Publié dans le magazine Books n° 4, avril 2009. Par Neal Ascherson.
L’aventure européenne a commencé… à l’âge du bronze. C’est la thèse du livre stupéfiant que l’archéologue Barry Cunliffe consacre à quelque dix mille ans d’histoire du continent. Cet héritier de Fernand Braudel érige ici un bouleversant monument à la longue durée et aux évolutions profondes des sociétés, dictées à ses yeux par les contraintes et les opportunités de l’environnement. Car c’est la géographie qui a fait de ce petit bout d’Asie un lieu si propice à la circulation des hommes et des idées ; la géographie qui a permis l’éclosion de l’esprit d’aventure des Européens ; la géographie, encore, qui explique leur future domination mondiale. Quand l’archéologie se fait vibrante invitation au voyage, en compagnie de hiboux nains, de poissons rouges, et d’une jeunesse ambitieuse.
Si le dernier livre, important et superbe, de Barry Cunliffe mérite une devise, c’est bien la célèbre phrase de Fernand Braudel sur la Méditerranée, qu’il applique à l’ensemble du continent et répète à maintes reprises : « La mer se trouve ainsi connaître, dès l’aube de sa protohistoire, ces déséquilibres, ces moteurs qui rythmeront sa vie entière. »
Déséquilibres moteurs ! Voilà un élégant perfectionnement de la théorie marxiste du « développement inégal » comme ressort dialectique du processus historique, appliqué à l’archéologie. Car les déséquilibres de l’Europe étaient précisément de cette nature motrice. L’étrange, irrégulière configuration de cette « excroissance occidentale de l’Asie », cette abondance tourmentée de paysages et de climats radicalement différents, l’incroyable diversité géologique des sols et des minerais, tout contribuait à faire de l’Europe un continent où les hommes seraient dépendants du contact avec d’autres hommes et de l’échange des ressources. « On ne trouve nulle part ailleurs sur une surface comparable, écrit Cunliffe, une telle profusion de zones écologiques différentes et si étroitement imbriquées ;...