Le calvaire des lanceurs d’alerte

Carl Elliott sait de quoi il parle. Médecin et bioéthicien à l’université du Minnesota, il a enquêté sur le suicide d’un patient enrôlé dans un essai clinique pour un antipsychotique dans sa propre institution, puis dénoncé ce qui s’est révélé être un scandale imputable à une collusion entre l’industrie pharmaceutique et un laboratoire universitaire. Mais au lieu d’être remercié et valorisé, « il s’est trouvé de plus en plus ostracisé et marginalisé », écrit le bioéthicien de Harvard J. Wesley Boyd dans l’Indian Journal of Medical Ethics.


Dans son livre, Elliott revient sur un certain nombre de scandales de ce type, depuis le cas bien connu de l’étude Tuskegee, dans laquelle des douzaines de Noirs syphilitiques ont été laissés sans soins pour étudier la progression de la maladie, jusqu’à celui de l’Institut Karolinska en Suède, où un chirurgien en vue a implanté frauduleusement des trachées artificielles entre 2011 et 2016. 


Il montre que dans la plupart des cas le lanceur d’alerte a été comme lui-même ostracisé, au point parfois de perdre son emploi, de tomber dans la misère et de voir sa vie de famille détruite. Ce n’est pas seulement « une institution corrompue » qu’ils ont affrontée, mais « une culture qui préfère le silence à la dissension », écrit J. Wesley Boyd.


Ce qu’Elliott met en évidence, c’est « l’ahurissante résistance des institutions à réagir face à des abus parfaitement établis, à commencer par la réticence des organes de supervision à exercer leurs responsabilités », écrit dans la revue Science C. Fred Alford, un spécialiste de la gouvernance. Au-delà, Elliott s’interroge sur la propension des organisations à, selon ses termes, « créer un monde social dans lequel des choix moraux désastreux paraissent normaux et intelligents ».


Les instances chargées de la bioéthique gardent elles-mêmes le silence. « Au lieu d’être des chiens de garde, elles se comportent souvent en chiens d’exposition », écrit J. Wesley Boyd : elles sont là pour la galerie, sans plus.

LE LIVRE
LE LIVRE

The Occasional Human Sacrifice: Medical Experimentation and the Price of Saying No de Carl Elliott, Norton, 2024

Dans le magazine
BOOKS n°123

DOSSIER

Faut-il restituer l'art africain ?

Chemin de traverse

13 faits & idées à glaner dans ce numéro

Edito

Une idée iconoclaste

par Olivier Postel-Vinay

Bestsellers

L’homme qui faisait chanter les cellules

par Ekaterina Dvinina

Voir le sommaire