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Le point de départ du nouveau livre d’Adda Djørup, c’est le rejet de l’art du roman, de la fiction. L’ouvrage débute ainsi : « J’ai ­arrêté d’écrire des romans en avril, au moment où le printemps arrivait à Copenhague. » Avec cette première phrase, le livre s’inscrit d’emblée dans la catégorie des textes fondés sur la négation de l’écriture, et son auteure dans la grande tradition des « écrivains négatifs » sans lesquels la littérature européenne telle que nous la connaissons n’existerait pas.

Parmi eux, il y a ceux qui, à l’instar d’Adda Djørup, ont écrit sur le refus de l’écriture (Kafka, ­Hofmannsthal) ; ceux qui ont arrêté d’écrire tout court (Rimbaud), ceux qui n’ont jamais écrit (Socrate) et ceux qui ont cherché une sorte de degré zéro de la littérature (Celan, Beckett, Blanchot). Et, comme chez tous ces écrivains, cette posture de ­refus se révèle très féconde chez Adda Djørup.

La narratrice est une mère célibataire qui gagne de quoi subvenir à ses besoins et à ceux de sa petite fille en écrivant des romans « de facture honnête, avec un début, un milieu et une fin ». Mais vient un jour d’avril où elle entend la voix doucereuse du bouleau devant sa fenêtre lui souffler des questions sur l’utilité de l’écriture. Sous l’effet de cette voix, elle se met à ressentir « le poids étrangement cotonneux de toutes les heures de [sa] vie [qu’elle a] passées à écrire des romans, à lire des romans, à penser aux romans, à parler de romans ». « J’ai eu le sentiment d’être face un mur massif, infiniment haut, infiniment large. Derrière lui existe une autre vie, une vie sans fiction. La vie, tout simplement. » Elle prend alors une décision définitive : « J’arrête d’écrire. J’arrête immédiatement ! »

Le sevrage romanesque de l’écrivaine s’apparente à la cure de désintoxication d’un alcoolique. Elle se débarrasse de tout ce qui pourrait constituer une tentation pour elle : son ordinateur, ses livres. Dans un premier temps, elle garde le clavier, mais elle finit par le jeter, lui aussi, parce qu’elle ne peut pas se retenir d’y taper des mots, sans produire autre chose que des sons.

La toxicomane trouve alors des échappatoires : avec un feutre bleu de sa fille, la non-écrivaine rédige un manuscrit, une histoire de meurtres à Venise, avec des va-et-vient temporels et des Doppelgänger, des doubles maléfiques. Ce manuscrit, qui est retranscrit dans le livre, est écrit d’une façon étrange, un peu à la manière d’une esquisse ou d’un synopsis qui semble se conformer à la définition de l’écriture donnée par Marguerite Duras : « Écrire, c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait – on ne le sait qu’après – avant, c’est la question la plus dangereuse que l’on puisse se poser. Mais c’est la plus courante aussi. » 1

Comme on le sait, le refoulé a pour habitude de refaire surface. C’est quand la romancière décide d’abandonner l’écriture que celle-ci commence véritablement. Au moment où elle lève son regard du bureau et le dirige vers la « réalité », elle voit le vieux bouleau qui est devant sa fenêtre et fait une description verbale de son feuillage bruissant et vert clair comme seule la littérature sait le faire. La voix qui émane des feuilles de l’arbre est une figure également fort littéraire, qui s’autorise de surcroît, en ce mois d’avril, un détour par T. S. Eliot :

« Avril est le plus cruel
des mois, il engendre
Des lilas qui jaillissent de
la terre morte, il mêle
Souvenance et désir,
il réveille
Par ses pluies de printemps les racines inertes. » 2

Quand la narratrice se laisse distraire par la « réalité », c’est bien la littérature qu’elle rencontre. Elle ne parvient pas à livrer le manuscrit écrit au feutre bleu à son éditrice car, alors qu’elle pédale vers son rendez-vous par une journée d’été, elle aperçoit un énorme chat au poil noir luisant : « Il était assis sur le mur du cimetière Assistens dans une posture très humaine. Ses pattes avant reposaient sur le mur. Ses pattes arrière, écartées, ­pendaient sur le bord. De même que ses grandes couilles velues, qui se dessinaient clairement contre le mur ocre tandis qu’un grand membre rose en érection pointait vers le ciel chaud et bleu. »

La vue du chat incite la narratrice à entrer dans le cimetière, où elle en oublie sa mission d’écrivaine au profit de la « vraie vie » mais finit paradoxalement par se perdre complètement dans la fiction. En effet, le chat ne tarde pas à la rejoindre dans le parc. Il se révèle n’être autre que le chat Béhémoth du ­roman de Mikhaïl Boulgakov Le Maître et Marguerite. En pénétrant dans la réalité du parc, la narratrice fait une chute comme Alice dans le roman de Lewis Carroll : « Plus bas, encore plus bas, toujours plus bas. Est-ce que cette chute ne finirait jamais ? »

Dans le roman de Boulgakov, le chat Béhémoth est à la solde de Satan. Chez Djørup, le chat géant semble également offrir à l’héroïne une sorte de pacte avec le diable. Elle se sent partagée entre le désir d’écrire et celui d’être « utile à l’humanité », mais Béhémoth lui propose une troisième voie : celle qui consiste à « reconnaître sa complète insignifiance, son impuissance, et à jouir du petit morceau de la vie qu’on a reçu ».

Le chat libertin libère le désir sexuel qui habitait depuis longtemps le corps de la narratrice : « Un coup menait à l’autre, dans le lit, sur le canapé, sur la table de la cuisine, contre des étagères vides. L’inventi­vité sexuelle de l’être humain est sans bornes. Ajoutez à cela un énorme chat très souple avec un pelage épais et doux, une queue sensible, une longue langue rose, des griffes, des moustaches et une gamme de ronronnements allant du frémissement des moustaches contre la peau tendue d’un tambour au bruit assourdissant d’un hélicoptère. »

Le chat et la femme s’envolent (Béhémoth n’est pas seulement un chat libertin, c’est aussi un chat volant) de soirée en soirée comme deux jet-setteurs. Ils sont toujours reçus comme des rois, Béhémoth en fourrure, notre héroïne en costume d’Ève. Mais, progressivement, les fêtes exubérantes se transforment en visions de vanités apocalyptiques, grotesques et bestiales, dans le style des tableaux de Jérôme Bosch.

Dans Le Maître et Marguerite, Satan et son entourage participent d’une satire contre la bureaucratie soviétique qui étouffe l’art littéraire. Djørup donne, elle aussi, une fonction satirique à son chat diabolique. Au cours de sa longue vie, il a été Consigliere, « Éminence ». Désormais, il est « consultant » et se fait payer en âmes pour « accom­pagner les individus et les organisations particulièrement dynamiques et innovants vers une compréhension plus pragmatique et axée sur les résul­tats d’une série de concepts de base ». Chez Boulgakov, la cible de la satire était le totalitarisme, chez Djørup, ce sont les métiers du management et du conseil, qui dominent le monde postcapitaliste.

« Pourquoi tout est-il parfait pour qui ne désire rien ? » se demande à plusieurs reprises la narratrice en contemplant le bouleau au printemps ou la pleine lune en hiver. Le roman est une fable aussi comique que sérieuse sur une femme qui dési­rerait ne rien désirer mais qui finit par désirer un gros chat, ­lequel désire son âme et est prêt à satisfaire les ­désirs de la ­société, qui se résument à la jouissance, aux résultats et au calcul pragmatique.

Chez Boulgakov, le diabolique est l’arme de la satire, formant une démonie comique qui finit par tourner en dérision la dictature totalitaire. Chez Djørup, le chat diabolique incarne plutôt la cible de sa satire : l’impératif de la jouissance et l’industrie du conseil. Chez Boulgakov, le rire caractérise Satan. Chez Djørup, il réside plutôt dans l’humour ­irrésistible qui imprègne toute sa prose.

« Le rire est-il le jumeau du désespoir ? » se demande la narratrice tandis que le chat, pour l’impressionner, monte sur le clocher de la cathédrale de Copenhague et se pose à côté de la croix, telle la figure de proue d’un navire. La prose de Djørup résonne d’un rire désespéré mais aussi satirique, tendre, grotesque, critique. Et elle écrit diaboliquement bien.

— Lilian Munk Rösing est professeure de littérature à l’Université de Copenhague et critique littéraire au quotidien danois Politiken.

— Cet article est paru dans Le Grand Continent le 20 mars 2020. Cette revue en ligne, dont Books est partenaire, est publiée par le Groupe d’études géopolitiques de l’École normale supérieure. Elle traite de l’actualité dans une perspective européenne et propose chaque semaine le compte rendu d’une œuvre de fiction parue récemment dans un pays d’Europe.

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Il était évident pour tous les principaux acteurs de l’époque que l’heure était venue d’être dirigés par le seul qui avait vu juste sur Hitler et les nazis dès le début et non par les sermons de quelqu’un qui, tout pieux et honnête qu’il fût, s’était fourvoyé presque jusqu’au bout. Si les discours que prononçait Halifax à l’époque étaient bien vus et d’une grande noblesse d’esprit, ils n’avaient ni le feu ni la poésie de ceux de Churchill.

En déclarant tout de go à la Chambre des lords qu’il ne pensait pas que Halifax pût s’acquitter de ses fonctions de Premier ministre, il est clair que Churchill s’est véritablement emparé du poste, et non qu’on le lui a livré sur un plateau, comme il a préféré le faire croire dans ses Mémoires. Il n’y avait rien là que de parfaitement conforme à la manière dont il s’était comporté toute sa vie. Il s’était toujours lancé dans l’arène et n’avait jamais ressenti la moindre culpabilité ni le moindre embarras en réclamant ce qu’il estimait être son dû. Son voyage au Soudan sans l’autorisation de son régiment en 1898, son évasion de la prison de Pretoria en 1899, sa visite à Sidney Street en 1911, sa mobilisation de la marine sans l’aval du Conseil restreint en 1914, sa réquisition des navires de guerre turcs en août 1914, sa défense d’Anvers en octobre 1914, son ordre d’attaquer Koltas sans la sanction du gouvernement en 1919, ses pourparlers de paix avec Michael Collins en 1921 sans demander l’avis des députés conservateurs, son achat de Chartwell en 1922 sans l’accord préalable de [son épouse] Clementine, et son ordre au Cossack de partir à l’abordage de l’Altmark en février 1940 : tout cela constituait des occasions saisies, un passage à l’action sur-le-champ sans se soucier des conséquences. Son héros Napoléon jugeait que le succès était sa propre justification. Cela faisait plus de trente ans qu’il avait la réputation de courir après les portefeuilles ministériels, alors pourquoi en aurait-il été autrement pour le plus élevé d’entre eux, qu’il convoitait depuis encore plus longtemps ?

Churchill s’était mis en avant d’une manière considérée comme presque étrangère aux usages britanniques, et qui était fort loin du culte de l’amateur inspiré qui avait été inculqué à tant de ses contemporains et en vertu duquel les récom­penses de l’existence étaient censées leur tomber toutes cuites dans le bec. Reje­tant complètement cette attitude, Churchill avait refusé le poste de secrétaire financier au Trésor que lui offrait Campbell-Bannerman afin de représenter le Colonial Office aux Communes, de même qu’il avait refusé le poste de secrétaire principal à l’Irlande offert par Asquith en préférant attendre celui de ministre de l’Intérieur. Il s’était proposé comme Premier lord de l’Amirauté à Asquith en 1911 et ministre de la Défense à Lloyd George en 1919, à qui il avait exprimé son mécontentement de ne pas avoir été nommé chancelier de l’Échiquier en 1921. Il avait ouvertement manifesté son désir d’être fait ministre de l’Approvisionnement devant Baldwin aussi bien que devant Chamberlain, et, en avril 1939, il avait invité Margesson au restaurant pour l’informer « sans ambages de son puissant désir d’être appelé au gouvernement ». En 1940, il avait tout fait pour devenir ministre de la Défense, en fait, sinon en droit. Maintenant que le poste de Premier ministre était concrètement à sa portée pour la première mais aussi peut-être la dernière fois, il n’allait pas s’effacer derrière un partisan hésitant de l’apaisement et, à ses yeux, non qualifié en matière militaire. En outre, Churchill était authentiquement convaincu que sa présence aux commandes avait davantage de chances de préserver la Grande-Bretagne et son empire que celle de Halifax.

Car si Clementine avait fini, en juin 1937, par abandonner l’espoir de voir un jour son mari devenir Premier ministre, ce ne fut jamais son cas. Cet espoir l’avait animé et poussé même quand il semblait n’y avoir aucun chemin susceptible de le mener à Downing Street. « Dans les hautes fonctions que j’occuperai, il me reviendra de sauver la capitale et l’Empire », avait-il prédit devant Murland Evans quand il avait 16 ans. Au moment de la démission d’Eden, il s’était décrit comme le chef officieux de l’opposition et, au cours des huit derniers mois, il n’avait jamais pris la peine – peut-être à tort – de déguiser son ambition dévorante. Il avait la chance que la pénurie de talents au sein du monde politique britannique fût telle que, dès lors qu’on admettait qu’il fallait que Chamberlain s’en aille, il n’y avait pratiquement personne d’autre à part Halifax pour pouvoir prétendre au poste. Eden, Cranborne et Duff Cooper étaient les seuls ministres à avoir démissionné pour protester contre la politique d’apaisement prônée par Chamberlain, mais ­aucun n’avait suffisamment de poids à l’époque pour qu’on pût voir en lui un Premier ministre potentiel, pas plus que Leo Amery, John Anderson ou lord Chatfield. À 44 ans, Oliver Stanley était trop jeune. Lloyd George avait 77 ans, mais il était pour la paix et encore plus impopulaire que Churchill dans l’establishment. Il avait également salué en Hitler le « soldat inconnu allemand ressuscité ». De surcroît, aucun d’entre eux n’avait autant de fascination que Churchill pour la guerre et la haute stratégie – ni non plus sa soif de pouvoir. Par ailleurs, celui-ci était à la fois un homme du sérail qui avait été chancelier de l’Échiquier et ministre de l’Intérieur, et un étranger au sérail qui était resté éloigné des ministères pendant toutes les années 1930, hormis les quatre derniers mois. Son âge, 65 ans, n’était pas retenu contre lui, car il respirait l’énergie et remplaçait le septuagénaire Chamberlain.

La réunion de 16 h 30 se conclut donc sur un accord qui prévoyait que ­Chamberlain conseillerait au roi d’appeler Churchill si les travaillistes annonçaient le lendemain qu’ils refusaient de participer à un gouvernement dirigé par Chamberlain. Churchill et Halifax passèrent ensuite quelque temps ensemble dans le jardin du 10 Downing Street. Bob Boothby, qui était resté aux Communes toute la journée, écrivit le soir à Churchill en lui donnant la liste de ceux qui s’opposeraient à Halifax. « C’est un groupe très puissant », précisait-il, sans savoir que Halifax n’était plus en lice. En fait, les quatorze députés répertoriés ne constituaient qu’un assemblage hétéroclite d’obscurs sans-grade pour la plupart – tout sauf un groupe puissant.

Le temps manquait pour que l’on pût faire un appel public concerté pour que Churchill succédât à Chamberlain. Il revenait uniquement à celui-ci de décrocher la timbale par la seule force de sa personnalité et grâce au poids que lui donnait le fait d’avoir eu raison à propos d’Hitler. Le soir, à 20 h 30, en dînant avec Eden et Sinclair, Churchill, qui paraissait « calme et tranquille », leur annonça, selon Eden, que, dans l’hypothèse où les travaillistes ne voudraient pas se joindre à Chamberlain, le Premier ministre « conseillerait au roi de l’appeler ». En effet, « Edward [Halifax] ne souhaitait pas prendre la succession [vu] la trop grande difficulté de sa position au Parlement ». Il proposa le ministère de la Guerre à Eden, qui l’accepta avec gratitude.

Cela peut être déplaisant à admettre à notre époque plus égalitaire, mais Churchill est devenu Premier ministre au terme d’un processus qui était loin d’être démocratique. Il n’a pas été choisi par un vote du Conseil restreint, ni par le corps électoral national, ni même par un comité ou un cénacle élu par des députés, mais par le plus petit électorat autoproclamé imaginable : Chamberlain, Churchill, Halifax et Margesson. Tous quatre sortaient de coûteux collèges privés : deux de Harrow (Churchill et Margesson), un de Rugby (Chamberlain) et le dernier d’Eton (Halifax). Trois sur quatre de ces Anglais d’âge mûr venaient des classes supérieures (Margesson était le neveu d’un comte), et le père de Chamberlain, l’un des plus grands hommes d’État de la Grande-Bretagne victorienne, aurait sans aucun doute fini vicomte ou comte s’il n’avait pas été emporté par une crise cardiaque. Non seulement on ne demanda pas l’avis des travaillistes et des libéraux, mais l’unique personne requise pour confirmer le choix fait par cette minuscule cabale, totalement non représentative de la population britannique, était son monarque héréditaire non élu, le roi Georges VI. Si n’importe laquelle de toutes les grandes institutions politiques – le Conseil restreint, le Conseil privé, le Parti conservateur, la Chambre des lords – avait été consultée, c’est vraisemblablement Halifax qui aurait été désigné, surtout si l’on avait pris en compte les préférences de la City, de la BBC, du Times, de l’Église d’Angleterre et ainsi de suite. Churchill s’était mis en situation éligible par ses discours et ses allocutions radiodiffusées, par sa perception précoce de la menace nazie et par sa persistance à exhorter ses compatriotes à se préparer à la guerre, mais, en mai 1940, on se méfiait encore de son jugement dans de larges cercles de l’establishment britannique.

Le lendemain, vendredi 10 mai 1940, à l’aube, Hitler envahissait le Luxembourg, les Pays-Bas et la Belgique. L’offensive que Churchill avait prévue avec clairvoyance pour le printemps était maintenant déclenchée, même si personne n’aurait su prédire qu’elle aurait lieu au beau milieu d’une crise politique britannique de grande ampleur. Le Conseil restreint se réunit à 8 heures et apprit la tentative allemande de contournement de la ligne Maginot. Churchill eut l’idée de semer la zizanie en Allemagne en offrant l’asile en Grande-Bretagne à l’ex-Kaiser, qui vivait en exil aux Pays-Bas. (En fait, Guillaume II était ravi des conquêtes ­d’Hitler.) Au cours de la réunion, Chamberlain ne fit aucune allusion à son intention de démissionner, et à 11 h 30 il avait fini par conclure que la situation militaire était si grave qu’elle justifiait entièrement un report de sa démission. Il demanda à Attlee de publier une déclaration de soutien au gouvernement ; mais, quand celle-ci parut, elle ne parlait que de l’effort de guerre, sans mention de soutien au gouvernement en général ni au Premier ministre en particulier.

Sir Horace Wilson, secrétaire permanent au Trésor et chef de la fonction ­publique métropolitaine, que Chamberlain avait envoyé rencontrer Hitler pendant la crise de Munich, « s’indigna tout particulièrement » de la position des travaillistes. Mais Kingsley Wood expliqua sans ambages au Conseil restreint que l’offensive d’Hitler signifiait que désormais la pression sur Chamberlain pour qu’il cédât la place immédiatement avait augmenté, et non pas diminué. Hoare soutenait le Premier ministre, mais comme il l’écrirait : « Personne ne prit la parole pendant la séance à part moi. Edward [Halifax] parfaitement insensible. » Eden avait eu beau qualifier dédaigneusement Wood de « quelqu’un qui faisait penser à un utile notaire de famille », ce fut cependant ce politicien insignifiant qui, dans les faits, mit fin aux fonctions de Chamberlain. Cela allait bientôt lui valoir d’être nommé chancelier de l’Échiquier, tout comme le rapide changement de cap de Margesson lors de la réunion de la veille à 16 h 30 lui assurait d’être récompensé lui aussi par des fonctions importantes.

À Bournemouth, à 15 h 40, Attlee rencontra le comité exécutif national des travaillistes, qui tomba d’accord à l’unanimité pour que le parti entre au gouvernement, mais pas dirigé par Chamberlain. Attlee et Greenwood trouvèrent une cabine téléphonique dans l’hôtel, depuis laquelle ils communiquèrent l’information à Downing Street à 16 h 45 avant d’aller prendre le train de 17 h 15 pour la gare de Waterloo, à Londres.

Au cours de l’après-midi, des fidèles réunis autour du Premier ministre firent une nouvelle tentative pour persuader Halifax de changer d’avis. Le secrétaire chargé des relations avec le Parlement de Chamberlain, lord Dunglass, téléphona à « Chips » Channon au ministère des Affaires étrangères pour lui dire de demander à « Rab » Butler de faire revenir Halifax sur sa décision. Channon s’exécuta, comme il l’a raconté :

Je réussis à persuader Rab de se rendre au cabinet de Halifax pour une toute dernière tentative. Il apprit que Halifax s’était éclipsé pour aller chez le dentiste sans que Rab le voie – et il se pourrait bien que Valentine Lawford [le chef de cabinet de Halifax], qui avait omis de dire à Halifax que Rab l’attendait, ait joué un rôle négatif décisif dans l’histoire.

Channon en resta « prostré de dépit ». Il semble peu vraisemblable que Halifax serait allé chez le dentiste si le poste de Premier ministre avait encore eu un réel intérêt pour lui à ce stade. Chamberlain se rendit ensuite à Buckingham Palace, où le roi consigna leur entretien dans son journal :

J’ai vu le P. M. après le thé. Il m’a annoncé qu’il souhaitait démissionner pour permettre à un nouveau Premier ministre de former un gouvernement. J’ai accepté sa démission en lui disant à quel point je jugeais qu’il avait été traité avec une grande injustice et à quel point je regrettais que toute cette polémique ait vu le jour. Ensuite, nous avons abordé à bâtons rompus la question de son successeur. Bien sûr, j’ai suggéré Halifax, mais il m’a répondu qu’H n’était pas enthousiaste, car étant aux Lords il ne pouvait que hanter comme un spectre les couloirs des Communes, où tout le véritable travail législatif se déroulait. Cette information m’a beaucoup déçu, car je pensais qu’H était l’homme de la situation et que son titre de noblesse pouvait être mis en sommeil pour la durée voulue. Je savais qu’alors il n’y avait qu’une seule personne à qui je puisse demander de constituer un gouvernement, et c’était Winston. Quand j’ai demandé conseil à Chamberlain, il m’a dit que c’était Winston qu’il fallait appeler.

Il est difficile d’imaginer qu’ait pu se dérouler un entretien « à bâtons rompus » entre le roi et son Premier ministre sortant sur le nom du successeur, et ce en pleine guerre mondiale, mais, si l’on donne crédit à ces propos, Chamberlain n’a même pas eu à suggérer Churchill au roi, qui avait déjà deviné, malgré toutes ses réserves, qu’il représentait la seule autre possibilité. Ce fut donc Churchill qui fut appelé, le soir même, pour 18 heures. Il racontera la scène dans ses Mémoires :

Sa Majesté m’accueillit avec la plus extrême courtoisie en me priant de m’asseoir. Il me dévisagea quelques instants, intrigué, puis me demanda : « Je suppose que vous ne savez pas pourquoi je vous ai fait venir ? » Adoptant la même tonalité, je répondis : « Sire, je n’en ai pas la moindre idée. » Il se mit à rire, puis me dit : « Je veux vous demander de former un gouvernement », sur quoi je déclarai que j’acceptais bien volontiers.

Cette charmante anecdote, où le roi transforme en petite plaisanterie le fait de nommer un Premier ministre en temps de guerre à un moment où les Allemands passaient à l’offensive, a toujours été prise pour argent comptant. Or il apparaît clairement d’après les notes prises par le roi dans son journal qu’il était sincère en pensant que Churchill ne savait pas pourquoi il l’avait fait venir et qu’il prit au sérieux la réponse de Churchill à ce que ce dernier avait considéré comme une plaisanterie :

J’ai fait venir Winston et lui ai demandé de former un gouvernement. Il a accepté en me disant qu’il ne pensait pas que c’était la raison pour laquelle je l’avais fait venir. Il avait, bien sûr, imaginé que c’était une possibilité et il m’a cité le nom de certains de ceux à qui il demanderait d’entrer dans son gouvernement. Il était plein de fougue et de détermination pour accomplir les fonctions de Premier ministre.

— Ce texte est un extrait du livre Churchill, d’Andrew Roberts, paru le 27 août aux éditions Perrin. Il a été traduit par Antoine Capet.

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En dix ans, elle a vendu 6,4 millions de livres. « Plus qu’il n’y a d’habi­tants en Finlande », remarque le journaliste et romancier ­Takis Würger, qui s’interroge dans l’hebdomadaire Der Spiegel sur le phénomène Rita Falk. Dans ses romans, dont plusieurs ont été adaptés à l’écran, elle met en scène un policier bava­rois (comme elle) nommé Franz ­Eberhofer, qui officie dans le village fictif de ­Nie­­derkaltenkirchen.

Depuis 2010, Rita Falk publie près d’un polar par an, qui se retrouve presque immanquablement en tête des ventes. Ce fut le cas de Choucroute maudite, ­Bretzel Blues et Pression fatale (entendre « bière pression », bien sûr), pour ne citer que ceux qui ont été traduits en français aux éditions Mirobole.

Comme on peut en juger par les titres, la nourriture, surtout carnée, y tient une place prépondérante : les personnages dévorent sans vergogne saucisses, choucroutes et pains de viande. Rien ne prédisposait pourtant Rita Falk à devenir l’« Agatha Christie bavaroise », rappelle Würger. À 55 ans, elle n’avait encore jamais rien écrit jusqu’à ce que, se retrouvant au chômage, elle s’installe à la table en bois de sa cuisine pour pianoter sur son ordinateur.

En deux mois, elle boucle un premier roman sur « un jeune homme dont le meilleur ami, après un accident de moto, se retrouve dans le coma ». Le manus­crit est refusé par tous les éditeurs à qui elle l’adresse : « Trop triste. » Qu’à cela ne tienne : l’ancienne employée de bureau se lance dans le livre « le plus déjanté, gonflé et drôle » qu’elle puisse imaginer. Niederkaltenkirchen et Franz ­Eberhofer sont nés.

« Est-ce du roman de gare ? » se demande Würger. Peut-être, mais, pour atteindre des chiffres de ventes aussi stratosphériques et déplacer les foules à chacune de ses lectures publiques (une tradition encore bien vivace en Allemagne), ne faut-il pas tout de même un petit talent ? À en croire les libraires interrogés par Würger, Rita Falk a un indéniable « don d’observation » : « Ses intrigues criminelles ne constituent qu’un point de départ pour déconstruire, de façon impitoyable, un paysage et des personnages que tout le monde connaît. » L’auteure recrée avec brio un monde familier à ses lecteurs : « Le matin, on salue les voisins par-dessus la haie du jardin, on joue au foot dans le club local, on a des rapports sexuels normaux. Le soir, on boit de la bière, on écoute les Beatles, et, de temps en temps, on mange des saucisses. » Dans ses romans, « les gens sont aux prises avec des problèmes ordinaires : des dettes de jeu, un père agaçant, un chef qui ne vous fait pas confiance ». Chacun s’y retrouve. Cela peut sembler dérisoire, mais, pour Würger, cela fait déjà de Falk une « meilleure auteure » que beaucoup d’autres en Allemagne. 

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En novembre 1898, au moment où s’engage en France la révision du procès Dreyfus, des suprémacistes blancs prennent le pouvoir par la force dans la ville de Wilmington, en Caroline du Nord. Selon le journaliste David Zucchino, qui a mené une minu­tieuse enquête rétrospective, une soixantaine de Noirs seront tués par arme à feu au cours de l’événement. Plus d’un siècle plus tard, celui-ci illustre les raisons pour lesquelles la question noire demeure aujourd’hui si aiguë.

Nous sommes vingt ans après la fin de la guerre de Sécession. Les Noirs sont majoritaires à Wilmington et plusieurs quartiers sont mixtes, rapporte Caleb Crain dans The New Yorker. « Il y a quelques années encore, les meilleurs sentiments prévalaient entre les races », écrit un romancier noir en 1900.

Dans l’État, l’ascension politique des Noirs est sensible. En 1896, l’un d’eux est élu au Congrès, où il est le seul représentant des Afro-Américains. D’autres sont élus à l’Assemblée et au Sénat de l’État. À Wilmington, dont le maire est républicain, plusieurs conseillers municipaux sont noirs, et divers postes clés sont occupés par des Noirs.

C’en est trop pour le Parti démo­crate, qui avait milité pour la sécession et le maintien de l’esclavage. En vue des élections de l’État prévues en novembre 1898, ils lancent une virulente campagne de propagande anti-­Noirs, relayée par le principal quotidien de Raleigh, la capitale, qui multiplie les unes sensationnalistes, infox à l’appui, contre le « pouvoir nègre ». Les démocrates créent plus de 800 clubs dont la charte appelle à la « suprématie de la race blanche ».

Et, à Wilmington, décision est prise de s’emparer du pouvoir. L’opération est soigneusement programmée. La ville est quadrillée par des patrouilles de nuit menées par l’ex-dirigeant local du Ku Klux Klan. Une rumeur est lancée : les Noirs prépareraient un soulèvement. La population blanche, mise en alerte, se procure des armes. Dans la presse, le ton monte. Un quotidien reproduit le discours de l’épouse d’un élu de Géorgie justifiant le lynchage « pour protéger ce que la femme possède de plus cher contre les bêtes ­humaines ­déchaînées ».

Le patron de l’unique quotidien noir, le Daily Record, réplique que les femmes blanches ne sont pas moins nombreuses à rencontrer clandestinement des hommes de couleur que les Noirs des femmes blanches. Résultat : les annonceurs blancs se retirent, le journal doit déménager et son directeur reçoit des menaces de mort. Un avocat connu pour avoir défendu des lyncheurs, excellent orateur, demande à un auditoire survolté s’ils sont prêts à ­renoncer à leur liberté au profit d’une « populace de Nègres déguenillés menée par une poignée de Blancs lâches » et en ­appelle au meurtre.

Le jour J est fixé au lendemain des élections de l’État. Le soir du scrutin, 150 Blancs investissent un bureau de comptage des votes dans un quartier majoritairement noir de Wilmington. Le candidat démocrate local remporte l’élection avec plus de voix qu’il n’y avait d’inscrits. Le lendemain matin, 450 Blancs signent une « Déclaration d’indépendance » pour « en finir avec le pouvoir des Nègres » : 85 % des signataires appartiennent aux classes moyennes ou supé­rieures. Après quoi quelque 1 500 hommes – portant pour certains cravate et chapeau à la mode et parmi lesquels on remarque des ecclésiastiques et des hommes de loi – mettent le feu au siège du Daily Record. Et puis c’est le carnage. Plus de 60 cadavres de Noirs jonchent les rues. Le maire et les conseillers muni­cipaux sont chassés. Nombre de Noirs quittent la ville pour ne plus y revenir. Nul supré­maciste ne sera pour­suivi. Désormais dominée par les démocrates, l’Assemblée de ­Caroline du Nord prive les Noirs de droit de vote pendant plus de deux géné­rations. En 2018, note Caleb Crain, elle a adopté un amendement réservant ce droit aux déten­teurs d’une pièce d’identité avec photo délivrée par l’État, ce qui limite de fait le vote noir.

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La bande dessinée tchèque se porte à merveille, se réjouit le quotidien tchèque en ligne Aktuálně.cz. Mieux : « Elle commence à avoir son mot à dire sur la scène mondiale. » Dénigrée sous le communisme (produit typique de l’Occident décadent), encore sous-estimée ensuite, elle est désormais honorée : des auteurs nationaux ont émergé, plusieurs ont été traduits, et le semestriel belge Stripgids lui a même consacré un dossier. Une consécration : « L’influent Stripgids présente des œuvres de Jiří Grus, de Pavel Čech, de Lucie Lomová et d’autres artistes talentueux : désormais, le meilleur de la BD tchèque sera connu par les lecteurs du pays de Tintin, des Schtroumpfs et de Lucky Luke. » Et de citer le spécialiste Pavel Kořínek : « La bande dessinée tchèque, dont les auteurs se caractérisent par leur confiance en soi, leur enthousiasme et leur désir d’expérimenter, n’a jamais été de meilleure qualité, en termes de diversité, d’imagination et d’ambition. »

Dernière illustration en date de cet envol, la parution en France de l’album Le dragon ne dort ­jamais, sorti en 2015 en République tchèque. L’ouvrage est présenté dans la presse comme une œuvre d’art alors qu’au départ il s’agissait d’une commande de la ville de Trutnov, désireuse de raconter à ses habitants et aux touristes l’histoire de la naissance de la cité et la légende qui l’entoure : au tout début du XIe siècle, le seigneur Albrecht, missionné pour fonder une ville dans les monts Métallifères, se retrouve confronté, avec les paysans qui l’accompagnent, au dragon qui veille sur les lieux. « Džian Baban et Vojtěch Mašek, scénaristes de cinéma, ont incorporé à un récit médiéval fantastique des personnages secondaires hauts en couleur et de nombreuses intrigues parallèles », observe le magazine littéraire en ligne iLiteratura.

Ils explorent ainsi les thèmes de l’héroïsme et de la lâcheté, du sens des responsabilités et de la tentation – parmi les personnages, il y a ceux qui préfèrent se soumettre à la bête, ceux qui sont prêts à la combattre au péril de leur vie et ceux qui savent exploiter les craintes des autres.

Le tout est magnifié par une explosion de tons rouges et bruns, qui évoquent un paysage d’automne inhospitalier, la couleur de la terre locale mais aussi la menace qui pèse sur les personnages : le sang et le feu du dragon. « Peut-être aussi parce qu’il est originaire de Trutnov, l’illustrateur Jiří Grus s’est surpassé pour accomplir un tour de force à la fois qualitatif et quantitatif. Sur 160 pages, son trait ne faiblit jamais », s’enflamme iLiteratura. Le magazine Respekt salue, pour sa part, le propos politique très actuel de l’album : le choix de tuer le dragon ne symboliserait-il pas la profanation et la domination de l’environnement par l’homme ? « Pour nos ancêtres, il était évident que la conquête de la nature signifiait le triomphe de l’humanité. Les auteurs suggèrent, eux, qu’une approche plus empathique pourrait être ­choisie. »

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Le terme Harmaguédon (Armageddon, en anglais) est une déformation de l’hébreu Har Megiddo, « la montagne de Megiddo ». Dans le livre de l’Apocalypse, Harmaguédon est le lieu de l’ultime bataille entre les forces du bien et du mal. Voilà qui explique l’utilisation de ce mot pour parler de la fin du monde et l’afflux de touristes sur le site archéologique de Megiddo, situé à 90 kilomètres au nord de Jérusalem. 

Cette colline que les spécialistes fouillent depuis le début du XXe siècle est le résultat de l’empilement d’une vingtaine de cités d’époques différentes. La strate XX juste au-dessus de la roche, la plus ancienne, garde les traces d’un campement du néolithique. La strate I, qui offre une vue splendide sur la vallée de Jezréel, date des Perses. Entre les deux, on trouve les traces de peuplements cananéens, israélites, assyriens, babyloniens…

De l'Apocalypse au roi Salomon

Fin connaisseur du site, l’archéologue et anthropologue américain Eric H. Cline s’intéresse dans Digging up Armageddon à ceux qui l’ont fouillé. Il mêle « l’analyse détaillée des strates et des objets à l’excavation héroïque d’informations biographiques, d’anecdotes personnelles et de guerres intestines depuis la première campagne de fouilles de 1903-1905 », observe le journaliste scientifique Andrew Robinson dans la revue Nature.

Cline s’intéresse particulièrement aux années 1925-1939, période durant laquelle le chantier fut placé sous la responsabilité de l’Institut oriental de l’université de Chicago. Son directeur, l'égyptologue James Henry Breasted, et son mécène, le magnat John D. Rockefeller, étaient fascinés par les références bibliques qui lient le site au roi Salomon. 

Mystères de l'archéologie biblique

En 1928, leur équipe croit avoir trouvé les écuries du roi mythique décrites dans les textes. « Mais, comme souvent en archéologie, le débat n’est pas clos. La configuration des lieux évoque une écurie, mais on n’a déterré aucun os de cheval ; et si des restes de céréales y ont été mis au jour, aucune analyse n’a été publiée. Sans compter qu’aucune inscription relevée à Megiddo ne mentionne Salomon », précise Robinson. « Au moins quatre strates différentes de Meggido ont été surnommées "cité de Salomon". Les écuries de Salomon sont devenues celles d’Achab, et, selon Cline, pourraient être désormais attribuées à Jéroboam II », ajoute l’historien Dominic Green dans l’hebdomadaire britannique The Spectator

Mais sans verser dans l’archéologie biblique, bien d’autres mystères intriguent les chercheurs à Meggido. Quelle catastrophe explique les squelettes écrasés et les pierres noircies retrouvés dans une des strates les plus anciennes ? Pourquoi le site a-t-il été abandonné en 300 avant notre ère ? Au moins un chercheur émet l’hypothèse qu’Alexandre le Grand a pu détruire la ville. « Mais on n’a aucune preuve d’une fin aussi cinématographique », écrit Cline.

À lire aussi dans Books : Apocalypse, mode d’emploi, juin 2012.

[post_title] => Sur les traces de Salomon [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => sur-les-traces-de-salomon [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2020-08-25 16:39:16 [post_modified_gmt] => 2020-08-25 16:39:16 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=92857 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Prononcez le nom de Charlie Kaufman devant des cinéphiles, et vous verrez leurs visages s’éclairer. Véritable coqueluche du cinéma indépendant américain, Kaufman passe pour avoir révolutionné l’art du scénario en créant des histoires complexes et métafictionnelles. On lui doit notamment les scripts de Dans la peau de John Malkovich et d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Ce scénariste réputé s’est également essayé à la réalisation, avec beaucoup moins de bonheur toutefois. Après la réception en demi-teinte de son film Anomalisa, Kaufman est de retour, non pas sur les écrans, mais en librairie.

Du scenario au roman

Antkind décrit les tribulations de Balaam Rosenberger Rosenberg (surnommé « B »), un critique de cinéma entre deux âges, prétentieux et dogmatique, qui estime ne pas avoir eu la carrière qu’il mérite. Lorsqu’il rencontre un vieillard qui a passé l’essentiel de sa vie enfermé chez lui à tourner un film en stop motion d’une durée totale de trois mois, B est persuadé d’avoir déniché la pépite cinématographique qui lui apportera enfin la renommée. Hélas, le film disparaît dans un incendie avant qu’il n’ait eu le temps de le dévoiler au monde. Le reste du roman – près de 600 pages – retrace les tentatives de B de reconstituer le film de mémoire, avec l’aide d’un hypnothérapeute plus ou moins compétent.

Mémoire et perception de la réalité

« Quiconque ayant déjà vu un film de Kaufman se sentira ici en terrain familier », note le scénariste et romancier américain Matthew Specktor dans The New York Times. En effet, ce premier roman exploite un certain nombre de thèmes chers à Kaufman, comme l’impossibilité de se fier à sa mémoire ou à sa perception de la réalité. L’auteur ne se départit pas non plus de son goût pour la métafiction, faisant de son protagoniste un pourfendeur acharné de ses propres films – « Kaufman est un cinéaste prétentieux et largement surévalué », déclare B. Si Matthew Specktor voit dans Antkind un livre à la fois « extrêmement bizarre » et « extrêmement réussi », Kevin Power, lui, l’a trouvé pour le moins indigeste : « J’ai mis trois ou quatre ans à lire le roman de Charlie Kaufman. Du moins, c’est l’impression que j’ai eue », raille-t-il dans la Literary Review.

À lire aussi dans Books : Francis Kerline : « Cette traduction de David Foster Wallace m’a presque rendu fou », octobre 2015.

[post_title] => Charlie Kaufman s’essaie à la littérature  [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => charlie-kaufman-sessaie-a-la-litterature [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2020-07-30 14:13:48 [post_modified_gmt] => 2020-07-30 14:13:48 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=90079 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Entrant dans l’église pour la messe dominicale, une famille américaine - Hida, Steven et leurs trois enfants -, découvre que quelqu’un dort sur un banc. Impossible de dire si cette personne est un jeune adolescent ou un adulte, si c’est un garçon ou une fille ou même si elle est blanche ou noire. L’intéressé(e) refuse de parler. Le révérend décide, en attendant de connaître son nom, de l’appeler pew, « banc », puisque c’est là qu’il/elle a été découvert. Hida et Steven l’accueillent sous leur toit. Et toute la ville se montre gentille et patiente avec Pew, du moins au début.

Pew, le quatrième roman de l’américaine Catherine Lacey, explore « les idées préconçues, l’aveuglement moral et la culpabilité », note Stuart Kelly, le critique littéraire du quotidien écossais The Scotsman.   

Si Pew reste un mystère pour les lecteurs et pour ses bons samaritains, ces derniers se dévoilent peu à peu. Profitant de l’oreille attentive de cet interlocuteur muet, ils laissent entrapercevoir un monde insulaire et inquiétant. « Nous savons que nous n’avons pas été justes avec tout le monde », avoue un ancien, « mais nous avons toujours été justes en fonction de la définition de la justice de l’époque ». « On imagine tout à fait ce roman devenir un film noir indépendant réalisé par les frères Coen ou David Lynch. Mais il a aussi quelque chose du Revizor, de Gogol, pièce dans laquelle un étranger exorcise involontairement tous les démons d’une petite bourgade arriérée de la Russie tsariste », assure la critique Johanna Thomas-Corr dans l'hebdomadaire britannique New Statesman.

À lire aussi dans Books : La charité réinventée, juin 2016.

[post_title] => L’énigme « Pew » [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => lenigme-pew [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2020-07-30 13:43:29 [post_modified_gmt] => 2020-07-30 13:43:29 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=90076 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Il a fallu un best-seller au contenu aussi cru que subversif pour que l’Australie révise son antique système de censure : Portnoy et son complexe de Philip Roth. D’abord interdit, puis diffusé sous le manteau par Penguin’s Australia, subdivision de la célèbre maison britannique, le célèbre roman finit par avoir raison des censeurs : c’est cette saga que raconte l’universitaire Patrick Mullins dans The Trials of Portnoy.

En 1970, avant d’être présentées au public, les œuvres sont sélectionnées par différents services fédéraux et locaux, ainsi qu’un bureau de censure de la littérature. « Datant de la fin du XIXe siècle quand les romans d’Émile Zola, Honoré de Balzac et Guy de Maupassant étaient considérés comme trop osés pour le lectorat australien, ce système est devenu particulièrement sévère pendant l’entre-deux-guerres », résume l’universitaire Amanda Laugesen sur le site Inside Story. « Nous avons censuré Hemingway, Baldwin, Vidal, Salinger, Donleavy, Burroughs, Miller et McCarthy. Nous avons censuré Ulysse de Joyce, puis l’avons autorisé, avant de le censurer de nouveau. À une époque, même la liste des livres censurés était censurée », s’emporte le critique James Ley dans l’Australian Book Review.

De Zola à Philip Roth

Dans les années 1950 et 1960, les tollés soulevés par l’interdiction, entre autres, de L’Attrape-Cœurs de Salinger et de L’Amant de lady Chatterley de D.H. Lawrence commencent à faire bouger les lignes. Les éditeurs de Penguin attendent le bon moment pour porter le coup final, explique Mullins. En juillet 1970, ils impriment dans le plus grand secret 75 000 exemplaires de Portnoy et son complexe. Défiant les autorités, ils annoncent la sortie du livre en claironnant : « Nous sommes prêts à aller jusqu’à la Cour suprême ! ».  Portnoy est vendu sous le manteau, mais le succès est immédiat.

Les censeurs dans l'embarras

La charge de faire respecter l’interdiction du livre incombe aux États. « Une large partie du livre de Mullins est consacrée à la description des procès, et sa lecture est divertissante », souligne Laugesen. Les procureurs insistent sur les passages les plus crus de Portnoy. Face à eux, la défense aligne le gratin de la littérature australienne qui vante les qualités du roman. Les résultats sont partagés. En décembre 1972, les élections générales mettent un terme à l’affaire. Le travailliste Gough Whitlam devient Premier ministre et aboli la censure.

Mullins ne se contente pas de retracer cet épisode, il remet en cause l’idée que ses compatriotes se font d’eux-mêmes, assure Ley : « Nous avons ce mythe stupide et agaçant selon lequel nous serions des trublions irrévérencieux épris de liberté, alors qu’il est évident que nous avons longtemps été une nation de prudes et de rabats-joie. »

À lire aussi dans Books : On a castré les romanciers américains, décembre 2011-janvier 2012.

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Histoire

Shlomo Sand : « Le peuple juif n'existe pas »

Kyle Harper : « L’empire romain a profité d'un changement climatique »

Mary Beard : « Les Romains n'étaient pas des génies militaires »

Walter Scheidel : « Seul un événement violent peut réduire les inégalités »

Religion

Mohammed Ennaji : « Le rigidité du Coran écarte les musulmans de la modernité »

Souleymane Bachir Diagne : « La tradition philosophique s'est éclipsée de l'Islam »

Christine Eichel : « Avec Luther, le travail est devenu une œuvre pieuse »

Charles Taylor :  « Les démocraties sont en mal d'identité collective »

Philosophie

Richard Wolin : « Hannah Arendt s'est trompée sur la personnalité d'Eichmann »

Jean François Billeter : « Nous sommes tous des Chinois »

Adela Cortina: « Les animaux n'ont pas de droits inaliénables »

Ramin Jahanbegloo : « La violence est le fruit de notre décivilisation »

Sciences

Sarah Blaffer Hrdy : « L’humain est programmé pour les normes sociales »

Jacques Balthazart : « L’homosexualité est en partie héréditaire »

Simon Conway Morris : « La théorie darwinienne surestime le rôle du hasard »

John Strauss : « La psychiatrie accorde trop de réalité aux mots »

Uffe Ravnskov : « L'athérosclérose n'a rien à voir avec le cholestérol »

Norbert Schmacke: « Inefficace et nocive, l’homéopathie n'est pas une médecine »

Société

Jyotirmaya Sharma : « Narendra Modi confond histoire et mythologie »

Michael Hartmann : « L'élite mondialisée est une invention des médias »

Barbara Vinken : « La société allemande est complètement archaïque »

Pasi Sahlberg : « L’autonomie est la clé de l’école finlandaise »

Camille Limoges : « Une bonne université doit choisir ses étudiants »

Prospective

Matt Ridley : « Une prospérité croissante est hautement probable »

Francisco Bethencourt : « L'ethnocentrisme est une fierté naturelle »

Richard Tol : « Le changement climatique pourrait être bénéfique »

Hartmut Rosa : « Nous vivons dans un monde désynchronisé »

Littérature

Erri De Luca : « Pour une désobéissance civile envers un ordre injuste »

Ludmila Oulitskaïa : « Soljenitsyne n'a été ni lu ni compris »

Liao Yiwu : « Je rêve d'une Chine divisée en vingt pays différents »

Etgar Keret: « Ecrire revient à se retirer de la vie »

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