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« Olivier : Tu veux la vérité vraie, Joseph ? T’aurais pas dû faire ça.
Daniel : Oui, franchement, tu es le roi des cons.
Catherine : Aucun doute là-dessus.
Véronique : On te le dit comme on le pense.
Daniel : Franco de port.
Joseph : Non mais, vous allez me lâcher, oui ? Vous me parlez d’où ?
Olivier : On te parle dougri, Joseph. »
D. P.
Dougri (דוגרי), mot hébreu, le plus souvent employé comme adverbe, désigne une manière brutale mais respectable de dire son fait à son interlocuteur.
Aidez-nous à trouver le prochain mot manquant :
Existe-t-il dans une langue un mot pour désigner une personne qui affiche son optimisme quant à l’avenir de la collectivité ?
Écrivez à
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L’Américain Daniel Yergin est un gourou du monde de l’énergie. En 1991, son histoire des « hommes du pétrole » fut un best-seller et lui valut le prix Pulitzer de l’essai1. Il a été l’un des premiers à critiquer le consensus sur le « pic pétrolier », l’idée que la production de pétrole allait nécessairement atteindre un maximum, puis déclinerait lorsque les réserves commenceraient à se tarir. Plusieurs livres et rapports plus tard, il est l’un des consultants les plus écoutés des grands de ce monde.
Dans The New Map, il prend le contre-pied de quelques idées reçues. La transition énergétique ? Elle aura lieu, mais comment ? Nous l’ignorons. Pour l’heure, la notion désigne des réalités différentes selon les pays. Le pétrole et le gaz continuent de fournir 80 % de l’énergie consommée dans le monde – exactement comme il y a trente ans. Quant aux énergies renouvelables, elles ne sont pas des énergies de substitution aux autres modes de production mais des énergies « additives », largement tributaires des subventions. Elles restent dépendantes des autres énergies, comme le montre l’exemple du Danemark, où l’électricité provenant des centrales des pays voisins doit venir combler la défaillance du parc éolien quand il n’y a pas de vent. De plus, les énergies renouvelables créent une nouvelle forme de dépendance stratégique à l’égard des minéraux rares nécessaires à leur fonctionnement. La voiture électrique ? Elle doit son existence à la manne des subventions. En 2050, la moitié des voitures vendues seront encore alimentées par des énergies fossiles. Yergin ne pense pas que la demande de pétrole atteindra son pic avant les années 2030. En tout état de cause, conclut-il, « le pétrole conservera une position prééminente, il restera le principal carburant permettant de faire tourner le monde ».
Sans surprise, ces opinions, présentées de manière parfois abrupte, ont suscité des réactions véhémentes dans le rang des écologistes. Dans The Washington Post, Bill McKibben, cofondateur de l’ONG 350.org qui milite pour le climat, jugeait le livre de Yergin déjà obsolète lors de sa parution. British Petroleum, la compagnie pétrolière britannique, venait de « capituler », annonçant sa reconversion partielle en direction des énergies renouvelables. Le groupe jugeait que la demande pétrolière avait déjà atteint son pic et qu’elle n’allait cesser de baisser dans les années à venir. « Yergin est tellement englué dans de vieux schémas de pensée qu’il n’est pas en mesure de reconnaître l’urgence » créée par le changement climatique, écrivait McKibben.
Les positions de Yergin sur les avatars de la transition énergétique instruisent le principal argument de son livre, qui porte sur les implications stratégiques de la reconfiguration des « cartes » de l’énergie. Avec le gaz de schiste, les États-Unis sont devenus le premier producteur de pétrole et de gaz du monde ; la Chine est le premier importateur de combustibles fossiles et le premier émetteur de gaz à effet de serre ; « les relations sino-russes, naguère fondées sur Marx et Lénine, le sont maintenant sur le pétrole et le gaz » ; l’Iran et l’Arabie saoudite sont en conflit ouvert, etc. Autant d’analyses essentielles pour comprendre le monde actuel mais qui tournent un peu court, juge The Economist. L’hebdomadaire se fait un plaisir d’observer que Yergin oublie de parler de l’Australie, devenue le premier exportateur de charbon et de gaz naturel liquéfié. Sur le front de la transition énergétique, l’historien Michael Burleigh note dans la Literary Review que Yergin fait curieusement l’impasse sur le dilemme auquel sont confrontés de nombreux pays, spécialement ceux qui ne disposent pas de vastes territoires : faut-il investir plutôt dans l’énergie nucléaire ou plutôt dans les renouvelables, qui impliquent une bien plus grande emprise spatiale ? Un sujet brûlant, notamment en France.
— O. P.-V.
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Je suis né au début des années 1960. Pendant mon enfance, mon père ne disait rien de son passé de résistant. Pour ne les avoir jamais connus, nous savions ma sœur et moi que nos grands-parents avaient péri pendant la guerre, et quand nous cherchions à savoir dans quelles circonstances, notre père changeait de sujet de conversation. J’ai appris sur les bancs du lycée les horreurs des camps de concentration nazis. Je n’ai jamais connu mes grands-parents paternels, car ils sont morts à Auschwitz.
Je me souviens de m’être interrogé très jeune sur ce qui avait pu conduire le peuple de Goethe à adhérer à l’idéologie nazie et d’avoir souvent questionné mes professeurs sur les raisons qui avaient plongé le monde dans une telle indifférence. « Ce n’était pas de l’indifférence, on ne savait pas », me répondait-on. Comme un baume appliqué sur les terribles blessures du passé, une promesse nous avait été faite : « Plus jamais ça ». Soixante-seize ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le monde est passé à autre chose, et la promesse, non tenue, a été bien vite oubliée.
Il faut se souvenir de l’Holocauste, par devoir de mémoire, mais aussi parce qu’il nous rappelle les atrocités dont les êtres humains sont capables lorsque la haine les emporte. Quoi qu’en disent mes professeurs, pendant que six millions de personnes mouraient dans les camps de la mort, une grande partie du monde libre était indifférente, et le monde libre l’était encore pendant le génocide au Rwanda, le siège de Sarajevo, les bains de sang au Darfour, en Syrie.
Le discours prononcé en 1999 à la Maison-Blanche par Elie Wiesel mettait déjà en garde contre « les périls de l’indifférence ». En regardant les images effroyables de l’exécution en place publique de George Floyd par un policier, mes yeux se sont arrêtés sur l’expression de cet officier alors qu’il étouffait sa victime pendant neuf minutes. J’ai vu dans sa supériorité affichée, dans sa détermination, la même violence froide et meurtrière que celle des SS. Le 6 janvier, quand les hordes de Trump envahirent le Capitole, l’un des chefs de file portait un sweat-shirt sur lequel étaient imprimés les mots « Camp Auschwitz ».
Indifférents, nous vivons dans un monde où la plupart des gens n’ont pas le droit d’exprimer leurs opinions, de pratiquer leurs croyances, d’aimer qui ils choisissent, d’être simplement libres de vivre comme bon leur semble. Les régimes autoritaires resserrent continuellement leur étau, réduisent les minorités au silence en les persécutant, quand ils ne les exterminent pas. Journalistes, militants des droits de l’homme, dissidents politiques, lanceurs d’alerte – tous, ainsi que leurs proches, courent de graves risques tant sont nombreux ceux qui veulent les réduire au silence en les emprisonnant ou en les assassinant.
Comment pouvons-nous protéger les plus vulnérables, ceux qui sont persécutés ? Mais aussi ceux qui pensent que leurs libertés sont définitivement acquises et que la démocratie est inébranlable, ceux-là mêmes qui vous diront que si on n’a rien à cacher, on n’a rien à craindre ? Ce qui est aussi absurde que d’affirmer que si l’on n’a rien à dire, la liberté d’expression est superfétatoire.
Le droit à la protection de la vie privée est la condition première à la survie d’un monde où nos libertés ne seraient pas régentées par les gouvernements. Pourtant, dans la plus grande indifférence, la technologie créée par les « Silicon Six », Facebook en tête, donne à certains le pouvoir absolu de surveiller et d’orienter la société et les individus1.
La démocratie repose sur le partage de la vérité, l’autoritarisme repose sur la propagation des mensonges. Aujourd’hui, la haine est propagée par une poignée d’acteurs de l’Internet. YouTube, Google et Facebook favorisent les contenus qui rendent leurs utilisateurs captifs. YouTube a recommandé les vidéos du conspirationniste Alex Jones des milliards de fois, faisant appel à nos plus bas instincts et suscitant chez nous la peur et la colère, car ils savent que c’est l’outrage et la colère qui nous rendent dépendants de leurs plateformes.
Ce sont les Silicon Six qui font qu’aujourd’hui la désinformation supplante l’information et que les mensonges se diffusent plus vite que les vérités.
Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook, explique au monde que la vente de contenus publicitaires politiques reconnus comme mensongers sert le propos de la démocratie. Cela semble inconcevable, et pourtant il le revendique haut et fort. Et personne ne vient le sanctionner alors qu’il s’enrichit en détruisant les fondements de nos libertés. Twitter autorise la propagation massive de désinformation et de théories complotistes. Trump a posté sur Twitter 5889 attaques contre des individus, 233 attaques contre des pays alliés des États-Unis et fait 123 fois l’éloge de dictateurs auprès de ses quelque 80 millions de followers. Grâce aux réseaux sociaux et au soutien du magnat des médias Rupert Murdoch, il a convaincu des millions d’Américains que les élections avaient été truquées, et grâce aux mêmes réseaux sociaux qui ont amplifié son discours, le Capitole fut envahi par ses plus fervents supporteurs, faisant couler le sang. Cette désinformation, devenue réalité pour des dizaines de millions d’utilisateurs des réseaux sociaux, a permis aux Républicains de rédiger 243 textes de loi, votés ou sur le point de l’être dans 47 États, ayant pour seul objet de restreindre le droit de vote, le rendant presque inaccessible aux citoyens américains les plus démunis. Une atteinte incontestable à la démocratie, trouvant sa justification dans la théorie du trucage de l’élection de Joe Biden. Les Républicains ne cherchent même pas à cacher leur projet : reprendre le pouvoir et le garder par tous les moyens compte plus à leurs yeux que de protéger la démocratie dans leur pays.
Les conséquences directes et quasi immédiates de la propagation massive des théories complotistes ne se limitent pas aux frontières américaines. Les réseaux sociaux font la promotion active des fake news d’un bout à l’autre de la planète, offrant un mégaphone mondial à ceux qui racontent à grand renfort de faux en tout genre que le réchauffement climatique est un mensonge inventé par les scientifiques ou que les vaccins contiennent des puces pour nous traquer. Ces mêmes réseaux sociaux ont mis sur un pied d’égalité scientifiques et obscurantistes, donnant à ces derniers un crédit sans pareil. Les mouvements anti-vaccin, propulsés par les réseaux sociaux, ont fait renaître des épidémies disparues ou presque, comme la variole et la polio. La désinformation ne met pas seulement en péril nos démocraties pluralistes, mais aussi notre planète et l’humanité.
Zuckerberg allègue la liberté d’expression. La liberté d’expression n’a rien à voir avec l’impunité de mentir, et encore moins avec le fait de payer des diffuseurs pour propager la haine, l’obscurantisme, la bigoterie ou inciter à la violence.
Si dans une entreprise un employé tient des propos racistes et menace de tuer tous ceux de race ou de religion différente de la sienne, le directeur des ressources humaines doit-il le laisser agir impunément au nom de la liberté d’expression ? Alors pourquoi les réseaux sociaux s’accordent-ils ce droit ?
Six milliardaires américains décident de l’essentiel de ce que le monde voit, de ce qu’il lit et de ce dont il s’informe. Et ils sont plus soucieux de faire grimper la cote de leurs actions que de protéger les démocraties et les peuples. Aucune de ces six personnes n’a été élue, mais toutes se sont approprié les données personnelles de trois milliards et demi d’individus à des fins marchandes, et ce, sans le moindre contrôle ou presque, considérant qu’ils sont au-dessus des lois.
Zuckerberg expliquait que lorsque les négationnistes de l’Holocauste répandent leurs théories sur Facebook, pour autant que cela le choque, il ne lui semblait pas légitime de les en empêcher, car les deux points de vue avaient le droit de s’exprimer. L’Holocauste n’est pas un point de vue, ni l’objet d’un débat, pas plus que ne l’est le génocide arménien, rwandais, ou le massacre du peuple syrien par le régime de Bachar el-Assad. Ce sont de terribles réalités historiques corroborées par des millions de preuves irréfutables, et ceux qui les nient, ou qui, par leurs comportements, autorisent qu’elles soient niées œuvrent pour que d’autres drames humains se produisent.
Mais Zuckerberg continue de prétendre que ce sont les gens qui décident de ce qui est crédible. Déployer un algorithme capable de traquer et fermer les comptes des suprémacistes incitant à la haine est à la portée de ces grandes entreprises – elles ne le font pas, ou peu, car elles savent que cela conduirait des politiciens influents à quitter leurs plateformes et avec eux, les millions de gens qui les suivent.
Engagées dans une course effrénée aux utilisateurs, elles cherchent à ce que ces derniers passent le plus de temps possible sur leurs réseaux, indifférentes à une autre vérité : rien n’est plus engageant pour l’homme que la peur, les mensonges et les scandales complotistes.
Ces réseaux sociaux sont des éditeurs et diffuseurs de contenus, au même titre que les chaînes de télévision, les journaux, les studios, les sociétés de production cinématographique, les éditeurs de livres. Tous sont soumis à des règles morales, tous sont susceptibles d’être poursuivis pour diffamation ou incitation à la haine, mais pas les Silicon Six.
Fait d’autant plus incompréhensible que toutes les entreprises ont pour obligation d’informer et de remédier immédiatement à toute production défectueuse pouvant mettre la vie d’autrui en danger, que ce soient des freins déficients qui contraignent au rappel des dizaines de milliers de véhicules, un logiciel à bord d’un avion qui cloue au sol une flotte entière de gros porteurs, une bactérie dans la chaîne agroalimentaire qui met en quarantaine fermes et usines, des éléments cancérigènes qui font retirer du marché des couches ou des déodorants. Mais rien ne semble arrêter les Six de la Silicon Valley.
Ne pas être indifférent aujourd’hui, c’est agir pour donner plus d’écho et de lumière à la vérité qu’au mensonge, à la tolérance qu’à l’ignorance, à l’empathie et au respect qu’à la haine. C’est réfléchir à la façon d’arrêter la plus grande machine de propagande de l’histoire de l’humanité avant qu’elle ne détruise nos démocraties, c’est tout faire pour que ni nos enfants ni nos petits-enfants ne voient jamais se poser sur les blessures d’un monde à nouveau détruit le triste baume d’un « Plus jamais ça ».
Je vous recommande la lecture de La Nuit d’Elie Wiesel (Éditions de Minuit, 2007) et L’Âge du capitalisme de Surveillance de Shoshana Zuboff (Zulma, 2020).
— Marc Levy est l’un des auteurs français les plus lus en France et dans le monde. Il vit à New York. Son dernier roman est Le Crépuscule des fauves (Robert Laffont /Versilio, 2021).
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On peut éventuellement douter de l’intelligence des hommes ; de celle des animaux, non. Prenez l’éléphant, dit Plutarque que, comme tant de philosophes de l’Antiquité, l’éthologie fascinait.
En Syrie, raconte-t-il, « un particulier en élevait un dont le gouverneur dérobait la moitié de la mesure d’orge qu’il recevait chaque jour pour la nourriture de cet animal. Le maître, un jour, ayant voulu le voir manger, le gouverneur lui versa la mesure tout entière. L’éléphant, avec sa trompe, en sépara la moitié, et fit ainsi connaître adroitement à son maître le tort que lui faisait son gouverneur. »
Ou voyez le chien : « Étant un jour dans un vaisseau, je vis un chien qui, en l’absence des mariniers, jetait de petits cailloux dans une cruche d’huile qui n’était pas pleine ; et j’admirai qu’il pût faire en lui-même ce raisonnement, que des corps légers, pressés par d’autres plus pesants, devaient nécessairement monter. »
Même chose avec les mulets, qui savent compter jusqu’à 100 (impossible de leur faire faire un tour de plus pour tirer l’eau des puits), les grues, qui ont inventé le système d’alarme (elles tiennent une pierre dans leur patte repliée qui, en tombant, les réveille si elles s’endorment pendant leur tour de garde), les fourmis, dont les fourmilières sont si bien organisées, dotées de maternité et de cimetière…
Idem aussi des animaux marins – c’est même l’objet du présent ouvrage, dans lequel Plutarque met en scène un débat postplatonicien et même un peu ludique entre des jeunes gens « qui se sentent encore de la bonne chère qu’ils ont faite hier ».
D’un côté, Autobule, le fils aîné du philosophe, qui soutient que les animaux terrestres sont les plus malins ; de l’autre, Soclarus, qui se charge de défendre les animaux marins – tâche plus difficile, car ceux-ci sont beaucoup moins bien vus dans le monde antique (ou plutôt, très peu vus, car sous l’eau). Mais, malgré sa gueule de bois, Soclarus plaide avec habileté. Les anguilles de la fontaine d’Aréthuse ne viennent-elles pas quand on les appelle, allègue-t-il ? Le scolopendre de mer ne sait-il pas couper lui-même la ligne qui le tient prisonnier ? Les scares1 ne se mettent-ils pas à plusieurs pour tirer un des leurs pris dans les mailles d'un filet ? On peut même utiliser le thon comme indicateur astronomique, car il « connaît si bien le moment précis des équinoxes et des solstices qu’il les enseigne à l’homme ».
Les poissons ne sont pas plus stupides que leurs congénères terrestres – c’est juste qu’ayant moins de contacts avec l’homme, ils sont moins éduqués. Pour résumer, la question reste indécise. En revanche, conclut le juge du débat, « si vous rapprochez les raisonnements dont vous avez fait usage l’un et l’autre, vous aurez combattu avec le plus grand avantage ceux qui veulent refuser aux animaux la raison et l’intelligence. »
Et s’il n’était question que d’intelligence ! Les animaux, marins ou terrestres, possèdent bien d’autres traits qui les rapprochent des hommes. « Les philosophes, pour montrer que les animaux ont de la raison, apportent en preuves leurs projets, leurs préparatifs, leurs souvenirs, leurs affections, le soin de leur progéniture, leur reconnaissance pour les bienfaits, leur ressentiment des injures, leurs ressources pour fournir à leurs besoins, les caractères des différentes vertus comme du courage, de la sociabilité, de la tempérance et de la magnanimité », énumère Plutarque. Ailleurs, il évoque encore d’autres aptitudes : la mémoire ; la faculté d’anticipation ; le goût du plaisir et de la beauté, et même celui de la musique (les cerfs et les chevaux) ; la solidarité, y compris interespèces (le roitelet et le crocodile) ; la « prévoyance et adresse pour faire leurs provisions et les administrer ». Les animaux font aussi d’excellents parents (« la sollicitude de la tortue pour sa progéniture […] est […] admirable »), s’instruisent les uns les autres – comme les mères rossignols qui apprennent à chanter à leurs oisillons – et éprouvent de l’amour (« les grenouilles […] s’entrappellent avec un son de voix qui respire la tendresse »). Sur le plan conjugal, quoi de plus exemplaire que le comportement de l’alcyon (hirondelle de mer) ? « Tel est l’amour de la femelle pour son mari, qu’elle vit avec lui, non pas une seule saison, mais toute l’année ; et cela non par l’attrait du plaisir, car jamais elle ne reçoit aucun autre mâle, mais par l’affection qu’elle lui porte, comme une femme honnête ne se sépare point de son mari. Quand le mâle, affaibli et appesanti par l’âge, a de la peine à la suivre, elle le soutient et le nourrit dans sa vieillesse, sans jamais s’en éloigner ni le laisser seul. Elle le charge sur ses épaules, le porte partout, le sert avec le plus grand soin, et ne le quitte qu’après sa mort. » Quant au dauphin, il va jusqu’à aimer « l’homme pour lui-même » et guide les pêcheurs égarés par la tempête.
Il ne manque aux animaux non pas la parole (ils l’ont) mais plutôt, semble-t-il, l’étincelle divine. Et encore : les oiseaux ne sont-ils pas les hérauts des dieux dont ils expriment les messages par la direction de leur vol ou la disposition de leurs entrailles ? Et les poissons aussi, « par leurs mouvements, leurs détours, leurs attaques et leurs fuites ». Mais si les animaux témoignent des mêmes qualités que nous, ils possèdent hélas les mêmes défauts : colère, jalousie, envie, injustice, lâcheté, stupidité. Bref, ils sont capables du meilleur, comme les cigognes qui « nourrissent leurs pères quand ils sont devenus vieux », et du pire, comme les hippopotames qui tuent les leurs « afin de s’accoupler avec leurs mères » !
Ce débat – c’est évidemment son but –, révèle une vraie question philosophique, celle de la distinction entre l’homme et l’animal. L’intelligence n’est pas un critère pertinent pour positionner le curseur entre leur espèce et la nôtre : si « les animaux ont une intelligence plus bornée et plus lente […], il ne faut pas les croire privés de toute intelligence et de toute raison ». D’ailleurs, l’homme voit et entend moins bien que beaucoup d’animaux, et on ne considère pas pour autant qu’il est aveugle ou sourd. Ne faudrait-il pas plutôt regarder du côté de la « tendance vers la vertu, qui est la fin naturelle de la raison », raison dont nous aurions le monopole ? Mais s’ils n’ont pas, comme les hommes, le désir de la vertu, les animaux, eux, la pratiquent effectivement.
À l’instar de ses confrères philosophes antiques, Plutarque examine de près le monde animal afin de mieux comprendre l’homme – pas seulement du point de vue scientifique et anatomique, grâce à l’observation beaucoup plus aisée des organes des bêtes, mais aussi du point de vue philosophique. Qu’on puisse saisir le fonctionnement non seulement du corps des animaux mais aussi de leur esprit, n’est-ce pas, dit Aristote qui a consacré deux livres de son Histoire des animaux à leur psyché, la preuve que l’intelligence humaine peut appréhender toute la nature, physique et métaphysique ? Que le vivant est un ? Aristote est toutefois plus ambivalent sur la question de l’intelligence animale. Si les animaux possèdent comme l’homme de l’art, de la sagesse, et de l’intelligence, il faut plutôt parler d’analogie ; dans la nature, celui qui détient le monopole du logos, c’est bien l’homme.
Question dans la question : qu’est-ce que la « prérogative humaine » et quelle place l’homme occupe-t-il dans la nature ? Est-il tout en haut, à l’image de Dieu, ou du moins seul détenteur sur terre d’une âme immortelle ? Ou plutôt tout en bas, comme Plutarque semble tenté de le croire (dans un autre ouvrage, il évoque Gryllos, ce compagnon d’Ulysse que Circé avait transformé en cochon et qui avait refusé de redevenir homme car l’animal avait, disait-il, plus de vertu). Peut-être l’homme occupe-t-il une position quelque part à mi-chemin, un pied dans le divin, un autre dans le sensible – et si l’on concède qu’il se place au sommet de la hiérarchie naturelle en tant qu’animal le plus achevé, sa proximité avec les autres créatures est bien la preuve, font valoir les cyniques, de sa « misère » intrinsèque. Jusqu’à l’époque hellénistique, le débat entre les philosophes fait rage, opposant stoïciens (Sénèque en tête) et néostoïciens (Philon d’Alexandrie et Origène) aux académiciens et néoplatoniciens comme Sextus Empiricus ou Porphyre de Tyr ou encore aux médioplatoniciens comme Plutarque. Aristote, lui, occupe un terrain médian : « On trouve chez la plupart des animaux des traces des états psychologiques qui, chez les hommes, offrent des différences plus marquées. En effet, la douceur et la sauvagerie, l’humeur facile et le mauvais caractère, le courage et la lâcheté, les dispositions à la crainte ou à la témérité, les désirs, les fourberies, les traits d’intelligence appliquée au raisonnement constituent des ressemblances avec l’homme que l’on retrouve chez beaucoup d’animaux »2 . Il faudra attendre Thomas d’Aquin pour clore ce débat sur l’affirmation que l’âme des bêtes est corruptible et que seul l’homme est détenteur non seulement du logos mais surtout d’une âme immortelle.
Mais la possibilité même que les animaux possèdent une réelle intelligence, à défaut d’une âme, entraîne, à tous le moins, l’obligation de les traiter avec égards. Peut-être les bêtes sont-elles, comme le postulent les stoïciens, au service de l’homme comme l’homme est au service de la Providence. Mais le fait qu’elles ne savent pas distinguer le juste de l’injuste n’autorise pas à les traiter avec injustice, « comme des chaussures ou des ustensiles qu’on jette quand ils sont abîmés », écrit Plutarque (qui se garde bien de dire que les chaussures ne sont pourtant que de la peau d’animal). Il affirme que l’homme bon doit être « doux et clément » avec les bêtes – ce qui permet accessoirement de « s’exercer à la pratique de la vertu d’humanité ». À l’inverse, ceux qui se comportent mal avec les animaux ne tardent pas à faire de même avec les hommes. La cruauté entraîne la cruauté.
Peut-on pour autant pratiquer la chasse ? Oui, pour Autobule. La chasse détourne de la guerre et stimule la vigueur des jeunes gens (la pêche, en revanche, est davantage affaire de patience et d’habileté technique). Mais si on chasse les animaux, on peut sans doute les manger ? Oui, répondent les péripatéticiens et les stoïciens. Absolument pas, déclarent Pythagore, Porphyre de Tyr et tous ceux qui, comme Platon, croient à la métempsycose (peut-on risquer de consommer son propre ancêtre ?).
Dans « S’il est loisible de manger chair », Plutarque avance une opinion moins tranchée, si l’on ose dire, en constatant que manger de la chair « nuit à la nature du corps, mais aussi grossit et épaissit les âmes par satiété et réplétion ». Antispécistes, végétariens, animalistes – les philosophes antiques étaient, sur la question animale, bien plus progressistes que leurs lointains successeurs. Prenons Descartes par exemple, pour qui l’« animal-machine » souffre mais ne sait pas qu’il souffre, ou même l’iconoclaste Spinoza, qui ne s’attarde guère sur la question. Seraient-ils quasi « prépolitiquement corrects » voire woke3 ? Pas tout à fait quand même : Plutarque juge, comme Aristote, qu’il y a autant de distance entre l’homme et l’animal qu’entre un Grec et un barbare !
— J.-L. M.
Extrait :
« […] Les animaux maritimes ont presque tous un pressentiment qui les rend soupçonneux, qui, réveillant leur intelligence naturelle, les tient en garde contre les pièges qu’on leur tend. Aussi la pêche, loin d’être un art simple et grossier, exige-t-elle un grand nombre d’instruments et beaucoup de ruses pour parvenir à tromper les poissons et à les surprendre ; c’est ce que prouvent une foule d’exemples que nous avons sous les yeux.
Pour pêcher à la ligne, il faut choisir un roseau qui, sans avoir beaucoup de grosseur, soit cependant assez fort pour résister aux secousses que lui donnent les poissons quand ils sont pris à l’hameçon. Il le faut mince et délié, de peur que, jetant trop d’ombre, il n’effraie ces animaux naturellement inquiets. Le fil doit être lisse et uni et n’avoir qu’un petit nombre de nœuds, sans cela ils se méfieraient de quelque surprise. Il faut que les soies auxquelles l’hameçon est attaché approchent, autant qu’il est possible, de la couleur blanche, qui, par sa conformité avec celle de l’eau, rend ses soies moins sensibles dans la mer. […] On n’employait pour les lignes que des crins de cheval, et l’on rejetait même ceux de jument, parce qu’amollis par l’urine qui mouille souvent leur queue ils sont moins propres à cet usage. Aristote dit qu’il n’y a point de subtilité et de recherche à mettre dans l’interprétation de ces vers4, parce que en effet les pêcheurs garnissent d’un bout de corne la partie antérieure de l’hameçon, afin que le poisson ne puisse pas avaler le fil et le rompre. Ils se servent d’hameçons arrondis pour prendre les mulets et les amies, qui ont la bouche petite, et qui se méfient d’un hameçon long et droit. Souvent, même le mulet, soupçonnant celui qui est rond, nage autour, en frappant l’appât de sa queue, et il en emporte ce qui paraît au-dehors ; s’il ne peut réussir de cette manière, il serre et rétrécit sa bouche, et ne touchant à l’appât que du bout des lèvres, il en prend ce qu’il peut. Quand le loup marin est pris à l’hameçon, il montre plus de courage que l’éléphant ; il tire, non du corps d’un autre, mais du sien propre, le fer qui le blesse, et secouant sa tête avec force pour élargir la plaie, il supporte la douleur de ce déchirement, jusqu’à ce qu’il se soit débarrassé de l’hameçon. Le renard marin se laisse rarement prendre, il connaît le piège et l’évite ; mais s’il arrive qu’il y soit pris, il retourne son estomac, ce qu’il fait aisément à cause de la vigueur et de la flexibilité de son corps ; et alors l’hameçon tombe de lui-même.
Ces premiers exemples prouvent une intelligence que leur intérêt excite au besoin, et dont ils se servent avec autant d’adresse que de subtilité. Il en est d’autres qui montrent en eux, outre cette prudence, un amour social et un penchant marqué à s’entre-secourir. On le voit surtout dans les scares et les barbeaux. Quand un scare a avalé l’hameçon, ceux qui l’accompagnent accourent aussitôt et rongent la ligne. S’il est pris dans un filet, ses compagnons lui donnent leur queue à mordre ; il la serre de toutes ses forces, et les autres tirent tant, qu’enfin ils l’entraînent hors du filet. Les barbeaux montrent encore plus de courage pour se secourir mutuellement ; ils se mettent sous la ligne, et dressant l’épine qu’ils ont sur le dos, et qui est dentelée comme une scie, ils s’efforcent de scier la ligne et de la couper. Au contraire, parmi les animaux terrestres, nous n’en connaissons aucun qui ose secourir son compagnon en danger ; on ne le voit ni dans l’ours, ni dans le sanglier, ni dans la lionne, ni dans le léopard. À la vérité, dans nos amphithéâtres, tous ceux d’une même espèce se réunissent, et courent ensemble dans l’arène ; mais de se défendre les uns les autres, ils n’en ont ni les moyens, ni même la pensée ; ils ne savent que fuir et sauter, pour s’éloigner le plus qu’ils peuvent de celui d’entre eux qu’ils voient blessé ou expirant. […] Combien d’exemples ne peut-on pas alléguer qui prouvent que les animaux maritimes ne le cèdent point aux plus industrieux des animaux terrestres en amour social et en prudence ? »
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Dans quelle mesure le lieu dans lequel nous grandissons nous définit-il ? Cette question hante le premier roman de Francesca Manfredi.
Soit une maison perdue au milieu de la campagne. Dans cette maison, trois femmes : la grand-mère, la mère et Valentina, 12 ans. Bientôt, les murs se mettent à saigner tandis que le corps de l’adolescente se transforme. « On entre alors dans un monde onirique et presque féerique », où interviennent « fléaux bibliques et forces ancestrales », commente Gaia Montanaro dans le quotidien milanais Il Foglio.
Les paysages décrits se révèlent aussi dangereux que fertiles. « Un paradoxe ? » s’interroge Irene Gianeselli dans Polytropon Magazine. En apparence seulement puisque « ce qui est fertile porte la culpabilité de sa propre fertilité ». La critique salue la manière dont Manfredi explore ce paradoxe : « Les trois générations de femmes qu’elle met en scène ne sont ni complémentaires ni opposées, au contraire, et c’est le plus troublant : il s’agit toujours au fond d’une seule et même femme. La réplique inconstante d’une projection idéale : la femme, mère et morte, qui se multiplie dans sa descendance. »
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La poussière de la ville bombardée (en Syrie ?) que les héros ont fuie, la neige qui recouvre l’Europe où deux frères séparés vont tenter de se rejoindre : le blanc règne dans La Fatigue du matériau. Pourtant, affirme le quotidien Hospodářské Noviny, au départ, le poète et romancier tchèque Marek Šindelka voyait rouge : comment l’Europe, et surtout son propre pays, pouvaient-ils ainsi rejeter les migrants ? s’insurgeait-il devant le Sénat tchèque en 2015, assurant qu’il n’avait « pas été aussi dégoûté et horrifié depuis longtemps ». D’où sa décision d’écrire un roman qui donnerait « mal au ventre », en plongeant le lecteur dans le « matériau » de ses héros, à savoir leur corps usé par la faim, le froid, la fatigue et la peur.
Dans La Fatigue du matériau, chaque contraction nerveuse, chaque torsion ligamentaire, chaque afflux de sang est disséqué. Du pied gelé puis cassé du « garçon », jusqu’aux poumons de son frère qui « s’étaient complètement rabougris et agglutinés dans son thorax ». Rien ne nous est épargné : avec les deux frères, nous pataugeons dans les caniveaux et les détritus, mangeons de la neige ou le miel d’une ruche abandonnée, sombrons dans un lac gelé mais jamais dans le désespoir, malgré l’inhumanité du monde. L’Europe, dans tout ça ? « C’était des couloirs, des sauts de mouton, des clôtures », un espace où « tout avait sa règle. Règle du paysage, règle de la forêt, règle des autoroutes et du mouvement du matériau d’un endroit à un autre, règle du développement durable. » Et les Européens ? Des couards plus ou moins malveillants, des jeunes racistes et cruels, des autorités qui s’appliquent à vous dépouiller de tout.
Mais alors, où sont tous ces gens qui, dans la réalité, viennent en aide aux migrants ? interroge Hospodářské Noviny : « Le roman est contestable, car il dépeint les Européens sous le pire jour possible, comme des personnes plus ou moins indifférentes à la souffrance des autres. N’est-ce pas une vision manichéenne ? » Dans le même journal, Šindelka s’en défend : « C’est le point de vue de mes personnages. Je voulais étudier comment ils pouvaient nous voir lorsque nous les arrêtons, confisquons leur téléphone, les privant de tout contact avec leurs familles, les marquons d’un numéro puis les retenons prisonniers, avant de les renvoyer dans une zone de guerre. » iLiteratura ne nie pas les faiblesses du livre (« Les descriptions de la guerre ne semblent pas conformes à la réalité et l’auteur adapte la situation des migrants comme s’il voulait montrer leur meilleur visage »), mais estime qu’il vaut quand même le détour ne serait-ce que pour « son style riche et poétique qui contraste avec la désolation et la cruauté du monde dont il parle ». Et aussi pour son « audace », étant donné l’« état d’esprit » des concitoyens de l’auteur, opposés dans leur immense majorité à l’accueil de réfugiés.
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Curieux destin que celui du terme « méritocratie » : forgé par le grand sociologue britannique Michael Young dans sa dystopie de 1958 The Rise of the Meritocracy, il était éminemment péjoratif. Or, dans les décennies qui suivirent, son succès s’accompagna d'un renversement complet : on se mit à l’employer en bonne part. D’ailleurs, quand Tony Blair, en 1996, se proclama sans ironie « méritocrate », c’en fut trop pour Young : il se fendit d’un texte dénonçant le fringuant Premier ministre de l’époque.
Young est mort en 2002. Mais il aurait sans doute apprécié de voir son concept connaître un nouveau regain de popularité et, cette fois, dans l’acception qu’il lui avait donnée au départ. Depuis quelques années, à la faveur du Brexit et de la présidence Trump, les critiques contre le système « méritocratique » se sont multipliées. Dès 2015, la juriste Lani Guinier publiait The Tyranny of the Meritocracy. En 2017, c’était au tour du journaliste et économiste David Goodhart de faire paraître Les Deux Clans. La France n’était pas en reste, puisque Emmanuel Todd, avant tout le monde, en 1998, s’appuyait sur les travaux de Young pour diagnostiquer, dans L’Illusion économique, une fracture éducative dans les sociétés avancées, idée qu’il a reprise et développée en 2017 dans Où en sommes-nous ?1.
La chouette de Minerve ne prend son envol qu’au crépuscule, c’est bien connu. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’un philosophe comme Michael Sandel s’empare du problème brûlant de la méritocratie avec un petit temps de retard. Dans La Tyrannie du mérite, le professeur star de Harvard (ses conférences remplissent littéralement des stades) se place dans la lignée de Young : pour lui, « en se faisant les champions du mérite, présenté comme la solution aux défis de la mondialisation, de l’inégalité et de la désindustrialisation, le parti démocrate américain et ses équivalents du Vieux Continent ont marginalisé la classe ouvrière et ses valeurs – avec des conséquences désastreuses pour le bien commun », rapporte Julian Coman dans The Guardian. Comme l’avait magistralement prévu Young, en supplantant une hiérarchie fondée sur la naissance ou sur la richesse, le nouvel ordre méritocratique a mis en place une stratification beaucoup plus implacable : les gagnants de ce système considèrent qu’ils sont bel et bien les meilleurs, que leurs avantages sont « mérités ». Quant aux perdants, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.
« You can make it if you try » (« Vous pouvez y arriver pour peu que vous essayiez »). Cette phrase, Obama l’a répétée comme un mantra dans 140 de ses discours présidentiels. Pour Sandel, non seulement elle est fausse, mais elle est pernicieuse. « La méritocratie, selon lui, est de toute évidence imparfaite dans sa forme actuelle ; elle ne s’approche de la vraie égalité des chances que très grossièrement. Mais même si l’égalité des chances était un objectif atteignable, ce dont Sandel doute, il pense que la méritocratie ne serait ni désirable ni durable : même une parfaite méritocratie comporte de multiples défauts qui la rendent injuste. Le plus grand problème est qu’elle exige l’égalité des chances sur la ligne de départ, puis légitime toutes les inégalités qui suivent comme s’il s’agissait des produits naturels de différences innées de talent ou de vertu : la discipline, l’intelligence, la persévérance », analyse Spencer Lee Lenfield dans Harvard Magazine.
Dans l’ensemble, l’ouvrage a été plutôt bien reçu dans le monde anglo-saxon. À quelques exceptions près : ainsi, dans la Literary Review, l’homme politique et auteur britannique Andrew Adonis ironise-t-il : « Qu'un professeur de Harvard écrive un livre sur la ‘‘tyrannie du mérite’’ a quelque chose d’intrinsèquement ridicule. » Et de juger qu’« il est plus facile de naviguer dans le pays des merveilles de Lewis Carroll que dans les discussions de Sandel sur la méritocratie et la démocratie occidentale ».
Sandel ne brille pas toujours par son originalité. Ce qu’il dit l’a souvent été avant lui, et parfois de façon plus percutante. Quelques-unes de ses analyses ne manquent pourtant pas d’envergure. Dans le deuxième chapitre de son livre, il inscrit le problème de la méritocratie dans les débats théologiques sur la grâce, et son analyse est passionnante. En effet, la grâce telle qu’elle est conçue par son premier et plus brillant promoteur saint Augustin est comme un antidote à la tyrannie du mérite puisqu’elle suppose que les actes (le mérite, donc) ne suffisent pas à assurer le salut. Or, reprise par le protestantisme plus d’un millénaire plus tard, cette défense de la grâce va, paradoxalement, comme l’écrit Sandel, ouvrir « la voie à l’âpre éthique méritocratique du travail que les puritains et leurs successeurs ont importée en Amérique ».
L’inflexion décisive est due à Calvin. Comme Luther, il pense que « le salut [est] une affaire de grâce divine, indépendante du mérite des hommes ». Mais, en introduisant l’idée de prédestination (« Dieu a décidé dès le départ qui serait sauvé ou damné, les actes n’y changeront rien »), il met « les croyants dans une situation insoutenable » : comment savoir si on est un élu ou un réprouvé ? La solution fut l’éthique du travail : « Puisque Dieu nous appelle à suivre notre vocation, travailler intensément pour répondre à cet appel est un signe de salut. » La vie de labeur « n’est pas source de l’élection, elle en est un signe ». « Pouvait-on cependant, poursuit Sandel, échapper au glissement du signe vers la source ? Psychologiquement, il est difficile de concevoir que Dieu ne tiendra pas compte d’un travail fidèle, destiné à accroître sa gloire. Encouragé à penser que mes bonnes œuvres me placent parmi les élus, je ne peux résister à l’idée qu’elles ont en quelque manière contribué à mon élection. »
Le discours méritocratique moderne remonterait, selon Sandel, aux politiques néolibérales initiées par Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Mais il aurait été ensuite repris sans complexe par les progressistes, de Clinton à Obama en passant par Blair. En contraste et un peu en modèle, Sandel évoque le New Deal rooseveltien et l’immédiat après-guerre, période de grande solidarité civique : Roosevelt avait beau être diplômé de Harvard, dans son équipe, on trouvait des personnalités comme Harry Hopkins, un travailleur social de l’Iowa (État américain équivalent de la Creuse). Son successeur, Harry Truman, reconnu aujourd’hui comme l’un des plus grands présidents des États-Unis, fut aussi le dernier à ne pas avoir de diplôme universitaire.
On le voit, l’inégalité méritocratique a partie liée avec l’inégalité éducative, à laquelle Sandel ne manque pas de consacrer un chapitre, « La diplômanie. La dernière discrimination acceptable ». Il est dommage qu’il ne fasse pas le lien, comme le fait Emmanuel Todd, entre la crise actuelle des démocraties occidentales et l’émergence d’une masse d’« éduqués supérieurs », bloquée sous la barre des 30 % par génération depuis les années 1960 aux États-Unis, et depuis les années 1990 en France. Dans son dernier livre, Les Luttes de classes en France au xxie siècle, Todd explique :
« Dans [l]e monde démocratique ancien, les personnes ayant fait des études supérieures étaient très peu nombreuses, quelques pourcents, et, si elles voulaient exister socialement, il fallait qu’elles parlent aux autres. […] Or la montée en puissance de l’éducation supérieure a produit, surtout à partir du moment où elle s’est bloquée, où l’on a pressenti que, contrairement à l’alphabétisation, elle ne serait pas universelle, l’émergence d’un sentiment inégalitaire d’un type nouveau. Le problème n’est pas simplement que ceux qui sont en haut se voient au-dessus des autres et, sous prétexte qu’ils ont eu une éducation supérieure, se pensent vraiment supérieurs. Le problème est aussi qu’ils peuvent se permettre de vivre entre eux : 31 % de diplômés du supérieur, cela représente presque un tiers de la société. Ces personnes peuvent écrire des livres qui ne s’adressent qu’à d’autres éduqués supérieurs. La stratification éducative favorise une vision de l’art élitiste et narcissique. » 2
Sandel, lui, aborde ces problèmes en moraliste : il souscrit aux arguments du philosophe John Rawls, pour qui non seulement le talent mais les efforts ne sont pas « de notre seule responsabilité » : « Même la disposition à faire un effort, à essayer d’être méritant, au sens ordinaire, est dépendante de circonstances familiales et sociales heureuses », écrit-il. Rawls, en conséquence, estime, selon les termes de Sandel, que « les principes de justice doivent être définis indépendamment de considérations sur le mérite, la vertu ou la qualité morale ». Si Sandel se distingue de Rawls, c’est notamment en ce qu’« il se focalise moins sur l’injustice que sur ses effets psychologiques délétères », résume Marc Plattner dans Journal of Democracy. Les gagnants du système sont pris d’une hubris qui les fait mépriser les perdants, lesquels se sentent humiliés. D’où leur ressentiment et la montée de ce que les gagnants appellent « populisme ».
La solution ? « Reconnaître le travail » (c’est le titre du dernier chapitre du livre). Autrement dit, la dignité du travail de chacun, y compris de ceux qui n’ont pas « réussi ». « Se concentrer seulement, ou principalement, sur l’ascension ne permet pas de cultiver les liens sociaux et la loyauté civique que la démocratie exige. Une société qui, de manière plus efficace que la nôtre, promeut la mobilité ascendante doit elle-même offrir à ceux qui ne sont pas mobiles les moyens de s’épanouir là où ils se trouvent et de considérer qu’ils font partie d’un projet commun », conclut Sandel. Concrètement, cela signifie privilégier l’égalité des conditions à l’égalité des chances.
— Ce texte a été écrit pour Books.
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Pour se changer les idées et les dénoircir, pourquoi pas l’écriture ? C’est ce que suggère l’écrivaine Suzette Henke, inventrice de la « scriptothérapie » – l’écriture de soi à des fins thérapeutiques1. Prenez le cas de Colette, qui a pu, en reconstruisant par écrit les détails de son « esclavage conjugal » avec Willy, reconquérir le « sentiment de maîtriser sa vie ». On connaît les bienfaits de la lecture, qui distrait, instruit et favorise la compréhension de soi et des autres. Mais la scriptothérapie, c’est une bibliothérapie surmultipliée.
Quelque forme qu’on adopte – récit, Mémoires, journal intime ou poésie –, l’exercice est distrayant, voire absorbant, et même potentiellement salvateur. En se forçant à placer le passé devant ses yeux et à le dévisager, on peut évacuer ou relativiser les épreuves subies sur les champs de bataille professionnels ou familiaux. Efficace et gratuit, voire potentiellement rémunérateur si vous possédez suffisamment d’entregent, de talent ou de trauma pour qu’on souhaite vous suivre dans les circonvolutions de votre cerveau.
Mais à qui ou pour qui écrirait-on ? Un psy, réel ou virtuel ? La personne à l’origine des maux qui nous font plonger la plume dans l’encrier ? Le grand public (pour le séduire) ou l’opinion publique (pour la convaincre) ? Dieu lui-même, ou l’un de ses substituts, comme ces pères spirituels auxquels on destinait son « journal de l’âme » ? Entre journal public ou journal privé, publication ou rétention, franc dévoilement ou dissimulation, toutes les combinaisons sont possibles. Le cas le plus étrange est sans doute celui du héros d’Italo Svevo, l’infortuné Zeno Cosini, qui doit se lancer dans l’examen écrit de sa propre « conscience » sur ordre de son psychanalyste :« Écrivez ! Écrivez ! Vous verrez que vous arriverez à vous voir tout entier ! » Mais, au fil des pages, Zeno se fatigue de son psy qu’il finit par éjecter de sa vie, tout en continuant de se raconter à son journal (« Je pense qu’en écrivant je me libérerai mieux du mal que m’a fait cette cure ! »). Indigné, le psy se vengera en publiant le texte intégral de son insolent patient2.
Cependant, par pudeur ou par prudence, on préfère très souvent se contenter d’un lecteur unique : soi-même. Un lecteur fidèle et indulgent (quoique), mais suffisamment sévère pour qu’on éprouve la nécessité d’ordonner et de raffiner les pensées qu’on lui soumet. C’est l’essence du commonplace book à la britannique, comme celui dans lequel E. M. Forster a recueilli concepts (surtout littéraires) et anecdotes, organisés thématiquement, pendant plus de quarante ans. En France, Montesquieu avait son « spicilège » – un pot-pourri d’idées et d’informations accumulées au fil des lectures et des conversations, mais aussi un laboratoire où il développait ses réflexions. L’écriture à des fins privées, quoi de mieux pour occuper son esprit, tonifier (ou réparer) son mental, affiner ses idées et peaufiner son style ? Mais il y a tout de même une contrainte : il faut se relire de temps à autre – et ça, c’est généralement ennuyeux et parfois démoralisant.
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La Soustraction, le premier roman d’Alia Trabucco Zerán, a eu au Chili l’effet d’une bombe à retardement qui aurait été enclenchée quelque quarante ans plus tôt, en 1973, lors du coup d’État militaire du général Pinochet. À l’instar de nombreuses voix émergentes de la littérature chilienne contemporaine, Trabucco Zerán est née et a grandi sous la dictature. Pour cette génération d’écrivains, il ne s’agit pas d’un détail biographique mais de la pierre angulaire de leur travail. Le roman de Trabucco Zerán met en scène trois personnages : Paloma, la fille d’une exilée chilienne qui vit à Berlin et se voit contrainte de revenir à Santiago pour y enterrer sa mère ; Iquela, qui a grandi dans la terreur que ses parents soient emprisonnés pour leur activisme anti-Pinochet ; et Felipe, dont le père est l’un des 3 200 « disparus » de la dictature. Tous trois se sont connus enfants et se retrouvent pour réceptionner le cercueil de la mère de Paloma, transporté par avion depuis l’Allemagne. Mais une éruption volcanique couvre Santiago de cendres et force l’appareil à atterrir en Argentine.
S’ensuit un road trip à travers les Andes pour rapatrier la dépouille et l’inhumer dans son Chili natal.
Bien que leurs familles aient été du « bon côté de l’Histoire », les trois protagonistes restent les héritiers du désastre. « Le roman met à mal la mémoire officielle : rien ne fut sans conséquences, l’héroïsme a engendré son lot de souffrances. Les séquelles des silences et des récits officiels continuent à creuser une blessure qui est loin d’être refermée », pointe Rodigro Pinto dans Sábado, un supplément hebdomadaire du quotidien chilien El Mercurio.
Le récit alterne les points de vue d’Iquela et de Felipe ; leurs monologues se répondent et se contredisent, soulignant ce que leurs souvenirs de la dictature ont d’équivoque. « Trabucco Zerán parvient à faire coexister la tendresse et l’extrême violence, à façonner une poétique de l’intime et de la mémoire », commente Patricia Espinosa dans le quotidien chilien Las Últimas Noticias.
Si La Soustraction a eu une telle résonance au Chili lors de sa parution en 2015, c’est que l’héritage de Pinochet n’a jamais cessé d’être débattu. « Le Chili contemporain est le fruit de toutes les réformes néolibérales qui ont été faites pendant la dictature », déclarait l'auteure au quotidien espagnol El País. Au rang des legs les plus encombrants, elle citait la Constitution chilienne, adoptée en 1980 par le régime de Pinochet. Le 25 octobre dernier, les Chiliens ont plébiscité par voie de référendum un changement de Constitution – un pas supplémentaire vers une déprise de l’héritage de la dictature qui doit ravir la romancière.
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La vie de nomade au Sahara, c’est tout un art. « Entraver le dromadaire en évitant un coup de pied mortel ; lui passer le mors loin dans la bouche en serrant fort sur les gencives […] ; traire une chamelle en lui pétrissant d’abord les pis avec les mains mouillées pour les assouplir. » Un apprentissage qui n’est pas affaire de mois ni d’années mais de générations. Pas de quoi décourager Nicholas Jubber, figure du nouveau travel writing britannique, ce sport national littéraire qui mêle aventure, érudition, élégie et humour. Ses illustres prédécesseurs ayant déjà parcouru presque toute la planète sous les prétextes les plus divers – cartographe, trafiquant, voire circonciseur ambulant comme sir Wilfred Thesiger chez les Arabes des marais d’Irak –, Jubber a dû se trouver une approche et une zone de chalandise originales. En l’occurrence, l’initiation au nomadisme parmi les Berbères, les Maures, les Touaregs et les Peuls (l’ethnie nomade la plus nombreuse du monde), sur les traces de Léon l’Africain, d’Ibn Khaldoun ou de René Caillé. Il zigzague de Fez jusqu’à Tombouctou via la Mauritanie, se frayant un chemin au travers du plus grand champ de mines du monde (au Sahara occidental) et des territoires tombés aux mains des salafistes.
Premier défi : apprendre l’arabe, langue « inscrutable » (« Est-ce même une langue ? ») où la moindre erreur d’intonation produit des résultats hilarants ou déplorables. Apprendre aussi à faire du thé « avec le bon niveau de saccharification », à s’orienter avec les étoiles en n’ayant que ses doigts pour astrolabe, à manger uniquement avec la main droite même quand on est gaucher, à lire « les lignes de code énigmatiques » laissées par les animaux dans le sable, à amadouer une monture caractérielle et à la monter « jusqu’à ne faire qu’un avec elle ». Mais cet apprentissage souvent humiliant et parfois douloureux lui permet de comprendre le nomadisme de l’intérieur, « ce mode de vie à la fois révéré et méprisé […] qui a forcément quelque chose à nous enseigner puisqu’il perdure depuis des millénaires ». D’autant qu’il est sans doute inscrit dans nos gènes (le mot « bédouin », de l’arabe bedawi, ne signifie-t-il pas « ceux des origines » ?). Mais c’est un mode de vie qui périclite – en quelques décennies, les nomades sont passés de 85 % de la population mauritanienne à 6 %. Et l’insécurité environnante n’arrange rien, quoique le djihad « concorde à bien des égards avec le vieux paradigme nomade – guérillas, raids, enlèvements ». Jubber est néanmoins sans illusions (« “Même si un arbre passait cent ans dans la rivière, il ne deviendrait pas crocodile”, dit un proverbe songhaï ») ; et si ses efforts d’assimilation trouvent juste récompense, ce n’est pas sous les tentes mais dans les librairies. Ce qui n’est pas vraiment contradictoire : « Le nomadisme est comme le récit de voyage : marginal et bien souvent mal compris. »
— J.-L. M.
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