Vive l’IA médicale !

Dans Caro Diario, le film de Nanni Moretti, on voit le cinéaste italien tenter de faire soigner de pénibles démangeaisons en consultant une profusion de docteurs. Mais tous lui prescrivent des traitements différents, certains saugrenus, tous inefficaces. Il tombe enfin sur un médecin holistique qui lui découvre un cancer, jugulé à temps. Le bon diagnostic était pourtant à portée de main – dans le dictionnaire médical. Avec l’IA médicale telle que les enthousiastes du progrès comme la spécialiste anglaise en recherche médicale Charlotte Blease l’imaginent, la maladie de Moretti aurait sans doute été détectée ; et il n’aurait même pas eu besoin d’aller voir un médecin : via son iPhone, ses symptômes sitôt décryptés auraient déclenché une prise en charge hospitalière (gérée par une application !). C’est du moins ce qu’elle déclare dans The Guardian : « c’est trop faire la fine bouche que de nier les performances des derniers modèles d’IA médicale, qui selon certaines études surperforment massivement les médecins en raisonnement clinique, y compris face aux situations très complexes ».


Optimisme béat ? Non, réalisme, car « depuis la préhistoire, le cerveau humain n’a pas évolué aussi vite que la médecine moderne » ; et aucun médecin, malgré ses longues années d’études, ne peut consacrer les quelque 22 heures par jour supposées requises pour lire toutes les parutions biomédicales nouvelles (« une toutes les 39 secondes »), d’autant que plus de 250 nouvelles maladies rares sont découvertes tous les ans, en sus des 7 000 déjà répertoriées. Et puis, quel (sur)homme de l’art pourrait travailler à 100 % de ses capacités « 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, sans avoir à dormir ni à aller aux toilettes », tout en maîtrisant les évolutions scientifiques récentes. Un surhomme multi spécialisé qui plus est, disponible toujours et partout, imperméable aux difficultés présentes du système médical, qui ne laisserait jamais rien passer sur une radio, et qui envisagerait tous les diagnostics, tous les traitements, même les plus inaccoutumés… 


Ne rêvons pas disent les sceptiques qui invoquent les erreurs de l’IA médicale, il est vrai encore un peu dans l’enfance. En revanche, ils négligent les erreurs médicales humaines, à propos desquelles ce livre déverse sur le malheureux lecteur des tombereaux d’exemples et statistiques accablantes. Limitons-nous à celles-ci : au cours d’une vie, chaque personne devrait être victime d’au moins une erreur de diagnostic – lesquelles aux États-Unis provoquent chaque année 800 000 décès ou accidents graves (plusieurs études moins pessimistes évoquent un chiffre inférieur : 10 % des 3 millions de décès annuels, ce qui n’est déjà pas mal). 


Le vrai problème est pourtant autre : c’est la fracture digitale. Un quart de l’humanité – celui précisément qui vit dans les déserts médicaux ou dans les déserts tout court – n’a pas accès à Internet, par manque de couverture, de moyens ou juste de compétences. Sous cet aspect-là aussi, le futur est plein de promesses. Mais en attendant, le bon vieux praticien à stéthoscope avec sa salle d’attente saturée a encore de beaux jours devant lui – d’autant plus beaux que peu à peu l’IA pourra graduellement mieux l’épauler dans son immense tâche.

LE LIVRE
LE LIVRE

Dr. Bot: Why Doctors Can Fail US – And How AI Could Save Lives de Charlotte Blease, Yale University Press, 2025

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