L’Europe « vit une crise existentielle »

Grand maître aux échecs, Kenneth Rogoff est aussi un économiste réputé. Comme le note The Economist à propos de son dernier livre, on doit à ce professeur à Harvard, ancien chief economist du FMI (Fonds monétaire international), d’avoir anticipé de longue date le retour de l’inflation et de taux d’intérêt élevés et d’avoir prévu la crise immobilière chinoise. Son nouvel ouvrage est consacré pour l’essentiel au devenir du dollar. Accentuée par le second mandat Trump (intervenu après la rédaction du livre), la tendance lourde est selon Rogoff une érosion progressive de l’écrasante prééminence du dollar comme monnaie de réserve. Aucune monnaie n’est en mesure de s’y substituer, mais la part de marché du dollar s’effrite et va continuer de s’effriter au profit de plusieurs autres monnaies, dont l’euro.


Concernant l’Europe, cependant, Rogoff n’est guère optimiste. L’Europe vit « une crise existentielle », dit-il dans un entretien avec l’économiste Tyler Cowen. Elle a « très peu de battants de dimension mondiale dans la tech et la finance ». Il y a des exceptions, comme l’entreprise pharmaceutique Novo Nordisk, mais pour l’essentiel « les plus grandes entreprises sont du genre Hermès ou Prada, dans l’industrie du luxe ». L’une des raisons est que « le niveau d’imposition freine l’investissement ». Et puis, comme le montre l’exemple de DeepMind, une entreprise britannique qui a migré en Californie, « quand quelque chose marche bien, les États-Unis l’aspirent ». Le cas de la France l’interpelle particulièrement : « Beaucoup de pays européens ont serré la vis de leur système de retraites. Pas la France. » Alors que ce pays devrait impérativement réduire ses dépenses, tout indique qu’il va encore les augmenter. 


Sur le poids sans cesse croissant de la dette, Rogoff expose une théorie simple, valable pour la France comme pour les autres pays, États-Unis y compris : « Une partie du problème vient de ce que la dette augmente quand il y a un gouvernement de gauche et quand il y a un gouvernement de droite. Quand la gauche est au pouvoir, elle sait que la dette est une mauvaise chose, mais sait aussi qu’elle peut profiter de la situation pour dépenser et emprunter. Quand les conservateurs sont au pouvoir, ils réduisent les impôts et doivent accroître la dette. »

LE LIVRE
LE LIVRE

Our Dollar, Your Problem: An Insider’s View of Seven Turbulent Decades of Global Finance, and the Road Ahead de Kenneth Rogoff, Yale University Press, 2025

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