Publié dans le magazine Books n° 44, juin 2013. Par Christopher Hitchens.
Révolutionnaire convaincue, polémiste féroce, internationaliste ardente, Rosa Luxemburg était aussi une grande amoureuse, une lectrice passionnée, une mélomane avertie. Cette personnalité attachante, superbement révélée par sa correspondance, éclaire le combat politique d’une femme qui n’a cessé de défendre la liberté et fut la première communiste à dénoncer le léninisme.
Rares sont ceux qui contestent ce verdict généralement admis : le caractère « totalitaire » des idéologies du XXe siècle éclipse toute prétendue différence entre ses variantes « de gauche » et « de droite ». De fait, l’adjectif même de totalitaire a vraisemblablement été forgé par le marxiste dissident Victor Serge (1) pour qualifier cette forme résolument moderne d’absolutisme qui cherche fondamentalement à abolir toute vie privée et toute conscience personnelle. Tels concepts, telles conséquences : L’Univers concentrationnaire, l’ouvrage désormais classique de David Rousset (2), anticipe la vision du « camp » comme lieu où l’on se débarrasse des déchets humains de l’utopisme, de droite comme de gauche.
Cette convergence, ou cette symétrie, n’est pas équivalence morale. Le goulag a sans doute dévoré plus d’individus que le système nazi des Lager. Mais, lorsqu’on l’interrogea sur le sujet, l’éminent historien du stalinisme Robert Conquest estima les crimes hitlériens plus abominables. Pressé de développer sa pensée, il répondit : « C’est simplement le sentiment que j’ai. » Je pense que de nombreuses personnes dotées d’intelligence morale ont la même intuition....