance qu’il accorde aux sentiments et son tempérament passionné en font une figure romantique. 

Ainsi que l’ont mis en évidence plusieurs ouvrages récents, notamment ceux de Richard Bourke et de David Bromwich, la pensée politique de Burke est impossible à ranger sous une étiquette. Riche, complexe, nuancée, elle n’est pas dépourvue de contradictions, parfois réelles mais souvent seulement apparentes : s’il a combattu la Révolution française après avoir soutenu les revendications des colons américains face à la Couronne britannique, défendu l’Empire tout en dénonçant férocement les exactions et les cruautés de la Compagnie des Indes orientales, loué les vertus de l’aristocratie tout en accusant les aristocrates de médiocrité, d’incompétence et de vénalité, c’est en fonction de principes qui forment un ensemble cohérent.

Comme le souligne Ross Carroll dans le livre qu’il vient de lui consacrer – une remarquable introduction à ses idées, synthétique, claire et pédagogique –, la pensée politique de Burke n’est pas celle d’un pur théoricien. Elle est inséparable de sa personne et de sa trajectoire : « Les idées de certains penseurs politiques peuvent être étudiées sans qu’il soit nécessaire d’en savoir beaucoup sur leur vie, leur personnalité et leur carrière. Burke n’est pas un de ces penseurs. » Une autre de ses caractéristiques, conséquence de la première, est qu’au lieu d’être concentrées dans une poignée de grands livres, ses contributions à la pensée politique sont contenues dans des lettres, des pamphlets, des discours et d’autres textes de circonstance.  

L’implication de Burke dans la vie politique active n’en faisait pas un adversaire de la théorie. « Je ne dénigre pas la théorie et la spéculation, précisait-il. Non, lorsque je critique la théorie, c’est toujours une théorie faible, erronée, fausse, non fondée ou imparfaite que j’ai à l’esprit ; et un des moyens de découvrir qu’elle est une fausse théorie, c’est de la comparer avec la pratique. » Sans verser dans le pur pragmatisme, il n’en tenait pas moins pour certain qu’une idée « pouvait être vraie en termes métaphysiques, mais fausse en termes politiques ». 

Né en 1729 en Irlande, d’une mère catholique et d’un père protestant mais sans doute catholique converti, Edmund Burke se sentait citoyen britannique. Il n’en resta pas moins sensible toute sa vie au destin de son pays de naissance, qu’il estimait outrageusement exploité par l’Angleterre. Au départ, il fut un homme de lettres. À l’âge de 26 ans, il rédigea un livre d’esthétique philosophique dont les idées sur le « sublime » inspireront plus tard Kant et Swinburne. Avec lucidité, il y relevait la fascination qu’exerce sur nous le spectacle de la douleur physique d’autrui. La même année, il épousait une jeune femme nommée Jane Mary Nugent, qu’il aima toute sa vie et qui lui donna deux enfants : le second mourut en bas âge et le premier de tuberculose à l’âge de 36 ans, un décès précoce qui laissa Burke dévasté, trois ans avant sa propre mort, en 1794. 

Peu après son arrivée en Angleterre, il fut engagé comme secrétaire d’un membre du Parlement nommé William Gerard Hamilton. Il resta à son service durant six ans, avant de passer à celui du marquis de Rockingham, alors Premier ministre. La même année, il était élu membre du Parlement au sein du parti whig (libéraux). Il y resta 29 ans. La plus grande partie de sa carrière se passa dans l’opposition. Les partis étaient souvent décriés comme de simples factions. Burke s’en faisait une haute idée. Il les définissait comme des groupes d’hommes « s’unissant pour promouvoir, par leur association, l’intérêt national, en se fondant sur quelques principes sur lesquels ils sont d’accord ». Il se faisait aussi une idée élevée du Parlement et de la nécessité, pour celui-ci, d’exercer toutes ses prérogatives face à l’ambition du roi George III de renforcer le pouvoir de la Couronne. Tout en reconnaissant qu’il était du devoir des parlementaires de défendre les intérêts de leurs électeurs, il contestait la thèse selon laquelle ils devaient se contenter d’obéir fidèlement à leurs volontés. L’idée du suffrage universel lui était étrangère : « Un Parlement élu par un vaste suffrage mais rempli de favoris de la Cour serait moins à même de représenter le peuple qu’un Parlement élu par moins de votants mais composé de membres plus résolument indépendants. » 

Tout au long de sa carrière, Burke fut impliqué dans plusieurs grands débats. Le premier portait sur le statut des colonies américaines, qui s’étaient révoltées. Sans être favorable à leur indépendance, il estimait légitime le refus des colons de payer des taxes sans être représentés. Il invita donc à renoncer à l’usage de la force face aux insurgés et plaida vigoureusement en faveur de la réconciliation. La seconde controverse, dans laquelle il s’engagea avec une ardeur toute particulière, concernait l’action de la Compagnie des Indes orientales en Inde. Burke ne mettait pas en cause l’existence de l’Empire, qu’il considérait comme bénéficiant à toutes les parties. Les conquêtes étaient à ses yeux un fait obligé de l’Histoire qu’il ne fallait pas chercher à empêcher. Mais il était nécessaire de veiller à ce qu’elles s’opèrent avec un minimum de violence et que l’exploitation des territoires conquis se fasse dans le respect des populations locales. La conquête des îles britanniques par les troupes romaines lui semblait à cet égard le modèle à suivre, celle de l’Irlande et des Indes par la Couronne anglaise le parfait contre-exemple. 

Burke était révolté par les agissements de la Compagnie des Indes orientales qui, usurpant les prérogatives d’un État, se comportait en maître absolu des territoires qu’elle contrôlait et s’y livrait impunément à de terribles pillages. Dans le discours qu’il prononça à l’occasion de la procédure de destitution d’un des plus cruels directeurs qu’ait eu la Compagnie, Warren Hastings (démis par la Chambre des communes, il fut rétabli dans ses fonctions par la Chambre des lords), décrivant les exactions de la Compagnie dans une région de l’Inde, il se déchaîne : « Une tempête de feu enflamma tous les champs, consuma toutes les maisons, détruisit tous les temples. Les misérables habitants, fuyant leur village en flammes, furent massacrés ; d’autres, […] les pères séparés de leurs enfants, les maris de leur épouse […] furent envoyés en captivité dans un pays inconnu et hostile. »

L’attitude de Burke à l’égard de l’esclavage a évolué avec le temps. Au départ fervent défenseur de la Compagnie royale africaine qui en organisait le trafic, à partir de 1780 il commença à militer pour la réforme de ce commerce dans le sens d’un adoucissement. Tout en réprouvant l’esclavage, il craignait les effets pervers d’une émancipation brutale et ne fut jamais abolitioniste. Convaincu que l’institution subsisterait sous une forme ou une autre dans les colonies britanniques, fait observer Carroll, il considérait l’allègement de ses pires aspects comme la seule option possible : « Comme toujours chez Burke, la vision abstraite de ce qu’exige la justice ne devait pas être le seul déterminant de la politique. Confronté à ce qu’il considérait comme “un mal incurable”, il cherchait à en atténuer les effets plutôt qu’à l’éradiquer. » 

Le troisième grand débat auquel Burke s’est trouvé mêlé est celui qui a suivi, en Angleterre, la Révolution française. Il eut pour conséquence son départ du parti whig, dont beaucoup de membres s’étaient exprimés en faveur de la Révolution, et est à l’origine de son livre le plus connu : Réflexions sur la Révolution de France. L’ouvrage fut publié avant l’épisode de la Terreur. Burke y dénonçait par avance les terribles violences contre les biens et les personnes auxquelles, selon lui, la Révolution ne pouvait manquer de conduire. Avec une étonnante prescience, il envisageait le surgissement, au sein du chaos engendré par l’affrontement général, d’un leader militaire déterminé à rétablir l’ordre. Son hostilité tenait aussi à des raisons philosophiques. Burke ne contestait pas par principe l’idée de l’existence de droits fondamentaux. Mais à ses yeux, observe Carroll, « un gouvernement s’engageant à respecter les droits n’était pas la même chose qu’un gouvernement faisant de la protection des droits sa raison d’être ».

Sa conception de la liberté était également différente de celle des théoriciens de la Révolution. La liberté que défendait Burke n’était pas, selon ses propres termes, « la liberté égoïste de chaque homme de régler la totalité de sa conduite en fonction de sa volonté propre ». Dans son esprit, la vraie liberté ne pouvait se réaliser que dans et par la participation à la vie sociale, une conviction qu’il partageait, d’une certaine manière, avec les révolutionnaires. Contrairement à ces derniers, toutefois, il n’identifiait pas cette liberté avec la possibilité pour le peuple de s’auto-gouverner. Et il ne la définissait pas en termes intemporels. À ses yeux, résume Carroll, les libertés ne sont pas l’expression d’un principe abstrait, mais « des privilèges et des droits […] intégrés dans un ordre social particulier qui a persisté durant des siècles ». Cette idée s’enracine dans une de ses convictions les plus profondes : la société n’est pas le produit d’un contrat entre les vivants, mais celui d’un « partenariat entre les vivants, les morts et ceux qui ne sont pas encore nés ». Cette formule, souvent citée par le philosophe britannique Roger Scruton et tous ceux que terrifie l’idée d’un recommencement indéfini de la société sur la base d’une table rase, reflète fidèlement la nature du conservatisme de Burke et la manière dont, chez lui, conservation, transmission et progrès sont indissociables. 

Ross Carroll ne manque pas de souligner ses exceptionnels qualités d’orateur. On cite souvent à son sujet un propos du fameux érudit et essayiste Samuel Johnson rapporté par son biographe James Boswell : « Si quelqu’un se trouvait par hasard obligé de passer cinq minutes en compagnie de Burke sous un abri pour éviter la pluie, il se dirait : voilà un homme extraordinaire. » Johnson, qui ne partageait qu’en partie les idées de Burke, faisait ici référence à sa conversation, invariablement brillante et intarissable. Il était de fait un homme du verbe, et ses idées, plus encore que chez n’importe qui d’autre, étaient inséparables de leur expression. « Le talent littéraire de Burke, écrivait l’essayiste William Hazlitt, est [...] sa principale qualité. Son style a la familiarité de la conversation et le caractère recherché des compositions les plus élaborées. […] Il utilise les mots les plus ordinaires comme les termes les plus scientifiques, les phrases les plus longues comme les plus courtes, les tournures les plus directes comme les plus imagées. »  

Mary Wollstonecraft, aussi critique que le républicain Thomas Paine au sujet des vues de Burke sur la Révolution française, l’a un jour ironiquement traité de « nouveau Cicéron », l’accusant d’user de ses dons de rhéteur pour défendre les aristocrates. Cette comparaison n’était pas de nature à déplaire à un homme qui, de longue date, considérait le grand orateur romain comme son modèle. Comme lui, Burke entendait mettre ses talents de débatteur au service des nobles causes qu’il estimait devoir défendre. Ce que nous appelons la démocratie, le gouvernement de tous par tous, ne figurait à l’évidence pas au nombre de celles-ci, et il lui est arrivé de justifier des situations que nous trouvons aujourd’hui inacceptables sur la base d’idées contestables ou erronées, par exemple au sujet du rôle possible du gouvernement en cas de famines. Mais l’une des causes pour lesquelles il s’est battu avec le plus d’opiniâtreté est la lutte contre les abus de pouvoir des gouvernements et des puissants, et les injustices qu’ils engendrent. Dans la Lettre à un noble lord dans laquelle, à la fin de sa vie, pour se défendre des attaques du duc de Bedford, il fait le bilan de sa carrière parlementaire, Burke présente les efforts qu’il a menés durant quatorze ans pour mettre fin aux abus de la Compagnie des Indes orientales comme l’entreprise dont il est le plus fier, même si c’est celle dans laquelle il a eu le moins de succès. 

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