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Érigé en 1910 à Atlanta, le grand hôtel The Georgian Terrace est une référence en matière d’architecture urbaine. Or le matériau le plus utilisé pour sa construction n’est pas celui que l’on voit, mais le charbon. C’est lui qui a alimenté les fours ayant servi à fabriquer des briques, de la chaux pour le mortier ou encore des vitres. Dans son ouvrage Architecture : From Prehistory to Climate Emer­gency, l’historien britannique Barnabas Calder, professeur à l’Université de Liverpool, étudie la manière dont les énergies ont façonné le bâti depuis les sociétés de chasseurs-cueilleurs jusqu’à nos jours. « Le livre réussit à traverser les arcanes de l’histoire de l’art, avec ses styles et ses mouvements, grâce à des explications pratiques », salue Rowan Moore dans The Guardian. Durant la majeure partie de l’Histoire, les ressources ont été utilisées avec une certaine parcimonie, soutient Calder. Les chasseurs de mammouths récupéraient les os et les défenses de leurs proies pour construire leurs habitats. Les Romains évitaient de gaspiller le bois, dont ils avaient également besoin pour la construction navale. Le charbon et, plus tard, le pétrole ont marqué un véritable point de rupture. Dès lors, les villes ont pu s’étaler de façon exponentielle et de nouveaux types de bâtiments – usines, gratte-ciel – ont vu le jour. Mais, s’ils ont rendu possibles des prouesses d’ingénierie sans précédent, le béton et l’acier, deux maté­riaux très énergivores, ont eu un lourd impact environnemental. « Le livre de Calder est autant un hymne ou une élégie au monde modelé par les combustibles fossiles qu’une mise en garde contre les désastres que ces derniers pourraient entraîner », résume The Guardian.

[post_title] => Un monde façonné par les énergies [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => un-monde-faconne-par-les-energies [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-08-26 10:20:05 [post_modified_gmt] => 2021-08-26 10:20:05 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=108487 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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« Qu’un essai sur l’identité à l’ère du big data, écrit par quelqu’un qui refuse tout compromis mercantile, en soit à sa seconde édition peu de temps après sa publication s’apparente à de la science-fiction. Et pourtant, c’est ce qui se produit avec La mirada imposible », s’étonne Xavier Ayén dans le quotidien barcelonais La Vanguardia. L’auteur de ce coup d’éclat, Agustín Fernández Mallo, est un savant total comme il n’en existe presque plus : physicien de formation, il étudie la physique des radiations nucléaires à des fins médicales. Mais il est également l’auteur de plusieurs recueils de poésie et d’une trilogie romanesque. Féru de philosophie, il a publié un essai hétérodoxe sur l’appropriation culturelle au titre savoureux, « Théorie générale de ce qui part à la poubelle », et récidive à présent avec un bref traité sur l’identité humaine. Fernández Mallo est catégorique : l’identité n’existe pas, c’est une idée consolatoire, un « délire de l’ego ». Nous ne sommes pas ce que nous prétendons être, estime-t-il, mais ce que les autres décrètent que nous sommes. Et il va plus loin : « Aujourd’hui, chacun de nous est disséminé en des millions de fragments qui circulent dans les bases de données des États, des entreprises, des réseaux sociaux. Autant de données sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle ; nous ne savons même pas où elles se trouvent. Non seulement notre identité est créée par les autres, mais elle est aussi éparpillée, vaporisée, de sorte qu’elle nous est inconnaissable dans sa totalité », explique-t-il dans le mensuel Letras libres.
Poursuivant sa démonstration, Fernández Mallo porte l’estocade : l’identité collective n’existe pas plus que l’identité individuelle, elle n’est rien d’autre qu’une « hallucination » partagée. « Voyez la montée, non seulement en Espagne mais aussi en Europe et aux États-Unis, du natio­nalisme identitaire. Ces mouvements sont fondés sur de vieux mythes créationnistes, copies séculaires du créationnisme biblique. » Nonobstant le caractère quelque peu déprimant d’un tel constat, le magazine El Cultural salue un livre « brillant et original ». 

[post_title] => L’identité, une fiction égomaniaque ? [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => lidentite-une-fiction-egomaniaque%e2%80%89 [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-08-26 10:20:05 [post_modified_gmt] => 2021-08-26 10:20:05 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=108490 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Comment la Suède en est-elle arrivée à opter pour une stratégie différente de celle, plus restrictive, qui a été adoptée par la quasi-totalité des autres pays du monde pour faire face au Covid-19 ? A-t-elle bien fait d’écarter le confinement ou le port généralisé du masque dans l’espace public ?
Un livre vient de paraître dans le royaume scandinave qui apporte des réponses à ces questions, et à d’autres. Son auteur, Johan Anderberg, un journaliste indépendant, avance en terrain miné, tant les choix des autorités suédoises ont été critiqués ou encensés.
Or, pour lui, la Suède s’en est plutôt bien tirée, avec un bilan humain à peu près identique à celui de la grippe de 1993. « C’est une conclusion assez provocante », estime le quotidien libéral Dagens Nyheter en faisant allu­sion aux quelque 14 800 morts suédois du coronavirus, bilan nettement supérieur à celui des pays voisins (2 600 au Danemark et moins de 1 000 en Finlande et en Norvège).
Malgré ces chiffres, poursuit le journal, l’auteur considère que la Suède a fait le bon choix pour une raison « importante » : la prise en compte de la liberté des citoyens « en tant que valeur primordiale, menacée par la poli­tique contre la pandémie » au nom de la sécurité. « Après un gros travail que peu d’autres ont pris le temps de faire », renchérit Expressen, Johan Anderberg ­soutient que la stratégie suédoise est « fondée non seulement sur une analyse correcte du danger que représente réellement le virus, mais aussi sur des considérations éthiques. Il n’y avait pas d’alternative prudente et sans risque, il n’y avait que des options différentes, des risques différents ».
Le quotidien Aftonbladet – de même sensibilité politique que le Premier ministre suédois, le social-démocrate Stefan Löfven – souligne, lui aussi, que la question des risques pris par les autorités sanitaires et politiques traverse tout l’ouvrage. « Comment les risques d’une stratégie donnée sont-ils mis en balance avec les bénéfices qu’elle représente au niveau individuel et collectif ? » Pour ce journal, Anderberg livre un « récit nuancé d’une époque si étrange que nous avons besoin d’aide pour trouver les mots ».
Il est regrettable que l’auteur ait hésité entre « les formes du roman policier, du pamphlet, de l’investigation journalistique et de l’enquête gouvernementale », pointe pour sa part le quotidien conservateur Svenska Dagbladet, tout en saluant l’hommage de l’auteur à la « raison » qui a poussé la Suède à ne pas suivre tous ces pays ayant adopté « des mesures hâtives, simplement parce que les dirigeants voulaient paraître proactifs ». 

[post_title] => La stratégie suédoise passée au crible [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => la-strategie-suedoise-passee-au-crible [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-08-26 10:20:05 [post_modified_gmt] => 2021-08-26 10:20:05 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=108493 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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La couverture très colorée et le titre peuvent laisser penser à une histoire douce, une romance peut-être. Il n’en est rien. Écoute, jolie Márcia met en scène une infirmière – la Márcia du titre – qui va et vient entre l’hôpital où elle travaille et la favela où elle vit avec son compagnon, Aluísio, et sa fille, Jacqueline, une jeune femme frivole et incontrôlable dont le père s’est évaporé depuis belle lurette. Les activités et les fréquentations de Jacqueline inquiètent sérieusement – et à juste titre – sa mère, et le ton monte vite entre ces deux femmes fortes, au caractère affirmé.
Aimée de ses collègues, appréciée de ses voisins, Márcia n’a pas peur d’apostropher les dealers qui font la loi dans la favela pour tenter de les éloigner de sa fille. Mais c’est peine perdue. Jacqueline s’est mise dans une situation critique, qui a plus à voir avec le grand banditisme qu’avec la petite délinquance. La volonté de Márcia de l’en extirper déclen­chera des drames en cascade, dans une ville gangrenée par les bandes qui régissent le trafic de drogue et les milices qui, sous couvert de protection, intimident, rackettent et magouillent à qui mieux mieux. Par exemple, l’infirmière ne s’étonne qu’à moitié de trouver une chambre de l’hôpital littéralement squattée par Tigela, le chef des dealers du quartier, venu se faire soigner après une chute à moto, entouré de ses potes et de ce qu’il faut d’armes et de caisses de bières.
En donnant un coup de pied dans la fourmilière, Márcia va, dans une certaine mesure, sauver sa fille, mais ­aussi se mettre en danger, tandis que son ­compagnon Aluísio sera laissé pour mort dans un terrain vague… Pour survivre, il ­faudra changer de ville, changer d’État. Fuir.
L’histoire commence pour­tant sur un mode léger, presque comique. Márcia est au téléphone avec une employée de call-center et tente de résilier un abonnement télé­phonique – leur dialogue surréaliste fait écho à des situations que nous pouvons connaître. Les couleurs sont vives et gaies – saisissant contraste avec la violence qui s’installe peu à peu. Elle affleure d’abord dans les échanges de Jacqueline avec sa mère et son beau-père – parler d’engueulades serait plus exact –, mais comporte aussi des touches d’humour. ­Ainsi la jeune femme lance-t-elle à sa mère : « Inutile de me suivre, je ne suis pas une telenovela ! »
Contraste également entre la favela où vit Márcia et l’immeuble fastueux où elle va, en plus de son travail à l’hôpital, s’occuper de Cremila, une vieille dame atteinte de la maladie d’Alzheimer. Dans cet endroit où tout est luxe et calme, qui donne sur une immense plage qu’on imagine être ­Copacabana, Márcia tombe sur un CD qui compile de vieilles chansons, dont l’une, Escuta, formosa Márcia, donne son titre à la bande dessinée.
On peut voir dans ce roman graphique autant une description de la vie dans les favelas, marquée par la violence mais aussi l’entraide, qu’un hymne aux femmes. Elles sont en effet les personnages principaux de l’action. Márcia, bien sûr, en mère courage ; Jacqueline, en fille perdue – et peut-être retrouvée –, qui reste le personnage le plus paradoxal. Elle n’est jamais attachante, même quand elle finit par consentir aux visites de sa mère en prison, même quand elle semble avoir trouvé l’amour et s’apprête à entamer une vie de mère à son tour. Les voisines, l’avocate, la commissaire de police sont également de la partie, proactives face à des hommes plutôt impuissants – Aluísio, qui fait de son mieux mais se laisse vite ­dépasser, les voyous de la favela, grosses armes et ­petite cervelle, les « big boss » des trafics de marchandises volées, dont on suppose qu’ils ne resteront pas longtemps derrière les barreaux…
Si Márcia est l’héroïne de cette histoire, personne n’y est héroïque, tant le récit donne à voir la vie ordinaire, triviale, dans un Brésil qui n’est pas tout à fait celui d’aujourd’hui, marqué par la pandémie de Covid-19, mais qui est aux prises avec d’autres formes de ravages. 

O. C.

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« Pour comprendre à quel point L’Éducation sentimentale de Flaubert est révolutionnaire, inutile de lire le livre. Il suffit de le regarder », s’amuse le critique Andreas Isenschmid dans le Zeit.
Jamais jusqu’ici un roman n’avait comporté tant de paragraphes si courts : deux lignes souvent, voire une seule, parfois composée d’une seule phrase elle-même fort courte (songeons au célébrissime « Il voyagea »). Outre-Rhin, l’ouvrage jouit depuis longtemps d’une grande réputation.
Pour le regretté théoricien de la littérature Hugo Friedrich, aucun autre roman français du xixe siècle n’était si « travaillé » ni ne proposait « un style plus pur ». « Des esprits aussi différents que Hofmann­sthal et Kafka le portaient aux nues », rappelle Andreas Isenschmid, qui se réjouit de la parution d’une nouvelle traduction à la hauteur du perfectionnisme de Flaubert : signée de l’Autrichienne Elisabeth Edl, « elle rend justice à son obsession de la précision et du rythme », ­souligne-t-il.
Si l’on y ajoute une postface de 70 pages qui constitue « une brillante monographie en soi » et 150 pages de notes, ce ­volume n’a rien à envier, selon Isenschmid, à l’édition française parue dans la « Pléiade » en mai dernier. 

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Hormis le fait qu’elles étaient toutes deux des femmes, on voit mal ce qui peut rapprocher la marquise de Pompadour, favo­rite de Louis XV, de Rosa Luxemburg, égérie et martyre de la révolte spartakiste.
Dans le Zeit, Jens Jessen hasarde pourtant une comparaison : toutes deux furent des bêtes politiques. C’est évident pour Rosa Luxemburg. Pour la marquise, Jessen rappelle que les maîtresses officielles des rois de France ne se contentaient pas de partager leur lit : « elles étaient des conseillères influentes, parfois les seules en qui le monarque se fiait ».
Ainsi peut-on tout à fait considérer que la Pompadour, qui orienta de façon décisive la diplomatie française, occupa le poste de ministre officieux des Affaires étrangères.
Autre point commun entre la marquise et la révolutionnaire : toutes deux durent surmonter de sérieux handicaps de départ. La première était née Jeanne-Antoinette Poisson et, roturière, dut s’imposer au sein de la haute aristocratie de Versailles. La seconde, juive polonaise, s’imposa, elle, au sein d’un parti social-démocrate allemand très masculin, nationaliste et passablement antisémite.
« L’une comme l’autre, remarque Jessen, se distinguaient de leurs contemporains par leur esprit, lequel – et c’est là encore un point commun étonnant –ne s’épanouissait jamais mieux qu’en petit comité. » 

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La bande-annonce du Voyage d’Arlo1 des studios Pixar s’ouvre sur un amas de gigan­tesques blocs de roche flottant dans l’espace : une ceinture d’astéroïdes. Tout à coup, traversant la muraille, un astéroïde en heurte un autre et vient ricocher sur un troisième, qui file à toute vitesse à travers le vide, en partance pour un objet lointain. À mesure que l’objet grandit, son identité ne fait plus aucun doute : c’est une planète bleue émaillée de touches de vert et de traînées blanches. « Il y a des millions d’années, un astéroïde large de 10 kilomètres a détruit tous les dinosaures sur Terre », commente le narrateur. On voit l’astéroïde qui rentre dans l’atmosphère de la Terre, il devient orange, il grésille.
Vous connaissez la suite : l’impact dans le golfe du Mexique ; instantanément, les forêts de l’hémisphère Nord prennent feu ; des tremblements de terre partout dans le monde ; le ciel, noir de suie pendant des mois. Les dinosaures, et bien d’autres créatures, anéantis. Un jour bien triste. Cette production Pixar a l’air d’être bien plus sombre que la plupart des autres films du studio : une véritable tragédie, marquant la disparition des grands reptiles.
Ou peut-être pas, finalement.
« Et si… ? » se demande la voix de la bande-annonce en montrant l’astéroïde filant à toute allure à travers le ciel crétacéen. Quelques béhémoths en pâturage – ce sont des sauropodes, à savoir des dinosaures à bec de canard – lèvent les yeux un court instant puis s’en retournent remplir leurs ventres caverneux de feuilles. L’astéroïde poursuit sa course : il ne s’est pas écrasé sur Terre, il est passé juste à côté. La vie suit son cours et les dinosaures continuent de manger leurs salades.
La réponse à cette question, « Et si… ? », je pense la connaître. Il y a 66 millions d’années, les dinosaures étaient au sommet de leur règne. Leur domination s’est étendue sur plus de 100 millions d’années. Sans astéroïde, ils auraient continué de régner sans partage : T. rex, Triceratops, Velociraptor, Ankylosaurus – ils auraient tous survécu. De nouveaux dinosaures auraient évolué et auraient remplacé les anciens. De changements en changements, le cortège dino­saurien aurait poursuivi sa marche. Selon toute vraisemblance, les dinosaures seraient toujours en train de fouler la Terre de nos jours.
Et qui seraient-ils, les grands absents dans ce nouveau tableau ? Nuls autres que nous-mêmes, bien entendu ! En effet, bien que nous autres mammifères soyons apparus il y a 225 millions d’années, presque exactement au même moment que les dinosaures, nous n’avons pas accompli grand-chose de nos premiers 160 millions d’années d’existence. Les dinosaures eux-mêmes s’en étaient assurés personnellement. Nos ancêtres à fourrure ne représentaient alors qu’un ajout tout à fait anecdotique dans la biosphère mondiale : en règle générale, ils étaient bien plus petits que le plus petit des dinosaures, actifs seulement pendant la nuit afin d’éviter leurs seigneurs reptiliens, se précipitant sous les broussailles et se nourrissant des quelques restes qu’ils parvenaient à trouver ici et là. Prenez l’opossum, par exemple, et vous aurez une bonne idée de l’apparence ainsi que du mode de vie de nos lointains parents du Crétacé.
Ce n’est qu’après la collision de l’astéroïde et l’extinction des dinosaures que les mammifères eurent leur première grande occasion dans la course à l’évolution. Avec succès d’ailleurs, puisque notre prolifération extrêmement rapide remplit toute l’écosphère, inaugurant un véritable âge des mammifères pour les 66 millions d’années à venir. Mais tout cela, nous le devons avant tout à l’astéroïde.
Scientifiques comme profanes, il fut un temps où nous pensions tous que l’ascension des mammifères était inévitable, que nous autres mammifères étions naturellement supérieurs à ces brutes de reptiliens. En témoignaient notre cerveau particulièrement gros ainsi que notre moteur à combustion interne produisant de la chaleur corporelle. Cela avait pris un certain temps, disait-on alors, mais nous avions bien fini par les supplanter, ces dinosaures, peut-être en dévorant leurs œufs jusqu’à les condamner à l’extinction ou, de manière générale, en leur montrant à qui ils avaient affaire.
Nous savons à présent que toute cette histoire est absurde. Les mammifères n’ont joué qu’un rôle mineur dans cette grande pièce de l’évolution qu’a été le Mésozoïque. Les dinosaures, eux, s’en tiraient à merveille jusqu’à ce fameux jour il y a 66 millions d’années, leur domination aucunement remise en cause par la vermine fourmillant sous leurs pieds. Sans l’intervention de l’astéroïde, la vie aurait tranquillement suivi son cours, ponctuée de toutes sortes d’intrigues et de machinations reptiliennes. De nouvelles espèces seraient apparues, d’autres se seraient éteintes, ainsi qu’il en avait été depuis des millions d’années. Tout indique que nous autres mammifères ne serions absolument pas sortis de l’ombre pour devenir ces grands concurrents de l’écosystème global. Les dinosaures étaient déjà installés, occupant toutes les niches écologiques, utilisant toutes les ressources disponibles – ce n’est qu’après leur disparition que nous avons bénéficié d’un véritable tournant évolutif.
Pas d’astéroïde, pas d’extinction de masse et pas d’explosion évolutive pour les mammifères, pas de vous et pas de moi. J’étais donc très content d’aller voir ce film de Pixar. Un film qui parlait d’un monde toujours peuplé de dinosaures, un monde qui n’avait pas été touché par l’astéroïde. Après quarante-cinq secondes de bande-annonce, je savais déjà que ce film allait me plaire.
La bande-annonce se poursuivit alors avec un T. rex qui chassait un troupeau d’herbivores en pleine débandade, un pêle-mêle d’énormes bêtes mangeuses d’herbes, des brontosaures2 au long cou et des Triceratops à trois cornes : rien de nouveau sous le soleil du Mésozoïque. Mais, soudain, j’eus un choc : certaines de ses bêtes ressemblaient plus à des bisons velus avec de grosses cornes qu’à des cératopsiens. Et, dans la scène suivante, on voyait un brontosaure bondissant le long d’un chemin avec quelque chose sur sa tête – un petit enfant !
Mais si l’astéroïde n’avait fait que frôler la Terre, que faisaient donc là les mammifères ? Certes, c’est un film Pixar, donc on s’attend à ce que certaines libertés soient prises (des dinosaures qui parlent anglais, par exemple), mais y a-t-il une quelconque preuve scientifique pouvant soutenir la coexistence d’un brontosaure, d’un bison et d’un bébé ? Si les dinosaures n’avaient pas tous disparu, les mammifères se seraient-ils tout de même diversifiés, produisant alors des bisons et, surtout, l’espèce humaine ? Les dinosaures avaient tenu les mammifères en respect dans leurs petites broussailles pendant des millions d’années. Après tout ce temps, les mammifères auraient-ils pu enfin se libérer de leurs chaînes évolutives et prospérer pendant le règne des grands reptiliens ?
C’est en effet possible, en tout cas selon les dires du paléontologue britannique Simon Conway ­Morris. Les dinosaures, en tant que reptiles, préféraient les températures chaudes. Leur métabolisme lent ne produisait pas beaucoup de chaleur corporelle. Quand il faisait chaud, ce n’était pas un problème – ils tiraient leur source de chaleur de leur environnement et, si besoin, se contentaient de paresser à la lumière du soleil. D’ailleurs, la dynastie des dino­saures avait été rendue possible par une longue période de réchauf­fement climatique : la majeure partie du monde était tropicale, il faisait bon être un reptile à cette époque.
Mais, selon Conway Morris, le climat commença à changer il y a environ 34 millions d’années. Le monde se refroidissait. Une ère glaciaire débuta, les glaciers s’étendirent et, partout sur la planète, il commença à faire un peu plus frisquet. Ce n’est pas par hasard si l’on ne trouve aucun reptile à l’extrême sud ou à l’extrême nord du globe : il y fait trop froid pour eux ! Conway Morris affirme donc que, même si les dinosaures avaient survécu, ce refroidissement global aurait permis aux mammifères d’amorcer leur radiation évolutive. Les dinosaures auraient été forcés de battre en retraite vers l’équateur, libérant les latitudes hautes et moyennes, donnant enfin aux mammifères une chance dans le jeu de l’évolution.
Faisons comme si Conway Morris avait raison et que ce scénario était plausible. Les mammifères ont donc commencé à se diversifier et à s’installer dans des niches écologiques qui depuis longtemps avaient été occupées par les dinosaures, croissant et se multipliant, devenant de plus en plus complexes. Cette diversification évolutive, rendue possible par l’arrivée d’un âge de glace, aurait alors mené à un âge des mammifères tout aussi riche et tout aussi somptueux que celui qui suivit effectivement l’impact de l’astéroïde.
Mais aurait-on assisté au même âge des mammifères ? Est-ce qu’il y aurait eu des éléphants et des rhinocéros ? Des tigres et des cochons de terre ? Ou est-ce que ce monde parallèle aurait fait surgir un ensemble très différent d’animaux – des espèces complètement inconnues se partageant les ressources du monde, remplissant ses niches ­écologiques mais de manière totalement différente des créatures qui nous entourent ? Ou, pour formuler la question d’une manière plus directe : serions-nous apparus, nous les humains ? Y aurait-il eu des bébés pour s’asseoir sur la tête d’un brontosaure Pixar ?
C’est avec emphase que Conway Morris répond : oui. Lui et d’autres scientifiques soutiennent que l’évolution est un phénomène de nature déterministe, prévisible, appelé à suivre toujours le même chemin [lire l’entretien avec Conway Morris dans Books no 4, avril 2009]. La raison étant, selon eux, qu’il existe un nombre limité de moyens de façonner un être ­vivant. À chaque problème posé par l’environnement il existerait une solution unique et optimale, poussant la sélection naturelle à produire encore et encore les mêmes résultats évolutifs.
Pour prouver ce qu’ils avancent, ils pointent du doigt les convergences évolutives, autrement dit le phénomène par lequel des espèces différentes sont amenées, indépendamment les unes des autres, à développer des traits similaires. S’il existe bien un nombre limité de façons pour un organisme de s’adapter à son environnement, alors on peut raisonnablement s’attendre à ce que des espèces occupant des environnements similaires finissent par développer le même genre de solutions adaptatives. Et c’est justement ce qu’on observe. Ce n’est pas un hasard si les dauphins et les requins se ressemblent beaucoup – afin de poursuivre rapidement leurs proies dans l’eau, ils ont développé la même morphologie. Les yeux des poulpes et ceux des humains sont quasi identiques : la raison en est que leurs ancêtres avaient développé des organes très similaires pour détecter et concentrer la lumière. Comme nous le verrons très bientôt, ces convergences évolutives forment une longue liste d’adaptations. Selon Conway Morris et ses collègues, il s’agirait là d’un phénomène à la fois universel et inéluctable, dont l’existence nous autorise à imaginer une histoire alternative de l’évolution dans le cas hypothétique d’une apparition tardive des mammifères. Conway Morris aboutit à la conclusion suivante : « L’émergence dans des milieux arboricoles de mammifères actifs et agiles, ressemblant au singe, et enfin d’une forme de vie proche des hominidés aurait été seulement retardée, et non pas annulée […]. Sans l’impact de l’astéroïde à la fin du Crétacé […], l’apparition des hominidés aurait été repoussée d’à peu près 3 millions d’années. » Autrement dit, Pixar tenait le bon bout en mélangeant bébés et brontosaures.
Poussons l’argument un cran plus loin : même si les mammifères étaient à jamais restés dans l’ombre, une espèce comme la nôtre aurait-elle pu apparaître à partir d’une autre lignée ancestrale ? Si la convergence est à ce point inévitable, l’instance de certaines solutions particulières à ce point implacable, il n’y a aucune raison de penser que l’émergence des mammifères en était la condition nécessaire. Un bipède avec un gros cerveau, extrêmement sociable, muni d’une paire d’yeux orientés vers l’avant ainsi que de membres antérieurs capables de manipuler des objets aurait pu très bien apparaître à partir d’une ascendance différente. Mais si ce n’est pas à partir des mammifères, alors à partir de quoi ?
La réponse à cette question nécessite que l’on passe du « bon dinosaure » au « terrible dinosaure ». Plus spécifiquement, au Velociraptor, le grand méchant de Jurassic Park (et, à la faveur d’une rédemption pour le moins surprenante, le héros de Jurassic ­World). Quelle intelligence hors norme ! Ces reptiles rusés, travaillant en équipe, s’y montraient encore plus ­malins que le chasseur de safari aguerri et ­comprenaient même comment ouvrir les portes en ­utilisant leurs pattes à trois griffes. Ils s’orientaient visuellement et leur station était bipède. Une telle description n’est-elle pas étrangement familière ?
À quelques exceptions près, la représentation des vélociraptors dans Jurassic Park est à peu près correcte3. Bien entendu, on ne peut pas déterminer leur degré d’intelligence avec exactitude, mais on sait qu’ils étaient dotés de gros cerveaux. De l’avis de certains paléontologues, ils étaient de nature sociable, vivant en groupes et se coordonnant les uns les autres pour attaquer leurs proies, comme des lions ou des loups. Si d’aventure vous étiez à la recherche d’un point de bascule marquant les débuts évolutifs d’un animal ressemblant à un hominidé, le Velociraptor serait donc un bon candidat.
C’était d’ailleurs le point de départ du paléontologue canadien Dale Russell au début des ­années 1980. Son objet d’étude était un proche ­parent du Velociraptor, un autre petit théropode du nom de Troodon qui date également de la fin de la période du Crétacé. Proportionnellement au poids total du corps, les Troodons possédaient le plus gros cerveau de tous les dinosaures : sa taille le rendait comparable à celui d’un tatou ou d’une pintade. Autrement dit, ces dinosaures n’étaient pas de grands génies, mais ils étaient loin d’être ineptes. Russell remarqua que, pendant des millions d’années, les animaux avaient tous progressivement développé des cerveaux de plus en plus gros. Le fait que le cerveau dinosaurien le plus imposant soit apparu chez une espèce datant de la fin du règne des dino­saures indique qu’ils suivaient également cette même tendance évolutive d’accroissement progressif du cerveau. Mais que se serait-il passé si l’astéroïde ne les avait pas tous anéantis ? se demanda Russell. Comment les descendants du Troodon auraient-ils évolué si la sélection naturelle les avait poussés à développer des cerveaux de plus en plus gros ?
Afin d’imaginer l’apparence d’un descendant actuel du Troodon, Russell raisonna de la ­manière suivante : des cerveaux plus gros nécessitent des boîtes crâniennes proportionnellement plus grandes ; celles-ci sont généralement associées à un raccourcissement de la région faciale ; les têtes plus lourdes s’équilibrent plus facilement dès lors qu’elles sont directement placées en haut du corps ; ce qui favorise à son tour une posture verticale et rend inutile la présence d’une queue faisant office de contrepoids puisque la moitié antérieure du corps ne penche plus vers l’avant. Ajoutez-y encore quelques hypothèses sur le meilleur schéma à adopter pour une jambe et la meilleure structure pour une cheville chez un organisme qui marche debout et vous y êtes : on obtient alors ce qu’on a pu appeler, faisant fi de toute élégance, le « dinosauroïde » : une créature verte, écaillée, dotée d’une ressemblance frappante avec l’homme – même les fesses et les ongles y sont !
Gardez bien à l’esprit que Russell ne s’est pas demandé comment un dinosaure ferait pour évoluer vers un humanoïde. Son but était plutôt de réfléchir à la manière dont la sélection naturelle, favorisant des cerveaux de plus en plus imposants, serait amenée à provoquer certains changements anatomiques. Le résultat final conduit à imaginer une créature extrêmement similaire à nous-mêmes : un humanoïde reptilien.
Les projections évolutives de Russell, bien que formulées des années avant les travaux de Conway Morris, sont donc bien cohérentes avec les vues de ce dernier : l’évolution d’une forme de vie proche des hominidés était inévitable. La proximité entre les deux auteurs est telle que, dans un documentaire de la BBC, on pouvait voir Conway Morris siroter son café à côté d’un dinosauroïde en train de lire le journal.
Ainsi, bien des options s’offraient à Pixar pour faire un bon scénario. Si l’astéroïde crétacéen avait raté la Terre, alors, selon Conway Morris et ses collègues, l’espèce humaine, ou du moins quelque chose s’en approchant, serait apparue d’une manière ou d’une autre. Restait à savoir si l’espèce en question aurait été poilue, étant le fruit d’une diversification mammifère retardée, ou si elle aurait plutôt eu des écailles, résultant alors d’une sélection naturelle ­favorisant chez les dinosaures des cerveaux de plus en plus grands.
Rien de plus stimulant que d’envisager des hypothèses contrefactuelles, de songer à ce qui aurait pu se passer si l’Histoire avait suivi un cours différent. Néanmoins, s’interroger sur l’inévitabilité d’une évolution humanoïde est un questionnement qui transcende les simples spéculations sur l’histoire naturelle de la Terre.
Nous savons à présent qu’il existe de nombreuses planètes dans l’Univers qui sont susceptibles d’abriter la vie telle que nous la connaissons. Ces « exoplanètes habitables » ne sont ni trop chaudes ni trop froides et ont de l’eau liquide à leur surface. Une étude récente a démontré qu’on pourrait en trouver des milliards dans la seule Voie lactée. La plus proche d’entre elles pourrait même se situer à seulement quatre années-lumière.
Supposez maintenant que la vie soit apparue sur certaines de ces planètes. À quoi ressemblerait-elle ? Les formes de vie s’approcheraient-elles de celles que nous connaissons ? Et qu’en serait-il des formes de vie intelligentes, potentiellement aussi intelligentes que nous, ou même encore plus ? À quel point ressembleraient-elles aux humains, si ressemblance il y avait ?
Si l’on s’en tient à ce qu’on nous montre dans les films, la ressemblance serait très grande. D’ailleurs, certains scientifiques réputés tombent d’accord avec ce genre de rapprochement. « Si jamais nous réussissions à rentrer en communication avec des êtres capables de pensée conceptuelle, écrivait le défunt biologiste Robert Bieri, ils n’auraient pas l’apparence de sphères ou de pyramides, de cubes ou de crêpes. Selon toute vraisemblance, ils nous ressembleraient beaucoup. » 

— Ce texte est un extrait du livre Destinées improbables.
Le hasard, la nécessité et l’avenir de l’évolution
, de Jonathan B. Losos, à paraître le 23 septembre 2021 aux éditions La Découverte.
— Il a été traduit de l’anglais par Benjamin Watkins.

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Être une femme en Chine, l’une des sociétés les plus patrilinéaires de la planète, n’est pas nécessairement une partie de plaisir. Mais y être une femme de pouvoir (ou supposée telle), c’est la quasi-assurance de jouir d’une réputation posthume atroce.
« L’Empereur a cherché pour ses plaisirs/ une beauté à ruiner son empire »1.
Les premiers vers du Chant des regrets éternels, l’un des poèmes les plus justement célèbres de la littérature chinoise, résument assez bien cette idée devenue un lieu commun : en Chine, pour celui qui gouverne, une femme trop influente représente un danger sournois. Elle est celle par qui les catastrophes arrivent.
Dans le poème, qui évoque des faits bien réels, la catastrophe en question, c’est la révolte d’An Lushan, qui, au milieu du viiie siècle, sous la dynastie Tang, aurait fait 36 millions de morts (les deux tiers de la popu­lation chinoise d’alors). Yang Guifei, l’une des « quatre beautés de la Chine antique » et favorite de l’empereur Xuanzong, en est rendue responsable. Alors que l’empereur et elle fuient la capitale menacée, les soldats exigent son exécution :


« Ils veulent que la belle
aux longs sourcils
Soit mise à mort sous
les pieds des chevaux.
La couronne fleurie
de sa coiffure
Jetée à terre nul
ne la ramasse
Ni l’épingle de jade
verte et blanche
Ni l’oiseau jaune
d’or de ses cheveux.
L’Empereur n’a rien
pu pour la sauver
Il s’est caché la tête
dans les mains
Et quand de loin
il s’est tourné pour voir
Cette terre de larmes
et de sang
Était cachée par
la poussière jaune
Que levait en spirale
un vent glacé. »


Cette mort mythifiée par la poésie rachète, d’une certaine façon, les erreurs de la jeune femme : du statut de coupable elle passe à celui de martyre, objet de « regrets éternels ». En revanche, malheur à celles qui n’expient pas.
Wu Zetian, la seule impératrice régnante de l’histoire de la Chine (et grand-mère de Xuanzong), qui osa fonder sa propre dynastie et mourut octogénaire dans son lit, a beau avoir été depuis longtemps réhabilitée par les historiens sérieux, la culture populaire continue à la présenter sous un jour sinistre. Les amateurs de la récente série de films hongkongais Détective Dee ont peut-être à l’esprit cette impressionnante matrone aux sourcils épais et à la chevelure surmontée d’invraisemblables ornements dorés défiant les lois de la gravité. C’est Wu Zetian à la veille de sa prise de pouvoir. On ne peut pas dire qu’elle inspire confiance.
La femme comme bouc émissaire… Si vous doutez encore qu’il s’agisse là d’une constante de l’histoire chinoise, songez à Jiang Qing, la veuve de Mao ­Zedong. À la mort de ce dernier, en 1976, on l’accuse d’être la vraie responsable des débordements de la Révolution culturelle : elle est arrêtée, condamnée à mort puis graciée et placée en détention. Elle se suicidera en 1991.
Songez aussi aux sœurs Song. Aucune d’elles n’a connu de mort tragique, mais toutes les trois ont eu un destin si extraordinaire et côtoyé de si près les hommes forts de leur époque qu’elles n’ont pas manqué d’alimenter les médisances. Dans l’ouvrage qu’elle leur consacre, la Sino-Britannique Jung Chang, qui a grandi dans la Chine communiste, rappelle que « les ragots concernant la vie sexuelle des dirigeants du pays étaient extrêmement rares ». Or tout le monde racontait que la cadette des Song avait pris pour amant le chef de ses gardes du corps, moitié moins âgé qu’elle. La benjamine, elle, était accusée de prendre des bains de lait pour entretenir « l’éclat de son teint », un gaspillage bien entendu « scandaleux ».
Jung Chang avait déjà consacré une biographie remarquée à la dernière impératrice de Chine, Cixi – encore une femme de pouvoir victime d’une légende noire tenace [lire « L’impératrice Cixi réhabilitée », Books n°103, décembre 2019-janvier 2020]. Dans ce nouveau livre, Cixi apparaît fugacement au début et, derechef, Chang rend hommage à son œuvre réformatrice. À certains égards, la vie des sœurs Song, telle qu’elle la retrace, vient prolonger celle de la concubine devenue toute-puissante impératrice douairière. L’occasion, pour la biographe, de contribuer à une vaste entreprise de réévaluation du rôle des femmes dans la moder­nisation de la Chine.
Ailing, Qingling et Meiling sont nées respectivement en 1889, 1893 et 1898. La dernière est décédée en 2003 à New York. Autant dire que leur vie embrasse tous les tumultes du xxe siècle. Elles sont les filles d’un personnage étonnant, Charlie Song, issu d’un milieu modeste mais qui eut la chance de pouvoir faire des études aux États-Unis, où il se convertit au protestantisme. De retour en Chine, ce petit homme de 1,50 m à l’humour ravageur fit fortune et s’arrangea pour que tous ses enfants, ses trois garçons mais aussi ses trois filles (ce qui était d’une audace folle pour l’époque), partent comme lui se former à l’étranger. C’est ainsi qu’Ailing, son aînée, sera « la première Chinoise à faire des études en Amérique ».
Un autre élément de la vie de Charlie joua un rôle décisif dans la trajectoire de ses filles : au printemps 1894, il fit la connaissance de Sun Yat-sen, celui qu’aujourd’hui la République populaire de Chine aussi bien que Taïwan reconnaissent comme le père de la République chinoise. Il devint l’un de ses premiers et plus fidèles soutiens.
Au départ, c’est à cette grande figure historique que Jung Chang voulait consacrer son livre, et, de fait, Sun Yat-sen en domine toute la première partie. Il en ressort éreinté.
Celui qui d’ordinaire passe pour une sorte de saint laïc, un être désintéressé, animé d’idéaux nobles et purs, prend, sous la plume de Chang, les traits inattendus d’un individu sans grandeur ni scrupules, obsédé par sa propre gloire.
Sa notoriété, il la doit à un événement qui en dit long sur ses méthodes. En 1896, alors qu’il vit exilé à Londres après un soulèvement manqué à Canton, il pénètre à l’intérieur de la délégation chinoise dans l’espoir d’y provoquer un esclandre qui attirera l’attention sur lui. Rien ne se passe comme prévu : on l’y ­retient prisonnier et on envisage de le renvoyer en Chine, où ­l’attend une condamnation à mort. Qu’à cela ne tienne, Sun, qui sait ne pas risquer grand-chose (les Britanniques, en effet, interdisent son extradition), se pose en victime d’un enlèvement. Sitôt libéré (au bout de treize jours), il « rédige à la hâte un ouvrage doté du titre racoleur Kidnapped in London ». L’épisode fait de lui « le seul révo­lutionnaire chinois internationalement connu ».
Il ne rentre en Chine qu’en décembre 1911, après la chute de la dynastie mandchoue, ce qui lui vaut, aux yeux de bon nombre de révolutionnaires, de passer pour un « lâche ». Cité par Jung Chang, le correspondant du Times rapporte que les républicains « parlaient avec un certain mépris d’un homme qui n’avait été que le représentant de commerce de la révolution, n’y avait pas pris part concrètement, s’étant toujours tenu à l’écart pour sauver sa peau ». Alors qu’il pensait son heure venue, le pouvoir échoit à d’autres. Il y voit une scandaleuse injustice qu’il va passer le reste de sa vie à tenter de corriger à grand renfort de coups tordus, de fréquentations douteuses et de compromissions en tout genre.
C’est pendant ces années que, par l’intermédiaire de son bon ami Charlie Song, il rencontre Ailing. La jeune fille devient sa secrétaire. Sun, qui, lors de ses séjours à l’étranger, a développé un goût prononcé pour les femmes occidentalisées, en tombe amoureux. Mais l’intéressée, fervente chrétienne, ne se voit pas devenir la concubine d’un homme déjà marié et repousse ses avances.
Qu’importe, Sun se console vite avec la cadette, Qingling. Cette dernière est peut-être le personnage le plus fascinant du livre de Jung Chang. Elle est passée à la postérité sous le nom de « Mme Sun Yat-sen », le titre de respect français « madame » remplaçant l’anglais « Mrs. », jugé insuffisamment prestigieux. C’est que Qingling devait faire oublier que son mariage, célébré en octobre 1915 à Tokyo (où était alors réfugié Sun), avait été « parfaitement réel en tout, sauf sur le papier ». Voici comment la biographe le relate : « La cérémonie eut lieu chez un certain Wada Mizu et le couple signa en trois exemplaires un “contrat de mariage” en japonais préparé par Wada. Qingling, qui ne parlait pas japonais, pensait que Wada était un “célèbre juriste” et que le “contrat” avait été enregistré auprès du gouvernement de Tokyo et était donc juridiquement contraignant. En réalité, Wada Mizu n’était pas juriste […] et le gouvernement de Tokyo n’enregistrait pas les ­mariages d’étrangers. Le “contrat de ­mariage” n’était qu’une feuille de papier ordinaire que Wada avait présentée puis signée en qualité de “témoin”. Il n’avait ­aucune valeur légale. Toute cette affaire n’était qu’une comédie montée de toutes pièces pour satisfaire la jeune femme ».
Charlie Song, le père, ne pardonna jamais à son « ami » Sun Yat-sen. Pourtant, celui-ci était sincèrement épris de Qingling (qui avait la moitié de son âge) et lui resta fidèle. Loin de se contenter de jouer les potiches, elle devint une collaboratrice indispensable et enthousiaste, l’aidant par exemple à rédiger une brochure à sa gloire intitulée « La théorie du soleil », texte « sans queue ni tête » dont Jung Chang rend compte de ­façon hilarante dans son livre.
Sun Yat-sen, le « Père de la Chine », n’en fut jamais le dirigeant légitime. Le mieux qu’il obtint fut de présider dans le sud du pays, à partir de 1921, un gouvernement séparatiste qui s’opposait au gouvernement le plus démocratiquement élu de l’histoire de la Chine. Pour servir ses ambitions, il s’acoquina aussi bien avec les Japonais, auxquels il promit la Mandchourie, qu’avec les Russes communistes, à qui il était prêt à abandonner la Mongolie. Un cancer du foie l’emporta en 1925, mais cela faisait longtemps déjà que Qingling avait perdu toute illusion à son sujet : en 1922, il s’était enfui de sa rési­dence de Canton sur le point d’être attaquée. La jeune femme, qui était alors enceinte, resta pour le couvrir, attendant qu’il soit en lieu sûr pour le ­rejoindre. Or Sun, une fois à l’abri, s’abstint de l’en avertir. Simple négligence ? Pour Jung Chang, il voulait « utiliser sa femme comme appât pour que l’assaut se transforme en bataille acharnée, lui donnant ainsi un prétexte pour bombarder Canton depuis ses canonnières ». Qingling en réchappa, mais elle fit une fausse couche qui lui ­interdit par la suite toute possibilité de devenir mère.
La plus jeune des sœurs Song, Meiling, connut un sort étonnamment similaire : après une tentative d’assassinat visant son époux, elle fit elle aussi une fausse couche qui l’empêcha d’avoir des enfants. Précision : l’époux qu’on avait voulu tuer s’appelait Tchang Kaï-chek (Jiang Jieshi en pinyin). Il est l’autre grande figure décisive dans l’histoire des trois sœurs.
L’auteure en dresse un portrait plutôt nuancé. Tchang Kaï-chek, rappelle-t-elle, commença la carrière qui devait le mener à la tête de la Chine comme homme de main au service d’un mafieux de Shanghai, allié de Sun Yat-sen – l’un de ses premiers faits d’armes consista à abattre un rival de Sun. Puis, de jeune voyou débauché et passablement ivrogne, il se mua peu à peu en manipulateur averti, réussit à se faire nommer à la tête de l’armée nationaliste et s’empara du pouvoir à la fin des années 1920.
Malgré la violence et la corruption insensées de son régime, le personnage n’apparaît pas entièrement antipathique. Quand son protecteur mafieux, abandonné de tous, se fit tuer, Tchang fut le seul à avoir le courage de lui organiser des obsèques. Plus tard, pour récupérer son fils, que les Soviétiques détenaient prisonnier, il accepta de ménager les communistes de Mao, qu’il avait pourtant alors les moyens d’écraser (l’issue heureuse de la Longue Marche ne tiendrait, à en croire Jung Chang, qu’à cela).
La famille Song joua un rôle crucial dans l’ascension de Tchang Kaï-chek, et, par la suite, celui-ci s’en remit largement à elle pour l’aider à gouverner le pays.­Selon la biographe, « la personne que Tchang écoutait le plus était Ailing », laquelle avait épousé un important homme d’affaires qui serait Premier ministre de la Chine nationaliste. C’est ­Ailing, d’ailleurs, qui arrangea le ­mariage du généralissime (ainsi que se faisait appeler Tchang) avec « Petite Sœur Meiling ». La seule qu’il ne réussit jamais à rallier fut Qing­ling. Il faut dire qu’il avait fait exécuter l’homme dont elle était tombée amoureuse après la mort de Sun Yat-sen.
Jung consacre de longs développements aux conflits qui oppo­sèrent les trois sœurs – et reflètent ceux qui ont déchiré la Chine au siècle dernier. Qingling rejoignit les communistes tandis que Meiling et Ailing, par la force des choses, restèrent dans le camp nationaliste. En 1949, après le triomphe de Mao, Qingling devint vice-présidente de la Répu­blique populaire tandis que les deux autres fuyaient à Taïwan.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Meiling a rendu de grands services à son mari. Elle avait fait sensation lors d’une tournée aux États-Unis organisée en 1943 pour obtenir l’appui des Américains face aux Japonais. « Quand elle arriva à Washington pour commencer sa visite officielle, raconte Jung Chang, Mrs. Roosevelt vint l’accueillir en personne à la descente du train ; elle la prit par le bras et la conduisit au président, qui l’attendait devant la gare dans une voiture de la Maison-Blanche. Meiling prit la parole devant 17 000 personnes au Madison Square Garden de New York, devant 30 000 au Hollywood Bowl de Los Ange­les, et, de ville en ville, elle fut accueillie par des foules en délire. Le 18 février, quand elle parla devant le Congrès – un honneur insigne –, le spectacle de cette petite femme menue et fluette, vêtue d’un séduisant qipao traditionnel, au milieu de tous ces grands hommes sous un plafond superbe, fut impressionnant. Et son discours, prononcé dans un anglais irréprochable, émut aux larmes plusieurs de ces hommes puissants. Elle eut droit à une standing ovation de quatre minutes. » La même année, Meiling servit aussi de traductrice pour Tchang auprès de Roosevelt et Churchill lors de la conférence du Caire. Mais, après la défaite face aux communistes, elle eut tendance à s’éloigner de son mari, prolongeant de plus en plus ses séjours à l’étranger, et New York devint sa ville de prédilection.
Il est difficile de porter un jugement univoque sur les sœurs Song. Les Chinois continentaux se plaisent à dire que la première (Ailing) aimait l’argent, la troisième (Meiling) le pouvoir et la deuxième (Qingling) son pays. Il est indéniable qu’Ailing et ­Meiling profitèrent sans vergogne de leur situation. Le mari de l’une devint riche à millions grâce à sa proximité avec Tchang Kaï-chek. L’autre vécut toute sa vie dans le luxe sans beaucoup se soucier de la pauvreté de son peuple. Qingling semble être restée la plus intègre des trois, même si elle aussi béné­ficia d’un relatif traitement de faveur sous le régime maoïste. Elle garda, du reste, son admiration pour le Grand Timonier jusqu’au bout et, à l’annonce de sa mort, fondit en larmes.
On sait qu’humour et commu­nisme font rarement bon ménage. C’est pourtant « Sœur rouge » (le surnom de Qingling) qui, plus qu’aucun de ses frères et sœurs, avait hérité de l’esprit plaisant de Charlie Song. Alors qu’elle se trouvait à Hongkong (c’était avant que le territoire ne tombe aux mains des Japonais en 1941), sir Stafford Cripps, un politicien britannique, demanda à faire sa connaissance. « Elle l’invita à ­dîner chez elle, relate Jung Chang. Un petit banquet avait été ­préparé. Juste avant l’heure où l’éminent invité devait arriver, elle apprit qu’il était végé­tarien. Il fallut que le cuisinier improvise un menu adéquat. Une nouvelle information arriva alors : non content d’être végétarien, il était crudivore. Qingling leva alors les bras au ciel et s’écria : “Il n’y aura qu’à lui faire brouter la pelouse !” » 

— Ce texte a été écrit pour Books.

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Asle et Asle sont deux amis peintres d’un certain âge qui habitent la région de Bjørgvin, une ville côtière fictive de l’Ouest norvégien. L’un des Asle – celui qui, bien que veuf, mène la vie qu’il avait souhaitée – est le personnage principal du roman. L’autre n’est que l’ombre de lui-même.
Noël approche. Alors qu’il prépare une exposition dans une galerie, le premier Asle rend visite au second et le trouve plongé dans un coma éthylique. Asle, qui aurait pu mal tourner comme son ami, veut l’aider à remonter la pente. Il s’occupe de son chien, multiplie les allers-retours entre les deux domiciles sur des routes glissantes. Des souvenirs plus ou moins tragiques remontent à la surface.
« Jon Fosse travaille les contras­tes de la même manière qu’Asle travaille l’obscurité et la lumière dans ses tableaux », souligne le quotidien norvégien Dagbladet. « Le drame extérieur est rarement la chose la plus importante dans ses livres, renchérit Verdens Gang. C’est plutôt un sentiment sous-jacent de quelque chose de précaire qui anime l’action […]. Ceux qui veulent expérimenter ce qu’est l’art véritable ont toutes les raisons de se réjouir » de l’heptalogie que Jon Fosse vient d’entamer avec ce roman au style « inimitable ». 

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En 2015, lorsque l’écrivain cubain Leonardo Padura s’était rendu en Espagne pour recevoir le prix Princesse des Asturies, il avait déclaré qu’« on ne quitte jamais complètement Cuba ». C’est justement l’idée qui irrigue son dernier roman, Poussière dans le vent, dans lequel il explore les liens indéfectibles qui unissent, malgré l’exil, une génération de jeunes gens à Cuba. Cette somme de plus de 600 pages retrace l’itinéraire d’une douzaine de personnages de 1989 jusqu’à 2016, année marquée par la visite de Barack Obama, premier président américain en exercice à se rendre sur l’île depuis 1928. Clara, Ber­nardo, Elisa, Darío, Horacio et les autres constituent une bande d’amis – « le Clan », comme ils l’ont baptisée. Chacun leur tour, et pour des raisons différentes, ils quittent leur Cuba natale pour s’installer à New York, Buenos Aires ou encore Hialeah, une ville de Floride devenue une véritable enclave cubaine. Cette grande saignée, qui a vu des milliers de jeunes aller tenter leur chance à l’étranger, fut l’une des conséquences de ce que les Cubains appellent, avec un certain sens de l’euphémisme, la « période spéciale ». Après l’effondrement de l’URSS, l’île connut une grave crise économique qui culmina au milieu des années 1990 : pénurie d’à peu près tout, coupures ­d’électricité, files interminables devant les magasins – en moyenne, les Cubains sont sortis de la « période spéciale » allégés de 5 kilos.
Un seul membre du Clan refuse obstinément de suivre le mouvement, Clara, dont on peut supposer qu’elle est l’alter ego de Padura. Malgré maintes occasions d’expatriation et l’obtention de la nationalité espagnole, l’écrivain n’a jamais pu se résoudre à partir. À 65 ans, il vit à Mantilla, un quartier de La Havane, dans la maison où il est né et où ont vécu son père et son grand-père. Son enracinement « lui permet de brosser un portrait réaliste de la société cubaine et de parler de l’exil avec ce qu’il faut d’esprit critique, sans complaisance idéologique », note Carlos Zanón dans le quotidien espagnol El País. Pourtant, la fidélité de ­Padura n’est guère récompensée par les autorités cubaines : « À Cuba, le livre circule sous le manteau », confie-t-il au quotidien El Mundo. Et, si la presse hispanophone regorge d’articles élogieux sur Poussière dans le vent, impossible en revanche d’en trouver la moindre mention dans les médias cubains. Un silence dénoncé par une poignée d’écrivains de l’île dans une lettre ouverte publiée en février dernier. Malgré l’excellente réception du roman en Espagne, s’indignent les signataires, « ni la presse, ni les institutions culturelles cubaines ne s’en sont fait l’écho ». Dommage, car, concluent-ils, « le succès d’un auteur cubain, c’est le succès de la culture cubaine tout entière ». 

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