Zuckerberg n’est pas content

Formidable nouvelle : il y avait au moins un(e) idéaliste chez Facebook. En l’occurrence, Sarah Wynn-Williams, une jeune diplomate néo-zélandaise qui avait pu observer de près les débuts du printemps arabe, donc mesurer l’extrême importance de Facebook dans son déclenchement. Elle avait ensuite réussi – laborieusement – à convaincre les sbires de Mark Zuckerberg « qu’une révolution est en cours, une révolution qui a pour nom Facebook » et donc de l’embaucher pour aider la firme à gérer ses responsabilités politiques. Mais elle découvrira vite que « Mark Zuckerberg ne percevait pas du tout Facebook comme une force explosive sur le point de bouleverser et de redéfinir la politique à travers le monde » – juste comme un moyen de faire du fric en « incitant les gens à perdre du temps sur Internet » ! Pire, il « se contrefiche de la politique » excepté dans ses deux grands marchés, les US et la Chine, où il cajole les pouvoirs en place. C’est ainsi qu’en Amérique, après avoir été démocrate il a presto viré trumpiste ; et qu’en Chine il n’a pas hésité, malgré ses dénégations au Congrès, à se plier aux exigences de la censure locale. Wynn-Williams est tout spécialement ulcérée par la « négligence » de Facebook en 2017 en Birmanie, quand les massacreurs de Rohingyas ont pu impunément utiliser le réseau pour rallier leurs troupes. Facebook n’avait alors qu'un seul « fact-checker » birmanophone, un sous-traitant qui plus est – aujourd’hui la fonction « fact-checking » a été carrément supprimée.  


Sept ans durant, Wynn-Williams protestera (un peu) mais fera le dos rond avant de se retrouver sur la touche puis d’être éjectée en 2024. L’intrépide lanceuse d’alerte – qui avait déjà survécu, ado, à une attaque de requin – décide alors de publier un livre pour raconter (drôlement) ses multiples déconvenues, car Zuckerberg traite les chefs d’État « non stratégiques » par-dessus la jambe, et surtout pour dénoncer le système Facebook. Tout y passe : les mensonges de Zuckerberg, son utilisation cynique du pouvoir de Facebook lors des campagnes électorales, l’implacabilité du management « qui attend des troupes le sacrifice de leur vie entière »… Mais ce déballage de faits éventés ne suffit pas à expliquer le grand succès de l’ouvrage, qui doit beaucoup – sinon tout – à l’invraisemblable passion mise par Facebook à l’interdire. « Quand de furieux démentis ont été publiés, quand les employés de Facebook ont été incités à poster des commentaires négatifs sur les réseaux sociaux, quand l’autrice a été interdite de promotion, les gens ont commencé à acheter son livre », rigole James Ball dans The Spectator. Cette surréaction insensée s’expliquerait par les attaques ad hominem contre le top manager de Facebook : obsédé par sa propre image au point de booster frauduleusement ses propres chiffres d’audience sur… Facebook, vénal, complice de prédation sexuelle (y compris contre Wynn-Williams elle-même), cruel, manipulateur, d’une vanité puérile (il faut laisser Zuckerberg gagner aux jeux de société), indifférent à tout ce qui ne touche pas au compte d’exploitation, même aux grandes questions sociales ou de santé mentale… Bref, assène encore James Ball, « c’est le livre rêvé de tout employé revanchard : mesquin, venimeux, et par conséquent épatant ».

LE LIVRE
LE LIVRE

Careless People: A Story of Where I Used to Work de Sarah Wynn-Williams, Macmillan, 2025

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