Qui aurait parié sur le succès d’un livre dont le sujet est le livre ? Et pourtant, El infinito en un junco en est à sa seizième réimpression depuis sa parution en septembre 2019, il accumule les récompenses et est cours de traduction dans une vingtaine de langues – il paraîtra en français, aux Belles Lettres, à l’automne 2021. Son auteure, la romancière et spécialiste de lettres classiques Irene Vallejo, y retrace l’histoire de cette extraordinaire invention dont certains prédisent la disparition à brève échéance.
Pourquoi un tel engouement ? En partie parce que l’auteure ne se contente pas de remonter aux origines du livre et de faire l’historique de ses transformations successives au cours de près de trente siècles, du volumen au codex, de l’incunable jusqu’au produit industriel que nous connaissons aujourd’hui. « Irene Vallejo a eu la bonne idée de s’affranchir de la prose universitaire pour adopter le style d’un conteur qui conçoit l’histoire non pas comme une succession de références à des documents mais comme une fable », note dans le quotidien El País l’écrivain argentin Alberto Manguel, lui-même auteur d’Une histoire de la lecture (Actes Sud, 2000).
L’auteure confie d’ailleurs au quotidien El Mundo avoir cherché à donner à son essai une structure semblable à celle des Mille et Une Nuits. Shéhérazade moderne, elle égrène les récits épiques mettant en scène les héros de l’histoire du livre. En commençant par Démétrios de Phalère, qu’elle présente comme le tout premier bibliothécaire. Né vers 360 avant notre ère, cet homme d’État athénien contribua à fonder la célèbre bibliothèque d’Alexandrie, qui aurait abrité près de 700 000 volumes. « Peu d’écrivains aujourd’hui sauraient raconter aussi bien qu’Irene Vallejo comment des émissaires du roi d’Égypte Ptolémée II arpentèrent le monde à cheval à la recherche d’ouvrages à ajouter à la bibliothèque d’Alexandrie, estime le poète Luis Alberto de Cuenca dans le quotidien ABC. C’est aussi un récit d’aventures. L’auteure nous emmène sur les champs de bataille d’Alexandre le Grand et dans la villa des Papyrus d’Herculanum, ensevelie par l’éruption du Vésuve, dans les palais de Cléopâtre et sur le lieu de l’assassinat d’Hypatie, dans les toutes premières librairies, dans les ateliers des copistes et devant les bûchers où flambaient les codex interdits. » Un tel phénomène éditorial invite à se déprendre du pessimisme qui plane sur l’avenir du livre. Visiblement, l’être humain n’aime rien tant que lire des histoires – sur papyrus, sur papier ou sur écran.
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Kjell Westö, qui appartient à la minorité suédophone de Finlande, a déjà séduit de nombreux lecteurs nordiques avec ses romans situés dans sa ville natale, Helsinki, parmi lesquels Un Mirage finlandais (Autrement, 2016) et Les Sept livres deHelsingfors (Gaïa, 2008).
Dans Tritonus, il crée un archipel fictif, habité par un chef d’orchestre de renommée internationale sur le déclin. Dans son luxueux bunker, « Casa Tritonus », le vaniteux Thomas Brander se sent bien seul : il s’est fait quitter par une jeune violoniste et évincer d’un poste à Stockholm à cause d’une plainte un peu vague mais fatale à l’heure du mouvement #MeToo. Cette atmosphère mélancolique est bientôt rompue par un voisin impulsif, veuf depuis peu, piètre musicien mais organisateur hors pair, impliqué dans la vie locale – en somme, tout le contraire du protagoniste.
En Finlande comme en Suède, l’accueil est enthousiaste : « Westö réussit joliment à décrire la crise du quinquagénaire occidental et son angoisse de ne plus être à l’apogée de sa vie », note le journal finlandais suédophone Hufvudstadsbladet. Le quotidien suédois Svenska Dagbladet apprécie, lui, « une réflexion stimulante sur la rançon du succès doublée d’un hymne à la musique ».
Au printemps, durant le confinement, les mineurs du bassin houiller d’Ostrava-Karvina, en Silésie tchèque, ont continué à descendre dans les galeries. Une fois de plus, ils « ont été traités comme des citoyens de seconde zone », s’est insurgée la romancière Karin Lednická, elle-même originaire de la région, sur la chaîne d’information en continu CNN Prima News. Qui a entendu parler des catastrophes minières qui ont endeuillé les familles des décennies durant, ou du conflit meurtrier de 1918 entre la Pologne et la Tchécoslovaquie, qui revendiquaient toutes deux la région ?
Dans Šikmý kostel, un succès de librairie depuis des mois, Lednická met fin à l’oubli. Située entre 1894 et 1921, sa saga campe notamment des femmes malmenées par l’histoire mais dotées d’un courage hors norme. Des personnages attachants, juge la critique : « Nous partageons avec eux le mauvais pain des temps de guerre, nous allons boire une bière dans les cafés d’Ostrava. […] L’auteure écrit de façon si authentique sur l’époque qu’à la fin nous avons envie d’essuyer la sueur noire de notre front […] et d’applaudir », s’enthousiasme le quotidien Právo. En attendant le deuxième volet de la trilogie promise.
La liste des best-sellers de l’hebdomadaire Der Spiegel est un fidèle reflet du succès des livres en Allemagne. Y figurer est une gloire, y occuper la première place un triomphe. Pourtant, en cette rentrée, le palmarès se teinte de nuances crépusculaires. La mélancolie et la noirceur y affleurent, mais aussi l’humour, qui répond à un besoin de consolation, à une nécessité d’apprivoiser une situation angoissante. Les neuf nouvelles qui composent le recueil Abschiedsfarben, de Bernhard Schlink, sont autant de variations sur le thème de l’adieu, adieu à des êtres chers, à des étapes de la vie, à des espoirs et à des craintes.
Et, bien sûr, en cette période de crise sanitaire, le Covid-19 contamine les imaginaires. Dans le nouveau volet de sa série humoristique publiée sous le nom de Renate Bergmann, le personnage de mamie internaute qu’il a créé sur Twitter, Torsten Rohde met en scène la vieille dame confinée chez elle pour cause de pandémie. Ce best-seller guilleret s’efforce d’insuffler de la légèreté dans un contexte anxiogène. Après tout, elle en a vu d’autres, cette « femme des décombres » qui, après guerre, avait déblayé les gravats à Berlin.
Dans Rotkäppchen raucht auf dem Balkon, l’écrivain d’origine russe Vladimir Kaminer, longtemps une des icônes de la scène alternative berlinoise, évoque avec humour une jeunesse qui reste cloîtrée chez elle, mais pour d’autres raisons : pour « se chercher, entre le frigo et l’ordi ». Les échos extérieurs seraient-ils trop effrayants ? C’est ce que suggèrent les quatre récits qui composent le nouveau recueil de Stephen King : le roi de l’horreur y raconte, entre autres, une tuerie à l’explosif dans une école de Pittsburgh.
Face au cauchemar, peut-on résister ? Le thème fait toujours écho outre-Rhin. Dans Je reste ici, le romancier italien Marco Balzano relate le combat de Trina, une institutrice d’un village du Haut-Adige confrontée à l’italianisation forcée de sa région, rattachée à l’Italie après la Première Guerre mondiale. Comme l’indique le titre, l’héroïne refuse de fuir mais enseigne clandestinement l’allemand aux enfants du bourg. Au miroir des livres, l’Allemagne semble donc hésiter entre adieux résignés et obstination. La claustration menace ; la mort flotte. Dans Der letzte Satz, en tête des ventes, l’Autrichien Robert Seethaler raconte bien un voyage, mais il s’agit de la dernière traversée de Mahler en bateau.
— Olivier Mannoni est traducteur d’allemand et directeur de l’École de traduction littéraire. Il est l’auteur de Günter Grass. L’honneur d’un homme (Bayard, 2000).
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En Italie, Maria Montessori est la seule femme qui ait eu l’honneur de figurer sur un billet de banque : en 1990, son effigie a remplacé celle de Giuseppe Verdi sur les petites coupures de 1 000 lires en circulation jusqu’à l’introduction de l’euro. C’est dire la place familière qu’occupe dans la mémoire collective cette vieille dame aux allures d’institutrice bienveillante, icône d’une révolution universelle de la pédagogie. Pourtant, observe l’historienne Giulia Galeotti dans le quotidien du Vatican L’Osservatore romano, la plupart des Italiens ignorent le véritable sens de l’adjectif « montessorien » : « Quand il ne sert pas de slogan marketing pour vendre des produits ou des services à l’enfance, il est synonyme d’anarchie. »
C’est que, en Italie, peu de livres avaient jusqu’à présent fait sortir Maria Montessori d’un strict cercle d’initiés ou d’universitaires. Publiée à l’occasion des 150 ans de la naissance de l’éminente pédagogue (1870-1952), la biographie que signe la journaliste Cristina De Stefano offre au grand public l’occasion de découvrir à la fois son travail scientifique et sa vie privée. Car « derrière le nom de Maria Montessori se cache une pensée révolutionnaire souvent mal comprise, une vie absolument romanesque, une personnalité contradictoire et tenace croyant dur comme fer à la justesse de ses idées », écrit la romancière Sandra Petrignani dans le quotidien Il Foglio.
S’attaquer à un tel monument relevait de la gageure, mais l’auteure s’est fait une spécialité de brosser le portrait de femmes exceptionnelles : on lui doit des biographies remarquées de l’écrivaine Cristina Campo et de la journaliste Oriana Fallaci. Dans le quotidien La Repubblica, la romancière Viola Ardone salue l’« impressionnant travail de documentation » et l’« habileté » d’une narration « qui nous fait traverser l’Italie du siècle dernier ».
On suit dans Il bambino è il maestro l’étudiante déterminée à devenir médecin alors que les femmes sont quasiment absentes de l’université, la militante féministe contrainte d’abandonner un fils né hors mariage pour pouvoir poursuivre sa carrière, la sympathisante socialiste s’engageant auprès des plus démunis et élaborant une pédagogie qui place l’enfant et ses rythmes d’apprentissage au centre du processus éducatif. Un véritable bouleversement dans l’Italie du début du xxe siècle, où les enfants en difficulté sociale ou cognitive étaient parqués et condamnés au désœuvrement.
En cette période commémorative, c’est presque le portrait d’une sainte laïque qu’esquisse la presse italienne. À quelques sérieuses nuances près. Pour mettre en œuvre son grand projet, Maria Montessori dut composer avec les autorités et donc avec Mussolini, rappelle l’historien Raffaele Liucci dans le quotidien Il Sole 24 Ore. Cristina De Stefano n’élude pas ce chapitre peu glorieux. Si l’Œuvre nationale Montessori naquit sous l’égide du Duce, initialement bien disposé à l’égard de la pédagogue, « la résistance des fonctionnaires, les luttes intestines et l’absence de moyens ne firent jamais décoller la collaboration entre Maria et le régime, qui se solda au milieu des années 1930 par un échec retentissant », écrit Liucci. Mais, précise-t-il, Montessori « ne fut jamais une antifasciste déclarée. Elle était devenue « un personnage “transversal”, apolitique, pour qui seule sa méthode comptait ». Célibataire dénuée de toute autre ressource, Maria Montessori transforma son projet pédagogique en source de profit. « Après la phase pionnière, poursuit Liucci, elle devint l’administratrice attentive, parfois dénuée de scrupules, d’une marque à succès, se transformant en une sorte de mère abbesse à la tête d’un groupe de disciples totalement dévoués à sa cause. Centralisatrice, elle voulut toujours contrôler personnellement l’application de ses enseignements, ce qui en ralentit inévitablement la diffusion. » Cela explique peut-être pourquoi la méthode Montessori, acclamée à l’étranger, est si peu présente dans le système scolaire italien, où elle souffre d’une réputation d’élitisme.
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Sait-on que Donald Trump a menacé de prison, par lettre, ceux qui s’aviseraient d’aller enquêter sur son QI ? Dans un de ses premiers numéros, Books avait posé en couverture la question : « Internet rend-il encore plus bête ? » Ce n’était traiter qu’un pan d’une question beaucoup large, celle de savoir si, par hasard, la bêtise ne serait pas en progrès. L’un des signes les plus troublants reste l’élection de Trump à la présidence de la première puissance mondiale, en 2016. Pendant la campagne, le vice-président Joe Biden avait émis en public l’hypothèse que Trump était « stupide », mais force est de reconnaître que sa « stupidité » a rencontré celle d’une bonne moitié des électeurs. Ce en quoi il a manifesté une vive intelligence.
Le problème ici souligné est que le concept d’intelligence recouvre des facultés très diverses, susceptibles de se manifester de manière plus ou moins autonome. Il en va de même de la bêtise, laquelle en bon français, nous dit Littré, doit être distinguée de la sottise, caractérisée par « l’absence de jugement, absence qui ne permet pas au sot de se méfier jamais de ses idées ». Mais le fait de ne pas se méfier de ses idées, qui peut en effet être considéré comme la forme la plus courante de la sottise, n’interdit pas toute faculté de jugement ; la sottise aussi se décline par compartiments. Et la relation entre bêtise et sottise, si par bêtise on entend un faible QI, n’a rien d’évident. Dans un étonnant mémoire sur « l’intelligence des imbéciles », Alfred Binet, le père des tests de QI, remarque : « L’infériorité intellectuelle et ce que nous appelons “l’esprit faux” sont deux états mentaux assez différents : le premier peut se présenter indépendamment du second. » Et réciproquement : un QI même très élevé ne garantit en rien la faculté de bien juger.
D’après de savantes études, on assiste aujourd’hui à une tendance à la baisse du QI. Là où elle est dûment constatée, la baisse s’est amorcée chez les jeunes nés après 1975. Cela rejoint une autre tendance, celle de la baisse des résultats aux tests Pisa : en 2018, plus de 10 millions d’élèves de 15 ans vivant dans 79 pays à revenu élevé ou intermédiaire étaient incapables d’accomplir « ne serait-ce que les plus simples des tâches de lecture ». Si le phénomène est avéré, il reste à en analyser les causes. À coup sûr, la banalisation de l’accès aux réseaux sociaux par les téléphones portables n’arrange rien. Le temps d’attention des « milléniaux » est de neuf secondes, constate Bruno Patino : une seconde de plus que celle du poisson dans son bocal1. Les industriels du captage de l’attention en font leurs choux gras. On sait aussi que le portable stimule la bêtise narcissique, dont témoigne l’effarante épidémie de selfies2. François Mauriac le disait très bien, « il existe une sottise d’époque ». La question reste ouverte de savoir si la bêtise, celle de la « foule immense des imbéciles » (saint Augustin) est une constante ou peut, comme on le subodore, croître ou décroître selon l’époque. Pour revenir à Donald Trump, il est en tout cas indéniable, comme le pensait Raymond Aron, que la sottise est un moteur de l’histoire.
Divine surprise ! Alors que la société Books était en liquidation, un candidat à la reprise du titre s’est manifesté : le groupe Actissia. Books va reparaître, tous les deux mois. Le premier numéro, daté mai-juin 2021, sera livré fin avril. Tous les abonnés au Books ancien doivent en principe le recevoir. Il sera également disponible dans certaines maisons de la presse et librairies. Notre newsletter, consacrée à un livre paru à l’étranger, va également reprendre, deux fois par semaine.
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Lorsque j’ai créé Books en 2008, je n’imaginais guère les évolutions qui allaient suivre. À l’époque on ne voyait que les aspects positifs de la révolution Internet. L’idée de lancer un nouveau magazine papier était jugée ringarde par les investisseurs professionnels. Il a fallu le non conformisme de quelques particuliers pour réunir les fonds nécessaires. Ils avaient compris le sens de ma démarche : pour éclairer l’actualité profonde, il fallait sortir des prismes franco-français, ouvrir largement les fenêtres sur le vent du large. Et, en même temps, s’appuyer sur l’objet culturel qui depuis l’Antiquité reste le plus puissant véhicule des idées construites : le livre. Il ne s’agissait pas de lire tous les livres, cela va sans dire, mais de s’appuyer sur des articles de qualité rédigés par des auteurs de livres à propos d’ouvrages sortis récemment - nouveautés, rééditions ou traductions nouvelles.
Aujourd’hui l’emprise d’Internet n’a cessé de croître. Plus que jamais nous nous retrouvons submergés par une déferlante d’informations où le vrai, le faux et le douteux se mélangent. Et plus que jamais le besoin se fait sentir de prendre du recul (« mouvement en arrière que fait un corps », nous dit Littré). Voilà bien ce qu’offre Books, à sa façon décalée. Un magazine papier ! Et qui s’occupe de livres parus ailleurs !
Books s’inscrit dans un combat, pour l’intelligence et la culture au sens le plus noble du terme. Notre propos est l’actualité à la lumière des livres ; notre mot d’ordre : du bon usage de l’esprit critique.
L’élection présidentielle américaine s’annonce serrée. Une petite entreprise propose à l’un des partis de mieux cerner ses électeurs grâce une technologie compilant de vastes quantités de données. Et son candidat, qui semblait le moins bien placé, l’emporte de peu. Il ne s’agit ni de Donald Trump et Cambridge Analytica en 2016, mais de John F. Kennedy en 1960 et d’une entreprise aujourd’hui complètement oubliée, Simulmatics Corporation. L’historienne américaine Jill Lepore retrace la brève histoire de cette firme qui, selon elle, « a inventé le futur » dans If Then.
De Simulmatics à Cambridge Analytica
Fondée l’année précédant l’élection, par un publiciste et fervent supporter du Parti démocrate Ed Greenfield, Simulmatics ambitionne de prédire comment les électeurs réagiront à telle ou telle déclaration des candidats. Elle met au point un système classant les votants en 480 catégories (sexe, blanc, protestant, urbain, etc.) et utilisant les réponses aux derniers sondages et les résultats électoraux des quatre dernières élections. « C’est le genre d’analyse courante aujourd’hui dans un monde où les campagnes politiques sont microciblées et gavées de données, mais à l’époque tout cela était nouveau et devait faire ses preuves », note Shannon Bond sur le site de la radio publique américaine NPR. Simulmatics a fourni trois rapports à l’équipe de campagne de Kennedy, mais qui ne contenaient rien de ce que les conseillers du candidat ne sachent déjà.
C’est là le défaut de If Then, assure Seth Mnookin dans The New York Times. « Lepore tente de faire de Simulmatics une parabole et un précurseur d’"un XXIe siècle obsédé par les données et quasi totalitaire", mais elle ne peut pas passer outre le fait que cette entreprise a échoué dans presque toutes ses missions, et souvent de façon spectaculaire ». L’agence du département de la Défense qui fournissait à une époque 70% des revenus annuels de l’entreprise finit par la dénoncer comme une imposture discréditant la recherche comportementale. Simulmatics fait faillite en 1970.
Une époque obsédée par les données
Mais son échec n’est pas important, assure Lepore, car les ambitions de Simulmatics sont aujourd’hui devenues réalité. Et Mnookin la rejoint sur ce point. Aujourd’hui, écrit Lepore, l’humanité se trouve « dans une machine qui applique la science de la guerre psychologique à la vie quotidienne, une machine qui manipule l’opinion, exploite l’attention, traite l’information comme une marchandise, divise les électeurs, brise les communautés, aliène les individus et ébranle la démocratie. »
« Quand, las de son humour à quatre sous, je finissais par prendre congé de lui, Alberto se cassait en deux, regardait ses godasses, et me saluait invariablement par un “O mio curry !”. Pendant des années je me suis demandé pourquoi ce crétin m’appelait son curry, jusqu’à ce que, vingt ans plus tard, Olivier me propose d’illustrer ce mot japonais dans ma chronique pour Books. » D. P.
Omiokuri, « accompagner du regard une personne qui part », désigne la pratique japonaise consistant à se courber et à rester longtemps dans cette position même lorsque la ou les personnes qui ont pris congé sont déjà loin voire ont disparu de la vue.
Aidez-nous à trouver le prochain mot manquant:
Existe-t-il dans une langue un mot pour désigner le fait de considérer que, sur un sujet politique sensible, les arguments des uns valent d’être présentés sur le même plan que ceux des autres, comme s’ils pouvaient s’équilibrer ?Écrivez à
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