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Dans la Grèce dévastée par la crise économique des années 2010, un père à l’article de la mort dévoile à son fils, un écrivain quinquagénaire, une vie entière passée dans le secret. Ce dernier découvre un personnage collaborateur pendant l’Occupation, puis mouchard sous les colonels. Au cours d’un étrange passage de relais, le fils endeuillé confie l’histoire de son père à un ami d’enfance, le narrateur, qui se révélera être l’orphelin d’un progressiste. Ensemble, les deux hommes vont tenter de recomposer les figures de ces pères absents et à bien des égards mystérieux.
La poursuite de ces vies cachées constitue le moteur de ce roman célébré par Toúla Repáni, dans la revue culturelle en ligne Tetrágono, comme un futur « classique de la littérature grecque contemporaine. » Polyphonique, entremêlant les générations, ce récit nous mène de l’Athènes de décembre 1944 – en pleine guérilla urbaine opposant les communistes aux Britanniques, sous les bombes qui « changeaient quotidiennement le tracé de la ville » – à la capitale des années 2000 et ses quartiers d’immigrés. Dans le webmagazine littéraire Diástixo, Chrístos Papageorgíou salue un ouvrage esquissant « à grands traits, mais avec intensité, l’entièreté de l’histoire récente de la Grèce. »
Ballottés par les tumultes politiques, pères et fils se répondent en écho au fil d’un roman qui parvient à donner chair à « ces adolescents qui peinent à devenir adultes, ces adultes qui ne mûrissent pas », estime Stefanos Tsitsopoulos de l’hebdomadaire Athens Voice. Ces tentatives parallèles pour reconstituer les trajectoires de pères défunts mènent à une interrogation plus générale sur le poids de l’héritage. La question n’est pas neuve en Grèce, où la vie littéraire et politique reste peuplée par les fantômes de la guerre civile (1946-1949) et de la dictature (1967-1974). À ce titre, Mános Kondoléon relève sur le site de BookPress que l’Histoire « n’est pas seulement tout ce qui est arrivé mais aussi la façon dont les nouvelles générations héritent de ce passé et se construisent contre lui ».
Cet inquiétant père d’extrême droite recèle un dernier secret : il était homosexuel et, pour cette raison, menacé par des rivaux politiques. Ouvrant le débat, le grand quotidien I Kathimerini soutient que « la figure paternelle devient le symbole de l’ancêtre mystérieux et obscur, qui emporte dans sa tombe un héritage incompréhensible. » Question lancinante sous le soleil de l’Attique, comme l’ont montré cette année de nombreux romans consacrés à la relation père-fils. L’engouement pour le livre de Davvètas, à la croisée de l’intime et du collectif, signale le besoin qu’ont les Grecs de sonder leur histoire récente. 

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Le 6 janvier 1614, un jardin d’hiver du sud de l’Angleterre est le théâtre d’une danse « d’une beauté splendide et étrange ». Financée et organisée par le philosophe Francis Bacon, cette représentation, qui sera baptisée plus tard « La mascarade  des fleurs », est un cadeau de mariage offert à deux jeunes membres de la noblesse. Mais c’est aussi la mise en scène d’une habitude nouvelle qui a d’ores et déjà entre­pris de changer la face du monde. En ce jour de noce hivernale de l’an 1614, l’invitée d’honneur de Francis Bacon est une virevoltante pipe à tabac géante.
À peine la pipe entre-t-elle en scène que le public assiste à une bataille des vices où elle affronte son spectaculaire rival : Silène, le dieu du vin dans la mythologie gréco-romaine. L’acteur interprétant le rôle de la divinité, décrit dans les didascalies comme « un vieillard gras […] monté sur un âne artificiel », est accompagné d’un sergent d’armes muni d’une masse en bronze ornée de grappes de raisin. Sachant que cette repré­sentation se tient à l’occasion d’une noce fastueuse, à une époque où il n’y a rien de plus ordinaire que de s’alcooliser en plein jour, on peut supposer qu’à ce moment-là une bonne partie du ­public s’adonnait déjà au culte du dieu de l’ivresse depuis un certain temps.
L’adversaire de Silène est une drogue nouvellement apparue et encore sujette à controverse, que le mécène de Bacon, le roi Jacques ier d’Angleterre et d’Irlande, dénonçait âprement, à peine dix ans plus tôt, comme source de mauvaise haleine, de maladies infectieuses, de pensées perfides et d’idées diaboliques.
Indifférent aux critiques du monarque, Kawasha, le dieu de la pipe à tabac, entre en scène. Son nom fait probablement réfé­rence à une divinité des peuples algonquiens de Virginie que l’un des premiers colons anglais, John White, avait baptisée « l’idole Kiwasa ». Sa tête est coiffée d’un chapeau rouge et or en forme de cheminée, et son corps est drapé de bandes de ­tissu « rappelant la forme et la couleur des feuilles de ­tabac ». Il s’empresse d’engager un combat dansé avec les disciples de Silène et rugit qu’il s’apprête « à tous les souffler, les réduire en cendres et en fumée ». Le valet de Kawasha sautille autour de son maître en tenant en l’air une « immense pipe à tabac » de la taille d’une arquebuse.
En voilà une sacrée grande pipe, ont probablement pensé les invités les plus éméchés. Il s’agit d’un spectacle volontairement exubérant, typique de la démesure qui faisait la réputation de Bacon à cette époque. Quelques semaines plus tôt, pour fêter sa promotion au poste de procureur général d’Angleterre, Bacon avait convié « toute l’université de Cambridge » à un festin de Noël à base de gibier, comme l’atteste l’un de ses contemporains.
Les années 1610 ont été une décennie charnière dans la transformation du tabac en nouvelle obsession mondiale. En un rien de temps, ce don du ciel (ou ce fléau) a donné naissance à l’une des industries les plus lucratives du monde, s’est mué en force motrice du commerce triangulaire et a jeté les bases d’une mauvaise habitude dont l’humanité ne s’est toujours pas débarrassée quatre cents ans plus tard.
Mais, au début de l’époque moderne, fumer ne se résumait pas à tirer sur une pipe à tabac. La pipe géante du spectacle de danse de Bacon s’inscrit dans un éventail de techniques et de pratiques plus complexes et plus étranges encore. Le tabagisme des xvie et xviie siècles comprend l’utilisation d’instruments de distillation et de pipes à eau, notamment pour fumer du cannabis. Sans compter ses pratiques thérapeutiques, comme le lavement à la fumée.
Une telle diversité ne correspond pas à l’histoire classique du tabagisme, que l’on pourrait globalement résumer ainsi : avant 1492, fumer était une pratique répandue chez les peuples amateurs de tabac des Amériques mais demeurait inconnue outre-Atlantique. Puis Christophe Colomb remarqua que les Indiens Taïnos de Cuba fumaient « des herbes particulières […] qui les engourdissent et les enivrent presque ». Après avoir mené sa petite enquête, il apprit qu’« ils appellent cela tabaco » (c’est du moins ce que rapporte Bartolomé de Las Casas dans la version qu’il a livrée du Journal de bord de Colomb, le manuscrit original ayant été perdu). Au cours des années 1560, de plus en plus de notables espagnols encouragèrent l’adoption de cette pratique par les Européens – un médecin de Séville, Nicolás Monardes, déclara notamment que fumer était un « remède miracle » contre plus d’une vingtaine de maladies. À la fin du xvie siècle, la culture du tabac s’était implantée de l’Espagne à l’État indien du Gujarat en passant par la Turquie. Pendant ce temps, les plantations de tabac des Caraïbes et du Brésil devenaient des plaques tournantes du commerce triangulaire. Il s’agissait alors de répondre à la très forte augmentation de la demande de tabac, dont la consommation avait gagné non seulement l’Europe, mais aussi l’Asie et l’Afrique.
L’Angleterre suivit l’exemple espagnol, sous la houlette du mathématicien Thomas Harriot, auteur du rapport sur la Virginie intitulé A Brief and True Report of the New Found Land of Virginia (1588). Harriot fit écho aux louanges quasi obsessionnelles de Monardes et encensa le tabac pour sa prétendue faculté à ouvrir « les pores et les voies du corps » et à soigner « nombre de maladies graves ». Quelques décennies plus tard, l’engouement pour le tabac était tel que même le roi Jacques Ier fut incapable de l’endiguer. Son virulent réquisitoire publié en 1604, Counterblaste to Tobacco, compte parmi les échecs les plus cuisants de l’Histoire en matière de politique antidrogue. Une dizaine d’années plus tard, le tabac était un produit facile d’accès et bon marché dans toute l’Europe, tandis que Harriot mourait à petit feu d’un douloureux cancer du nez, probablement causé par sa longue addiction à cette substance que le souverain britannique avait qualifiée, de façon prémonitoire, d’« ulcère » et de « venin ».
Dans les années 1650, la pipe à tabac était certainement le plus puissant symbole de l’impérialisme européen. Le tabagisme était devenu un phénomène planétaire.
Ce récit de la mondialisation du tabagisme a été raconté un nombre incalculable de fois. Dans l’ensemble, il est vrai. Mais il peut aussi nous induire en erreur.
Le tabac est bel et bien originaire des Amériques, et le fumer est effectivement une pratique nouvelle pour les Européens, les Africains et les Asiatiques du début de l’époque moderne, puisqu’on n’en trouve nulle mention dans les textes anciens. Cependant, comme le prouvent les travaux d’archéologues et d’anthropologues depuis plusieurs décennies, le tabac n’était pas la seule drogue prisée par les peuples de l’Ancien Monde, et cela même avant les voyages de Christophe Colomb.
Si le tabac était en passe de conquérir le globe, c’était également le cas du cannabis – mais de façon plus furtive et souterraine. Des données archéologiques indiquent que l’on fumait du cannabis en Asie centrale et en Asie du Sud depuis au moins l’an 1000 avant notre ère. Une variante de cette pratique ancestrale a notamment attiré l’attention de l’historien grec Hérodote, qui rapporte que les Scythes, ces peuples nomades d’Eurasie, inhalaient de la fumée de cannabis à l’intérieur de leurs tentes : « Les Scythes prennent de la graine de chanvre [kannabis], et, s’étant glissés sous ces tentes de laine foulée, ils mettent de cette graine sur des pierres rougies au feu. Lorsqu’elle commence à brûler, elle répand une si grande vapeur qu’il n’y a point en Grèce d’étuve qui ait plus de force. Les Scythes, étourdis par cette vapeur, jettent des cris confus. » Aux environs de l’an 800, la consommation de cannabis traverse l’océan Indien et devient une pratique courante dans certaines régions d’Afrique subsaharienne.

Quand les marchands d’esclaves et les commerçants européens atteignent les régions d’Asie du Sud et d’Afrique centrale et orientale où l’on fume du cannabis, son pouvoir « enivrant » attire à nouveau l’attention. Le médecin juif portugais Garcia da Orta, qui vivait en Inde dans les années 1550, reconnaissait que le cannabis pouvait être « agréablement enivrant » mais le considérait également comme source de « nausée » et de « mélancolie ». Au xviie siècle, certains marchands européens qui sillonnent l’océan Indien se mettent à en consommer, et au moins l’un d’entre eux en rapporte en Europe, dans le but de faire du chanvre une nouvelle culture commerciale sur le modèle du tabac.
En 1689, le scientifique Robert Hooke rend à la Royal Society de Londres un rapport de première main sur les effets du cannabis indien : « Le patient ne comprend ni ne se souvient de ce qu’il voit, entend ou fait quand il est plongé dans cet état d’extase. Il devient, pour ainsi dire, un simple d’esprit incapable de prononcer une parole sensée. Il est pourtant très joyeux ; il rit, chante et s’exprime sans aucune cohérence. » Hooke explique que le cannabis est « chiqué ou ingéré » mais reste vague sur les quantités utilisées : « environ l’équivalent de ce que peut contenir une pipe à tabac ordinaire ». En dehors des régions d’Afrique et d’Asie du Sud où l’on fumait le cannabis, on ne sait toujours pas dans quelle mesure cette forme de consommation, par opposition à l’ingestion de préparations comestibles ou buvables, était une pratique répandue à l’époque de Hooke.
Hooke ne précise pas non plus si le « patient » anonyme de son rapport n’était pas, en réalité, sa propre personne. Il termine toutefois son discours sur une note résolument optimiste : « Voici ­diverses graines, dit-il en les présentant à la Royal Society lors de la dernière réunion hebdomadaire avant Noël, que j’ai l’intention de planter au printemps pour voir si la plante peut être cultivée ici. » En cas de succès, Hooke pense que cette substance peut s’avérer « très utile pour soigner les fous ». Il conclut sur ces mots : « Il n’y a rien à craindre, sauf peut-être quelques éclats de rire. »
Autrement dit, si Bacon, au lieu de se contenter d’offrir un cadeau de mariage impressionnant, avait cherché à se rapprocher de la vérité historique, il aurait dû commander un danseur supplémentaire pour « La mascarade des fleurs » : un frétillant plant de cannabis.

Un curieux détail étymologique semble indiquer que le tabagisme s’est propagé simultanément dans différentes régions du globe avant de s’imposer à l’échelle mondiale.
Alors que, dans pratiquement toutes les langues européennes, le mot signifiant « pipe » descend du latin pipa, le mot portugais constitue une exception frappante : cachimbo. Il est issu d’une des langues bantoues d’Afrique subsaharienne et serait entré dans le vocabulaire portugais par l’intermédiaire du jargon des marchands d’esclaves installés au Congo ou dans la vallée du Zambèze au début du xviie siècle. À première vue, l’hypothèse tient la route. Après tout, les Portugais ont joué un rôle clé dans la traite atlantique, et le tabac brésilien, trempé dans la mélasse pour mieux masquer le goût des feuilles défraîchies, faisait office de monnaie d’échange dans l’Afrique du xviie siècle.
Les choses se compliquent cependant lorsque l’on s’intéresse à la signification du terme dont semble dériver cachimbo : kixima, un mot qui signifie « puits d’eau » en kimbundu. Cela suggère que le mot portugais pour dire « pipe » ne désignait pas à l’origine les pipes sèches des fumeurs de tabac, mais plutôt les pipes à eau (que l’on connaît aussi sous le nom de « bang »). Comme le fait remarquer le géographe Chris S. Duvall dans son livre « Les racines africaines de la mari­juana »1, on se servait de pipes à eau et de pipes sèches pour fumer du cannabis dans toute l’Afrique subsaharienne bien avant que le récit de Christophe Colomb sur cette « herbe […] qu’ils appellent tabaco » n’atteigne l’Europe.
Tout au long du xviie siècle, les préparations étiquetées sous le nom de « tabac » ne contenaient pas que des feuilles de tabac réduites en poudre, mais des mélanges complexes de parfums et de substances actives. Les ingrédients pouvaient aller de différentes espèces de tabac, comme la puissante Nicotiana rustica, jusqu’à des préparations très élaborées dans lesquelles on trouvait toutes sortes de choses : du musc, de l’eau de rose, de la bergamote ou encore de l’orpiment, un minéral toxique. Dans son récit de 1590, le jésuite espagnol José de Acosta nous donne un bon exemple de ce genre de mixture. Il y décrit la « nourriture divine » préparée par les prêtres aztèques pour servir d’offrande aux dieux. Celle-ci se compose d’un mélange de cendres d’araignée, de scorpion et de mille-pattes, le tout accompagné « d’une grande quantité de tabac […] et de cette graine moulue que les Indiens appellent oluluchqui [belle-de-jour] et qu’ils ingèrent pour avoir des visions ».
Apparaissent également les lave­ments à la fumée, une pratique que les Européens du début de l’époque moderne adoptent avec un enthou­siasme surprenant. Le médecin ­anglais Thomas Sydenham en explique le principe en 1753 dans le traitement qu’il préconise en cas de fièvre doublée de « violentes coliques » : « Ici, je pense qu’il convient d’effectuer d’abord une saignée dans le bras, puis, après une ou deux heures, d’administrer un fort purgatif ; et je ne connais rien de plus fort ni de plus efficace que la fumée de tabac, poussée dans les intestins par un grand soufflet raccordé à une pipe inversée. »
Un peu plus tard, Richard Mead, un éminent médecin britannique du xviiie siècle, soutient que le lavement à la fumée est la meilleure méthode pour réanimer un patient inconscient. Face à un noyé, « la première chose à faire est de lui insuffler de la fumée de tabac dans les intestins », préconise-t-il. Dans les années 1780, cette pratique est si largement répandue qu’une fondation caritative, la Royal Humane Society, installe le long des rives de la Tamise une série de trousses de premiers secours contenant tout l’équipement nécessaire à l’administration d’un lavement au tabac.

Alors que le pouvoir de la fumée fait des émules partout dans le monde et que les expériences se multiplient pour servir une variété d’objectifs, la curiosité des alchimistes de l’époque est piquée au vif. Ils sont tout particulièrement intri­gués par le potentiel du feu comme mode de transformation, surtout lorsqu’il agit à l’intérieur du corps humain.
L’idée fondamentale qui sous-tend le pouvoir de la fumée est que le corps humain serait poreux. Il serait façonné non seulement par les liquides, les aliments et les drogues que nous absorbons, mais aussi par la force astrale exercée par les étoiles et les planètes, par l’influence invisible du « magnétisme » et par les ­vapeurs et les « humeurs » qui imprègnent l’atmosphère. La fumée médi­cinale jouerait alors un rôle essentiel pour purifier le corps de ces influences extérieures.
Même le roi Jacques Ier fait référence à cette croyance populaire dans son Counterblaste to Tobacco. Le tabac, concède-t-il, détient un pouvoir de « suffumigation » qui en fait un bon « antidote » (au demeurant « tout à fait infect ») contre la variole. Et le souverain d’évoquer cet « adage unanimement admis » par les médecins qui veut que, « le cerveau humain étant de nature froide et humide, toute chose sèche et chaude peut lui être bénéfique. Or telle est la nature de cette suffumigation nauséabonde. »
Cette conception de la fumée comme purgatif contre les humeurs froides et humides du cerveau, réputées être à l’origine de toutes sortes de maux, s’illustre bientôt dans une série de gravures populaires qui montrent les pensées stupides d’un jeune homme partir, littéralement, « en fumée ».
Peu de temps avant la pandémie de Covid-19, j’ai visité un laboratoire archéologique de l’Université de Californie à Santa Cruz, spécialisé dans la culture matérielle du royaume du Dahomey, dans l’actuel Bénin. Les armoires du labo étaient pleines de pipes à tabac : de minuscules tessons d’argile, blancs comme des os, dont beaucoup étaient encore couverts d’une poussière rougeâtre, de la couleur de la terre dans laquelle ils avaient été longtemps ­enfouis.
Au début de l’époque moderne, ­fumer recouvrait un large éventail de pratiques. Mais le xviiie siècle voit s’imposer les pipes en argile blanche de facture rudimentaire et le tabac en poudre de mauvaise qualité. À la fin du xixe siècle et au xxe siècle, lorsque la cigarette arrive sur le devant de la scène, fumer n’est déjà plus cet art élaboré caractéristique de la première phase de la mondialisation du tabagisme. La consommation de cannabis a bien sûr persisté, mais de manière clandestine et parfois sous des formes différentes. En témoigne par exemple la teinture de cannabis, une extraction obtenue en faisant infuser des feuilles séchées de cannabis dans de l’alcool, qui figurait jusqu’à récemment dans de nombreux protocoles thérapeutiques pour ses vertus médicinales.
Le tabagisme est sur le déclin dans de nombreux pays du monde. En parallèle, le cannabis a été reconditionné en une très large gamme de produits, des space cakes aux cigarettes électroniques. Pourtant, il y a fort à parier que la fascination première de l’homme pour la fumée, cette présence fugace qui nous accompagne depuis la nuit des temps, n’est pas près de s’évaporer. 

Benjamin Breen est professeur d’histoire à l’Université de Californie à Santa Cruz. Il est l’auteur de The Age of Intoxication (University of Pennsylvania Press, 2019).
Cet article est paru dans le magazine américain Lapham’s Quarterly le 15 mars 2021. Il a été traduit par Charlotte Navion.

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« Il est rare que, passé un certain âge, de grands chefs d’entreprise écrivent des ouvrages qui ne soient pas des autobiographies », notent Anton Rainer et Volker Weidermann dans le Spiegel. Dirk Rossmann, lui, fondateur de la chaîne de pharmacies du même nom et l’un des hommes les plus riches d’Allemagne (sa fortune est estimée à 3,4 milliards d’euros), a commis un thriller. À 74 ans. Un événement outre-Rhin, où le livre est resté plusieurs ­semaines en tête des ventes. Pour son brio littéraire ? Plutôt grâce à « un budget publicitaire qui se chiffre en millions, l’intervention discrète de plusieurs coauteurs et une stratégie de vente aussi habile qu’effrontée », juge le Spiegel. Le roman met en scène plusieurs grands de ce monde, l’ex-chancelier allemand ­Gerhard Schröder (ami proche de Rossmann), Xi Jinping ou encore ­Kamala Harris. À la fin, Vladimir Poutine obtient le prix Nobel de la paix. L’auteur y caresse l’idée d’une dictature verte pour sauver la planète : un G3, réunissant les États-Unis, la Chine et la Russie, impose au monde des mesures draconiennes – par exemple la politique de l’enfant unique en Afrique. Apparemment, Schröder, qui a lu une partie du roman, l’aurait trouvé « peu réaliste ». 

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En 1758, le roi de Grande-
Bretagne George II ­gracia un fusilier de la marine royale reconnu coupable de « sodomie sur la personne d’une chèvre ». Motif : le condamné « était un jeune crétin, illettré et ignorant […], dépourvu de toute capacité intellectuelle, un quasi débile mental. » On jugea en revanche que la chèvre, elle, avait un peu trop apprécié l’expérience : elle fut dûment exécutée.
Un siècle plus tard, le psychiatre germano-autrichien Richard von Krafft-Ebing affirmait dans son ouvrage Psychopathia sexualis (1886) que ceux qui s’adonnent à la sexualité avec des animaux sont des dégénérés congénitaux que leur « névrose constitutionnelle » rend « incapables d’avoir des rapports sexuels normaux ».
La zoophilie, c’est-à-dire le commerce sexuel avec un animal, est-elle une dangereuse pathologie ou une simple peccadille ? Pour l’Association américaine de psychiatrie (APA), la réponse ne fait aucun doute : la zoophilie figure depuis 1980 dans chaque nouvelle édition du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM), le manuel de référence pour les troubles ­psychiatriques.
Joanna Bourke, professeure d’histoire au Birkbeck College (Université de Londres), estime pour sa part que la société devrait adopter une approche plus nuancée. Dans Loving Animals, elle invite à considérer avec une grande prudence les études établissant un lien entre zoophilie et psychose en raison de leur « biais d’échantillonnage ». Celles-ci ne portent en effet que sur des individus ayant déjà eu affaire à la justice, pas sur un échantillon représentatif de la population. Le jeune fermier qui, sous le coup de la frustration sexuelle, fricote avec une de ses juments ne devrait pas figurer dans la même catégorie qu’un pervers sexuel patenté, car son écart de conduite ne constitue, pour reprendre les termes du psychiatre Philip Q. Roche1, qu’un « expédient visant à pallier la solitude bucolique ». Autrement dit, il s’agit là d’une question de circonstances plutôt que d’une tendance.
Pour Joanna Bourke, le tabou qui frappe la zoophilie perdure du fait de l’improbable alliance des militants en faveur des droits des animaux et des mora­listes de droite. Les premiers la condamnent au titre du bien-être animal, les seconds au motif qu’elle est non procréatrice et qu’elle contrevient à l’ordre natu­rel. Qui plus est, cette pratique n’est pas sans risques pour le partenaire humain. En témoigne le triste cas de l’Américain Kenneth Pinyan, un ingénieur de 45 ans travaillant chez Boeing, mort en 2005 d’une péritonite aiguë due à une perforation du côlon après avoir été pénétré par un étalon connu localement sous le sobriquet de « Grosse Bite ». Les rapports sexuels avec les chiens ne sont pas non plus exempts de dangers : « Une fois un pénis de chien inséré dans une vulve ou un anus, son pars longa glandis [la partie allongée du gland, chez un chien] peut doubler de diamètre et son épaisseur augmenter de 3 cm. Le bulbe du gland triple de largeur (de 6 cm ou plus) et gagne jusqu’à 4 cm d’épaisseur. »
Les interdictions légales soulèvent par ailleurs d’intéressantes questions de définition2. Qu’est-ce qui, au juste, caractérise une « bête » ? Dans l’affaire « Murray contre l’État de l’Indiana » (1957), l’accusé avait copulé avec un poulet, donc techniquement avec une volaille plutôt qu’une bête. Et puis, qu’est-ce qui constitue un « acte sexuel » ? Faut-il y inclure la formicophilie, cette pratique consistant à attirer des fourmis sur le clitoris d’une femme en enduisant de miel son mont de Vénus ? Au regard du droit pénal, ce n’est pas seulement l’acte lui-même qui compte mais l’intention qui le sous-tend : les éleveurs de vaches ou de cochons font quotidiennement des gestes qui, s’ils sont parfaitement légaux, n’en sont pas moins d’ordre sexuel – s’ils étaient accomplis à des fins de gratification personnelle, ils seraient jugés délictueux. L’auteure en conclut que « la différence entre un zoophile et un fermier est de nature biopolitique. »
Joanna Bourke interviewe nombre d’adeptes de ce qu’elle nomme de façon touchante « l’amour interespèces », qui soutiennent que leurs relations avec les animaux sont tendres et consenties. Évidemment, leurs partenaires à quatre pattes ne s’expriment pas sur la question. L’un des principaux arguments contre la zoophilie est que les animaux sont par nature incapables d’exprimer leur consentement.
Si elle admet volontiers que « la plupart des relations sexuelles entre un humain et un animal impliquent la coercition », l’auteure avance aussi l’idée – discutable – que l’on peut juger du consentement d’un animal au moyen de certains indices non verbaux révélant s’il prend ou non du bon temps. Même si l’on se range à ce point de vue, on imagine difficilement quelle réforme juridique pourrait en découler. Il est peu probable qu’un quelconque gouvernement établisse une juridiction spéciale dont le but serait de s’assurer de la réciprocité des sentiments amoureux au sein des couples interespèces potentiels. 

Houman Barekat est un critique littéraire dont les articles paraissent régulièrement dans The Guardian, The Sunday Times ou The Spectator. Il a codirigé The Digital Critic (O/R Books, 2017), un recueil de textes explorant l’impact d’Internet sur la critique littéraire.

Cet article est paru dans The Times Literary Supplement le 19 février 2021. Il a été traduit par Jean-Louis de Montesquiou.

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« Je suis stupéfaite. La Suède, c’est aussi cela », s’étonne une critique du quotidien Dagens Nyheter, résumant par cette formule la réaction des médias nationaux lors de la parution de Familjen au printemps 2020. Un an après, le livre figure toujours parmi les meilleures ventes, signe de l’inquiétude de la population suédoise face au crime organisé.
Primée pour son travail, la journaliste ­Johanna Bäckström Lerneby y raconte comment un clan fami­lial originaire du Liban tient sous sa coupe une banlieue de Göteborg, la deuxième ville du pays. Approfondissant une série de reportages parus dès 2017, l’auteure « ne dramatise pas, elle clarifie les choses », ajoute le quotidien libéral.
L’enquête s’appuie sur des rapports de police et de services sociaux, des comptes rendus de procès et nombre d’entretiens. La journaliste dépeint ainsi une société parallèle qui existe dans d’autres villes du royaume, pointe Svenska Dagbladet. Mais, « pour diverses raisons, de nombreux Suédois en savent probablement moins sur cela que sur les familles de la mafia italienne » à New York, estime le quotidien conservateur. « Tout doit être mis sur la table » pour y remédier, ajoute-t-il, alors que l’extrême droite se tient en embuscade avant les législatives de 2022. 

[post_title] => Gangrène mafieuse [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => gangrene-mafieuse [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-07-01 07:02:44 [post_modified_gmt] => 2021-07-01 07:02:44 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=104733 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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«Toute contestation d’une affir­mation officielle ou d’une croyance largement répandue peut être désormais considérée comme “complotiste” », twitte Edgar Morin, le chantre de la pensée complexe. De son côté, l’humoriste Patrick Sébastien confie à TV Magazine, édité par le groupe Le Figaro : « Nous sommes dirigés par des technocrates […]. Il faut pousser les gens à la désobéissance parce qu’on ne comprend pas leurs décisions. La seule ­logique, c’est que ce virus détruit les ­malades et les faibles. Je me demande s’il est là par hasard, tout simplement… C’est très complotiste, mais je l’assume. »
On dit que les grands esprits se rencontrent, mais parfois il faut les aider un peu. Prenez d’autres lumières contemporaines, qui n’ont a priori pas grand-chose en commun elles non plus : ­Francis ­Lalanne, Véronique Genest, Juliette Binoche, Bernard Ménez, Jean-Marie Bigard… Des carrières exceptionnelles, certes, mais les voilà désormais unies sous le qualificatif infâmant de « complotiste », avec une poignée de politiciens, de sportifs, d’éditorialistes, de médecins, de chercheurs et autres intellectuels de haut rang. Leur faute ? À les entendre, ils ont juste posé des questions, fait leurs propres recherches, réfléchi par eux-mêmes, osé donner leur opinion, simplement contesté la doxa, tout cela à la faveur d’une pandémie qui semble avoir grandement sollicité leur verve critique (et leur expertise en épidémiologie). Diantre, on ne peut décidément plus rien dire !
Patrick Sébastien et quelques autres peuvent bien faire mine de se revendiquer complotistes, le terme est généralement reçu pour ce qu’il est : une disqualification. Il est donc, sans surprise, très largement contesté, et souvent explicitement sous la forme du préambule rhétorique : « Je ne suis pas complotiste, mais… » Oui, mais, justement, de plus en plus, c’est le mot lui-même qui est devenu suspect. On le brandirait pour faire taire les voix qui dérangent, on s’épargnerait toute argumentation grâce à ce seul mantra, on réduirait toute dissidence à néant par l’opprobre, amalgamant ainsi des préoccupations bien légitimes aux délires de ceux qui croient à l’existence de reptiliens intergalactiques ou au « grand remplacement ». Trop facile ! Cette profusion d’accusations de complotisme ne cacherait-elle pas quelque chose ? De fait, il paraît que le mot « théorie du complot » a été inventé par la CIA… Comme par hasard ! Certes, c’est peut-être faux, mais ça n’aurait rien d’étonnant si c’était vrai, non ? D’ailleurs, il faudrait qu’on nous prouve le contraire, sans quoi, c’est vraiment qu’on nous prendrait pour des imbéciles. Après tout, il y a quand même eu de véritables complots dans l’Histoire, pas vrai ?
Comment savoir si on est complotiste ? Il me semble qu’un bon indice se situe dans l’énergie dépensée à se défendre de l’être en usant de cette rhétorique très caractéristique. Ce n’est pas pour rien que le concept est effectivement péjoratif, et même stigmatisant, selon l’historienne allemande Katharina Thalmann, qui a admirablement documenté cette évolution à partir des années 1950 1. Brièvement, il se trouve que, un jour, la vision du monde selon laquelle tout ce qui va mal peut s’expliquer par l’action délibérée, secrète et malveillante d’entités maléfiques et où, corollairement, tout s’arrangerait immédiatement si les conspirateurs étaient enfin démasqués et mis hors d’état de nuire est devenue irrationnelle, néfaste et, pour tout dire, ringarde. Elle ne l’était pas auparavant. Pendant longtemps, le complotisme fut une façon normale d’envisager la réalité. Seulement, nos manières de comprendre et d’expliquer le monde sont désormais beaucoup plus sophistiquées, et surtout moins romanesques. En conséquence, le « complotisme » relève aujourd’hui d’une vision archaïque et naïve de la société, d’une rhétorique facilement identifiable parce que datée, hyperbolique et improductive. Il est donc normal de s’offusquer d’être qualifié de complotiste : cela signifie simplement qu’il est aujourd’hui inexcusable de l’être. 

Sebastian Dieguez est chercheur en neurosciences au laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’Université de Fribourg, en Suisse. Il est l’auteur de Total Bullshit ! Au cœur de la post-vérité (PUF, 2018).

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Voici une dessinatrice qui ne fait pas dans la ligne claire. Dans ce récit (autobio)graphique qui alterne entre sa vie d’aujourd’hui à Montréal et son enfance en Iran, Shaghayegh Moazzami use d’un trait épais et sature le fond de noir, expression de la colère qui l’habite. Bizarrement, les cases s’assombrissent pour la période canadienne alors que les souvenirs iraniens – qui représentent pourtant un monde qu’elle a fui – sont plus clairs, plus paisibles.
L’auteure a passé les trente premières années de sa vie en Iran, un pays connu pour la chape qu’il fait peser sur les femmes depuis l’instauration de la ­République islamique. De son quotidien à Téhéran, Shaghayegh Moazzami livre, à la manière de flash-back, quelques souvenirs : l’envie folle, petite fille, d’avoir un album de Tintin, évidemment prohibé par les mollahs ; la joie de faire du vélo avec ses jeunes frères, du moins jusqu’au moment où, adolescente, elle se voit ­interdire cette pratique ; l’obligation, jeune adulte céli­bataire, de rentrer ­dormir chaque soir chez ses parents.
Pour échapper à sa famille, cette jeune femme peu encline aux compromis et éprise de liberté se résout à épouser un ami ingénieur, Fareed, qui prévoit d’émigrer au Canada. Elle-même est diplômée de l’Université des beaux-arts de Téhéran, pratique la peinture et trépigne d’impatience à l’idée de mener enfin « sa » vie. Ils se marient en 2011 mais devront, pour d’obscures raisons liées à la guerre en Syrie, patienter jusqu’en 2016 pour être autorisés à s’envoler vers le continent américain. Débarrassée de l’Iran et de ses règles étouffantes, Shaghayegh pense pouvoir vivre comme elle le souhaite – entre autres, fumer, boire de l’alcool ou montrer ses jambes en public…
Mais elle n’en a pas fini avec le passé. La ­voilà hantée par une vieille femme vêtue de noir de pied en cap qui ressemble à s’y méprendre à la redoutable Mme Karimi, sa professeure de sixième, à l’allure prononcée de méchante sorcière1. Celle-ci suit ses moindres faits et gestes, la pourchasse, lui rappelle continuellement les règles et usages, la critique, l’invective grossièrement et sans relâche – les chapelets de « salope, traînée, garce, maudite ­femelle, merdeuse » et autres amabilités s’égrènent au fil des pages, tandis que notre héroïne tente d’y échapper en dessinant, encore et encore. C’est là qu’intervient la seule note de couleur de l’album. L’auteure se met en scène crayonnant sur son inséparable bloc de feuilles jaunes, dans une sorte de mise en abyme, et les dessins qu’elle ­réalise sur ce carnet à croquis apparaissent sur un fond jaune, comme un reflet de la réalité ­légèrement décalé par rapport au fil du récit.
Celui-ci est minutieux : de sa vie à Montréal, de ses occupations, de ses relations dégradées avec Fareed, nous savons tout. Idem lorsque la mère et la tante du jeune homme viennent passer quelques jours chez eux : ces retrouvailles donnent lieu à des scènes pour le moins tendues, comme une bulle d’Iran qui viendrait lui éclater violemment à la figure. Tout cela peut laisser penser que la dessinatrice tient un propos désespérant sur l’impossibilité de rompre avec son passé. Or, pas seulement. Elle convoque ­aussi le souvenir lumineux de trois enseignants des Beaux-Arts qui lui rappellent à bon escient quelques-unes de leurs ­leçons d’art et de vie – « mène l’existence que tu estimes juste et ne te soucie pas du jugement des autres », par exemple – pour qu’elle se décide à prendre son destin en main et à faire ses propres choix de façon apaisée.
La force de Moazzami est de se montrer sans chercher à susciter la sympathie. Elle n’est pas franchement jolie, pas très aimable, ne cherche pas à se rendre intéressante, mais sa détermination finit par emporter l’admiration. À signaler, une vingtaine de planches, à la fin de l’album, qui constituent un glossaire autant qu’un « petit précis de la vie selon les règles en vigueur » en Iran. 

O.C.

[post_title] => La vieille qui jurait dans ma tête [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => la-vieille-qui-jurait-dans-ma-tete [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-07-01 07:02:43 [post_modified_gmt] => 2021-07-01 07:02:43 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=105115 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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«Vivre en Chine aujour­d’hui a quelque chose de déroutant, a déclaré le romancier Yan Lianke, parce qu’on a l’impression d’être à la fois en Corée du Nord et aux États-Unis. » Quand il a fait cette remarque il y a trois ans, lors d’une table ronde sur le campus de l’université Duke Kunshan, près de Shanghai, je me souviens d’avoir souri et opiné du chef. En une courte phrase, il résumait en effet toute l’étrangeté et la singularité de la Chine actuelle, un pays qui abrite des goulags et des magasins Gap.
La formule de Yan Lianke traduisait la difficulté de faire entrer la Chine dans une catégorie, et j’ai peu à peu réalisé qu’il en allait de même pour son président, Xi Jinping. D’un côté, Xi – qui a pris la tête du Parti communiste chinois en 2012, puis du pays tout entier l’année suivante – semble ramener la Chine en arrière ; d’un autre, il fait figure de libre-échangiste tourné vers l’extérieur, capable d’éblouir la clique de Davos en vantant la mondialisation et en ratifiant des accords de libre-échange. Cette dichotomie se fonde en partie sur la conviction de certains observateurs extérieurs qui voient en Xi Jinping un réformateur façon Mikhaïl Gorbatchev, l’ancien leader soviétique. Mais la poli­tique de Xi – répression de la dissidence, abolition des limites de durée du mandat présidentiel, édification d’un culte de sa personnalité – rappelle davantage celle de Vladimir Poutine, voire du Nord-Coréen Kim Jong-un. De fait, il concentre actuellement plus de pouvoir entre ses mains qu’aucun dirigeant chinois depuis Mao. Et il ne se prive pas de certaines extravagances, comme de faire référence à Confucius tout en s’affichant en tenue militaire ou d’accumuler les titres honorifiques à la manière du leader nationaliste Tchang Kaï-chek. Mais ces comparaisons sont trompeuses, car Xi ne ressemble à aucun dirigeant chinois précédent, ni à aucun chef d’État actuel.
À force de m’interroger sur ses points communs avec d’autres autocrates, je me suis aperçu d’une chose qui le distingue nettement : il n’existe aucune biographie examinant sa vie de façon rigoureuse et détaillée. Dans n’importe quelle bonne librairie, on trouve quantité de biographies de Vladimir Poutine, au moins deux de Kim Jong-un, plus quelques-unes du président philippin Rodrigo Duterte ou du Premier ministre hongrois Viktor Orbán. Mais si l’on cherche quelque chose d’équivalent sur le plus puissant dirigeant que la Chine ait connu depuis des décennies – personne qui, à bien des égards, est la plus puissante du monde –, on ressort les mains vides. Il existe bien entendu des livres sur Xi, mais pas de biographies approfondies et minutieuses. Il s’agit plutôt de livres relevant de l’une ou l’autre de ces trois catégories : hagiographies en chinois à destination du public local ; recueils de ragots sans grande crédibilité dans la veine « la vie secrète des empereurs », également en chinois mais interdits à la vente en Chine continentale ; ouvrages en langues diverses avec Xi en couverture mais qui ne décrivent ni n’analysent vraiment sa vie. Le président chinois n’a fait l’objet que d’une poignée de portraits sérieux dans des articles ou des podcasts. Il est sidérant de constater, vu le pouvoir que Xi exerce depuis près de dix ans, qu’il n’existe qu’un nombre très restreint de travaux dignes d’être mentionnés, quand bien même ceux-ci éclairent certains aspects clés de sa vie et de sa personnalité.
Pour tenter d’expliquer cette carence criante, j’ai sollicité l’avis de journalistes et de chercheurs qui, même s’ils n’ont pas écrit de livres sur lui, se sont intéressés de près à Xi ou à des personnages contemporains ayant des points communs avec lui. Beaucoup de facteurs semblent entrer en ligne de compte, à commencer par le manque de sources crédibles qui soient à la fois proches de Xi et prêtes à parler de lui en toute franchise.
Sans compter le fait que le dirigeant chinois est relativement inaccessible. Le journaliste Steven Lee Myers, qui couvre la Chine pour The New York Times et a écrit une biographie de Poutine, note que le dirigeant russe a beau être « très ­réservé, notam­ment avec les médias étrangers », il rencontre toutefois « de nombreux journalistes et répond en détail aux questions qu’on lui pose ». Xi, en revanche, « n’accepte jamais de répondre aux questions, mêmes amicales ». Anna Fifield, ex-directrice du bureau du Washington Post à Pékin et auteure d’une biographie de Kim Jong-un, pense qu’il est au moins « aussi difficile d’écrire sur Xi que sur Kim », mais que « pour Xi, la barre est placée plus haut, car l’opinion publique estime être en droit d’en savoir davantage sur lui ». Et ce n’est pas tout. « La caractéristique numéro un de Xi avant son accession au pouvoir était sa prudence », m’a confié le politologue Joseph Torigian, qui remarque que l’étude des élites politiques, dans une perspective biographique du moins, est passée de mode chez les universitaires. Enfin et surtout, il y a le facteur peur. Les spécialistes de la Chine craignent de se voir interdire l’accès au pays s’ils écrivent un livre critique sur Xi. Sans parler d’autres formes de représailles, en ligne ou dans le monde réel. (Fin 2015, par exemple, cinq ­libraires de Hongkong, accusés de diffuser des livres racoleurs sur la vie privée de dignitaires chinois, ont été kidnappés et emmenés en Chine continentale.)
Mais les dirigeants chinois n’ont pas toujours agi ainsi. Un des prédécesseurs de Xi, Jiang Zemin, avait accordé une interview à une émission de télévision américaine. Et, s’il n’existe pas de biographie majeure en anglais de Hu Jintao, le président chinois dont Xi a pris la suite en 2013, ce n’est probablement pas parce qu’il est difficile d’accès. « Certaines personnes sont juste trop ennuyeuses pour faire l’objet d’une biographie », m’a dit l’historien John Delury, auteur avec Orville Schell d’une galerie de portraits de dirigeants et d’intellectuels emblématiques de la Chine (sans surprise, Hu n’est pas du lot). Xi, lui, est tout sauf ennuyeux. Sous sa férule, la puissance économique et militaire de la Chine a grimpé en flèche. Il a organisé l’incarcération massive de musulmans ouïgours dans des camps de rééducation de la province du Xinjiang, muselé la presse et étouffé les critiques à l’égard du Parti. Sous son règne, la mainmise chinoise sur Hongkong n’a cessé de croître : lors d’une ­visite en 2017, Xi y a présidé la plus importante parade militaire qui s’y soit tenue depuis sa ­rétrocession.
Le fait qu’il n’existe pas de biographie de Xi mérite notre attention. Que l’on en sache si peu sur son compte – et que si peu de ceux qui le connaissent soient disposés à parler de lui –en dit long sur la vigueur de la répression qu’il a instaurée. Et cela a des conséquences plus générales, notamment pour les pays qui traitent avec la Chine – c’est-à-dire tous les pays. Xi exerce un pouvoir tellement supérieur à celui de ses prédécesseurs qu’il est impératif de bien cerner son état d’esprit. De façon générale, il est crucial de savoir comment traiter avec quelqu’un faisant l’objet d’un culte de la personnalité dans un pays puissant sur la scène internationale – même si, comme me l’a expliqué Alice Su, la patronne du bureau pékinois du Los Angeles Times, le culte de Xi semble générer moins de ferveur que celui de Mao.
Le manque d’informations sur Xi et le difficile accès à son cercle intime ont donné lieu à deux conceptions qui, pour attrayantes qu’elles soient, demeurent fallacieuses. La première, qui prévalait quand il a pris le pouvoir, mettait l’accent sur les aspects de sa vie qui laissaient pressentir un dirigeant conforme à ce que souhaitait l’Occident : un réformateur politique. Les premières analyses des commentateurs – comme celle du très médiatique Nicholas Kristof, qui a eu un vaste écho en raison de son aura de Prix Pulitzer spécialiste de la Chine – soulignaient que le père de Xi avait été un conseiller de tendance libérale du président Deng Xiaoping. Autrement dit, Xi aurait « dans ses gènes » des penchants réformistes. Cette idée a été combinée à d’autres éléments biographiques pour étayer la thèse que Xi allait réduire le contrôle de l’État sur la population. Mais, en définitive, ses positions sur Hongkong ou sur les Ouïgours du Xinjiang montrent qu’il n’en est rien. La seconde approche met l’accent sur deux autres aspects de la vie de Xi : d’abord, il a grandi sous Mao ; ensuite, il faudrait le considérer, du fait du haut statut de son père, comme un « prince héritier », fils d’un héros de la révolution chinoise. D’où l’idée que Xi ne serait qu’une version actualisée des anciens autocrates chinois. Mais c’est oublier que Xi, contrairement à Mao, ne s’intéresse guère aux « mouvements de masse » ou à la lutte des classes. En outre, il ne semble nullement préparer quelqu’un de sa famille à lui succéder.
Il se passe bien des choses en Chine aujourd’hui qu’on ne peut simplement imputer à la personnalité de son dirigeant, et, d’ailleurs, les meilleurs travaux récents sur le pays sont souvent l’œuvre d’universitaires ou de journalistes privilégiant une approche « par le bas ». Mais, s’agissant d’un pays qui tient à la fois de la Corée du Nord et des États-Unis, pour reprendre les mots de Yan ­Lianke, et qui semble simultanément s’élancer vers le futur et revenir en arrière, il n’est pas plus pertinent de considérer son leader comme un réformiste que comme un rétrograde pur et dur. Il est grand temps de mieux cerner – même si la tâche n’est pas aisée – le mode de fonctionnement de cet autocrate obsédé par l’ordre et profondément nationaliste qui gouverne la Chine. 

— Jeffrey Wasserstrom est un historien américain spécialiste de la Chine contemporaine. Il a récemment publié un livre sur l’histoire de Hongkong, Vigil: Hong Kong on the Brink (Columbia Global Reports, 2020).

Cet article est paru dans le magazine américain The Atlantic le 30 janvier 2021. Il a été traduit par Jean-Louis de Montesquiou.

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Alors que les romans de plage s’alignent sur les tables des librairies, c’est un cahier de vacances qui risque bien de rafler la mise cet été. Son titre ? Burn After Writing, littéralement « Brûler après avoir écrit ». Sorti le 4 mars en France, où son premier tirage à plus de 100 000 exemplaires s’est écoulé en moins de trois semaines, ce phénomène venu d’Angleterre invite à la réflexion – ainsi qu’à une certaine perplexité.
Résumons le concept : il s’agit d’une introspection guidée, une sorte de grand questionnaire de Proust étiré sur 160 pages. Ces dernières sont blanches, puisque c’est au lecteur de les noircir en répondant à des questions plus ou moins existentielles, parmi lesquelles « Quel est ton film préféré ? », « Qu’est-ce qui te rend triste ? » ou, plus directe : « Quelle personne as-tu le plus envie de frapper en pleine tête ? » Confronté à ces interrogations, le lecteur pourra cogiter en mâchonnant son crayon à papier, tandis que les éditeurs du monde entier se féliciteront de faire un tel carton avec si peu de phrases imprimées et des coûts de traduction aussi bas. Si nous passons outre la consternation qui nous guette, il faut bien admettre qu’il s’agit sans doute d’un sujet plus complexe qu’il n’y paraît.
D’abord, ce succès de librairie témoigne des mécanismes à l’œuvre aujourd’hui sur le marché du livre – il faudrait d’ailleurs plutôt parler de succès d’édition, puisque la majorité des ventes s’est faite en ligne, sur Amazon. Ensuite, le nombre astronomique d’exemplaires écoulés tranche avec sa réception dans les médias. Longtemps, aucune recension n’en a été faite, et il a fallu que le livre occupe pendant plusieurs semaines le podium des meilleures ventes pour que les journaux s’y intéressent – et finissent par tous parler en même temps du « livre dont personne ne parle ». De fait, ce carton commercial s’est appuyé sur un bouche-à-oreille un peu particulier, puisque c’est une jeune influenceuse britannique qui a soufflé à ses millions d’abonnés sur la plateforme TikTok de se procurer cet ouvrage « qui a changé [sa] vie ». C’était il y a deux ans, et, depuis, chaque nouveau tirage est l’occasion d’un raz-de-marée de publications sur le Web. En plus des vidéos, on ne compte plus les photos postées sur Instagram de la couverture rose layette du livre, savamment installée entre une bougie et deux pommes de pin. Car ce journal intime d’un nouveau genre est clairement destiné à un lectorat féminin. Pour reprendre les termes de son éditeur français, il s’adresse même à une jeune « femme hyperconnectée, qui saisit là l’occasion de prendre un peu de recul sur son existence ». Notons cependant qu’une déclinaison bleue vient de paraître afin d’élargir le public cible – signe que, en 2021, si le rose n’est toujours pas pour les garçons, ceux-ci ont désormais le droit d’avoir une vie intérieure.
Car c’est au fond de cela qu’il s’agit, et cet appétit des 15-30 ans pour un bête carnet à remplir mérite plus qu’un regard moqueur ou l’impression qu’on réinvente le fil à couper le beurre. Il ­témoigne des manques et des aspirations d’une génération ultraconnectée prise dans le brouhaha incessant des plateformes. Faut-il en déduire que ceux que l’on désigne à l’emporte-pièce comme des « milléniaux », qui ont grandi avec le Web 2.0 et dont le smartphone est une extension d’eux-mêmes sont pris d’un gros coup de ­fatigue ? Pour certains, la possibilité, d’abord grisante, de mettre en scène sa vie quotidienne sur les réseaux sociaux s’est peu à peu transformée en injonction intériorisée pour exister. Bibe­ronnés aux likes et autres récompenses numériques comme autant de marques de validation, ils sont incités à travailler quotidiennement pour offrir au monde un récit convaincant de ce qu’ils sont. Or, il faut bien le dire, faire de son quotidien des moments partageables sur écran brillant, c’est épuisant. Quel meilleur refuge qu’une page blanche pour s’extraire du monde ? Ce rappel de la valeur de l’intime et ses coulisses est aussi simple que fondamental. Reste à savoir si cette leçon mérite réellement de débourser 12,90 €. 

Floriane Zaslavsky est sociologue. Elle a publié avec la journaliste Célia Héron Dernier Brunch avant la fin du monde (Arkhê Éditions, 2020).

[post_title] => Le marketing de l’intime [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => le-marketing-de-lintime [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-07-01 07:02:43 [post_modified_gmt] => 2021-07-01 07:02:43 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=105123 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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L’Américaine Sylvia Plath est la poétesse de langue anglaise la plus connue du xxe siècle. Dans les universités et le milieu littéraire, elle est admirée pour la puissance et l’originalité de ses poèmes, qui sont d’une grande maîtrise technique et constellés d’images mémorables. Dans la culture populaire, son statut est celui d’une sorte de Marilyn Monroe de la littérature. À la fois figure tragique et icône du féminisme, elle est l’objet d’un mythe tenace. Sylvia Plath s’est suicidée au gaz à Londres en 1963. Elle avait 30 ans et deux enfants en bas âge, elle venait de publier son unique roman, La Cloche de détresse, et d’écrire une série de poèmes qu’elle considérait comme ses meilleurs. Mais son mariage avec le poète anglais Ted Hughes semblait irrémédiablement détruit, et la dépression dont elle souffrait depuis la fin de son adolescence l’avait rattrapée. L’idée de suicide et de maladie mentale est inéluctablement asso­ciée à son nom. En ajoutant une nouvelle biographie à l’abondante littérature qui lui est consacrée, Heather Clark a voulu proposer d’elle un portrait débarrassé de la « rhétorique sensationnaliste et mélo­dramatique » qui l’entoure et rendre justice à ce qu’elle était vraiment : une artiste extrêmement disciplinée qui, à force de travail et d’acharnement, a produit une œuvre singulière.
En 1994, la journaliste Janet Malcolm a consacré un ouvrage entier aux controverses qui ont fait rage autour des biographies successives de Sylvia Plath1. Aujourd’hui, la plupart des protagonistes sont morts. Une version non expurgée des journaux de Plath – du moins ceux qui ont été conservés, puisque le dernier a été détruit par Ted Hughes – a paru, ainsi que deux épais volumes de correspondance. Heather Clark a pu les exploiter, en plus d’une grande quan­tité de matériel non publié. Le résultat est un récit très détaillé, quasiment au jour le jour, de la vie de Plath, qui montre la façon dont son talent s’est développé et offre un portrait riche et nuancé de sa personnalité.
Sylvia Plath est née et a grandi dans la banlieue de Boston. Elle a passé ses premières années sur la côte atlantique et gardera toute sa vie le souvenir enchanté de l’océan. Son père était un homme austère. Immigré d’origine allemande, professeur de biologie à l’Université de Harvard, c’était un entomologiste spécialisé dans l’étude des bourdons. Sa mort précoce fut pour Sylvia, qui n’avait alors que 8 ans, un choc auquel elle réagit avec stoïcisme. Dans la formation de son caractère, ses rapports compliqués avec sa mère ont joué un rôle déterminant. Aurelia Plath, qui était une femme lettrée, avait sacrifié son avenir professionnel à la carrière de son mari. Devenue veuve, elle se mit à enseigner, reportant sur sa fille ses ­ambitions littéraires. Pour Sylvia, qui avait avec elle une relation intense, sa mère fut toute sa vie une confidente et un modèle, mais aussi une présence étouffante et un repoussoir en raison de son conformisme moral et social.
Sylvia Plath était une enfant exceptionnellement brillante, douée pour le dessin et la littérature. Avant même d’avoir ­atteint l’adolescence, elle maîtrisait parfaitement la prosodie, la métrique et les règles de composition des différentes formes poétiques. Neuf mois après le décès de son père, elle publiait son premier poème dans un journal de Boston. De nombreux autres suivront, ainsi que des textes en prose, qu’elle essayait de placer dans la presse locale, notamment pour s’assurer une source personnelle de revenus (la famille n’était pas riche). Dans certaines de ses œuvres de jeunesse apparaît déjà l’imagerie gothique qui caractérisera souvent ses poèmes de maturité : la lune glaciale, la lumière ténue du soir, les arbres noirs et menaçants, les ciels chargés et le froid de l’hiver. Grâce à un professeur de collège qu’elle admirait, elle découvrit Tolstoï et Dostoïevski, Thomas Hardy et Joseph Conrad, ainsi que D. H. Lawrence et Virginia Woolf, qui demeurèrent ses plus puissantes sources d’inspiration. C’était par ailleurs une jeune fille sociable, qui accordait une grande importance aux amitiés et aux flirts. Elle était aussi terriblement ambitieuse, passionnée et perfectionniste, volontiers jalouse du succès des autres et incapable de ­supporter l’échec.
En 1950, elle entra au Smith College, établissement faisant partie d’un réseau d’universités pour jeunes filles conçu comme l’équivalent de la prestigieuse Ivy League. Dans l’Amérique des années 1950, le destin d’une femme était encore largement perçu comme limité à la vie domestique. Toute son existence, Sylvia Plath luttera contre le préjugé voulant que seuls les hommes puissent vivre de leur plume. Elle avait toutefois des mots cruels pour les femmes qui ne se souciaient que de leur carrière, les femmes « stériles » qui n’ont pas d’enfants ou choisissent d’avorter, et, pour elle, le mariage était sacré. À l’intersection du modèle traditionnel, des idées nouvelles et de ses ambitions personnelles, elle voulait s’accomplir pleinement sur tous les plans à la fois : comme artiste, femme, épouse, mère. « J’aime mes enfants, écrira-t-elle plus tard, mais je veux vivre ma propre vie. Je veux écrire des livres, voir des gens, voyager […]. J’ai eu un terrible plaisir sensuel à être enceinte et à allaiter. Mais, je dois dire, j’ai aussi plaisir à être légère et mince, et à baiser. »
En 1953, à la suite du rejet de sa candidature à l’école d’été de Harvard, elle traversa un premier épisode dépressif. Traitée par électrochocs, à la manière brutale dont on les administrait à l’époque, elle fit une tentative de suicide, avalant une grande quantité de somnifères avant de se cacher dans la cave de la maison ­maternelle. Internée à l’hôpital McLean de Boston, elle y fut prise en charge par une jeune psychiatre, le Dr Beuscher. Ni la psychothérapie d’inspiration psychanalytique qu’elle entama avec elle, ni les injections d’insuline ne donnant les résultats escomptés, le Dr Beuscher prescrivit une nouvelle série d’électrochocs. L’expérience la traumatisa pour le restant de ses jours, sans l’empêcher de rester liée toute sa vie avec cette psychiatre, qu’elle admirait. Son séjour à McLean est raconté dans La Cloche de détresse, qui est autant un roman de critique sociale sur l’univers de la psychiatrie que le récit d’une dépression. Après six mois d’internement à l’hôpital, elle ­retourna au Smith College, d’où elle sortit ­diplômée en 1955 avec la mention summa cum laude. Le sujet de sa thèse était le thème du double chez Dos­toïevski. Peu de temps après, elle obtenait une bourse Fulbright pour l’Université de Cambridge, en Angleterre, où elle allait rencontrer Ted Hughes.
Doté d’un physique puissant, avec une allure sauvage souvent comparée à celle du Heathcliff des Hauts de Hurlevent, Ted Hughes exerçait un effet magnétique sur tous ceux qui croisaient sa route, en particulier les femmes. Entre lui et Sylvia Plath, l’attraction fut immédiate. « Grand, sombre, beau, le seul suffisamment immense pour moi », écrivait-elle, avec « une voix comme le tonnerre de Dieu ». Poète anglais renommé, Ted Hughes était l’incarnation de l’homme de ses rêves : une figure superlativement masculine qui était en même temps un grand écrivain.
Toujours impeccablement habillée, obsédée par l’hygiène, aimant plaire et avide de contacts sociaux, Sylvia Plath avait les manières d’une jeune femme de la classe moyenne de la côte est des États-Unis. Issu d’un milieu pauvre et ­rural, amateur de pêche et de chasse, passionné par le monde animal, peu sensible à son ­apparence, Ted Hughes préférait la solitude dans la nature aux paillettes de la vie mondaine. Rapidement mariés, ils vécurent plusieurs années d’entente totale : physique, intellectuelle, émotionnelle, artistique. Ted Hughes réussit à intéresser sa femme aux signes, à l’astrologie, à l’occulte, à l’hypnose et au spiritisme – croyances et pratiques qui jouaient un rôle considérable dans sa vie. Mais ce qui les unissait fondamentalement, c’était la passion pour la littérature. Avec toutefois une nuance importante, relevée par leur ami commun Lucas Myers : « Ted et Sylvia […] étaient résolus à mettre en mots ce qu’il y avait de meilleur en eux, mais […] de manière assez différente. Sylvia voulait que ses mots soient lus, Ted qu’ils existent. » De fait, rien n’exaltait davantage Sylvia Plath que de voir un de ses textes, en prose ou en vers, paraître dans The Atlantic, Harper’s Magazine ou The New Yorker.
Un an après leur mariage, Ted ­Hughes et Sylvia Plath partaient pour les États-Unis. Ils y restèrent trois ans. Deux épisodes y jouèrent un rôle décisif dans l’évolution artistique de Sylvia. Jusque-là, ses modèles avaient été les poètes modernistes : W. B. Yeats, T. S. Eliot, W. H. Auden, Dylan Thomas, Wallace Stevens et Marianne Moore. À l’occasion d’un séjour de quatre mois dans la « colonie d’artistes » de Yaddo, dans l’État de New York, elle découvrit les poèmes expérimentaux et introspectifs de Theodore Roethke. À Boston, elle fit la connaissance de Robert Lowell et d’Anne Sexton, avec laquelle elle se lia et parlait souvent du suicide2. Comme Roethke et Sylvia elle-même, Lowell et Sexton avaient connu la dépression et l’hôpital psychiatrique, qu’ils évoquaient dans leur œuvre. Dans un entretien radio­phonique accordé en 1962, Sylvia Plath indiquera avoir été influencée par la façon dont ces poètes exploraient des sujets « singuliers, tabous ».
De retour en Angleterre, le couple s’établit à Londres, où Sylvia accoucha bientôt de leur fille Frieda. Deux ans après naissait leur fils Nicholas. La jeune mère profitait de toutes ses heures libres, notamment celles qui précédaient l’aube, pour se consacrer à sa poésie. En 1960 paraissait son recueil de poèmes The Colossus, le seul qui serait publié de son vivant. Sous des dehors encore très sages, son univers fantasmatique et surréaliste y prenait forme. À l’initiative de Ted, ils s’installèrent dans le Devon, un comté du sud-ouest de l’Angleterre. Rétrospectivement, Hughes considérera ce déménagement comme le commencement de la fin de leur ­mariage. De fait, si vivre à la campagne était pour lui un rêve, la vie intellectuelle et ­sociale londonienne manquait cruellement à Sylvia.
En réalité, des tensions se manifestaient dans le couple depuis longtemps. Aux États-Unis, plusieurs disputes violentes avaient éclaté. Des forces fatales étaient à l’œuvre, que Heather Clark décrit ainsi : « Durant les premières ­années de leur mariage, Plath et Hughes se soutenaient mutuellement dans leur travail d’écriture et leur ambition, mais, à la fin, tous les deux en vinrent à regretter le temps consacré à l’autre. Plath était furieuse d’avoir perdu tellement d’heures à faire progresser la carrière de Hughes […]. Hughes se plaignait d’avoir trop longtemps supporté ce qu’il appelait la “détresse” de Plath et ses “humeurs ­tempétueuses”. »

L’élément déclencheur de leur rupture fut la découverte, par Sylvia, de la liaison entamée par Ted Hughes avec une femme mariée de leur connaissance, Assia Wevill. Ce n’est pas le fruit du ­hasard si cet adultère se produisit précisément à ce moment-là. La poésie de Sylvia n’avait cessé de s’améliorer, mais c’est Ted qui connaissait la notoriété. La célébrité vint lui fournir des occasions d’aventures professionnelles et sentimentales au moment où il avait l’impression que sa femme voulait l’enfermer dans une vie casanière.
Le couple se sépara. Dans une série de lettres poignantes au Dr Beuscher, Plath laisse éclater sa rage, sa tristesse, son désespoir : « Ted me ment, il ment tout le temps, il est devenu quelqu’un de petit » ; « Ted est unique […]. Le sexe est pour moi tellement lié à mon admiration pour l’intelligence, la puissance et la beauté masculines qu’il est simplement le seul homme dont j’aie envie. » Parfois, aussi, elle exprime un sentiment de libération : « Vivre séparée de Ted est merveilleux – Je ne suis plus dans son ombre. »
Après être restée seule dans le Devon, Sylvia Plath s’installa à Londres, dans une maison qu’avait occupée Yeats, ce qu’elle voyait comme un heureux présage. Elle n’avait pas tort, au moins s’agissant de son art. En dépit ou à cause du désarroi émotionnel qui l’accablait, elle produisit en quelques mois, à un rythme stupéfiant, la quarantaine de poèmes qui lui garantissent une place dans les anthologies. Le premier témoin de cette explosion de créativité fut Al Alvarez, poète et personnalité très influente dans le milieu littéraire londonien, avec qui elle et Ted Hughes étaient liés. Dans un essai sur le suicide3. Alvarez, qui avait lui-même voulu mettre fin à ses jours, évoquera plus tard en détail les dernières semaines de la vie de Sylvia Plath, avec ce que Hughes dénoncera comme un coupable manque de tact et de discrétion.
Son état psychologique se dégradant, le 11 février 1963, à l’aube, après avoir calfeutré la chambre de ses enfants pour les mettre à l’abri des émanations, ­Sylvia Plath ouvrait le gaz de sa cuisinière. Ce jour-là, elle aurait dû être admise à l’hôpital psychiatrique pour quelques jours de repos. Le souvenir des électrochocs subis durant sa jeunesse, la peur et ­l’humiliation de se retrouver aux mains de médecins, la crainte également, suggère Clark, de faire du mal à ses enfants semblent avoir joué un rôle dans sa décision. Peut-être aussi faut-il incriminer les antidépresseurs qui venaient de lui être prescrits, dont les effets ne semblent pas avoir été maîtrisés. Au bout du compte, il est vain de chercher à démêler les causes. Comme le résume avec une brutale simplicité Diane Middlebrook dans sa biographie du couple4, « la dépression a tué Sylvia Plath ».
Longtemps, Ted Hughes refusera de s’exprimer au sujet de sa vie avec Sylvia et des circonstances de sa mort, qu’il a été accusé d’avoir provoquée5. (À trois reprises, son nom fut effacé de la tombe de son épouse.) Quelques mois avant son propre décès, en 1998, il rendra ­publique sa version des faits dans ­Birthday Letters, recueil de poèmes écrits tout au long de sa vie. Avant cela, il s’était employé à faire paraître les textes inédits de ­Sylvia, à commencer par les poèmes de ses derniers mois, réunis sous le titre Ariel.
Sans rien perdre de la virtuosité technique qui caractérise ses œuvres de jeunesse, Sylvia Plath s’y affranchit de certaines contraintes, gardant le principe de la division en strophes mais abandonnant souvent la rime. L’impression produite par ces textes tient à la force des images qu’ils contiennent, « images de torture, de meurtre, de génocide, de guerre, de suicide, de maladie, de revanche et de fureur, mais aussi de résistance, de renaissance et de triomphe », résume Heather Clark. Dans « Daddy », son poème le plus célèbre, dans lequel elle s’en prend avec violence à la figure paternelle (son père allemand, mais aussi, en filigrane, Ted Hughes), référence est faite au nazisme et à l’Holocauste. Alors que le critique George Steiner hissait « Daddy » au rang de « Guernica de la poésie moderne », l’allusion historique a été jugée inacceptable par d’autres intellectuels juifs comme Irving Howe, Leon Wieseltier ou Adam Kirsch.
Il faut garder à l’esprit l’impact que les affaires du monde avaient sur l’imagination de Sylvia Plath. La Cloche de détresse s’ouvre sur l’évocation de l’exécution des époux Rosenberg, soupçonnés d’espionnage au profit de l’Union soviétique. Et la similitude entre la chaise électrique et les électrochocs subis par la narratrice est un thème implicite du roman. Sylvia Plath était démocrate et pacifiste. L’atmosphère politique aux États-Unis durant les années 1950 – le souvenir frais de l’extermination des juifs, la croisade anticommuniste du sénateur ­McCarthy, la guerre froide, la menace nucléaire – l’affectait intensément.
À ses yeux, la poésie n’avait pas vocation à devenir « une sorte de purge ou d’excrétion publique thérapeutique ». Le poète, disait-elle, « doit être capable de contrôler et manier les expériences, même les plus terribles, comme la folie […]. Il faut savoir manier ces expériences l’esprit avisé et avec intelligence. » Si expressifs qu’ils soient, les textes réunis dans Ariel sont construits avec un art sophistiqué et émaillés de références implicites à la mythologie et la littérature. Pleins de symboles, ils tirent leur étrange pouvoir, écrit Adam Kirsch, de « l’habileté avec laquelle ils transforment l’expérience la plus intime de telle sorte qu’on ne la reconnaît presque pas »6.
Une de leurs caractéristiques est la présence de nombreuses allitérations. Plath a affirmé avoir écrit les textes d’Ariel en les récitant à voix haute. Elizabeth Hardwick témoignera de son saisissement à l’écoute, dans un enregistrement de la BBC, de sa voix dure aux intonations envoûtantes scandant ses poèmes avec une diction anglaise parfaite (son accent était un mélange de ceux de Boston et d’Oxford)7.
La vie de Sylvia Plath fut très courte, mais son œuvre est considérable : plusieurs centaines de poèmes, des dizaines d’articles de critique littéraire, de nouvelles et d’histoires pour enfants. Elle avait un caractère porté à l’excès et n’était assurément pas facile à vivre au quotidien. Elle était égocentrique, et sa propension à la dramatisation est évidente. À la lecture de son journal, de sa correspondance et du livre de Heather Clark, on est surtout frappé par son intelligence, sa lucidité à l’égard d’elle-même, son courage et l’exceptionnelle opiniâtreté dont elle a fait preuve toute sa vie pour développer son art et son talent sans abandonner ses autres rêves d’accomplissement. Pour ceux qui ont d’elle une vision romantique, c’est sa fascination poétique pour la mort qui l’a menée au suicide. On est tenté de penser le contraire : c’est son engagement envers la littérature qui l’a aidée à dompter ses démons, jusqu’au moment fatal où ceux-ci ont eu raison d’elle. 

Michel André, philosophe de formation, a travaillé sur la politique de recherche et de culture scientifique au niveau international. Né et vivant en Belgique, il a publié Le Cinquantième Parallèle. Petits essais sur les choses de l’esprit (L’Harmattan, 2008).

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