Humilité

Les Français sont-ils plus sages parce qu’on leur a enseigné la philosophie au lycée ? Sont-ils mieux avertis des pièges de la pensée, mieux armés contre les idées toutes faites ? Cela se saurait. Dans le meilleur des cas, la « philo » enrichit des esprits bien préparés. Encore faut-il le bon enseignant, qui sache faire preuve d’humilité, et plutôt que prétendre aider les élèves à penser le monde actuel (au nom de quel savoir ?), s’attache à les faire entrer dans la subtilité des grands maîtres du passé. Un effet de l’institution est le nombre de philosophes. Une petite population. Il suffit d’avoir enseigné cette matière et publié un ou deux livres pour se faire baptiser tel par les éditeurs et les médias. Cela ne donne pas une image très flatteuse de la fonction. Mais clairement le besoin est là. Il y a un marché de la philosophie, comme il y a un marché de la psychologie. Peu importe si tant de grands noms de la discipline se sont déconsidérés ou ridiculisés, surtout depuis l’avènement du communisme et du nazisme. Peu importe que tant de prétendus philosophes se déconsidèrent ou se ridiculisent sous nos yeux, à longueur de colonnes ou d’émissions. Des philosophes, on en veut, on en redemande ! « Le moment est donc venu, semble-t-il, de proposer l’abandon du mot philosophie, qui ne renvoie à aucun domaine déterminé […]. Ce qui existe, ce n’est pas “la” philosophie, c’est un certain nombre de livres, écrits par des gens plus ou moins compétents sur les sujets les plus variés. » Écrits en 1957, ces mots de Jean-François Revel résonnent toujours aussi juste. La formule est aussi applicable au monde anglo-saxon, où ceux qu’on appelle « philosophes » sont des profs de philo à l’université. Il y a parmi eux des penseurs originaux, parfois exceptionnels – la plupart inconnus en France. Mais cela en fait-il des philosophes ? Il y a belle lurette que les spécialistes ont renoncé à s’entendre sur le sens du mot. Il faut bien qu’il en ait un, pourtant : comment expliquer qu’il mobilise tant d’attention ? On peut contourner le problème en observant une réalité : la philosophie répond, tant mal que bien, à une aspiration attestée depuis au moins vingt-cinq siècles : tenter de comprendre ce qui peut l’être. Socrate aurait pu dire avec Confucius : « Je n’enseigne pas celui qui ne s’efforce pas de comprendre. » À la question impertinente « à quoi servent les philosophes ? », une réponse prudente serait de dire : « à donner un coup de main à ceux qui s’efforcent de comprendre ». Tant pis si le coup de main se traduit par un nuage d’encre. On aura au moins essayé.

SUR LE MÊME THÈME

Edito Une idée iconoclaste
Edito No kids !
Edito Soigner mes traumas

Dans le magazine
BOOKS n°123

DOSSIER

Faut-il restituer l'art africain ?

Chemin de traverse

13 faits & idées à glaner dans ce numéro

Edito

Une idée iconoclaste

par Olivier Postel-Vinay

Bestsellers

L’homme qui faisait chanter les cellules

par Ekaterina Dvinina

Voir le sommaire