Dans la Grèce dévastée par la crise économique des années 2010, un père à l’article de la mort dévoile à son fils, un écrivain quinquagénaire, une vie entière passée dans le secret. Ce dernier découvre un personnage collaborateur pendant l’Occupation, puis mouchard sous les colonels. Au cours d’un étrange passage de relais, le fils endeuillé confie l’histoire de son père à un ami d’enfance, le narrateur, qui se révélera être l’orphelin d’un progressiste. Ensemble, les deux hommes vont tenter de recomposer les figures de ces pères absents et à bien des égards mystérieux. La poursuite de ces vies cachées constitue le moteur de ce roman célébré par Toúla Repáni, dans la revue culturelle en ligne Tetrágono, comme un futur « classique de la littérature grecque contemporaine. » Polyphonique, entremêlant les générations, ce récit nous mène de l’Athènes de décembre 1944 – en pleine guérilla urbaine opposant les communistes aux Britanniques, sous les bombes qui « changeaient quotidiennement le tracé de la ville » – à la capitale des années 2000 et ses quartiers d’immigrés. Dans le webmagazine littéraire Diástixo, Chrístos Papageorgíou salue un ouvrage esquissant « à grands traits, mais avec intensité, l’entièreté de l’histoire récente de la Grèce. » Ballottés par les tumultes politiques, pères et fils se répondent en écho au fil d’un roman qui parvient à donner chair à « ces adolescents qui peinent à devenir adultes, ces adultes qui ne mûrissent pas », estime Stefanos Tsitsopoulos de l’hebdomadaire Athens Voice. Ces tentatives parallèles pour reconstituer les trajectoires de pères défunts mènent à une interrogation plus générale sur le poids de l’héritage. La question n’est pas neuve en Grèce, où la vie littéraire et politique reste peuplée par les fantômes de la guerre civile (1946-1949) et de la dictature (1967-1974). À ce titre, Mános Kondoléon relève sur le site de BookPress que l’Histoire « n’est pas seulement tout ce qui est arrivé mais aussi la façon dont les nouvelles générations héritent de ce passé et se construisent contre lui ». Cet inquiétant père d’extrême droite recèle un dernier secret : il était homosexuel et, pour cette raison, menacé par des rivaux politiques. Ouvrant le débat, le grand quotidien I Kathimerini soutient que « la figure paternelle devient le symbole de l’ancêtre mystérieux et obscur, qui emporte dans sa tombe un héritage incompréhensible. » Question lancinante sous le soleil de l’Attique, comme l’ont montré cette année de nombreux romans consacrés à la relation père-fils. L’engouement pour le livre de Davvètas, à la croisée de l’intime et du collectif, signale le besoin qu’ont les Grecs de sonder leur histoire récente.
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Le 6 janvier 1614, un jardin d’hiver du sud de l’Angleterre est le théâtre d’une danse « d’une beauté splendide et étrange ». Financée et organisée par le philosophe Francis Bacon, cette représentation, qui sera baptisée plus tard « La mascarade des fleurs », est un cadeau de mariage offert à deux jeunes membres de la noblesse. Mais c’est aussi la mise en scène d’une habitude nouvelle qui a d’ores et déjà entrepris de changer la face du monde. En ce jour de noce hivernale de l’an 1614, l’invitée d’honneur de Francis Bacon est une virevoltante pipe à tabac géante. À peine la pipe entre-t-elle en scène que le public assiste à une bataille des vices où elle affronte son spectaculaire rival : Silène, le dieu du vin dans la mythologie gréco-romaine. L’acteur interprétant le rôle de la divinité, décrit dans les didascalies comme « un vieillard gras […] monté sur un âne artificiel », est accompagné d’un sergent d’armes muni d’une masse en bronze ornée de grappes de raisin. Sachant que cette représentation se tient à l’occasion d’une noce fastueuse, à une époque où il n’y a rien de plus ordinaire que de s’alcooliser en plein jour, on peut supposer qu’à ce moment-là une bonne partie du public s’adonnait déjà au culte du dieu de l’ivresse depuis un certain temps. L’adversaire de Silène est une drogue nouvellement apparue et encore sujette à controverse, que le mécène de Bacon, le roi Jacques ier d’Angleterre et d’Irlande, dénonçait âprement, à peine dix ans plus tôt, comme source de mauvaise haleine, de maladies infectieuses, de pensées perfides et d’idées diaboliques. Indifférent aux critiques du monarque, Kawasha, le dieu de la pipe à tabac, entre en scène. Son nom fait probablement référence à une divinité des peuples algonquiens de Virginie que l’un des premiers colons anglais, John White, avait baptisée « l’idole Kiwasa ». Sa tête est coiffée d’un chapeau rouge et or en forme de cheminée, et son corps est drapé de bandes de tissu « rappelant la forme et la couleur des feuilles de tabac ». Il s’empresse d’engager un combat dansé avec les disciples de Silène et rugit qu’il s’apprête « à tous les souffler, les réduire en cendres et en fumée ». Le valet de Kawasha sautille autour de son maître en tenant en l’air une « immense pipe à tabac » de la taille d’une arquebuse. En voilà une sacrée grande pipe, ont probablement pensé les invités les plus éméchés. Il s’agit d’un spectacle volontairement exubérant, typique de la démesure qui faisait la réputation de Bacon à cette époque. Quelques semaines plus tôt, pour fêter sa promotion au poste de procureur général d’Angleterre, Bacon avait convié « toute l’université de Cambridge » à un festin de Noël à base de gibier, comme l’atteste l’un de ses contemporains. Les années 1610 ont été une décennie charnière dans la transformation du tabac en nouvelle obsession mondiale. En un rien de temps, ce don du ciel (ou ce fléau) a donné naissance à l’une des industries les plus lucratives du monde, s’est mué en force motrice du commerce triangulaire et a jeté les bases d’une mauvaise habitude dont l’humanité ne s’est toujours pas débarrassée quatre cents ans plus tard. Mais, au début de l’époque moderne, fumer ne se résumait pas à tirer sur une pipe à tabac. La pipe géante du spectacle de danse de Bacon s’inscrit dans un éventail de techniques et de pratiques plus complexes et plus étranges encore. Le tabagisme des xvie et xviie siècles comprend l’utilisation d’instruments de distillation et de pipes à eau, notamment pour fumer du cannabis. Sans compter ses pratiques thérapeutiques, comme le lavement à la fumée. Une telle diversité ne correspond pas à l’histoire classique du tabagisme, que l’on pourrait globalement résumer ainsi : avant 1492, fumer était une pratique répandue chez les peuples amateurs de tabac des Amériques mais demeurait inconnue outre-Atlantique. Puis Christophe Colomb remarqua que les Indiens Taïnos de Cuba fumaient « des herbes particulières […] qui les engourdissent et les enivrent presque ». Après avoir mené sa petite enquête, il apprit qu’« ils appellent cela tabaco » (c’est du moins ce que rapporte Bartolomé de Las Casas dans la version qu’il a livrée du Journal de bord de Colomb, le manuscrit original ayant été perdu). Au cours des années 1560, de plus en plus de notables espagnols encouragèrent l’adoption de cette pratique par les Européens – un médecin de Séville, Nicolás Monardes, déclara notamment que fumer était un « remède miracle » contre plus d’une vingtaine de maladies. À la fin du xvie siècle, la culture du tabac s’était implantée de l’Espagne à l’État indien du Gujarat en passant par la Turquie. Pendant ce temps, les plantations de tabac des Caraïbes et du Brésil devenaient des plaques tournantes du commerce triangulaire. Il s’agissait alors de répondre à la très forte augmentation de la demande de tabac, dont la consommation avait gagné non seulement l’Europe, mais aussi l’Asie et l’Afrique. L’Angleterre suivit l’exemple espagnol, sous la houlette du mathématicien Thomas Harriot, auteur du rapport sur la Virginie intitulé A Brief and True Report of the New Found Land of Virginia (1588). Harriot fit écho aux louanges quasi obsessionnelles de Monardes et encensa le tabac pour sa prétendue faculté à ouvrir « les pores et les voies du corps » et à soigner « nombre de maladies graves ». Quelques décennies plus tard, l’engouement pour le tabac était tel que même le roi Jacques Ier fut incapable de l’endiguer. Son virulent réquisitoire publié en 1604, Counterblaste to Tobacco, compte parmi les échecs les plus cuisants de l’Histoire en matière de politique antidrogue. Une dizaine d’années plus tard, le tabac était un produit facile d’accès et bon marché dans toute l’Europe, tandis que Harriot mourait à petit feu d’un douloureux cancer du nez, probablement causé par sa longue addiction à cette substance que le souverain britannique avait qualifiée, de façon prémonitoire, d’« ulcère » et de « venin ». Dans les années 1650, la pipe à tabac était certainement le plus puissant symbole de l’impérialisme européen. Le tabagisme était devenu un phénomène planétaire. Ce récit de la mondialisation du tabagisme a été raconté un nombre incalculable de fois. Dans l’ensemble, il est vrai. Mais il peut aussi nous induire en erreur. Le tabac est bel et bien originaire des Amériques, et le fumer est effectivement une pratique nouvelle pour les Européens, les Africains et les Asiatiques du début de l’époque moderne, puisqu’on n’en trouve nulle mention dans les textes anciens. Cependant, comme le prouvent les travaux d’archéologues et d’anthropologues depuis plusieurs décennies, le tabac n’était pas la seule drogue prisée par les peuples de l’Ancien Monde, et cela même avant les voyages de Christophe Colomb. Si le tabac était en passe de conquérir le globe, c’était également le cas du cannabis – mais de façon plus furtive et souterraine. Des données archéologiques indiquent que l’on fumait du cannabis en Asie centrale et en Asie du Sud depuis au moins l’an 1000 avant notre ère. Une variante de cette pratique ancestrale a notamment attiré l’attention de l’historien grec Hérodote, qui rapporte que les Scythes, ces peuples nomades d’Eurasie, inhalaient de la fumée de cannabis à l’intérieur de leurs tentes : « Les Scythes prennent de la graine de chanvre [kannabis], et, s’étant glissés sous ces tentes de laine foulée, ils mettent de cette graine sur des pierres rougies au feu. Lorsqu’elle commence à brûler, elle répand une si grande vapeur qu’il n’y a point en Grèce d’étuve qui ait plus de force. Les Scythes, étourdis par cette vapeur, jettent des cris confus. » Aux environs de l’an 800, la consommation de cannabis traverse l’océan Indien et devient une pratique courante dans certaines régions d’Afrique subsaharienne.
Quand les marchands d’esclaves et les commerçants européens atteignent les régions d’Asie du Sud et d’Afrique centrale et orientale où l’on fume du cannabis, son pouvoir « enivrant » attire à nouveau l’attention. Le médecin juif portugais Garcia da Orta, qui vivait en Inde dans les années 1550, reconnaissait que le cannabis pouvait être « agréablement enivrant » mais le considérait également comme source de « nausée » et de « mélancolie ». Au xviie siècle, certains marchands européens qui sillonnent l’océan Indien se mettent à en consommer, et au moins l’un d’entre eux en rapporte en Europe, dans le but de faire du chanvre une nouvelle culture commerciale sur le modèle du tabac. En 1689, le scientifique Robert Hooke rend à la Royal Society de Londres un rapport de première main sur les effets du cannabis indien : « Le patient ne comprend ni ne se souvient de ce qu’il voit, entend ou fait quand il est plongé dans cet état d’extase. Il devient, pour ainsi dire, un simple d’esprit incapable de prononcer une parole sensée. Il est pourtant très joyeux ; il rit, chante et s’exprime sans aucune cohérence. » Hooke explique que le cannabis est « chiqué ou ingéré » mais reste vague sur les quantités utilisées : « environ l’équivalent de ce que peut contenir une pipe à tabac ordinaire ». En dehors des régions d’Afrique et d’Asie du Sud où l’on fumait le cannabis, on ne sait toujours pas dans quelle mesure cette forme de consommation, par opposition à l’ingestion de préparations comestibles ou buvables, était une pratique répandue à l’époque de Hooke. Hooke ne précise pas non plus si le « patient » anonyme de son rapport n’était pas, en réalité, sa propre personne. Il termine toutefois son discours sur une note résolument optimiste : « Voici diverses graines, dit-il en les présentant à la Royal Society lors de la dernière réunion hebdomadaire avant Noël, que j’ai l’intention de planter au printemps pour voir si la plante peut être cultivée ici. » En cas de succès, Hooke pense que cette substance peut s’avérer « très utile pour soigner les fous ». Il conclut sur ces mots : « Il n’y a rien à craindre, sauf peut-être quelques éclats de rire. » Autrement dit, si Bacon, au lieu de se contenter d’offrir un cadeau de mariage impressionnant, avait cherché à se rapprocher de la vérité historique, il aurait dû commander un danseur supplémentaire pour « La mascarade des fleurs » : un frétillant plant de cannabis.
Un curieux détail étymologique semble indiquer que le tabagisme s’est propagé simultanément dans différentes régions du globe avant de s’imposer à l’échelle mondiale. Alors que, dans pratiquement toutes les langues européennes, le mot signifiant « pipe » descend du latin pipa, le mot portugais constitue une exception frappante : cachimbo. Il est issu d’une des langues bantoues d’Afrique subsaharienne et serait entré dans le vocabulaire portugais par l’intermédiaire du jargon des marchands d’esclaves installés au Congo ou dans la vallée du Zambèze au début du xviie siècle. À première vue, l’hypothèse tient la route. Après tout, les Portugais ont joué un rôle clé dans la traite atlantique, et le tabac brésilien, trempé dans la mélasse pour mieux masquer le goût des feuilles défraîchies, faisait office de monnaie d’échange dans l’Afrique du xviie siècle. Les choses se compliquent cependant lorsque l’on s’intéresse à la signification du terme dont semble dériver cachimbo : kixima, un mot qui signifie « puits d’eau » en kimbundu. Cela suggère que le mot portugais pour dire « pipe » ne désignait pas à l’origine les pipes sèches des fumeurs de tabac, mais plutôt les pipes à eau (que l’on connaît aussi sous le nom de « bang »). Comme le fait remarquer le géographe Chris S. Duvall dans son livre « Les racines africaines de la marijuana »1, on se servait de pipes à eau et de pipes sèches pour fumer du cannabis dans toute l’Afrique subsaharienne bien avant que le récit de Christophe Colomb sur cette « herbe […] qu’ils appellent tabaco » n’atteigne l’Europe. Tout au long du xviie siècle, les préparations étiquetées sous le nom de « tabac » ne contenaient pas que des feuilles de tabac réduites en poudre, mais des mélanges complexes de parfums et de substances actives. Les ingrédients pouvaient aller de différentes espèces de tabac, comme la puissante Nicotiana rustica, jusqu’à des préparations très élaborées dans lesquelles on trouvait toutes sortes de choses : du musc, de l’eau de rose, de la bergamote ou encore de l’orpiment, un minéral toxique. Dans son récit de 1590, le jésuite espagnol José de Acosta nous donne un bon exemple de ce genre de mixture. Il y décrit la « nourriture divine » préparée par les prêtres aztèques pour servir d’offrande aux dieux. Celle-ci se compose d’un mélange de cendres d’araignée, de scorpion et de mille-pattes, le tout accompagné « d’une grande quantité de tabac […] et de cette graine moulue que les Indiens appellent oluluchqui [belle-de-jour] et qu’ils ingèrent pour avoir des visions ». Apparaissent également les lavements à la fumée, une pratique que les Européens du début de l’époque moderne adoptent avec un enthousiasme surprenant. Le médecin anglais Thomas Sydenham en explique le principe en 1753 dans le traitement qu’il préconise en cas de fièvre doublée de « violentes coliques » : « Ici, je pense qu’il convient d’effectuer d’abord une saignée dans le bras, puis, après une ou deux heures, d’administrer un fort purgatif ; et je ne connais rien de plus fort ni de plus efficace que la fumée de tabac, poussée dans les intestins par un grand soufflet raccordé à une pipe inversée. » Un peu plus tard, Richard Mead, un éminent médecin britannique du xviiie siècle, soutient que le lavement à la fumée est la meilleure méthode pour réanimer un patient inconscient. Face à un noyé, « la première chose à faire est de lui insuffler de la fumée de tabac dans les intestins », préconise-t-il. Dans les années 1780, cette pratique est si largement répandue qu’une fondation caritative, la Royal Humane Society, installe le long des rives de la Tamise une série de trousses de premiers secours contenant tout l’équipement nécessaire à l’administration d’un lavement au tabac.
Alors que le pouvoir de la fumée fait des émules partout dans le monde et que les expériences se multiplient pour servir une variété d’objectifs, la curiosité des alchimistes de l’époque est piquée au vif. Ils sont tout particulièrement intrigués par le potentiel du feu comme mode de transformation, surtout lorsqu’il agit à l’intérieur du corps humain. L’idée fondamentale qui sous-tend le pouvoir de la fumée est que le corps humain serait poreux. Il serait façonné non seulement par les liquides, les aliments et les drogues que nous absorbons, mais aussi par la force astrale exercée par les étoiles et les planètes, par l’influence invisible du « magnétisme » et par les vapeurs et les « humeurs » qui imprègnent l’atmosphère. La fumée médicinale jouerait alors un rôle essentiel pour purifier le corps de ces influences extérieures. Même le roi Jacques Ier fait référence à cette croyance populaire dans son Counterblaste to Tobacco. Le tabac, concède-t-il, détient un pouvoir de « suffumigation » qui en fait un bon « antidote » (au demeurant « tout à fait infect ») contre la variole. Et le souverain d’évoquer cet « adage unanimement admis » par les médecins qui veut que, « le cerveau humain étant de nature froide et humide, toute chose sèche et chaude peut lui être bénéfique. Or telle est la nature de cette suffumigation nauséabonde. » Cette conception de la fumée comme purgatif contre les humeurs froides et humides du cerveau, réputées être à l’origine de toutes sortes de maux, s’illustre bientôt dans une série de gravures populaires qui montrent les pensées stupides d’un jeune homme partir, littéralement, « en fumée ». Peu de temps avant la pandémie de Covid-19, j’ai visité un laboratoire archéologique de l’Université de Californie à Santa Cruz, spécialisé dans la culture matérielle du royaume du Dahomey, dans l’actuel Bénin. Les armoires du labo étaient pleines de pipes à tabac : de minuscules tessons d’argile, blancs comme des os, dont beaucoup étaient encore couverts d’une poussière rougeâtre, de la couleur de la terre dans laquelle ils avaient été longtemps enfouis. Au début de l’époque moderne, fumer recouvrait un large éventail de pratiques. Mais le xviiie siècle voit s’imposer les pipes en argile blanche de facture rudimentaire et le tabac en poudre de mauvaise qualité. À la fin du xixe siècle et au xxe siècle, lorsque la cigarette arrive sur le devant de la scène, fumer n’est déjà plus cet art élaboré caractéristique de la première phase de la mondialisation du tabagisme. La consommation de cannabis a bien sûr persisté, mais de manière clandestine et parfois sous des formes différentes. En témoigne par exemple la teinture de cannabis, une extraction obtenue en faisant infuser des feuilles séchées de cannabis dans de l’alcool, qui figurait jusqu’à récemment dans de nombreux protocoles thérapeutiques pour ses vertus médicinales. Le tabagisme est sur le déclin dans de nombreux pays du monde. En parallèle, le cannabis a été reconditionné en une très large gamme de produits, des space cakes aux cigarettes électroniques. Pourtant, il y a fort à parier que la fascination première de l’homme pour la fumée, cette présence fugace qui nous accompagne depuis la nuit des temps, n’est pas près de s’évaporer.
— Benjamin Breen est professeur d’histoire à l’Université de Californie à Santa Cruz. Il est l’auteur de The Age of Intoxication (University of Pennsylvania Press, 2019). — Cet article est paru dans le magazine américain Lapham’s Quarterly le 15 mars 2021. Il a été traduit par Charlotte Navion.
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« Il est rare que, passé un certain âge, de grands chefs d’entreprise écrivent des ouvrages qui ne soient pas des autobiographies », notent Anton Rainer et Volker Weidermann dans le Spiegel. Dirk Rossmann, lui, fondateur de la chaîne de pharmacies du même nom et l’un des hommes les plus riches d’Allemagne (sa fortune est estimée à 3,4 milliards d’euros), a commis un thriller. À 74 ans. Un événement outre-Rhin, où le livre est resté plusieurs semaines en tête des ventes. Pour son brio littéraire ? Plutôt grâce à « un budget publicitaire qui se chiffre en millions, l’intervention discrète de plusieurs coauteurs et une stratégie de vente aussi habile qu’effrontée », juge le Spiegel. Le roman met en scène plusieurs grands de ce monde, l’ex-chancelier allemand Gerhard Schröder (ami proche de Rossmann), Xi Jinping ou encore Kamala Harris. À la fin, Vladimir Poutine obtient le prix Nobel de la paix. L’auteur y caresse l’idée d’une dictature verte pour sauver la planète : un G3, réunissant les États-Unis, la Chine et la Russie, impose au monde des mesures draconiennes – par exemple la politique de l’enfant unique en Afrique. Apparemment, Schröder, qui a lu une partie du roman, l’aurait trouvé « peu réaliste ».
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En 1758, le roi de Grande- Bretagne George II gracia un fusilier de la marine royale reconnu coupable de « sodomie sur la personne d’une chèvre ». Motif : le condamné « était un jeune crétin, illettré et ignorant […], dépourvu de toute capacité intellectuelle, un quasi débile mental. » On jugea en revanche que la chèvre, elle, avait un peu trop apprécié l’expérience : elle fut dûment exécutée. Un siècle plus tard, le psychiatre germano-autrichien Richard von Krafft-Ebing affirmait dans son ouvrage Psychopathia sexualis (1886) que ceux qui s’adonnent à la sexualité avec des animaux sont des dégénérés congénitaux que leur « névrose constitutionnelle » rend « incapables d’avoir des rapports sexuels normaux ». La zoophilie, c’est-à-dire le commerce sexuel avec un animal, est-elle une dangereuse pathologie ou une simple peccadille ? Pour l’Association américaine de psychiatrie (APA), la réponse ne fait aucun doute : la zoophilie figure depuis 1980 dans chaque nouvelle édition du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM), le manuel de référence pour les troubles psychiatriques. Joanna Bourke, professeure d’histoire au Birkbeck College (Université de Londres), estime pour sa part que la société devrait adopter une approche plus nuancée. Dans Loving Animals, elle invite à considérer avec une grande prudence les études établissant un lien entre zoophilie et psychose en raison de leur « biais d’échantillonnage ». Celles-ci ne portent en effet que sur des individus ayant déjà eu affaire à la justice, pas sur un échantillon représentatif de la population. Le jeune fermier qui, sous le coup de la frustration sexuelle, fricote avec une de ses juments ne devrait pas figurer dans la même catégorie qu’un pervers sexuel patenté, car son écart de conduite ne constitue, pour reprendre les termes du psychiatre Philip Q. Roche1, qu’un « expédient visant à pallier la solitude bucolique ». Autrement dit, il s’agit là d’une question de circonstances plutôt que d’une tendance. Pour Joanna Bourke, le tabou qui frappe la zoophilie perdure du fait de l’improbable alliance des militants en faveur des droits des animaux et des moralistes de droite. Les premiers la condamnent au titre du bien-être animal, les seconds au motif qu’elle est non procréatrice et qu’elle contrevient à l’ordre naturel. Qui plus est, cette pratique n’est pas sans risques pour le partenaire humain. En témoigne le triste cas de l’Américain Kenneth Pinyan, un ingénieur de 45 ans travaillant chez Boeing, mort en 2005 d’une péritonite aiguë due à une perforation du côlon après avoir été pénétré par un étalon connu localement sous le sobriquet de « Grosse Bite ». Les rapports sexuels avec les chiens ne sont pas non plus exempts de dangers : « Une fois un pénis de chien inséré dans une vulve ou un anus, son pars longa glandis[la partie allongée du gland, chez un chien] peut doubler de diamètre et son épaisseur augmenter de 3 cm. Le bulbe du gland triple de largeur (de 6 cm ou plus) et gagne jusqu’à 4 cm d’épaisseur. » Les interdictions légales soulèvent par ailleurs d’intéressantes questions de définition2. Qu’est-ce qui, au juste, caractérise une « bête » ? Dans l’affaire « Murray contre l’État de l’Indiana » (1957), l’accusé avait copulé avec un poulet, donc techniquement avec une volaille plutôt qu’une bête. Et puis, qu’est-ce qui constitue un « acte sexuel » ? Faut-il y inclure la formicophilie, cette pratique consistant à attirer des fourmis sur le clitoris d’une femme en enduisant de miel son mont de Vénus ? Au regard du droit pénal, ce n’est pas seulement l’acte lui-même qui compte mais l’intention qui le sous-tend : les éleveurs de vaches ou de cochons font quotidiennement des gestes qui, s’ils sont parfaitement légaux, n’en sont pas moins d’ordre sexuel – s’ils étaient accomplis à des fins de gratification personnelle, ils seraient jugés délictueux. L’auteure en conclut que « la différence entre un zoophile et un fermier est de nature biopolitique. » Joanna Bourke interviewe nombre d’adeptes de ce qu’elle nomme de façon touchante « l’amour interespèces », qui soutiennent que leurs relations avec les animaux sont tendres et consenties. Évidemment, leurs partenaires à quatre pattes ne s’expriment pas sur la question. L’un des principaux arguments contre la zoophilie est que les animaux sont par nature incapables d’exprimer leur consentement. Si elle admet volontiers que « la plupart des relations sexuelles entre un humain et un animal impliquent la coercition », l’auteure avance aussi l’idée – discutable – que l’on peut juger du consentement d’un animal au moyen de certains indices non verbaux révélant s’il prend ou non du bon temps. Même si l’on se range à ce point de vue, on imagine difficilement quelle réforme juridique pourrait en découler. Il est peu probable qu’un quelconque gouvernement établisse une juridiction spéciale dont le but serait de s’assurer de la réciprocité des sentiments amoureux au sein des couples interespèces potentiels.
— Houman Barekat est un critique littéraire dont les articles paraissent régulièrement dans The Guardian, The Sunday Times ou The Spectator. Il a codirigé The Digital Critic (O/R Books, 2017), un recueil de textes explorant l’impact d’Internet sur la critique littéraire.
— Cet article est paru dansThe Times Literary Supplement le 19 février 2021. Il a été traduit par Jean-Louis de Montesquiou.
« Je suis stupéfaite. La Suède, c’est aussi cela », s’étonne une critique du quotidien Dagens Nyheter, résumant par cette formule la réaction des médias nationaux lors de la parution de Familjen au printemps 2020. Un an après, le livre figure toujours parmi les meilleures ventes, signe de l’inquiétude de la population suédoise face au crime organisé. Primée pour son travail, la journaliste Johanna Bäckström Lerneby y raconte comment un clan familial originaire du Liban tient sous sa coupe une banlieue de Göteborg, la deuxième ville du pays. Approfondissant une série de reportages parus dès 2017, l’auteure « ne dramatise pas, elle clarifie les choses », ajoute le quotidien libéral. L’enquête s’appuie sur des rapports de police et de services sociaux, des comptes rendus de procès et nombre d’entretiens. La journaliste dépeint ainsi une société parallèle qui existe dans d’autres villes du royaume, pointe Svenska Dagbladet. Mais, « pour diverses raisons, de nombreux Suédois en savent probablement moins sur cela que sur les familles de la mafia italienne » à New York, estime le quotidien conservateur. « Tout doit être mis sur la table » pour y remédier, ajoute-t-il, alors que l’extrême droite se tient en embuscade avant les législatives de 2022.
«Toute contestation d’une affirmation officielle ou d’une croyance largement répandue peut être désormais considérée comme “complotiste” », twitte Edgar Morin, le chantre de la pensée complexe. De son côté, l’humoriste Patrick Sébastien confie à TV Magazine, édité par le groupe Le Figaro : « Nous sommes dirigés par des technocrates […]. Il faut pousser les gens à la désobéissance parce qu’on ne comprend pas leurs décisions. La seule logique, c’est que ce virus détruit les malades et les faibles. Je me demande s’il est là par hasard, tout simplement… C’est très complotiste, mais je l’assume. » On dit que les grands esprits se rencontrent, mais parfois il faut les aider un peu. Prenez d’autres lumières contemporaines, qui n’ont a priori pas grand-chose en commun elles non plus : Francis Lalanne, Véronique Genest, Juliette Binoche, Bernard Ménez, Jean-Marie Bigard… Des carrières exceptionnelles, certes, mais les voilà désormais unies sous le qualificatif infâmant de « complotiste », avec une poignée de politiciens, de sportifs, d’éditorialistes, de médecins, de chercheurs et autres intellectuels de haut rang. Leur faute ? À les entendre, ils ont juste posé des questions, fait leurs propres recherches, réfléchi par eux-mêmes, osé donner leur opinion, simplement contesté la doxa, tout cela à la faveur d’une pandémie qui semble avoir grandement sollicité leur verve critique (et leur expertise en épidémiologie). Diantre, on ne peut décidément plus rien dire ! Patrick Sébastien et quelques autres peuvent bien faire mine de se revendiquer complotistes, le terme est généralement reçu pour ce qu’il est : une disqualification. Il est donc, sans surprise, très largement contesté, et souvent explicitement sous la forme du préambule rhétorique : « Je ne suis pas complotiste, mais… » Oui, mais, justement, de plus en plus, c’est le mot lui-même qui est devenu suspect. On le brandirait pour faire taire les voix qui dérangent, on s’épargnerait toute argumentation grâce à ce seul mantra, on réduirait toute dissidence à néant par l’opprobre, amalgamant ainsi des préoccupations bien légitimes aux délires de ceux qui croient à l’existence de reptiliens intergalactiques ou au « grand remplacement ». Trop facile ! Cette profusion d’accusations de complotisme ne cacherait-elle pas quelque chose ? De fait, il paraît que le mot « théorie du complot » a été inventé par la CIA… Comme par hasard ! Certes, c’est peut-être faux, mais ça n’aurait rien d’étonnant si c’était vrai, non ? D’ailleurs, il faudrait qu’on nous prouve le contraire, sans quoi, c’est vraiment qu’on nous prendrait pour des imbéciles. Après tout, il y a quand même eu de véritables complots dans l’Histoire, pas vrai ? Comment savoir si on est complotiste ? Il me semble qu’un bon indice se situe dans l’énergie dépensée à se défendre de l’être en usant de cette rhétorique très caractéristique. Ce n’est pas pour rien que le concept est effectivement péjoratif, et même stigmatisant, selon l’historienne allemande Katharina Thalmann, qui a admirablement documenté cette évolution à partir des années 1950 1. Brièvement, il se trouve que, un jour, la vision du monde selon laquelle tout ce qui va mal peut s’expliquer par l’action délibérée, secrète et malveillante d’entités maléfiques et où, corollairement, tout s’arrangerait immédiatement si les conspirateurs étaient enfin démasqués et mis hors d’état de nuire est devenue irrationnelle, néfaste et, pour tout dire, ringarde. Elle ne l’était pas auparavant. Pendant longtemps, le complotisme fut une façon normale d’envisager la réalité. Seulement, nos manières de comprendre et d’expliquer le monde sont désormais beaucoup plus sophistiquées, et surtout moins romanesques. En conséquence, le « complotisme » relève aujourd’hui d’une vision archaïque et naïve de la société, d’une rhétorique facilement identifiable parce que datée, hyperbolique et improductive. Il est donc normal de s’offusquer d’être qualifié de complotiste : cela signifie simplement qu’il est aujourd’hui inexcusable de l’être.
— Sebastian Dieguez est chercheur en neurosciences au laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’Université de Fribourg, en Suisse. Il est l’auteur de Total Bullshit ! Au cœur de la post-vérité (PUF, 2018).
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Défense des droits de la femme, le best-seller de Mary Wollstonecraft publié en 1792, est peut-être le premier essai féministe de l’Histoire. Chose curieuse, cette même auteure avait rédigé deux ans plus tôt un autre plaidoyer, cette fois en faveur des « droits des hommes ». Paru le 29 novembre 1790 – la date a son importance –, le livre a été écrit en trois semaines et édité à la vitesse de l’éclair. Pour Mary Wollstonecraft, il s’agissait de prendre au plus vite le contre-pied du pamphlet contre la Révolution française publié le premier de ce mois par le conservateur irlandais Edmund Burke, Réflexions sur la Révolution de France. Burke y chantait les louanges de Marie-Antoinette et décrivait les femmes venues déloger la famille royale de Versailles, les 5 et 6 octobre 1789, comme des « furies venues de l’enfer ». Elles protestaient contre la disette et « gagnaient leur vie, nuance Wollstonecraft, en vendant des légumes ou du poisson, n’ayant jamais reçu le moindre avantage de l’instruction ». Publié anonymement, le livre fut réédité le mois suivant sous le nom de l’auteure. Une femme réellement étonnante, dont la critique littéraire britannique Miranda Seymour résume en quelques lignes les professions de foi dans The New York Review of Books : « Toutes les écoles doivent être mixtes, gratuites, dispenser beaucoup d’exercices en plein air et mettre l’accent sur l’apprentissage d’une langue étrangère et la bonté à l’égard des animaux (afin de réduire la propension à la violence). Dans le couple, égalité entre les conjoints. Répartition égale de l’héritage entre les enfants, quel que soit le sexe. Pas de privilèges pour le fils aîné. Chaque femme doit pouvoir aspirer à gagner sa vie (la vraie définition de l’indépendance) au lieu de jouer de son physique pour attirer un riche amant ou époux. » Née de parents bourgeois mais désunis, la petite Mary se couchait devant la porte de sa mère pour la protéger de son père. À la mort de sa mère, elle fut victime de son frère aîné, un avocat, qui les laissa, elle et ses deux sœurs, dans le dénuement. Plus tard, elle persuada l’une d’elles de quitter un mari violent. Aidée de son amie Fanny, avec laquelle elle eut une relation passionnée, elle créa une école pour filles dans un quartier de Londres où vivait une communauté contestataire, dominée par la figure d’un pasteur gallois, le philosophe républicain Richard Price, qui correspondait avec Jefferson, Washington, Mirabeau et Condorcet. Elle publia alors son premier livre, « Réflexions sur l’éducation des filles » (1787). L’école ayant fait faillite, elle accepta à contrecœur un poste de gouvernante en Irlande dans une famille d’aristocrates, dont elle aima les enfants mais détesta leur mère. En 1788, après avoir publié un roman anticonformiste, Mary: A Fiction, elle revint à Londres où elle fut la première femme ayant jamais gagné sa vie de sa plume, sous l’égide du brillant éditeur de l’Analytical Review. « Je suis la première d’une nouvelle espèce », écrit-elle dans une lettre. Rendue célèbre en Angleterre par ses deux essais promouvant les droits des hommes et des femmes, blessée par une liaison sans avenir avec un homme marié, elle partit pour Paris en décembre 1792 pour assister en personne au déroulement de sa chère Révolution. Elle ne fut pas déçue : un mois plus tard, elle voyait Louis XVI mené à la guillotine. La France ayant déclaré la guerre à l’Angleterre, Wollstonecraft se retrouva dans une situation précaire. Elle tomba follement amoureuse d’un homme d’affaires américain, qui la fit passer pour son épouse afin de lui obtenir la nationalité américaine. La jeune femme accoucha d’une fille puis fut lâchée par son amant, qu’elle tenta de reconquérir en partant avec sa fille en Scandinavie pour l’aider dans ses affaires. Après deux tentatives de suicide, dont une en se jetant dans la Tamise, elle se mit en ménage avec un homme de premier plan, le romancier et philosophe anarchiste William Godwin. Elle mourut onze jours après avoir donné naissance à sa seconde fille : la future Mary Shelley, l’auteure de Frankenstein.
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Pourquoi le nord est-il donc en haut sur (presque toutes) les cartes ? s’interroge Mick Ashworth dans sa « petite histoire des conventions cartographiques ». Depuis la découverte du nord magnétique et l’invention de la boussole, la chose semble aller de soi. Mais, auparavant, les cartes étaient plutôt « orientées » vers l’Orient – Jérusalem, La Mecque, le paradis… Et, même aujourd’hui, on peut faire un autre choix, comme les Australiens qui n’en peuvent plus d’habiter « tout en bas », aux antipodes, et affectionnent les cartes « rectificatives » où c’est le sud qui est placé en haut. Et si, pour se repérer, on a depuis Ptolémée divisé la carte du monde selon des axes verticaux et horizontaux, il a fallu des siècles pour s’accorder sur une nomenclature commune. Les parallèles horizontaux, il est logique de les décompter depuis l’équateur. Mais, pour les méridiens verticaux, il faut un point de départ – les îles Canaries pour Ptolémée (dernier point occidental connu à son époque) ; Greenwich, dans la banlieue de Londres, depuis la conférence internationale de Washington en 1884 ; et une grande pagaille entre les deux. Le système de projection – c’est-à-dire la façon de représenter la Terre, une sphère tridimensionnelle, sur une surface plane rectangulaire – est lui aussi affaire de choix. La solution mathématique proposée par Gérard Mercator au xvie siècle a longtemps prévalu, même si des systèmes concurrents mieux adaptés aux différents besoins ont été continuellement développés. Mais la « projection de Mercator » a un gros défaut : elle représente fidèlement les zones tempérées et présumées civilisées, mais distord les superficies à mesure que l’on s’éloigne de l’équateur pour se rapprocher des pôles. Pour rétablir les pays du Sud dans leurs dimensions, le militant allemand Arno Peters a popularisé une carte plus politiquement correcte qui fait paraître l’Afrique et l’Inde comme étirées par un miroir déformant, tandis que l’Australie semble plus isolée et toute ratatinée. Car tout choix cartographique est en effet éminemment politique, à commencer par la délimitation des frontières, fonction performative par excellence. C’est vrai aussi de presque toutes les options prises, depuis les motifs utilisés pour décorer les cartes jusqu’aux symboles et aux couleurs employés. L’existence même d’une carte, son degré de précision ou de véracité, les informations communiquées, les configurations diplomatiques retenues – tout est fonction de l’usage prévu et de l’utilisateur potentiel. La couleur constitue « la plus importantes des variables graphiques ». En la matière, chaque culture a sa propre perception, mais le rouge, dès les cartes les plus anciennes, servait à mettre en valeur les éléments les plus importants. Faut-il révéler à quiconque voudrait le traverser les secrets de son territoire, ses richesses géologiques, les dangers qu’il recèle (précisément trahis grâce aux courbes de niveau et autres techniques de représentation du relief) ? Les cartes servent à tout : naviguer, conquérir, négocier, détecter les richesses, taxer les individus, voire les guérir (c’est en cartographiant la propagation du choléra à Londres en 1854 qu’on a pu identifier la cause de l’épidémie, une pompe à eau contaminée à Soho). « La guerre de 1914-1918 fut le premier conflit majeur au cours duquel les cartes jouèrent un rôle crucial – plus de 34 millions de cartes furent fabriquées par les Britanniques pendant cette période », nous apprend Ashworth. La toute jeune aviation fut d’une grande aide, et « des conventions telles que l’utilisation du rouge pour représenter les forces ennemies et du bleu pour les Alliés commencèrent alors à se mettre en place ». Aujourd’hui, nous sommes entrés dans le monde de la carte « à la carte ». Google Maps permet en effet à l’utilisateur de fabriquer une carte personnalisée en fonction de ses besoins et de sa position. Parfois même sans le consulter : un internaute indien n’aura pas droit exactement au même tracé de la frontière sino-indienne qu’un Chinois !
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En le gardant enchaîné la nuit, son propriétaire croyait prévenir toute tentative d’évasion. C’était mal connaître Samuel Long, jeune esclave noir dans la Virginie des années 1840. Pour se libérer, il se tranche une main d’un coup de hache et, comme il faut tout de même cautériser le moignon sanglant, il le plonge dans du goudron. Puis c’est la fuite vers le nord. Un fugitif à Walden raconte la rencontre entre Samuel et certains des plus grands noms des lettres américaines de l’époque – Thoreau, Emerson, Hawthorne –, qui forment alors un cercle de philosophes transcendantalistes. Quand Thoreau part vivre dans une cabane dans la forêt, expérience qui le rendra célèbre, Emerson confie à Samuel la mission de veiller sur lui. Une amitié se tisse peu à peu. Écrit du point de vue du fugitif, le roman met à nu les contradictions d’intellectuels progressistes confrontés à un esclave de chair et d’os. « Dans un épisode remarquable, rapporte Benjamin Miller dans la Colorado Review, Thoreau, Hawthorne et Samuel Long remontent une rivière en barque. Au cœur d’un décor enchanteur, les deux hommes blancs échangent des réflexions philosophiques et se relaient à l’une des rames. Ils oublient complètement que Samuel s’échine sur l’autre rame depuis le début – le fait qu’il trime est normal à leurs yeux. »
Cela se passe dans une île imaginaire de la mer Égée au début du xxe siècle. Survient une épidémie de peste, comme l’Empire ottoman en connaissait encore en effet à cette époque (ainsi que le choléra). Orhan Pamuk travaillait à ce dernier roman depuis quatre ans quand l’épidémie de Covid-19 est arrivée. Elle l’a obligé à repenser ses personnages, pour mieux rendre compte d’un sentiment qu’il avait négligé, la peur. La peste et la peur : une double réalité qui lui sert aussi de métaphore pour évoquer la situation actuelle en Turquie. « Quelque chose de tout à fait nouveau s’est produit ces derniers temps dans ce pays, confie-t-il à The Economist dans sa maison au bord du Bosphore : ce sont ces silences qui s’installent quand le nom du président Erdoğan est prononcé. Avant, on pouvait sortir une méchanceté dans un taxi ou au supermarché. Maintenant, c’est le silence. » Après cette visite, il avait rendez-vous avec un journaliste d’une chaîne de télévision de l’opposition qui venait de passer un an en prison pour des motifs inventés de toutes pièces. Quelques jours plus tôt, ce journaliste avait vu arriver dans son studio un homme dont les doigts avaient été brisés par des sbires à la solde du gouvernement pour avoir osé critiquer le régime. « Ils mettent tout le monde en prison, mais, comme cela ne suffit pas, ils les tabassent », dit le Prix Nobel de littérature. Lui-même n’a plus été sollicité par les grands médias turcs depuis 2017.
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