Est-il encore possible d’être normal ?

Nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises la question de l’inflation inconsidérée des diagnostics de troubles mentaux (voir notre compte-rendu du livre de Suzanne O’Sullivan, en mars 2025). À en juger par les critiques publiées, l’ouvrage du psychiatre britannique Alastair Santhouse est peut-être le plus abouti sur cette question délicate, qui interpelle la société dans son ensemble, le corps médical et les pouvoirs publics. Santhouse exerce son métier depuis un quart de siècle dans deux hôpitaux londoniens. Il constate une forte évolution de la psychiatrie. Il y a des progrès, en ce sens que certaines affections graves sont mieux traitées et que la compassion à l’égard des patients s’est développée. Mais justement, la compassion ne s’est-elle pas aussi dévoyée ? « La tendance actuelle est que si une personne dit souffrir d’un désordre mental, elle va invariablement trouver quelqu’un pour le lui confirmer. » Surtout bien sûr dans le secteur privé. Ainsi, « dans presque tous les cas où un patient vient me voir après avoir demandé à un organisme privé d’explorer un possible diagnostic de TDAH (trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité), il en a obtenu confirmation ». Résultat ? « Le fait de concentrer nos efforts vers les troubles bénins détourne des ressources déjà limitées des cas plus sérieux », résume le docteur John Quin sur le site The Quietus. « En essayant d’être bienveillants et ouverts, nous avons sans le vouloir nui aux individus et à la population. » 


L’évolution est renforcée par l’intérêt des firmes pharmaceutiques, qui visent le plus grand nombre. Le problème de base est bien l’évolution de la société. « Les traitements, naguère prescrits sur la base de consultations approfondies, sont maintenant orchestrés par les tendances sociales, sur la base de la demande des patients », résume Jackie Law sur le site Bookmunch. « Dans notre désir de nous attacher une étiquette diagnostique censée expliquer une partie de notre expérience, écrit Santhouse, nous étroitisons le concept de “normal”, limitons le sens de ce que nous sommes, de notre façon de vivre notre vie, et réduisons notre conception de l’humanité dans toutes ses infinies variations individuelles. »

LE LIVRE
LE LIVRE

No More Normal: Mental Health in an Age of Over-Diagnosis de Alastair Santhouse, Granta, 2025

SUR LE MÊME THÈME

Psychiatrie Sur l’emprise sectaire
Psychiatrie Paranoïaque ou juste parano ?
Psychiatrie Trop ou pas assez d’autistes ?

Dans le magazine
BOOKS n°123

DOSSIER

Faut-il restituer l'art africain ?

Chemin de traverse

13 faits & idées à glaner dans ce numéro

Edito

Une idée iconoclaste

par Olivier Postel-Vinay

Bestsellers

L’homme qui faisait chanter les cellules

par Ekaterina Dvinina

Voir le sommaire