WP_Post Object ( [ID] => 116785 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-02-24 08:40:18 [post_date_gmt] => 2022-02-24 08:40:18 [post_content] =>Professeur à l’École des hautes études en sciences sociales, Emanuele Coccia se focalise dans son essai sur la maison, lieu peu exploré par la philosophie, qui s’est traditionnellement concentrée sur la cité, considérée comme l’espace public par excellence. Partant de son expérience – trente déménagements –, il consacre chaque chapitre à une pièce ou à un meuble. Il en résulte un « petit livre éclairant, qui allume la lumière dans toutes les pièces et fait comprendre ce qu’elles sont et ce qu’elles représentent », s’enthousiasme La Repubblica.
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L’auteur s’intéresse à la façon dont on « fait maison » : comment, en s’entourant de personnes et d’objets spécifiques, on transforme un lieu impersonnel en un endroit à notre image. Cependant, avec l’omniprésence d’Internet dans nos vies, des relations et des événements autrefois seulement possibles dans l’espace public sont entrés dans les foyers. Ils « élargissent notre expérience domestique », note Coccia dans Il Manifesto, et mettent fin à la forme que prend traditionnellement la maison. Si bien que, annonce-t-il en allant beaucoup plus loin, c’est à présent une « maison-monde » que nous devons penser, où « nos colocataires […] sont aussi des pingouins, des phoques, des lions, des bactéries et des virus ».
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Deux mondes s’entremêlent donc dans Mon plus grand rêve. Le monde réel d’abord, celui d’un enfant d’une douzaine d’années, malheureux, incompris, rejeté car pas comme les autres, et qui, faute d’avoir réussi à se faire accepter, décide que la solitude peut finalement faire l’affaire. Embarqué malgré lui dans un road-trip à l’arrière de la voiture familiale, tout ça pour rejoindre une destination inconnue alors qu’il préférerait se recroqueviller dans sa chambre, il devient l’otage des interminables disputes de ses parents, de la méchanceté de son père, manipulateur et absent sauf quand il s’agit de l’accabler, et de la tristesse de sa mère, trompée, humiliée, sur qui est retombée la charge du « fardeau » prénommé Oskar. Persuadé de n’être bon à rien, si ce n’est à décevoir ses parents, le jeune garçon se laisse assaillir par de drôles de pensées (« Vous croyez que si on est découpé en petits morceaux, on a mal à chacun des morceaux ? »). Jusqu’à perdre contact avec la réalité pour sombrer dans ce fameux monde surréaliste mouvant et suintant, peuplé de créatures abominables, d’horreurs organiques, de matières visqueuses, tentaculaires, parfois grotesques mais toujours menaçantes, qui finissent souvent par l’absorber, l’engloutir, le faire disparaître. À son plus grand soulagement ?
« Au fil des kilomètres, les épisodes fantasmagoriques et le riche réseau de métaphores finissent par dessiner une histoire cohérente et intime », écrit A2. Jusqu’au final bouleversant, fruit d’un « travail architectural hors pair », mais aussi, comme le note le magazine Respekt, d’une grande « finesse psychologique ».
WP_Post Object ( [ID] => 116739 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-02-24 08:40:06 [post_date_gmt] => 2022-02-24 08:40:06 [post_content] =>Il y a un mystère suisse. Tous ceux qui aiment comparer les pays le savent bien, à chaque fois ou presque qu’on croit avoir dégagé une loi universelle permettant d’expliquer la réussite des uns et l’échec des autres, on bute sur une exception, et cette exception, en général, c’est la Suisse. Voilà un pays dont au moins un quart du territoire est improductif en raison de son relief montagneux, qui ne dispose ni d’accès direct à la mer, ni de richesses naturelles et que n’unit aucune homogénéité linguistique. Selon tous les critères valables ailleurs, un tel pays devrait au mieux être pauvre et arriéré, au pire ne même pas exister. Or la Suisse existe, et elle est si prospère que son aisance matérielle est presque devenue identitaire. Elle a longtemps affiché le revenu moyen par habitant le plus élevé de la planète et, contrairement à une idée reçue ou, plutôt dépassée, elle ne doit pas l’essentiel de cette insolente prospérité à ses banques peu regardantes quant à l’origine de l’argent qui leur est confié ou à sa politique fiscale accommodante pour les riches résidents étrangers. Il est peu de pays qui, à taille équivalente, comptent autant de grandes multinationales leaders dans leur secteur : Nestlé domine l’agroalimentaire, Swatch est la plus importante société d’horlogerie du monde ; en 2013, sur les cinq plus grosses entreprises de l’industrie pharmaceutique, deux étaient suisses – dont la première du classement, Novartis, qui coiffait au poteau le géant américain Pfizer.
Il est facile de s’arrêter à l’image lisse et tranquille que la Suisse aime donner d’elle-même, d’étouffer un bâillement dès qu’on l’évoque. Jonathan Steinberg l’a constaté à ses dépens. Dans le cadre d’une série de cours sur l’histoire de l’Europe au XIXe siècle, cet universitaire américain (récemment décédé) avait un jour annoncé qu’il consacrerait la séance suivante à la guerre civile suisse. Lorsqu’arriva la séance en question, la moitié de son auditoire habituel avait disparu : « Même une guerre civile, pour peu qu’elle soit suisse, devient ennuyeuse », note-t-il, désabusé, au début de Pourquoi la Suisse ?, ouvrage qui vise précisément à montrer à quel point ces élèves absents avaient tort de bouder son cours.
Paru en 1976, actualisé à plusieurs reprises jusqu’en 2015, Pourquoi la Suisse ? vient seulement d’être traduit en français grâce aux bons soins de l’éditeur genevois Markus Haller. Le titre n’a rien de trompeur. Il s’agit bien d’expliquer un « pays improbable ». Fort logiquement, Steinberg commence par en retracer l’histoire qui, seule, selon lui, peut rendre compte d’une existence qu’aucun déterminisme géographique ne laissait présager. Il est vrai que « la Suisse est dépourvue de frontières naturelles », puisque « les montagnes et les vallées des Alpes se prolongent à l’est et à l’ouest jusqu’en Autriche et jusqu’en France, et au sud jusqu’en Italie », que certaines régions comme le Vorarlberg autrichien ou la ville (allemande) de Constance pourraient être suisses, mais ne le sont pas, qu’il existe d’étranges enclaves allemandes en Suisse et suisses en Allemagne. Faire tout reposer sur de simples contingences historiques est néanmoins un peu excessif : difficile de croire que les Alpes n’aient joué aucun rôle dans l’émergence de la Suisse. Steinberg rappelle lui-même que la Rhétie (qui correspond à l’actuel canton des Grisons) comporte 150 vallées distinctes et que l’immense majorité de ses communes sont situées au-dessus de 700 mètres d’altitude : « Dans les conditions militaires du Moyen Âge », écrit-il, cela en faisait une zone « tout simplement impossible à contrôler ». La Suisse n’est pas faite que de montagnes, ses principales villes sont, bien entendu, bâties sur des plaines. Mais la possibilité qu’ont toujours eue ses habitants d’aller se réfugier dans des zones inaccessibles a grandement contribué à garantir leur indépendance.
Ce fut, du reste, encore le cas lors de la Seconde Guerre mondiale. Après l’effondrement de la France, les frontières suisses deviennent indéfendables en cas d’agression allemande. L’armée prend alors position dans un « réduit national » inexpugnable, au cœur des Alpes. L’objectif est de montrer à Hitler, qui a des vues sur la Suisse, qu’elle combattra jusqu’au bout. « Elle est prête à voir Zurich, Bâle, Berne, Lausanne, Genève, Bienne et toutes les basses terres tomber aux mains des Allemands, mais elle ne capitulera jamais », raconte Steinberg. On ne saura jamais si c’est cette stratégie qui dissuada le régime nazi d’attaquer la Suisse ou si c’est la politique conciliante du pays – il contribua à l’effort de guerre allemand, reçut d’importants dépôts d’or et accepta de refouler les juifs traqués qui cherchaient asile chez lui.
La protection des montagnes permit, de toute évidence, à un certain nombre de communautés d’échapper à l’emprise des grands États territoriaux qui se constituèrent en Europe à partir du XIVe siècle. Et Jonathan Steinberg montre bien que la singularité suisse tient, au bout du compte, au fait qu’elle a conservé des formes d’organisation et de gouvernement qui ont disparu ailleurs, à son anachronisme donc : elle est comme « un morceau du Saint Empire romain germanique qui [aurait] survécu à l’essor […] de l’État centralisé moderne ». D’où un système administratif et politique incompréhensible pour le commun des mortels : des bizarreries territoriales, des chevauchements de juridictions, un mode de scrutin d’une complexité telle qu’il n’est pas rare que les publications officielles elles-mêmes comportent des erreurs. Tout électeur est, par exemple, autorisé à modifier les listes présentées par les partis en votant deux fois pour le même candidat ou en biffant un nom sur telle ou telle liste pour le remplacer par un nom pris sur une autre !
Les principes qui sous-tendent cette complexité sont une décentralisation et une démocratie plus poussées que dans n’importe quel autre pays au monde. Chaque commune jouit du maximum de souveraineté au sein du canton, qui lui-même jouit du maximum de souveraineté au sein de la Confédération. Contrairement aux régions à la française, cette décentralisation se traduit par de réels moyens d’action budgétaires : en 2009, l’ensemble des communes avait un revenu de plus de 42 milliards de francs suisses, l’ensemble des cantons un revenu de près de 76 milliards et la Confédération un revenu de 68 milliards. D’une certaine façon, aucune nation ne respecte davantage la souveraineté populaire que la Suisse, où la Constitution elle-même est provisoire, pouvant sans cesse être amendée au gré des référendums. Quand en 2014 le « Souverain », comme on désigne le peuple en Suisse, a approuvé de justesse une initiative populaire visant à limiter l’immigration, et ce à l’encontre des traités signés avec l’Union européenne en 1999, qui obligent à maintenir les frontières ouvertes, que s’est-il passé ? Le gouvernement suisse s’est-il assis sur ces résultats comme l’a fait le gouvernement français après le référendum sur la Constitution européenne de 2005 ? Bien au contraire. L’initiative du 9 février 2014 est devenue l’article 121a de la Constitution fédérale, qui impose à la Confédération de mettre en place des mesures limitant le droit des citoyens européens à entrer en Suisse. Et, malgré la pression de l’UE, le Conseil fédéral a mis en œuvre la loi de la nation. « Le peuple est réellement souverain, au-dessus du gouvernement, au-dessus du Parlement et, dans ce cas précis, au-dessus d’un traité international signé de bonne foi avec l’Union européenne », conclut Jonathan Steinberg.
L’un des derniers chapitres du livre s’intitule « Pourquoi la Suisse italienne ? ». On peut s’étonner que Steinberg consacre autant de pages à une minorité qui ne représente que 8 % de la population. En réalité, répondre à la question de ce chapitre revient à répondre à la question du livre. Ce que Steinberg suggère, c’est que, sans Suisse italienne, il n’y aurait sans doute pas de Suisse du tout. Les italophones désamorcent le face-à-face entre germanophones (les deux tiers de la population suisse) et francophones (un peu plus de 20 %). Sans eux, la Suisse ne serait sans doute pas restée multilingue : « Un pays composé d’un cinquième seulement de francophones pour quatre cinquièmes de germanophones aurait moins bien résisté à la force centrifuge d’un nationalisme linguistique et culturel. »— B. T.
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WP_Post Object ( [ID] => 116861 [post_author] => 48457 [post_date] => 2022-02-24 08:39:59 [post_date_gmt] => 2022-02-24 08:39:59 [post_content] =>« “Si l’on admet qu’un pessimiste est un optimiste bien informé, le pessimum devrait être le sommet des abysses”, déclarai-je après mûre réflexion. Mais, le lendemain, en comptant les bouteilles et en relevant ma chaise, Emily se souvint que ma voix était un peu pâteuse. » D. P.
Pessimum, antonyme d’optimum, n’existe pas en français ; le mot est pourtant couramment utilisé en anglais et en allemand. Curieux quand on sait que, d’après les enquêtes, les Français sont le peuple le plus pessimiste d’Europe.
Aidez-nous à trouver le prochain mot manquant :
Existe-t-il dans une langue un mot pour désigner un voyage extravagant ?
[post_title] => PESSIMUM [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => pessimum [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-02-24 08:39:59 [post_modified_gmt] => 2022-02-24 08:39:59 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=116861 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 114336 [post_author] => 56398 [post_date] => 2022-01-05 08:22:36 [post_date_gmt] => 2022-01-05 08:22:36 [post_content] =>Stefano Mancuso, botaniste et chercheur à l’université de Florence, où il enseigne la neurobiologie végétale, passionne les lecteurs de tous horizons pour sa discipline. Après L’Intelligence des plantes et La Révolution des plantes (Albin Michel, 2018 et 2019), le voici de retour en librairie avec Nous les plantes. Son essai se présente comme la Constitution de la nation des plantes, déclinée dans huit articles défendant « le respect universel des êtres vivants actuels et de ceux des générations à venir », explique La Repubblica. Les plantes – qui représentent 85 % de la biomasse terrestre, alors que les animaux, hommes compris, ne comptent que pour 0,3 % – n’ont peut-être pas de cerveau, mais elles ont leur intelligence, car « elles résolvent des problèmes, sont capables de s’adapter aux changements climatiques et d’inventer des stratégies pour leur survie », développe Il Manifesto. Le botaniste les imagine voler au secours de l’humanité face au réchauffement climatique : il suffirait d’en planter d’immenses quantités pour faire baisser rapidement le taux de CO2 dans l’atmosphère. Par ailleurs, souligne encore Il Manifesto, les plantes « raisonnent en tant qu’espèce et non en tant qu’individu ; elles privilégient l’adaptation permanente ». Les hommes feraient bien d’en prendre de la graine, suggère l’ouvrage.
[post_title] => Prenons-en de la graine [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => prenons-en-de-la-graine [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-01-05 08:22:36 [post_modified_gmt] => 2022-01-05 08:22:36 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=114336 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 114353 [post_author] => 56398 [post_date] => 2022-01-05 08:22:36 [post_date_gmt] => 2022-01-05 08:22:36 [post_content] =>Dans L’Homme sans qualités, les protagonistes préparent les 70 ans du règne de François-Joseph, jubilé prévu pour 1918. Le lecteur sait qu’il n’aura jamais lieu. Et pour cause : en 1918, François-Joseph sera mort, tout comme son empire. Cette ironie dramatique est l’un des charmes du roman de Musil. Elle participe du ridicule qui s’attache à ses personnages : comment n’ont-ils pas vu que l’Autriche-Hongrie était condamnée ? De fait, note Aram Bakshian Jr dans The Washington Post, « la plupart des ouvrages récents qui traitent de la monarchie des Habsbourg tendent à la présenter comme un anachronisme, un patchwork féodal de territoires transmis de génération en génération n’ayant rien d’autre en commun que leur propriétaire – l’empire était donc voué à disparaître avec la montée du nationalisme de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. » Et si cette vision, toute déterministe, était faussée ?
Dans son « histoire inédite » de l’empire des Habsbourg, Pieter M. Judson en propose une « plus nuancée », où il décrit « une entité étatique qui, tout bien considéré, a fait preuve d’une remarquable capacité à se remettre des désastres et à s’adapter à de nouveaux défis au fil de sa longue histoire. »
Le livre de Judson passe vite sur l’ascension des Habsbourg. Il est à peine fait mention de l’événement qui propulsa cette dynastie d’un coin perdu d’Europe centrale sur les devants de la scène internationale : le mariage de Maximilien d’Autriche avec Marie de Bourgogne et la captation de l’héritage de la maison cadette des Valois. Le propos du livre concerne, pour l’essentiel, la période du XVIIIe siècle à 1918. Grâce à la décadence d’un autre empire, celui des Turcs ottomans, l’Autriche est parvenue à s’étendre à l’est. À son apogée, elle coiffe une masse continentale qui va de l’Ukraine à la Belgique actuelles. Judson met en avant l’œuvre de modernisation de ses souverains : la fin du servage et du régime féodal, le développement d’un État de droit et même de la sécurité sociale. Des mesures souvent dictées par l’intérêt : « Ce n’est pas l’altruisme qui a inspiré l’émancipation de la paysannerie et la mise en place d’un système plus égalitaire. La dynastie avait besoin de nouvelles sources de revenus, et une paysannerie émancipée et payant des impôts était une mine d’or. Pour la même raison, l’État avait tout intérêt à améliorer la productivité agricole, ce qui favorisa ensuite les réformes sociales et économiques. L’éducation, pensait-on, améliorerait l’hygiène et la santé (nécessaires pour le service militaire) et préviendrait le risque de dissolution morale dans les communautés paysannes nouvellement libérées », résume Natasha Wheatley dans The London Review of Books.
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WP_Post Object ( [ID] => 114235 [post_author] => 56398 [post_date] => 2022-01-05 08:22:36 [post_date_gmt] => 2022-01-05 08:22:36 [post_content] =>Le livre le plus vendu en Italie en 2020 était français : Changer l’eau des fleurs, de Valérie Perrin. Plus de 500 000 exemplaires écoulés. Autant dire que les lecteurs italiens attendaient avec une certaine impatience son nouveau roman. Il semblerait qu’ils n’aient pas été déçus, car, depuis sa sortie en juin dernier, Tre (Trois en version originale) n’a pas quitté le classement des dix meilleures ventes.
Ce récit d’une amitié née entre trois enfants en province à la fin des années 1980 et de ses développements jusqu’en 2017 est, selon le Corriere della Sera, un « merveilleux roman de formation » qui brosse le portrait d’une génération tout en restituant par touches l’atmosphère de l’époque. La presse spécule sur la recette du succès : « Une intrigue prenante, un peu d’amour, un peu de larmes, une pincée de mystère et quelques coups de théâtre », avance-t-elle. Ou encore un « mélange équilibré » entre « drame, polar et roman à l’eau de rose » pour ce récit polyphonique construit sur des allers-retours temporels, analyse Fatto quotidiano. Mais, pour le quotidien conservateur Il Giornale, le secret se trouve peut-être simplement dans l’air du temps : « Valérie Perrin elle-même qualifie son roman de “curatif” et “réconfortant”, c’est-à-dire thérapeutique. Dans un monde malade et difficilement vaccinable, que pouvions-nous espérer de mieux ? »
[post_title] => Les règles de Trois [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => les-regles-de-trois [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-01-05 08:22:36 [post_modified_gmt] => 2022-01-05 08:22:36 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=114235 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 114285 [post_author] => 56398 [post_date] => 2022-01-05 08:22:35 [post_date_gmt] => 2022-01-05 08:22:35 [post_content] =>L’injonction est aujourd’hui très populaire. La remettre en cause risque fort de déclencher une certaine perplexité, voire de provoquer insultes et menaces (comme j’ai pu le constater personnellement). Après tout, n’est-elle pas l’un des fondements des Lumières, constitutif du « Sapere aude ! » (« Ose savoir ! ») d’Emmanuel Kant ? Qui songerait à dénier non seulement cette capacité, mais ce droit apparemment inaliénable à « penser par soi-même » ?
Eh bien Kant lui-même, en premier lieu. Dans sa Critique de la faculté de juger (1790), il préconise certes, comme première « maxime du sens commun », de « penser par soi-même », c’est-à-dire de façon active et non passive, et sans recours aux préjugés. Mais voici, immédiatement après, sa deuxième maxime : « Penser en se mettant à la place de tout autre. » C’est ce que le philosophe appelle la pensée « ouverte », qui reconnaît donc ses propres limites et insuffisances et qui est appelée, par nécessité, à s’enrichir au contact de la pensée d’autrui afin d’élargir son périmètre restreint et d’atteindre une vision universelle. Finalement, penser uniquement « par autrui » ou penser « par soi-même » tout seul dans son coin, c’est ne pas penser du tout. D’où quelques complications conceptuelles que Kant s’est empressé de mettre de côté.
Bien lui en a pris, d’ailleurs, parce que la réalité est encore pire qu’il ne commençait à le subodorer. Il se trouve que même la déduction logique, qu’on imaginerait le bastion de la pensée « par soi-même », est sociale de bout en bout. C’est l’argument développé magistralement par Catarina Dutilh Novaes, professeure de philosophie à l’Université libre d’Amsterdam et à l’Université de Saint Andrews, en Écosse, dans un livre ambitieux sur les « racines dialogiques de la déduction » 1. Un raisonnement déductif consiste à établir la conclusion qui découle nécessairement de prémisses, typiquement sous la forme d’un syllogisme : tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel. En quoi n’est-ce pas le triomphe même de la « pensée par soi-même » ? En puisant aux sources historiques, cognitives, didactiques, mathématiques et épistémologiques de cette pratique de la déduction, et des obstacles qu’elle rencontre (les fameux sophismes), Dutilh Novaes montre qu’elle n’a d’utilité que dans un contexte antagoniste ou coopératif, c’est-à-dire sous la forme d’un dialogue, quand on pense « ensemble », et non « par soi-même ».
De fait, une déduction en tant que telle ne nous apprend rien. Si on connaît les prémisses, on connaît pour ainsi dire déjà la conclusion. Pourquoi Socrate est-il mortel ? Parce que c’est un homme, pardi ! Mais alors, si rien n’est jamais découvert suite à une déduction, quel est l’intérêt de déduire quoi que ce soit ?
La véritable fonction d’une déduction est ailleurs. Ses propriétés sont de préserver la vérité de façon nécessaire, d’isoler les différentes étapes d’un argument et de mettre entre parenthèses nos idées préconçues. Avec ces ingrédients, on réalise que la force du raisonnement déductif n’est pas tant de produire des conclusions que d’aligner une discussion sur un socle intellectuel commun. Du moment que le raisonnement est correct, on est forcé d’accepter ses conséquences logiques : sur cette base, on peut alors s’attacher à examiner de près la véracité des prémisses, demander des précisions et des développements, corriger des erreurs, désambiguïser des propositions floues, ajouter des éléments, renforcer des faiblesses, dissiper des malentendus…
La déduction est donc avant tout un dispositif communautaire destiné à calibrer différents individus sur une pensée qu’ils puissent partager, ce qu’illustre parfaitement la pratique du dialogue philosophique dans l’Antiquité. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle suscite tant de difficultés lorsqu’on l’enseigne comme un pur raisonnement individuel, et cela explique aussi que ceux qui prétendent « penser par eux-mêmes » aboutissent généralement, hélas, à des conclusions désastreuses.
— Sebastian Dieguez est chercheur en neurosciences au laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’Université de Fribourg, en Suisse. Il est l’auteur de Total Bullshit ! Au cœur de la post-vérité (PUF, 2018).
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[post_title] => Un conte pour adultes [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => un-conte-pour-adultes [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-01-05 08:22:35 [post_modified_gmt] => 2022-01-05 08:22:35 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=114083 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 114328 [post_author] => 56398 [post_date] => 2022-01-05 08:22:35 [post_date_gmt] => 2022-01-05 08:22:35 [post_content] =>Ce fut l’un des succès de librairie les plus improbables de ces dernières années en Espagne, et Books n’avait pas manqué de s’en faire l’écho 1. Qui aurait prédit, en effet, qu’un pavé de quelque 550 pages sur l’invention et les tribulations des livres dans l’Antiquité, écrit par une spécialiste des lettres classiques, serait réimprimé seize fois en moins d’un an et s’écoulerait à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires ? L’auteur de ces lignes a eu l’occasion de vérifier que l’engouement outre-Pyrénées ne retombait pas. De passage à Barcelone cet automne, il avait emporté la traduction française du livre (en vue de cet article) et s’est fait alpaguer par des inconnus qui, reconnaissant la couverture (identique à celle de la version espagnole originale), voulaient connaître son avis.
Il est assez simple : ce livre est une merveille. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas rendu l’érudition aussi attrayante. Irene Vallejo est aussi romancière et elle excelle dans la mise en scène des informations, qu’elles soient ultrapointues, déconcertantes ou, au contraire, déjà rabâchées. Ses phrases sont simples, jamais niaises. À son exposé savant, qui ne suit aucun ordre apparent mais reste toujours très clair, elle mêle des réflexions plus personnelles, voire des confidences sur sa vie et celle de sa famille. Avec elle, l’Antiquité prend vie.
Au centre de son ouvrage, la fabuleuse bibliothèque d’Alexandrie, ce projet fou, unique dans l’Histoire, de rassembler à un même endroit tous les livres jamais écrits. Il naquit dans l’esprit mégalomane des souverains grecs d’Égypte au IIIe siècle avant notre ère. Vallejo raconte comment leurs envoyés parcoururent tout le monde connu afin de collecter le maximum de manuscrits. Pour mettre la main sur certains d’entre eux, tous les moyens étaient bons, même le mensonge et l’escroquerie : « Ptolémée III, écrit-elle, désirait ardemment les versions officielles des œuvres d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide conservées à Athènes depuis leur représentation lors des concours tragiques. Les ambassadeurs du pharaon demandèrent qu’on leur prête les précieux rouleaux pour que leurs scribes minutieux en fassent des copies. Les autorités athéniennes exigèrent la garantie exorbitante de 15 talents d’argent, l’équivalent de millions de dollars d’aujourd’hui. Les Égyptiens payèrent, remercièrent platement, jurèrent solennellement de rapporter les œuvres prêtées avant – disons – douze lunes, se vouèrent eux-mêmes à de truculentes gémonies si les livres n’étaient pas rendus en parfait état puis, bien entendu, se les approprièrent, renonçant à leur caution. »
Par rapport à toutes les autres régions du monde ancien, l’Égypte bénéficiait, en matière de livres, d’un atout décisif : elle était le premier producteur du matériau qui, pendant des millénaires, servit à les fabriquer, le papyrus. Auparavant, en Mésopotamie, on avait utilisé des tablettes d’argile : solides, durables, mais peu pratiques. Les rouleaux de papyrus, qui mesuraient en général entre 13 et 30 centimètres de large pour une longueur de 3 mètres (et parfois beaucoup plus), étaient des « objets flexibles, légers, prêts pour le voyage et l’aventure ».
Cela dit, hormis le rouleau, au moment où fut inaugurée la bibliothèque d’Alexandrie, tout ou presque restait encore à inventer – et d’abord le métier même de bibliothécaire. Démétrios de Phalère s’en chargea : il avait fréquenté à Athènes la première bibliothèque organisée selon un système de classement rigoureux, celle d’Aristote. Il en transplanta le modèle en Égypte. Il eut pour successeurs Aristophane de Byzance et Callimaque de Cyrène. Le premier, renommé pour sa mémoire prodigieuse, était une véritable archive vivante. Le second, comprenant que la fabuleuse collection de la bibliothèque commençait à dépasser les capacités de mémorisation humaine, entreprit d’en dresser le catalogue : « Il traça un atlas de tous les écrivains et de toutes les œuvres. Il résolut des problèmes d’authenticité et de fausses attributions. Il trouva des rouleaux sans titre qu’il était nécessaire d’identifier. Quand deux auteurs portaient le même nom, il enquêta sur chacun pour les différencier. Dans certains cas, on avait confondu le nom et le surnom. Par exemple, le véritable nom – oublié – de Platon était Aristoclès. Aujourd’hui, on le connaît seulement par ce qui semble avoir été son surnom au gymnase, Platon, qui en grec signifiait “dos large” – le philosophe devait être très fier de ses talents de pugiliste sur le sable. »
Ce fut à Alexandrie aussi qu’on se rendit compte qu’à force d’avoir été copiés et recopiés les textes de beaucoup d’œuvres s’étaient gâtés, alourdis d’erreurs et de contresens parfois grossiers. On décida d’y remédier. « Les gardiens de la bibliothèque se lancèrent alors dans un travail de quasi-détectives, comparant toutes les versions de chaque œuvre qu’ils avaient à leur portée pour reconstruire la forme originale des textes. Ils cherchaient les fossiles de mots perdus et des strates de signification sous l’absence de sens des couches supérieures. Cet effort fit avancer les méthodes d’étude et d’investigation, et servit d’entraînement à une importante génération de critiques. Les philologues alexandrins préparèrent des exemplaires corrigés et extrêmement soignés des œuvres littéraires qu’ils considéraient comme les plus précieuses. Ces versions optimales étaient à la disposition du public comme matrice pour de futures copies et même pour le marché des livres. Les éditions que nous lisons et traduisons aujourd’hui sont les enfants des chercheurs de mots d’Alexandrie. »
Tant de choses ayant trait aux livres nous semblent aller de soi : qu’ils aient un titre, par exemple. Longtemps, pourtant, ce ne fut pas le cas. On les désignait par leur sujet ou leurs premiers mots : L’Énéide était ainsi « Arma virumque cano ». Et Vallejo rappelle que l’usage s’est perpétué jusqu’à aujourd’hui dans les encycliques papales.
Combien d’ouvrages rassemblait la bibliothèque d’Alexandrie ? On l’ignore. Sans doute des dizaines, des centaines de milliers, peut-être 400 000. Ce que l’on sait, c’est que le catalogue finit par occuper 120 rouleaux, cinq fois plus que tout le texte de L’Iliade. L’un des leitmotivs de L’Infini dans un roseau est l’extrême fragilité des livres et le miracle qu’a constitué la survie de bon nombre d’entre eux pendant des millénaires. À l’époque où les Ptolémées créaient leur grande bibliothèque, Qin Shi Huangdi, le premier empereur de Chine, dressait des bûchers, lui, pour faire disparaître tous les écrits qui s’écartaient de sa nouvelle orthodoxie.
L’Histoire est pleine de ces destructions irrémédiables. La bibliothèque d’Alexandrie n’y échappa d’ailleurs pas, même si les historiens ne s’accordent pas sur le moment où elle aurait eu lieu. Fut-elle réduite en cendres par un incendie qu’avaient allumé les troupes de César et qui se serait propagé par accident à une partie de la ville ? Vallejo en doute. Elle pense que ce qui brûla, ce fut tout au plus des entrepôts du port contenant des rouleaux peut-être vierges. Fut-ce alors la faute des Arabes ? L’anecdote est célèbre : Amr ibn al-As, le conquérant de l’Égypte, demande au calife Omar ce qu’il convient de faire des livres de la bibliothèque d’Alexandrie. La réponse du calife : « Si leur contenu coïncide avec le Coran, ils sont superflus ; sinon, ils sont sacrilèges. Il faut donc les détruire. » Là encore, Vallejo ne croit guère à cette histoire trop romanesque pour être vraie. Elle penche plutôt pour une décadence progressive. Après la chute des Ptolémées, sous l’occupation romaine, les fonds si généreusement dispensés jusqu’ici se tarirent peu à peu. Fini le couvert gratuit pour les savants. On cessa de subventionner leurs travaux, tout comme la restauration des rouleaux usés et l’acquisition de nouveaux. La ruine gagna peu à peu ce qui avait été et reste l’un des projets les plus ambitieux de toute l’histoire humaine. Une fin aussi peu spectaculaire que tragique.
— B. T.
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