Publié dans le magazine Books n° 34, juillet-août 2012. Par Keith Thomas.
Tour à tour hérétique et sainte, androgyne et symbole de l’innocence féminine, farouche amazone et parangon de la domesticité, emblème national français et héroïne universelle… Depuis le XVe siècle, toutes les époques et toutes les factions ont refait Jeanne d’Arc à leur image, projetant inlassablement sur elle leurs angoisses et leurs aspirations. Le personnage historique, lui, garde son mystère.
Le flot de livres qui accompagnent traditionnellement la moindre commémoration de Jeanne d’Arc ajoute généralement peu de matière aux faits établis la concernant. La source essentielle reste en effet le compte rendu détaillé de son procès, publié avec un nombre considérable de documents annexes par l’historien français Jules Quicherat dans les années 1840 (1). En imprimant, dans toute leur franchise et leur ténacité, les paroles de la jeune fille, Quicherat fit à peu près autant pour Jeanne d’Arc que l’historien britannique Thomas Carlyle pour Oliver Cromwell en éditant ses lettres et discours dans la même décennie (2). Depuis, les chercheurs ont replacé le parcours de l’héroïne dans son contexte politique, mais ils en sont encore réduits aux conjectures face à certaines énigmes.
Chef ou mascotte du régiment ?
Par quel « signe » Jeanne a-t-elle pu convaincre Charles VII de sa légitimité, et pourquoi a-t-il été si prompt lui faire confiance (3) ? A-t-elle été un véritable chef de guerre ou une simple mascotte de régiment ? Pourquoi n’a-t-on pas fait plus d’efforts pour la racheter aux Anglo-Bourguignons après sa...