Il n’y a plus de limites
Publié en décembre 2025. Par Books.
Nous ne sommes que des cobayes dans le laboratoire de Dieu, disait Tennessee Williams. Aujourd’hui Dieu, s’il existe, nous teste comme jamais, avec la stupéfiante intelligence artificielle, la non moins stupéfiante biologie synthétique et d’autres broutilles qui depuis la bombe atomique bouleversent l’horizon de l’humaine condition. Jamais le cliché « on n’arrête pas le progrès » n’a manifesté une telle pertinence – du moins si l’on s’en tient au progrès technologique. De quoi nourrir les plus folles aspirations, mais aussi la plus vertigineuse inquiétude. L’écologiste britannique Paul Kingsnorth n’est certes pas le premier à écrire un manifeste « contre la machine », mais il innove en se créant un nouveau label, celui de « radical réactionnaire ». Il a changé son fusil d’épaule. Fini le temps du militantisme mainstream, quand il s’enchaînait à un pont ou narguait les gaz lacrymogènes lors d’un sommet du G8. Devenu l’une des principales figures du mouvement écologiste en Grande-Bretagne, il a soudain tourné casaque, pour partir cultiver son jardin dans des conditions spartiates avec sa femme et ses deux enfants (protégés de la « cocaïne des écrans ») dans une ferme dans l’ouest de l’Irlande. C’était en 2014, l’année de la fameuse « Marche pour le climat » (plus de 300 000 manifestants rien qu’à New York). Il avait cessé de croire à l’efficacité des actions menées pour préserver l’environnement, qu’elles le soient par les militants, les ONG ou les États. La partie est perdue, l’effondrement inévitable. La notion de politiques « soutenables » un mythe.
Dans ce nouveau livre il franchit un pas de plus. Converti au christianisme orthodoxe, il dénonce le caractère diabolique d’une modernité qui est en passe de dissoudre le sel de d’humanité. Il cite G. K. Chesterton : « Ce qui assure à la vie sa poésie et ses ardentes possibilités, c’est l’existence de ces grandes et claires limites qui nous forcent à affronter les choses que nous n’aimons pas ou n’attendons pas ». Or ces limites sont en train de s’écrouler. C’est là l’originalité de Kingsnorth, souligne Tyler Austin Harper dans The Atlantic : les limites qu’est en train de piétiner l’homme dans sa relation avec la nature, les limites que repoussent et menacent d’éliminer les progrès du génie génétique ou de l’intelligence artificielle « ont beaucoup en commun avec les idées progressistes sur le sexe, la sexualité et le genre ». Voilà évidemment de quoi heurter les esprits. Le militant écologiste John Halstead, naguère un fan de Kingsnorth, voit désormais en lui un « protofasciste transphobe ». Absurde, cela va sans dire. Ce que propose Kingsnorth, c’est simplement de savoir dire « non » ; même si « tout est compromis » (il se sert d’Internet, quand même !), se construire son cocon, « en parallèle, se retirer pour créer, construire sa zone de refus culturel ».
