Les sociopathes, ces incompris

Les sociopathes (ou psychopathes – le DSM-5 ne fait pas la différence) sont plutôt rares. Quant aux sociopathes qui décrivent leur propre trouble, ils sont carrément rarissimes. D’où l’intérêt des récits de deux Américaines, M.E. Thomas et, tout récemment, Patric Gagne, qui expriment toutes deux le même sentiment : les sociopathes sont de grands méconnus. Certes, ils souffrent « d’apathie émotionnelle », écrit David Marchese dans The New York Times ; ils ignorent l’empathie, n’ont pas de sens moral et, oui, cèdent parfois à des impulsions criminelles. Patric Gagne n’a-t-elle pas débuté « en volant des objets avant de savoir marcher » (dont les lunettes de Ringo Starr !) et en estropiant une copine de classe d’un coup de crayon ? Mais elle est depuis devenue une adulte séduisante, engagée dans une « relation très satisfaisante », et exerce avec succès la profession de… psychologue. Ce qui lui permet de postuler que si les « neurodivergents » comme elle diffèrent des « neurotypiques » comme vous et moi (?!), ils ne sont cependant pas des monstres. Ce sont des gens impétueux, adroits, bardés de confiance en eux, des séducteurs impénitents « au regard prédateur ». Ils n’aiment guère leurs semblables mais chérissent les animaux. Ils connaissent l’amour, mais sous forme « d’homéostasie mutuelle – pas comme quelque chose de transactionnel, possessif, narcissique ». Et s’ils sont dépourvus de sens moral et ignorent culpabilité et remords, c’est, pour Patric Gagne, un plus psychologique : « Mes amis sont tous rongés de culpabilité. Je suis bien contente de ne pas connaître ça ! ».

D’ailleurs « la morale » n’a rien d’universel, ce n’est qu’un assortiment de principes contingents, proteste l’autre autobiographe sociopathe, M.E. Thomas, dont le livre a été traduit en français (Confessions d’une sociopathe, Larousse, 2022). Le vrai problème avec les sociopathes, c’est qu’ils sont comme tout le monde. D’ailleurs la plupart d’entre eux ne sont pas en asile ou en prison – s’ils dépassent parfois la ligne jaune de la malfaisance, ils sont le plus souvent trop malins pour se faire attraper – mais dans la nature, où on ne les remarque pas forcément, car « ce sont des asociaux qui excellent à paraître sociaux ». Ayant le goût du risque, intelligents, sans scrupules, menteurs, manipulateurs, calculateurs, on les retrouve volontiers au sommet de la société. « Vus sous un jour différent, les symptômes de la sociopathie ne s’apparentent-ils pas aux talents des politiciens ou des entrepreneurs ? » Selon une « méta-analyse » récente, la prévalence de la sociopathie ou psychopathie, entendue au sens large, avoisinerait les 4,5 %, soit, dans nos écoles, environ un enfant par classe. 

LE LIVRE
LE LIVRE

Sociopath: A Memoir de Patric Gagne, Simon & Schuster, 2024

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