Publié dans le magazine Books n° 38, décembre 2012. Par John Banville.
Proto-féministe et misogyne, philo- et antisémite, pétri d’amour et pétri de haine, l’écrivain suédois était un homme à la fois insupportable et magnifique. D’une existence cabossée, ce dramaturge également romancier, satiriste, pamphlétaire, photographe et peintre a tiré une œuvre d’une richesse encore méconnue hors de Suède cent ans après sa mort.
Il y a deux Strindberg, celui que le monde anglophone pense connaître, et celui qui reste sous clé dans le trésor de la langue suédoise. Pour nous, il est l’auteur de quelques drames majeurs –
Mademoiselle Julie, La Danse de mort, Le Songe – tandis qu’une ou deux autres pièces traduites sont généralement considérées, tout au plus, comme des curiosités. Fondateur d’un nouveau genre de théâtre, il fut le précurseur d’auteurs tels que Samuel Beckett, Eugene O’Neill (1), ou Sean O’Casey (2), lequel le considérait comme « le plus grand de tous ». L’image que nous avons de lui le montre aussi en misanthrope notoire et incorrigible misogyne.
Mais, pour les Suédois, Strindberg est le plus prolifique et le plus vénéré des écrivains – dans la biographie que lui consacre Sue Prideaux, la liste de ses principales œuvres littéraires couvre cinq pages –, l’auteur d’un roman populaire humoristique,
Les Gens de Hemsö (1887), et d’un ensemble de pièces historiques qui font de lui le Shakespeare national. Dramaturge de génie, c’était aussi un peintre de talent, un ...