L’orgasme à tout prix
Publié en décembre 2025. Par Books.
Un étrange culte orientalo-érotico-mystique a surgi en Californie – où d’autre ? – à la fin des années 1980 : la célébration de l’orgasme féminin comme moyen d’atteindre « le bonheur, la plénitude sexuelle et la communion avec l’Univers ». La journaliste Ellen Huet, qui retrace l’histoire de ce culte devenu business, commence en décrivant une cérémonie d’initiation à laquelle elle a assisté. L’impétrante était allongée sur une sorte d’autel, à moitié dévêtue (le bas !), les plantes des pieds jointes et les genoux écartés « comme les ailes d’un papillon », environnée de fumigations et de musique douce. Un homme en noir (vêtu en entier, lui) était penché respectueusement sur « l’origine du monde » de la dame et y pratiquait de longues et savantes manipulations afin de mener celle-ci à « l’extase de la connexion universelle » – bref quelque chose de bien au-dessus du tout venant du septième ciel. La dame de ce jour-là était Nicole Daedone – et celle-ci a eu le sentiment « d’être une voiture parvenue à se dégager d’un embouteillage ». Nicole était une quintessence de la Californienne enflammée de sex (sous toutes les formes), drugs (beaucoup et non des moindres) et bien sûr rock'n'roll, mais aussi une Américaine, entreprenante et très business, qui a décidé non seulement de promouvoir cette formidable révélation « qu’elle se sentait appelée à partager avec toutes les femmes du monde » mais également de la monétiser. Elle a donc fondé en 2004 OneTaste, que Helena Aeberli décrit dans la Los Angeles Review of Books comme « un mixte de communauté hippie et de marque de wellness haut de gamme – une résurgence des mouvements de santé holistique et de spiritualité New Age avec leurs charismatiques leaders et la libération sexuelle en toile de fond, mais également une anticipation des grandes vogues actuelles, depuis l’autoréalisation individuelle et l’essor de l’industrie du bien-être jusqu’à l’avènement de la femme big boss ». L’OM (pas le club de foot, mais : Méditation Orgasmique, à prononcer Ooooom comme dans le mantra indien) allait vite devenir un big business en forte croissance, avec des centres dans plusieurs villes, dont Londres, et un marketing plus que vigoureux qui génèrerait jusqu’à 10 millions de dollars de chiffre d’affaires. OneTaste se diversifiera dans l’organisation de « séminaires » et d’« ateliers » et la publication d’ouvrages techniques (car la pratique de l’OM est « aussi complexe que celle du piano »), tandis que le mouvement prendra peu à peu des allures de culte. Et, comme dans toute bonne secte qui se respecte, Nicole se mettra à soustraire des sommes rondelettes à ses adeptes (qui doivent souvent s’endetter) tandis que les employés sont sous-payés et même placés sous emprise. Bloomberg Businessweek mandate alors, en 2017, la journaliste-autrice Ellen Huet pour qu’elle enquête sur OneTaste, car la finance commence à inquiéter (s’agirait-il d’une pyramide de Ponzi ?). Très pro, donc soucieuse d’explorer le pour de l’OM (no comment) mais aussi le contre, Ellen Huet interroge à tout va – et recueille des récits alarmants. La redoutable Nicole dirigerait en gauleiter une camarilla de jeunes et jolies personnes censées se soumettre aux désirs des client(e)s et surtout des investisseurs. Plus inquiétant même, des millions de dollars sont engloutis dans l’affaire avec pour lesdits investisseurs un dérisoire retour, financier du moins ! L’article sera publié en juin 2018, toutes les sirènes se déclencheront, le FBI s’en mêlera, des mois de procédures vont suivre, Netflix produira un film, etc. En 2023, Nicole et sa n° 2 seront condamnées pour « travail forcé », donc potentiellement à 20 ans de prison (appel en cours). Entretemps OneTaste aura été vendu (12 millions de dollars tout de même) et continuera d’opérer, mais sous un autre nom, en sourdine et dans les clous... À l’issue du procès, Ellen Huet sera prise à partie par des groupies : « On te hait ! On te hait ! » Sans doute considéraient-elles que l’OM « était une idée géniale, capable de secourir bien des gens, mais hélas entre les mains d’une personne assoiffée de pouvoir ». De là à dire que tout est bien qui finit mal…
