L’obstination d’un frère

1er août 2017, Patagonie. La gendarmerie réprime férocement une manifestation de la communauté mapuche sur la route 40. L’artisan Santiago Maldonado, présent sur les lieux en appui des revendications des peuples originaux, disparaît. Une question parcourt l’Argentine du président Macri : où est Santiago Maldonado ? Soixante-dix-huit jours d’absence, de silence et de mensonges. Soixante-dix-huit jours où Sergio, son frère, arpente l’Argentine, le cœur serré par l’angoisse et la colère. Dans Olvidar es imposible il raconte, jour par jour, comment la vie a changé depuis le 1er août ainsi que les difficultés rencontrées durant son chemin de pérégrination pour retrouver son frère.


Sergio Maldonado décrit comment un commerçant de thés organiques à Bariloche se retrouve propulsé malgré lui sur le devant d’une scène tragique, se métamorphose d’homme ordinaire en figure de résistance, contraint d’affronter les rouages d’un pouvoir déterminé à étouffer l’affaire.


17 octobre 2017 : le corps de Santiago apparaît sur le fleuve Chubut, bizarrement au même endroit maintes fois fouillé. Beaucoup de questions restent en suspens : Santiago a-t-il été kidnappé et son corps sans vie replacé dans le fleuve ? Pourquoi la ministre de la Sécurité de l’époque, Patricia Bullrich, s’est-elle acharnée à nier l’évidence, à protéger les gendarmes, à transformer la victime en coupable ? Le livre de Sergio Maldonado est aussi un réquisitoire contre l’arbitraire, contre ces disparitions qui, même en démocratie, rappellent les heures les plus sombres de l’histoire argentine.


Sergio Maldonado n’est pas seul : des milliers de voix, en Argentine et au-delà, scandent le nom de Santiago. Des visages inconnus brandissent sa photo à Buenos Aires, à Paris, devant les ambassades. Les réseaux sociaux diffusent des hashtags comme des prières : #DóndeEstáSantiago, #AparecióSantiago. Il constate quotidiennement que les médias conservateurs répètent la version officielle, mais que d’autres, comme Página 12, creusent la vérité, révélant les mensonges, les pressions, les preuves manipulées.


Suite à la pression de Sergio et des associations de défense de droits humains, l’affaire est rouverte. La justice, selon l’annexe à la fin du livre, semble enfin vouloir examiner les zones d’ombre : le pollen sur les vêtements de Santiago, les micro-organismes dans ses organes, les contradictions des gendarmes. Mais l’impunité rôde toujours, et Patricia Bullrich, de retour au ministère de la Sécurité sous la présidence de Javier Milei, incarne cette continuité inquiétante des politiques répressives.


Sergio Maldonado, lui, continue de marcher. Selon Alejandro Bercovich, un des trois préfaciers, son livre, né de la douleur et de l’obstination, est à la fois un journal intime, une enquête méthodique et une catharsis. « Quand j’ai vu le livre dans les librairies, confie Sergio Maldonado au site web Al Margen, j’ai ressenti à nouveau ce que je ressentais lorsque je concevais une petite boîte de thé, que je la laissais dans un supermarché et que je la regardais comme un objet né de moi, transformé par moi. J’espère qu’il circulera, qu’il pourra être lu. »

LE LIVRE
LE LIVRE

Olvidar es imposible. Santiago, mi hermano de Sergio Maldonado, Marea editorial, 2025

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