Bill Gates a même été un enfant

Comme Bill Gates aime bien se raconter, voici le premier des trois volumes de ses Mémoires. Donc oui, lui aussi a été enfant, ado et post-ado. Mais pas n’importe lesquels : précoce génie en puissance doublé d’une parfaite tête à claques, arrogant et indiscipliné. Il l’admet avec une touchante sincérité qui est la marque de fabrique de cet ouvrage, mais une sincérité bidirectionnelle : s’il reconnaît volontiers ses manquements et considère qu’aujourd’hui on l’aurait diagnostiqué comme se situant quelque part sur le spectre autistique (« C’était dans ma tête que je me sentais le plus chez moi »), il martèle aussi qu’il était, oui, un peu exceptionnel, grandissant avec « de plus en plus confiance dans la puissance de [son] cerveau », un cerveau qu’il « n’échangerait pour rien au monde ». Sic. Mais, comme il l’a déclaré sans ambages à GeekWire, « un des grands avantages de l’hyper-succès, c’est qu’on peut facilement faire état de ses propres défauts » (et donc, semble-t-il, de ses qualités aussi).


Sinon, qu’apprend-on au fil des pages ? Que Bill a eu une enfance heureuse et confortable, avec des parents très méritants et patients (qui l’ont quand même mis dans les mains d’un psychologue). Que sa grand-mère, championne aux cartes, lui a appris que pour gagner il fallait toujours se concentrer et calculer. À l’école, il a d’ailleurs découvert « que les maths étaient comme des lunettes à rayons X permettant de décrypter le chaos du monde », et il y excellait. À part ça, pas grand-chose à signaler. Aucun drame, sauf la perte d’un ami cher dans un accident d’alpinisme. Pas d’amours, sauf un innocent râteau au lycée. Apparemment peu de drogues, sauf de l’herbe et une poignée de trips au LSD. Mais beaucoup de bonnes fées ont entouré son ascension, et la liste des remerciements qu’il contient fait ressembler son livre à un discours de remise de décoration, touches d’humour en moins. Et l’on n’en est encore qu’à la moitié…


Heureusement, tout s’anime quand Bill découvre l’informatique et surtout la programmation, à laquelle il s’adonne à 140 %, allant même jusqu’à faire le mur pour pouvoir utiliser gratuitement un ordinateur pendant la nuit. Le récit s’accélère au rythme de la carrière de Gates. Encore lycéen, il lance un business de logiciel, fait des rencontres cruciales (Bob Allen surtout, son complément parfait, un génie informatique aussi mais plus âgé, plus déluré, plus polyvalent), se met à programmer avec acharnement, parfois 36 heures d’affilée. Il enchaîne aussi les créations de micro-entreprises, quitte à se faire de temps en temps gruger (mais Gates senior, un avocat de grand talent, vole à la rescousse). Puis Bill est pris à Harvard (joie de maman), y saute des classes et fait encore d’autres rencontres professionnelles cruciales mais découvre qu’il n’est pas assez génial pour poursuivre dans les mathématiques fondamentales et décide de se lancer à fond dans le business naissant de la fabrication de software. À défaut d’être un grand mathématicien, il se révèle très bon businessman et très bon commercial (c’est lui qui le dit, mais comme le lecteur sait que c’est vrai…). Très vite, il a plusieurs intuitions capitales : l’inéluctable développement des microprocesseurs, donc de l’ordinateur personnel, donc de la centralité des logiciels, sur lesquels il persuade Bob Allen de tout miser.


En 1975, les deux amis (une relation agitée mais féconde) lancent Microsoft (« micro-ordinateur + software »). Ils se font encore parfois gruger, Gates senior vient encore à la rescousse, mais Gates junior apprend de ses erreurs et devient implacable : Bill réduit la participation de Bob de 40 % à 36 % (dureté qu’il regrettera mais considère justifiée) et surtout, pour protéger son sacramentel code source, il entreprend une croisade contre l’open source, généreux principe hippie mais qui entrave le développement de softwares de qualité. Bill Gates n’a alors qu’à peine 20 ans mais à mesure que le rustique Altair et les rubans magnétiques se voient remplacés par les PC du quotidien et les floppy disks, le succès de Microsoft paraît déjà inéluctable. La suite, encore plus brillante, sera décrite au tome deux. On y comprendra sans doute « pourquoi, lecteurs, le renouvellement annuel de votre abonnement à Microsoft Office 365 est lui aussi inéluctable », glisse Steven Poole dans The Guardian.

LE LIVRE
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Source Code: My Beginnings de Bill Gates, Allen Lane, 2025

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