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L’annonce que George W.Bush avait un QI estimé de 120 provoqua la stupeur. Chez ses adversaires et détracteurs mais aussi dans son ­entourage. Car, même si ses fidèles lui accordaient une solide « street intelligence » (un gros bon sens), aucun ne se serait douté que son intelligence telle que la mesurent les tests de QI ou leurs équivalents était nettement supérieure à la moyenne.

Mais, pour le psychologue Keith ­Stanovich, cette stupeur traduisait surtout notre méconnaissance des réa­lités de l’intelligence. Le QI ­mesure efficacement certains aspects du fonctionnement intellectuel, mais pas tous, et ­notamment pas les facultés de juge­ment, ce que Stanovich appelle la « pensée rationnelle ». Le psychologue ne cautionne pas pour autant l’approche de Howard Gardner et sa théorie des intelligences multiples (lire p. 28). Car, pour lui, la notion d’intelligence doit être réservée aux facultés proprement cognitives, dont ne font pas partie, à ses yeux, des notions comme l’intelligence intrapersonnelle ou interpersonnelle, sans parler de l’intelligence ­émotionnelle.

C’est dire que poser la question « Sommes-nous de plus en plus bêtes ? » ne saurait se résumer à analyser l’évolution des tests de QI. Pour tenter d’y répondre sérieusement, il faudrait être en mesure d’analyser l’évolution des facultés de jugement et de la pensée rationnelle en général, ce que nous ne savons pas faire.

Si, cependant, on laisse pour l’instant cet aspect de côté pour revenir à la signification de la hausse du QI au xxe siècle puis de sa baisse récente, quels enseignements en tirer ? En dépit ou peut-être en raison de l’abondance de la littérature spécialisée, il faut admettre que l’on aboutit surtout à un faisceau de constatations et d’interrogations qui n’admettent pas de réponse tranchée.
Ainsi, l’évolution du QI varie sensiblement selon les pays, sans que l’on comprenne bien pourquoi. Au xxe siècle, sa hausse a été nettement plus forte en France et en Allemagne qu’au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Au xxie siècle, les contrastes sont encore plus marqués. Le QI n’évolue pas non plus forcément au même rythme ni même dans le même sens selon les tranches d’âge.
Si l’on se penche maintenant sur les différents types de tests utilisés, on constate dans l’ensemble une hausse plus marquée pour certains tests que pour d’autres. Que ce soit pour les jeunes ou pour les adultes, la hausse la plus forte concerne les tests dits d’intelligence fluide, qui évaluent des facul­tés d’abstraction considérées comme peu liées aux connaissances scolaires, comme les matrices de Raven (lire « Ce que mesure le QI », p. 21) ou les tests de similitude (voir l’exemple des lapins dans « Peut-on expliquer l’effet Flynn ? », p. 20).

C’est au contraire pour les tests les plus liés à l’intelligence dite cristallisée, la plus dépendante de la culture générale et scolaire, que la hausse est la plus faible ; certains tests accusent même une légère baisse (voir le graphique). Mais dans les pays de langue allemande, par exemple, la hausse de l’intelligence cristallisée est comparable à celle de l’intelligence fluide. Il faut en outre observer que les tests de similitude font en réalité clairement appel à la culture générale et que les matrices de Raven ne semblent pas si éloignées que cela de l’univers scolaire.

Et, curieusement, la hausse ne concerne pas spécialement les tests les plus complexes (énoncer une suite de nombres dans l’ordre inverse de celui qui est présenté, par exemple). Il n’y a même aucune corrélation, voire une corrélation négative. Autrement dit, si la hausse concerne les tests les plus simples, indique-t-elle une réelle hausse de l’intelligence ou autre chose ? Cette question donne lieu à une polémique nourrie, qui fait intervenir l’éternelle controverse entre le poids des gènes et celui de l’environnement.
Beaucoup de spécialistes estiment que la hausse du QI reflète seulement les effets conjugués de diverses évolutions environnementales (alimentation, scolarisation, etc.) et que, loin de reflé­ter une hausse de l’intelligence, elle masque une tendance lourde : la baisse des capa­cités cognitives générales. Celles-ci sont désignées par la lettre g. Un test complexe est considéré comme plus chargé en g qu’un test plus simple. Pour un individu ­donné, les tests de QI permettent en principe d’affecter à g une grandeur, et l’on pourrait faire la moyenne des g au sein d’une population. Pour plusieurs spécialistes, dont le très brillant ­Cosma Shalizi, professeur de statistiques à l’université Carnegie Mellon, g n’est qu’un « mythe statistique »1.

Cela n’empêche pas certains de considérer que l’intelligence ainsi définie, après avoir sensiblement ­grimpé à la faveur de la révolution indus­trielle, est en baisse depuis le milieu du xixe siècle. Cette thèse a été avancée par Michael Woodley, aujourd’hui chercheur à l’Université libre de Bruxelles, et plusieurs spécialistes tels qu’Edward Dutton et Richard Lynn, professeur émérite à l’Université d’Ulster, l’ont reprise à leur compte.
En cause, la « fécondité dysgénique ». Qu’entend-on par là ? Entre la Renaissance et les lendemains de la révolution industrielle, les plus intelligents avaient plus d’enfants qui arrivaient à l’âge adulte et se reproduisaient. Compte tenu de la part des gènes dans l’héritabilité du QI (part qui fait l’objet d’estimations diverses), l’intelligence moyenne de la population avait tendance à augmenter. Depuis le milieu du xixe siècle, la tendance s’est inversée : les familles les plus intelligentes ont eu de moins en moins d’enfants, tandis que celles qui l’étaient le moins, bénéficiant des progrès de la médecine et des services sociaux, ont vu leurs nombreux enfants arriver à l’âge adulte. Si l’on y ajoute les effets de ­l’immigration, il en serait résulté une baisse de g dans les pays développés, et cette baisse serait en train de se manifester dans l’arrêt de la hausse, voire la baisse du QI constatée aujour­d’hui. CQFD.

Pour le moins spéculative, cette thèse introduit l’idée que la hausse du QI aurait atteint un plafond. Mais la ­notion de plafond, si elle se vérifie, peut s’expliquer tout autrement. Certains comparent l’évolution du QI à celle de la stature : les conditions sani­taires et autres s’étant améliorées, la taille moyenne a augmenté ; mais l’augmentation atteint un plateau, car, d’une part, l’environnement ne s’améliore plus qu’à la marge et, d’autre part, nos gènes ne favorisent pas des tailles plus élevées. On pourrait en dire autant du QI, surtout si l’on considère l’effet de l’éducation. Il est établi que chaque année supplémentaire de scolarité dans le secondaire accroît le QI de 2 à 4 points en moyenne. Or, dans les pays développés, presque toute la population va jusqu’à la fin des études secondaires ; et la proportion de ceux qui obtiennent un diplôme universitaire tend à ne plus guère augmenter.

Ce qui nous ramène à notre point de départ : dans quelle mesure la hausse ou la baisse du QI reflète-t-elle l’évolution de l’intelligence ou de la bêtise, si l’on admet avec Keith Stanovich que de toute façon le QI ne mesure pas nos facultés de jugement ? Sans surprise, les deux types de facultés ne sont pas corrélés. Nul ne doute qu’un prix Nobel de physique dispose d’un QI et, a fortiori, d’un facteur g très élevés. Il n’en va pas forcément de même de ses facultés de jugement.

Se fondant sur les travaux de spécialistes du QI, William Shockley – le découvreur de l’effet transistor – considérait comme démontré que celui des Noirs était génétiquement inférieur à celui des Blancs. Il l’affirmait haut et fort, comme lors d’une interview à la télévision, en 1974 : « Mes recherches m’amènent inéluctablement à penser que la cause des déficits intellectuels et sociaux du Nègre américain est essen­tiellement héréditaire et d’origine racialement génétique et qu’on ne peut donc guère y remédier par des améliorations concrètes apportées à l’environnement. » Chose curieuse, aucune étude ne semble jamais avoir comparé le QI d’individus blancs et noirs nés et élevés dans un environnement socio-économique, ­sanitaire et culturel équivalent. 

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De mon point de vue, l’intelligence peut être définie de trois manières différentes.

Une propriété commune tous les animaux
Tous les êtres humains disposent de certaines capacités qui leur permettent de résoudre les problèmes, comme le font les singes, les chiens, les souris et même les invertébrés. C’était le sens donné à l’intelligence telle que Jean Piaget l’a étudiée au milieu du xxe siècle.

Un caractère propre à tel individu
Pour une compétence donnée, certains d’entre nous sont dits « plus doués » que d’autres. C’est le sens donné à l’intelligence telle qu’elle a été d’abord étudiée par Alfred Binet il y a un peu plus d’un siècle, lorsqu’il a mis au point les premiers tests. C’est ce sens que j’ai remis en cause dans mes recherches. Tandis que Binet (et d’ailleurs Piaget) pensaient étudier l’intelligence dans sa totalité, je crois qu’ils se penchaient essentiellement sur deux de ses formes – langagière et logico-mathématique. Mes recherches m’ont montré que nous disposons de beaucoup d’autres formes d’intelligence : musicale, corporelle, interpersonnelle, intrapersonnelle, spatiale ou encore émotionnelle (c’est celle qu’a étudiée Daniel Goleman) 1. Une aptitude personnelle forte pour une des formes d’intelligence, la musique par exemple, n’a pas de valeur prédictive en ce qui concerne les autres formes – langagière ou interpersonnelle, disons.

Une façon d’appréhender un problème ou un projet
Soit deux personnes douées d’une intelligence langagière équivalente. Elles réussiront aussi bien à un test de compréhension ou d’expression. Mais l’une peut parler à tort et à travers, interrompre les autres, écrire des lettres absurdes, choisir de ne jamais apprendre une langue étrangère. Et l’autre réfléchir soigneusement avant de parler, composer des lettres avec soin, écouter les autres attentivement et s’appliquer à étudier des langues étrangères.

Compte tenu de ces trois perceptions de l’intelligence, que peut-on dire de la bêtise ? Au regard du premier sens, nous ne pouvons pas parler de la bêtise d’une personne ou d’un animal en particulier. Ce que l’on peut dire, c’est que les oiseaux sont moins intelligents à certains égards que les humains (moins capables de réparer une machine…), mais plus doués à d’autres (trouver leur chemin dans un espace inconnu).
Au regard du deuxième sens, on ne dit plus que A est plus stupide que B. Nous disons plutôt que pour deux formes d’intelligence, A est plus doué que B ; que pour trois autres formes d’intelligence, B est plus doué que A ; et que pour d’autres formes encore, ils sont tout aussi intelligents ou stupides.
Et, au regard du troisième sens, je dirais que la première personne utilise son intelligence langagière de manière idiote, tandis que la seconde le fait intelligemment.
Autrement dit, nous ne pouvons utiliser le mot « stupide » qu’en prenant en considération les formes d’intelligence dont il s’agit et le degré dont en jouit la personne, pour juger si elle les utilise intelligemment ou sottement. Je présume que c’est là le sens du mot « stupide » que les gens ont habituellement à l’esprit.
Mais nous pouvons beaucoup varier notre appréciation de l’usage d’une capa­cité. Pour prendre un exemple tiré de la vie politique française, certains peuvent juger que Marine Le Pen utilise ses capacités langagières intelligemment, d’autres qu’elle le fait stupidement. Ce qui est en jeu ici est le système de valeurs de la personne qui utilise les mots « intelligent » et « stupide ».
Pour ceux d’entre nous qui ont reçu un enseignement en psychologie, le mot « intelligence » a une histoire et une connotation spécifiques. Pendant près d’un siècle, l’usage du mot est largement resté l’apanage des psychométriciens. Ils élaborent, administrent et évaluent des tests d’intelligence à réponse rapide qui exigent que le sujet réussisse des tâches associées à l’école : définir des mots, ­sélectionner des antonymes, mémoriser des extraits de texte, répondre à une question de culture générale, manipuler des formes géométriques, etc. Ceux qui réussissent systématiquement ces évaluations (souvent appelées tests de QI) sont considérés comme intelligents – et, en effet, tout le temps que durera leur scolarité, il est probable que cette caractérisation se verra confirmée.

Cette information d’apparence objective est souvent entourée d’un halo d’assertions diverses. Comme il est dit de manière brutale dans le best-seller The Bell Curve, les individus sont supposés naître avec un certain potentiel intellectuel ; il est difficile de changer ce potentiel ; et les psychométriciens peuvent nous dire dès notre jeune âge quel est notre niveau d’intelligence. Les auteurs, Richard Herrnstein et Charles Murray, ont voulu établir un lien entre ceux qui ont un faible niveau d’intelligence et diverses maladies sociales ; ils ont insinué que le niveau de QI pourrait être lié à la couleur de peau. Ce qui a dopé les ventes et alimenté la polémique2.
Depuis deux décennies, l’hégémonie des psychométriciens sur l’intelligence est de plus en plus remise en question. Des informaticiens ont mis au point des applications d’intelligence artificielle dont certaines permettent de résoudre des problèmes généraux. Les chercheurs en neurosciences et les généticiens ont mis l’accent sur les origines évolutives et les représentations neuronales des diverses facultés mentales. Dans le champ même de la psychologie, des perspectives nouvelles ont été introduites. Daniel Goleman a beaucoup écrit, et de façon convaincante, sur l’intelligence émotionnelle. Robert Sternberg a ajouté l’intelligence pratique et créative au concept plus familier d’intelligence analytique. Et j’ai moi-même développé une théorie des « intelligences multiples »3.
Selon ma théorie, il est erroné de penser que les humains ne possèdent qu’une seule capacité intellectuelle, ­laquelle se ­résume presque ­toujours à un amalgame de compétences langagières et logico-­mathématiques. En se plaçant plutôt dans une perspective évolutionnaire, il est plus logique de conceptualiser les êtres humains comme disposant de facultés mentales relativement autonomes.
Lorsque nous faisons appel au premier sens de l’intelligence évoqué plus haut, nous nous rattachons à une caractérisation générale des capacités humaines (ou non humaines). Nous pourrions, par exemple, parler d’intelligence humaine en tant que capacité à résoudre des problèmes complexes, ou à envisager l’avenir, ou à analyser des modèles, ou bien à effectuer la synthèse d’éléments d’information disparates. Une discipline majeure, qui a vu le jour avec les travaux de Darwin sur la lignée humaine et dont la tradition s’est poursuivie avec les investigations de Jean Piaget sur le cerveau des enfants, vise à saisir ce qui est unique et générique en matière d’intelligence.

Le deuxième sens est celui qui a été le plus employé par les psychologues. Ceux qui appartiennent à la tradition psychométrique considèrent que l’intelligence est un trait, comme la taille ou l’extraversion. Une personne peut être comparée à une autre dans la mesure où elle manifeste ce caractère ou cet ensemble de caractères. C’est ce que j’appelle l’examen des différences individuelles selon le caractère considéré. Une grande partie de mon travail sur les intelligences multiples a consisté à décrire divers profils d’intelligence.

Le troisième sens a été le moins bien étudié, bien qu’il soit peut-être le plus intéressant. On peut l’appréhender dans cette phrase : ce qui distingue le jeu d’Alfred Brendel au piano est moins sa technique que l’intelligence absolue de ses interprétations. L’accent est ici mis sur la manière dont une tâche est réalisée. Nous nous demandons souvent si une décision été prise de manière intelligente ou stupide, si une passation de pouvoirs a été gérée intelligemment ou de façon inepte.
Qu’est-ce qui distingue ce troisième sens ?
On ne peut pas qualifier une action ou une décision d’intelligente sans avoir quelques notions de l’objectif visé, des choix générés par le genre d’activité et du système de valeurs des participants. Techniquement, le jeu d’Alfred Brendel peut ne pas paraître de la plus grande exactitude. C’est plutôt au vu de ses ­visées propres, de ce qui est possible de faire au piano et des valeurs de l’auditeur que l’on peut valablement parler de l’intelligence ou du manque d’intelligence de ses inter­prétations. De plus, je pourrais ne pas les aimer et convenir néanmoins qu’elles étaient intelligentes, si vous pouviez me convaincre de ce à quoi il voulait parvenir et pourquoi cela faisait sens de son point de vue. Ou bien je pourrais vous convaincre que l’interprétation du même morceau par Glenn Gould était intelligente, que vous l’ayez aimée ou non. Il n’existe pas de critère abstrait pour juger de ce qui constitue une décision sage ou stupide, un processus de planification, une passation de pouvoir, la manière d’introduire un sujet face à une classe, et ainsi de suite. Pourtant, bien informés sur les objectifs, le type d’activité et les valeurs, nous pouvons émettre un jugement sur le fait de savoir si la tâche a été menée intelligemment – même si nous ne sommes pas d’accord sur les conclusions à en tirer.
De quelle manière ce troisième sens se rattache-t-il aux intelligences multiples ? Je subodore que différentes tâches font appel à différentes intelligences ou combinaisons d’intelligences. Pour jouer intelligemment de la musique il faut un autre ensemble d’intelligences que pour confectionner un repas, préparer un cours ou résoudre un conflit.
Maintenant, que tirer de cet exercice de « sémantique de l’intelligence » ? On peut suggérer trois bénéfices possibles.
Le premier est bien sûr lexical. Il est utile et important de savoir distinguer les trois définitions, sans quoi nous risquons d’engager un dialogue de sourds, un épistémologue à la Piaget affrontant inutilement un psychométricien, un ­commentateur critique croyant qu’il se livre à la même sorte d’activité qu’un ­psychologue scolaire.
Le deuxième concerne la recherche. Nul doute que les chercheurs continueront à travailler sur la nature de l’intelligence. Nous entendrons vraisemblablement parler de la mise au point de nouveaux tests, de nouveaux outils d’intelligence artificielle et même de gènes de l’intelligence. Certains chercheurs seront très précis sur le sens qu’ils donnent au mot « intelligence », mais nous pouvons craindre aussi que règne une confusion considérable s’ils ne prennent pas le soin de dire quel aspect de l’intelligence ils étudient et comment (ou dans quelle mesure) il se rattache aux autres.

Enfin, et c’est pour moi le plus important, cela a des conséquences en matière d’éducation. Quand un éducateur parle d’intelligence au premier sens du terme, il se réfère à une capacité dont on peut considérer qu’elle existe chez tous les humains. En revanche, l’intelligence au sens de caractère propre à tel individu implique un jugement sur le potentiel de la personne et sur comment chacun pourrait être formé de la façon la plus efficace. Si, suivant en cela Herrnstein et ­Murray, on considère que tel enfant a peu de ­potentiel intellectuel en général ou, selon la théorie des intelligences multiples, qu’il a un faible potentiel pour l’intelligence spatiale, on se trouve placé devant des choix éducatifs clairs, allant du renoncement pur et simple à la recherche obstinée de moyens alternatifs pour l’instruire.
Mais c’est pour le troisième sens, faire quelque chose intelligemment ou bête­ment, que peuvent intervenir les plus grands progrès en matière d’éducation. Trop souvent, nous négligeons les buts, le genre d’activité ou les valeurs – à moins que nous ne les jugions trop évidents pour qu’il faille les mettre en lumière. Les élèves ne comprennent souvent pas le jugement que l’on porte sur leur travail. Or une appréciation qui n’est pas comprise ne sert pas à grand-chose. Expliciter les critères sur lesquels se fonde le jugement sur la qualité d’un travail peut ne pas suffire à améliorer la qualité des travaux suivants ; mais, en l’absence d’une telle clarification, il n’y a guère de raison d’attendre de nos élèves qu’ils fassent leur travail intelligemment. 

Howard Gardner est un psychologue américain.

Cet article est paru en français dans la revue Le Philosophoire (no 42, 2014). Une partie a été publiée à l’origine dans la revue Dædalus, en 2002. Il a été traduit par Sylvie Taussig et Patrice Lucchini et adapté par Books.

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Nous sommes de plus en plus bêtes. Ce n’est pas un jugement, c’est un fait. Le ­découvreur de « l’effet Flynn » le concède lui-même : dans de nombreux pays, les scores de QI ont commencé à baisser. Bien que l’on se pose des questions légitimes sur le rapport entre le QI et l’intelligence, et qu’il soit largement ­reconnu que la réussite dépend tout autant d’autres qualités comme le cran, les tests de QI utilisés de nos jours dans le monde entier rendent manifestement compte de quelque chose de concret et de durable. Des décennies de recherche ont montré que les scores de QI individuels permettent de prédire par exemple les ­résultats scolaires ou encore la longévité. Plus généralement, le QI moyen d’un pays est lié à la croissance économique et à l’innovation scientifique.

Si les scores de QI diminuent réellement, cela pourrait signifier non seulement quinze saisons supplémentaires de la série Kardashian, mais aussi la mise à mal du progrès scientifique et économique. À ce jour, les
États-Unis n’ont pas encore été atteints par la baisse du QI – même si le ­niveau du débat politique pourrait laisser penser le contraire. Mais ne célébrons pas trop vite l’exception américaine : si le QI baisse dans d’autres pays développés mais pas ici, c’est peut-être que nous ne sommes pas vraiment un pays développé (trop de pauvreté, trop peu d’aide sociale).
Ou, ce qui est tout aussi préoccupant, si nous suivons le rythme des pays les plus développés, cela signifie que nous allons voir notre QI chuter lui aussi dans un avenir proche. À ce moment-là, les États-Unis seront confrontés aux mêmes dangers de stagnation intellectuelle et économique.

Si nous voulons éviter que les États-Unis connaissent ce sort, nous ferions mieux de comprendre pourquoi le QI chute ailleurs. Mais là, on est en terrain inconnu. Jusqu’à récemment, les scores de QI n’évoluaient que dans une seule direction : vers le haut. Et si vous vous dites : « Le test n’est-il pas conçu pour que 100 soit toujours le score moyen ? », c’est uniquement parce que les chercheurs modifient l’échelle des tests pour corriger l’amélioration des scores bruts.
Ceux-ci ont grimpé pour toute une série de tests de QI standards pendant plus d’un demi-siècle. Cela peut ­paraître étrange si l’on pense que le QI est largement héréditaire. Mais les tests de QI actuels sont conçus pour mesurer des compétences cognitives de base telles que la mémoire à court terme, la vitesse de résolution des problèmes et le traitement visuel [lire « Ce que ­mesure le QI », p. 21]. La hausse des scores montre que ces capacités cognitives peuvent en fait être améliorées par des facteurs ­environnementaux tels qu’une meilleure qualité de l’enseignement et des activités professionnelles plus ­exigeantes.

Pendant un temps, l’augmentation des scores de QI a semblé être un signe évident de progrès social, une preuve palpable que l’humanité devenait de plus en plus intelligente – et pourrait même être capable d’augmenter indéfiniment ses capacités intellectuelles. Mais, depuis le début du xxie siècle, de nombreux pays parmi les plus avancés économiquement commencent à connaître un déclin de leur QI, sous des formes variables. Les détails changent d’une étude à l’autre et d’un pays à l’autre en fonction des données disponibles. En Norvège et au Danemark, la baisse du QI apparaît dans les tests que l’on fait passer de longue date aux conscrits, alors que les données sur la France se fondent sur un échantillon plus restreint et un test différent. Mais le schéma d’ensemble est clair.

Une explication possible était de type quasi eugéniste. Comme dans le film Idiocracy, certains ont fait ­valoir que l’intelligence moyenne baisse parce que les foyers à faible QI font davantage d’enfants (le terme technique est « fécondité dysgénique »). On s’est aussi demandé si la hausse de
l’immigration ne se traduisait pas par un afflux de nouveaux arrivants moins intelligents dans des sociétés au QI ­élevé. Une étude menée en 2018 en Norvège a cependant invalidé ces théories en montrant que le QI diminue non seulement dans la société, mais aussi au sein des familles. En d’autres termes, le problème n’est pas que les Norvégiens instruits soient débordés par un nombre croissant d’immigrés au QI plus faible ou par l’abondante progéniture de concitoyens moins instruits. Même les enfants nés de parents ayant un QI élevé descendent les échelons.
Il y a donc un facteur environnemental – ou un ensemble de facteurs – qui entraîne une baisse des scores de QI entre les parents et leurs enfants, entre les aînés d’une fratrie et les enfants plus jeunes. L’une des principales explications avancées est que l’augmentation des emplois tertiaires peu qualifiés a rendu le travail moins exigeant sur le plan intellectuel, laissant le QI s’atrophier à mesure que les gens font moins travailler leurs méninges.

Parmi d’autres hypothèses qui restent à vérifier, il y a celles qui avancent que le changement ­climatique rend les aliments moins nutritifs et que les outils numériques nuisent à notre capa­cité de concentration.
En fin de compte, il serait bon d’établir la raison précise de la baisse des scores de QI avant que nous soyons ­devenus trop stupides pour le faire, d’autant que ces scores sont manifestement liés à la productivité et à la réussite économique à long terme.

Et, si nous pouvons compenser par des compétences autres que l’intelligence, comme la détermination ou la passion, dans un monde où les scores de QI continuent de baisser, il existe aussi un scénario plus sombre : une crise mondiale de l’intelligence qui minerait la capacité de l’humanité à résoudre les problèmes et nous laisserait mal équipés pour relever les défis complexes de l’intelligence artificielle, du réchauffement de la planète et d’autres évolutions que nous n’avons pas encore imaginées. 

Evan Horowitz dirige le Centre d’analyse des politiques publiques à l’université Tufts, à Boston.

Cet article est paru dans « Think », la rubrique idées du site de la chaîne NBC News, le 22 mai 2019. Il a été traduit par Nicolas Saintonge.

[post_title] => De quoi s’inquiéter ? [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => de-quoi-sinquieter%e2%80%89 [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-05-07 10:38:16 [post_modified_gmt] => 2021-05-07 10:38:16 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=101217 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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La région d’Otago, en Nouvelle-Zélande, est une pénin­sule. Eaux tumultueuses, ­falaises, albatros… C’est là que vit et que continue de travailler, à 85 ans passés, James Flynn, professeur émérite de philosophie à l’université de Dunedin, une ville de 130 000 habi­tants de style victorien.
Flynn est une célébrité. Il doit sa noto­riété à un article qu’il a publié en 1987 dans la revue Psychological Bulletin, après trente ans d’une discrète carrière universitaire. Un jour de 1980, il feuillette le manuel d’un test d’intelligence. Le test et le manuel datent de 1972. Il est expliqué dans les premières pages qu’un groupe d’enfants a passé non seulement ce test, mais aussi, à titre de comparaison, sa version précédente de 1947. Et il y a une autre information : les enfants ont obtenu un score moyen de 108 à l’ancien test – soit 8 points de plus que leurs prédécesseurs de 1947. Que s’est-il donc passé ? se demande Flynn. Les enfants de 1972 seraient-ils plus intelligents que leurs camarades de vingt-cinq ans plus tôt ?
Flynn s’assoit devant sa machine à écrire et rédige un courrier destiné à 165 chercheurs du monde entier : il cherche à rassembler, leur dit-il, des résultats d’études dans lesquelles plusieurs générations d’individus d’âge comparable ont passé les mêmes tests d’intelligence. Des réponses et des données lui parviennent de 35 pays. Flynn les analyse, fait ses calculs et a du mal à y croire : que ce soit au Japon ou au ­Canada, aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en France, en RFA ou en RDA – partout, dans les pays industrialisés étudiés, le score de QI n’a cessé d’augmenter, ­gagnant de 5 à 25 points à chaque géné­ration. Les autres chercheurs sont tout aussi excités. Ils donnent à cette miraculeuse progression de l’intelligence le nom d’« effet Flynn »1.

La découverte de l’effet Flynn plonge le monde occidental dans une véritable eupho­rie du QI. On soumet de plus en plus d’enfants à des tests, car on veut absolument repérer les plus doués. Les livres sur les surdoués deviennent des best-sellers, et les plus intelligents, c’est-à-dire ceux qui ont un QI de 130 et plus, intègrent l’association Mensa, où ils commencent à se rencontrer à l’occa­sion de tournois d’échecs et de débats. Bientôt, il est de notoriété publique que l’actrice Jodie Foster a un QI de 132, la chanteuse Madonna, de 140, le joueur d’échecs Garry Kasparov, de 190 [lire « Que deviennent les “surdoués” ? », p. 18]. Les comparaisons internationales de QI deviennent de plus en plus poussées.
Les éditeurs de tests de QI s’entendent sur des normes communes. Un score moyen sera toujours noté 100 (c’est ­encore le cas aujourd’hui), les moins ­intelligents seront en dessous, les particulièrement intelligents au-dessus. En dessous de 85, on considère que l’intelligence est inférieure à la moyenne, au-dessus de 115, supérieure. En Allemagne, on recommande de renouveler les tests au moins tous les huit ans. Avec chaque normalisation, les tests de QI gagnent en difficulté [lire « Ce que mesure le ­QI », p. 21].

L’Occident se réjouit à l’idée d’atteindre de nouveaux sommets d’intelligence et d’offrir ainsi au monde des idées toujours plus astucieuses. On a la certitude que l’enseignement scolaire ne cesse de s’améliorer et que l’on peut vivre de plus en plus dans ­l’insouciance.

Une bonne alimentation, le temps supplémentaire dont les ­parents disposent pour se consacrer à leurs ­enfants grâce à la réglementation des horaires de travail, des emplois plus exigeants et stimulants intellectuellement, tout cela a été avancé comme explications possibles de l’effet Flynn [lire « Peut-on expliquer l’effet Flynn ? », p. 20].
Et cela dure jusqu’en 2004. Cette année-­là, l’euphorie du QI retombe brutalement. La première mauvaise nouvelle vient de Norvège. Des psychologues de l’université d’Oslo et des forces armées norvégiennes ont comparé des données recueillies entre 1954 et 2002 lors de tests administrés à de jeunes hommes – et une rupture dans la courbe du QI apparaît clairement. Entre 1970 et 1993, ­l’augmentation du QI a ralenti. Et, à partir de 1994, les scores ont baissé.

L’effet concerne tous les ­aspects testés de l’intelligence – aussi bien les questions exigeant une bonne maîtrise du langage que les exercices de réflexion logique. Il appa­raît très vite que le problème n’est pas spécifique à la Norvège. Des études similaires menées en Suède, au Danemark, au Royaume-Uni, en Autriche, en Suisse, en Allemagne, en Australie et en Finlande aboutissent au même résultat : le QI a baissé de l’ordre de 0,25 à 0,5 point par an. Dans certains pays, le QI a été affecté dans son ensemble ; dans d’autres, seuls des aspects particuliers, comme l’intelligence spatiale, l’ont été. Cette baisse du QI a elle aussi un nom. On l’appelle l’anti-­effet Flynn [lire « Une baisse contrastée », p. 22]. James Flynn est donc aujourd’hui doublement célèbre.

Au début, lui-même n’a pas ­voulu croire que le phénomène qui porte son nom s’était inversé. Ses collègues n’avaient-ils pas mal calculé ? N’était-ce pas une simple coïncidence ? Mais, à mesure que les indices s’accumulaient, il se mit à douter de ses propres doutes. En 2017, à 83 ans, il a donc refait ce qu’il avait effec­tué trente ans plus tôt : il a collecté des données sur différents pays. Cette fois, plus besoin d’aller poster des lettres dactylographiées. Il a télé­chargé les données sur Internet. Et il en a acquis la certitude : oui, le QI est en baisse. Du moins dans de nombreux pays ­occidentaux.

Au cours d’un long entretien téléphonique sur la ligne grésillante qui relie la Nouvelle-Zélande à l’Europe, James Flynn nous raconte comment lui, le fils d’immigrés irlandais né en 1934 aux États-Unis, y est devenu un philosophe moral. Dans les États du Sud, il a milité, dans les années 1960, pour les droits ­civiques. Cela ne lui a pas réussi. Plusieurs postes d’enseignant lui sont passés sous le nez et il s’est établi en Nouvelle-Zélande. Pour lui, l’effet Flynn découle de l’idéal de société du mouvement des droits civiques : les États démocratiques donnent aux citoyens la latitude nécessaire pour s’épanouir. Ils leur donnent la liberté, y compris pour les grandes envolées intellectuelles.

Et à présent ? La liberté n’a pas disparu. Que s’est-il passé dans les années 1990 ? Qu’est-ce qui a changé ? « Le principal changement que j’ai observé au fil des ans, dit James Flynn, c’est la disparition des livres exigeants. » Les enfants se perdent dans les jeux vidéo. Et ils peuvent bien devenir des as du clavier et du joystick, cela ne les aide pas à penser de façon logique, bien au contraire. Ses étudiants, note Flynn, ont de plus en plus de mal à lire Schopenhauer.


La thèse de la hausse puis de la baisse du quotient intellectuel ne fait pas l’unanimité dans la communauté scientifique. Il y a des mathématiciens qui la contestent au motif que ce serait une pseudo-vérité, une construction mathématique née de la tentative de traduire les performances des individus testés en un idéal type de courbe en cloche qui déforme la réalité. Des statisticiens objectent que le QI ne nous dit pas à quel point un enfant est intelligent mais seulement à quel point il maîtrise un certain type de tâche et quel est son degré d’implication dans cette tâche. Idée que beaucoup de chercheurs rejettent, à leur tour, avec ­véhémence.

Les deux effets Flynn suscitent donc un débat passionné. Mais il y a aussi, dans tous les pays industrialisés, de plus en plus d’enfants chez qui l’on diagnostique un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Et de plus en plus de cas de troubles du spectre autistique, de troubles de la concentration et d’autres difficultés d’apprentissage. Une petite information parmi tant d’autres : d’après un bilan de 2018 de l’assurance maladie de Bavière, ­jamais autant de familles n’avaient demandé, après un diagnostic médical, à bénéficier d’une allocation d’éducation d’enfant handicapé 2.
Tous ces troubles du développement ont un point commun : ils sont liés à des processus se déroulant précisément dans les zones du cerveau qui façonnent notre intelligence. Seuls ceux qui savent se concentrer peuvent bien apprendre.Tout se passe donc vraiment comme si quelque chose clochait dans nos têtes.

La science n’est pas encore en mesure de dire exactement pourquoi il en est ainsi. Quelques hypothèses ont toutefois été émises à propos de l’anti-effet Flynn. Certaines pourraient provoquer une défla­gration dans la société.
Lorsque l’anti-effet Flynn a été mis en évidence, on n’a pas tardé à dire que les enfants d’immigrés, parce qu’ils étaient issus de familles peu cultivées et qu’ils rencontraient des difficultés linguistiques, tiraient les résultats vers le bas. Les personnes pauvres et d’un faible niveau d’instruction, disait-on, faisaient plus d’enfants que les riches et les instruits. Les imbéciles, en se multipliant, ne détérioraient-ils pas le patrimoine génétique ? Les scientifiques, certes, ne le formulaient pas ainsi, mais ils parlaient d’« effet dysgénique ». Entre les lignes de plus d’une étude transparaissait ce mot d’ordre : nous, les intelligents, ne voulons pas que les idiots entravent le progrès, nous ferions donc mieux de les tenir à l’écart. Des thèses que l’ancien membre du Parti social-démocrate Thilo Sarrazin a faites siennes dans son essai très controversé L’Allemagne disparaît3.

Frank Spinath, 49 ans, est vêtu de noir de la tête aux pieds. Il est professeur de psychologie différentielle à Sarrebruck et, par ailleurs, le chanteur et le parolier de plusieurs groupes. Son genre de musique : la futurepop. C’est un passionné de La Guerre des étoiles et des orgues d’église. On ne ­serait pas trop loin de la vérité en le ­qualifiant de geek.
Spinath s’est lancé dans la recherche sur l’intelligence lorsque, à l’occasion d’un séminaire universitaire, il a appris son score de QI – « quelque part au-dessus de 130 » – et qu’il a voulu savoir pourquoi il était plus intelligent que la plupart des autres. Il s’en réjouissait, bien sûr, mais trouvait aussi cela injuste. Qui a quelles chances et pourquoi ? Sont-ce les gènes ? Est-ce l’environnement – le milieu familial, l’éducation, la ­richesse ? L’interaction de tout cela ? Si l’on demande à Frank Spinath si l’intelligence est héréditaire, il répond : « Dans une large mesure, oui. » Les femmes universitaires produisent-elles naturellement des enfants plus intelligents ? « Oui, statistiquement parlant. » Les personnes peu fortunées ont-elles un QI statistiquement inférieur ? « Oui, c’est vrai aussi. »
Puis il s’excuse, ses réponses semblent le mettre mal à l’aise. Il craint que, sortis de leur contexte scientifique, ses propos puissent être mal interprétés. Il le sait : « La recherche sur l’intelligence est un cocktail difficile à digérer, composé d’ingrédients explosifs. »

Spinath est à la pointe de la ­recherche sur les jumeaux. Depuis de nombreuses années, il étudie les paires de ­jumeaux – car, lorsque des jumeaux dizygotes (ou faux jumeaux) partagent un même foyer, la seule chose qui les différencie en théorie, ce sont les gènes. Et parfois aussi le QI.
Comme la plupart des chercheurs, Spinath estime que les facteurs héréditaires peuvent expliquer jusqu’à 70 % des différences d’intelligence chez les adultes. Cela semble avoir le mérite de la clarté, mais, en réalité, c’est beaucoup plus compliqué. Dans l’une de ses études, Spinath a étudié les conditions de vie et le QI de 3 074 enfants et jeunes adultes âgés de 11, 17 et 23 ans. Plus les parents sont à l’aise financièrement, plus le score moyen de QI des ­enfants est ­élevé. ­Spinath l’explique ainsi : « Quand on grandit dans un foyer aisé, on est plus susceptible d’hériter de gènes favorables et de les stabiliser. » Et, s’ils éprouvent des difficultés, les enfants de parents riches bénéficient d’un soutien scolaire.

Les gènes subissent eux-mêmes l’influence de l’environnement. Dès la conception, certains d’entre eux sont activés ou réduits au silence. Cela peut être dû à toutes sortes de choses : un abus de barres chocolatées, des gifles à répétition ou des événements dramatiques, comme un accident de voiture. On peut retracer le vécu d’une personne en fonction des gènes qui ont été ­activés.
Chez les enfants à qui les parents lisent beaucoup d’histoires, des gènes peuvent être activés qui aident à faire fonctionner le centre de la parole dans le cerveau. Si, au lieu de cela, les enfants regardent la télévision, d’autres gènes peuvent être activés – défavorables, eux, au développement mental. Il est donc faux de dire que nous sommes le pur produit de nos gènes.

Après que les chercheurs norvégiens eurent constaté une baisse de QI chez les recrues de l’armée, certains de leurs collègues ont cherché à savoir si, par hasard, l’origine sociale des soldats n’avait pas changé. N’y avait-il pas plus de jeunes appartenant à des familles socialement défavorisées ou issues de l’immigration ?
Une équipe de mathématiciens est tombée sur une explication complètement différente et inattendue. À partir de données portant sur de longues périodes, ils ont pu reconstituer l’évolution au sein de différentes familles. Et ils ont constaté que le QI avait autant chuté au sein de familles établies de longue date en Norvège. Les fils sont moins intelligents que les pères4 . Cela signifie que la cause de l’anti-effet Flynn n’est pas exclusivement génétique. L’environnement doit aussi y être pour quelque chose.

n lundi après la fin du semestre. Les élèves n’ont pas cours, mais les professeurs du lycée Wilhelm-Busch de Stadthagen, en Basse-Saxe, ne sont pas en vacances, eux. C’est leur journée annuelle de formation, et cette fois, au programme, il y a une révolution. Le lycée s’apprête à proposer des cours sur tablette – ­enfin ! Beaucoup d’enseignants, explique le ­proviseur Holger Wirtz, en exprimaient le souhait. À présent, il leur faut apprendre à utiliser au mieux ces ­outils en classe. Assis dans la grande salle, les profs attendent en chuchotant que Martin Korte, « chercheur de renommée mondiale, spécialiste du cerveau à l’université technique de Braunschweig », ainsi que l’a présenté le directeur, commence sa conférence intitulée « L’école à l’heure du changement numérique ».
Martin Korte a l’air d’avoir passé la nuit sous la tente : cheveux aplatis, veste polaire, chaussures de randonnée. En fait, il débarque tout juste de l’avion. La veille, il était à un congrès à New York. « Qu’est-ce que le QI ? » demande Korte avant de répondre lui-même : « La vitesse de traitement. » Chiffres et concepts se ­déversent sur les enseignants : 400 000 stimuli sensoriels parviennent chaque seconde au cerveau. Il doit opérer un tri parmi eux, car un être humain ne peut traiter que 120 stimuli sensoriels par seconde. Un élève qui jette un coup d’œil sur son téléphone portable, et ce sont 60 mots du professeur qui passent à la trappe. Certains enseignants renoncent à prendre des notes. « Trop de choses à la fois perturbent la réflexion, explique Korte. Les téléphones portables en classe entravent tout le reste. »

Le proviseur Wirtz est assis droit comme un piquet, le visage tendu et immobile. Qu’est-ce que raconte le chercheur ? Une tablette n’est rien d’autre qu’un gros smartphone. Et c’est censé perturber le cours ? Korte projette sur le mur des diagrammes à barres, qui montrent que les résultats au test Pisa en mathématiques sont corrélés négativement à la fréquence d’utilisation d’ordinateurs en classe. Quand des ordinateurs sont utilisés en classe plus d’une fois par semaine, les résultats se détériorent. Les enseignants ont cessé de prendre des notes. Korte s’est mis à parler du « cerveau Google ». Il projette un cliché d’imagerie cérébrale : le cerveau a des nuages rouges partout, au sommet du front, à l’arrière de la tête, devant et derrière les oreilles. Énormément de nuages rouges.

Ces images proviennent de l’Université de Californie à Los Angeles. Les nuages sont remplis de cellules nerveuses qui travaillent dur et sont en train de chercher la réponse à une question. Lorsque le sujet a un livre devant lui, les nuages sont disposés sur deux bandes clairement définies. Dès que le sujet cherche la même information sur Internet, les nuages se gonflent dans toutes les directions comme avant un orage d’été. L’étude date de 2008, un an après le lancement de l’iPhone, et a donc une valeur historique inestimable pour les chercheurs en neurosciences. À l’époque, l’équipe du neuropsychiatre Gary Small avait réussi à trouver un spécimen ­d’Homo sapiens aujourd’hui quasiment éteint : l’individu ne maîtrisant absolument pas les outils numériques et n’étant jamais allé sur Internet. Ils ont ­cartographié son ­cerveau. Les bandes avec les nuages rouges y sont beaucoup plus étroites. Une fois que des informations ont atteint le cerveau, elles sont réorientées par les cellules nerveuses. Plus la direc­tion est claire, plus la pensée l’est aussi. Du point de vue du chercheur, les nuages en bandes étroites sont donc plutôt une bonne chose et les cumulus une mauvaise [lire « Internet et le cerveau », p. 24].
Pour Korte, ces images vieilles d’une décennie montrent surtout une chose : le numérique transforme tout le cerveau. Plus exactement, il l’a déjà transformé. Il lui a volé la clarté de pensée. Devant son public d’enseignants à présent inquiets, Korte poursuit : « Vous avez peut-être l’impression que vos élèves n’arrivent plus à se concentrer. Cela a à voir avec la numérisation des chambres d’enfant. » Selon lui, le cerveau, en étant de plus en plus souvent distrait par des stimuli numériques, s’est habitué à ne plus canaliser son attention. « Nous n’allons plus pouvoir réfléchir sur le monde », prédit Korte. Des tablettes en classe ? À ses yeux, ce n’est vraiment pas une bonne idée.

À Moira, dans l’arrière-pays sicilien, l’heure n’est pas aux classes équipées de tablettes. Le village se situe à 30 kilomètres de la mer. Quand le gynécologue Maurilio Foti s’est établi dans la région, durant les années 1980, il a été frappé par le nombre de personnes atteintes de crétinisme : il en a compté vingt-deux. Des hommes et des femmes de petite taille, certains avec un gros goitre – une bosse de la taille d’un poing à l’avant du cou. Ils accusaient un retard mental, étaient souvent sourds et muets. Si bizarre que cela puisse paraître, les crétins des montagnes de Sicile aident actuellement les scientifiques à résoudre le mystère de la chute du QI dans le monde occidental.
On sait que les gens deviennent des crétins lorsque, à l’état d’embryons, ils ont manqué d’hormones thyroïdiennes. Pour produire ces hormones, l’être humain – la femme enceinte en l’occurrence – a besoin d’iode. Beaucoup de femmes de Moira n’en trouvaient pas suffisamment dans leur alimentation, car, de magnifiques ­forêts de hêtres et de noisetiers ont beau s’épanouir ici, le sol contient peu d’iode, et il en va de même pour tout ce qui pousse dans ce sol. Même le lait des vaches qui paissent dans les hauteurs ne contient pas assez d’iode. Et on ne trouve pas de poissons riches en iode dans les montagnes. Les mères qui avaient une carence en iode ont donné naissance à des enfants au cerveau sous-développé. La thyroïde de ces enfants a augmenté de volume afin de capturer le plus d’iode possible. D’où la bosse sur le cou.
La thyroïde est un organe auquel nous ne prêtons pas assez attention. C’est étrange, car, sans thyroïde, l’être humain n’est rien. Les hormones thyroïdiennes activent toutes les étapes de notre déve­loppement. Elles commandent la croissance du cerveau. Sans elles, pas de formation des os, des muscles, des reins, du foie, de l’intestin. Sans elles, on ne peut apprendre ni à voir, ni à entendre, ni à se déplacer. Une personne adulte qui a trop peu de ces hormones peut devenir dépressive et distraite. Si elle en a trop, elle devient nerveuse et irritable.

La carence en iode pourrait sembler ne concerner qu’un village de montagne reculé dans une région sous-développée. En réalité, il s’agit d’un phénomène en hausse dans de nombreux pays ­industrialisés. Dans l’Union européenne, environ la moitié des enfants ont une ­carence en iode. Cela s’explique par le fait que, dans beaucoup d’États membres, l’adjonction d’iode dans le sel de table n’est pas obligatoire. La Société allemande de nutrition regrette que, depuis quelques années, l’industrie agroalimentaire utilise du sel non iodé davantage qu’auparavant, surtout pour des raisons de coût, apparemment.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) établit un classement des pays en fonction du degré de carence en iode observé dans la population. Dans la catégorie « carence légère » figurent onze pays industrialisés, parmi lesquels la France et le Danemark. La liste est en cours d’actualisation. Lors de sa prochaine publication, la Suède, la Norvège et la Grande-Bretagne y seront sans doute également présents.
« Carence légère » : cela n’a pas l’air si grave. Mais les travaux de l’endocrinologue Francesco ­Vermiglio, de l’université de Messine, en ­Sicile, montrent à quel point le système ­endo­crinien est sensible aux changements et quelles en sont les conséquences sur l’intellect. Même une légère carence en iode peut affecter la formation du cerveau. D’autres chercheurs ont fait des ­découvertes plus effrayantes encore. Il s’agit d’un problème que même le sel de table iodé ne peut résoudre.
Le bureau de la biologiste Barbara ­Demeneix, à Paris, semble tout droit ­sorti du xixe siècle. Du parquet qui craque, de vieilles ­vitrines remplies de livres, une belle table en bois ouvragée sur ­laquelle s’empilent des docu­ments. Par les ­fenêtres, on aperçoit le Muséum ­national d’histoire naturelle, où sont exposés des squelettes de dino­saure, des papillons, des algues, des champignons, l’inventaire du vivant. Le ­Muséum ­raconte comment l’homme et la Terre sont deve­nus ce qu’ils sont. Le bureau de la professeure Deme­neix en fait partie. Pourtant, ici, il ne s’agit pas de savoir d’où nous venons mais où nous allons. Dans un cadre d’hier, des questions d’après-demain.Sur la table, entre un étui de violon, des livres et un ordinateur portable, un manuscrit d’une centaine de pages. C’est le rapport que Barbara Demeneix présentera devant le Parlement européen dans quelques jours5.
La chercheuse a découvert que de nombreux produits chimiques contenus dans les pesticides, les retardateurs de flamme, les emballages et les cosmétiques interfèrent avec les récepteurs du corps humain auxquels s’arriment les hormones thyroïdiennes. Ces produits font partie de ce qu’on appelle les perturbateurs endo­criniens, des substances qui déstabilisent l’équilibre hormonal.
Nous absorbons des perturbateurs endocriniens avec l’air que nous respirons, avec la nourriture que nous mangeons, avec l’eau que nous buvons, avec la crème que nous utilisons pour notre peau. Un corps sans cesse approvi­sionné en perturbateurs endocriniens qui agissent sur les hormones thyroïdiennes se comporte comme un corps en manque d’iode : il engendre des enfants dont le quotient intellectuel est inférieur aux capacités de leurs gènes.
Barbara Demeneix pense avoir ­trouvé pourquoi le QI baisse dans le monde occi­dental. Elle pense du moins détenir une bonne partie de la réponse, ce qui lui vaut d’être critiquée aussi bien par certains de ses collègues que par l’industrie chimique. Ses livres, publiés en français et en anglais, s’intitulent Le Cerveau ­endommagé et Cocktail toxique6.

«Venez, je vais vous montrer les têtards et vous comprendrez. » Barbara Demeneix nous emmène au sous-sol, dans un labyrinthe de pièces remplies d’aquariums. Cela sent comme chez le poissonnier. Derrière une vitre, des xénopes du Cap – une espèce ­d’amphibiens – se tiennent tout droits dans l’eau, comme des statues ; un instantané de l’évolution. D’autres nagent avec ardeur dans l’aquarium, étirant leurs petites pattes devant le visiteur éberlué.
Pourquoi des têtards révéleraient-ils quoi que ce soit sur les humains qui perdent leurs facul­tés mentales ? « Ils constituent un ­modèle, explique Barbara Deme­neix, un modèle absolument merveilleux. » Comme tous les vertébrés, les têtards ont une thyroïde qui utilise l’iode pour produire les mêmes hormones que tous les vertébrés – les oiseaux, les poissons, les humains. Un têtard qui n’a pas assez d’hormones thyroïdiennes nage plus lentement que la normale et reste un têtard à vie. Il ne se métamorphose ­jamais en grenouille. C’est ce qui arrive aux têtards qui évoluent dans une eau contenant des pesticides. Exactement comme dans un plan d’eau naturel qui contiendrait des ­perturbateurs endo­criniens.

Aux États-Unis, des collègues de Barbara Demeneix ont analysé les données de plusieurs centaines de mères dans le sang desquelles on avait détecté des traces de retardateurs de flamme bromés (PBDE) pendant la grossesse. Les enfants de ces femmes ont été soumis à des tests de QI à l’âge de 5 et de 7 ans. Les enfants de celles qui avaient été très exposées aux PBDE ont obtenu 4 à 5 points de moins que les enfants dont la mère présentait peu de traces de retardateurs de flamme dans le sang. Des essais en laboratoire ont montré que les PBDE bloquent la production d’hormones thyroïdiennes. Agneaux, rats, souris, animaux sauvages – tous y sont sensibles. Il en va de même pour les femmes enceintes.
Les PBDE sont désormais interdits dans de nombreux pays, dont les États-Unis et l’Allemagne. Mais des canapés, des tapis et des rideaux traités avec ces retardateurs de flamme ont été vendus pendant plus de cinquante ans, et on les retrouve encore dans d’innombrables foyers aujourd’hui. Tout comme d’autres substances qui ont un effet similaire. Le revêtement des poêles, les emballages en plastique, le revêtement intérieur des boîtes de conserve, la peinture anti­tache, les antiparasitaires pour chiens et chats – toutes ces merveilles de la vie moderne contiennent des perturbateurs endocriniens qui dérèglent la production d’hormones thyroïdiennes.
Comme ses homologues d’Europe et des États-Unis, la Société allemande d’endocrinologie estime qu’il a été ­prouvé que les perturbateurs endocriniens jouent un rôle dans le développement des mala­dies thyroïdiennes. L’OMS estime que ces substances qui altèrent les fonctions du système endocrinien représentent une « menace mondiale » pour la santé et ­l’environnement.

Après tout, pourrait-on se dire, qu’importe qu’une personne ait un QI de 112 ou de 108, de 99 ou de 93 ? Le QI fluctue selon la forme dans laquelle on se trouve. Il varie selon que le sujet est stressé ou détendu, selon la qualité de son sommeil et ce qu’il a mangé au petit déjeuner. La marge de fluctuation est comprise entre 5 et 8 points. Une perte de QI de quelques points dans la population à l’échelle d’une décennie pourrait donc sembler sans grande importance. Or ce n’est pas le cas. Si on élargit sa perspective et qu’on réfléchit à ce qu’une perte de 4 ou 5 points de QI signifie pour la société dans son ensemble, le tableau est différent.
Un collègue de Barbara Demeneix, qui est pédiatre et spécialiste de santé publique à New York, a un jour fait le calcul avec un groupe de chercheurs – des médecins, des statisticiens, des épidé­miologistes, des économistes. La biologiste était également du nombre. Rien que dans l’Union ­européenne, le coût socio-économique induit par la baisse du QI et les troubles ­neurologiques du ­développement ­qu’entraînent les perturbateurs endo­criniens s’élèverait à 150 milliards d’euros par an.

Si le QI de tout un pays baisse de 5 points, cela a surtout un effet sur les franges de la société. Cela signifie que les extrêmes changent. Qu’il y a beaucoup moins de surdoués, moins d’Einstein et de Mozart. Moins de génies, moins de gens capables de penser l’impensé. Et, à la place, beaucoup plus de moins doués. Des personnes incapables de se prendre en charge. Qui ont besoin d’une attention particulière à l’école. Qui vivent dans des institutions spécialisées. Dont les parents travaillent moins (et paient donc moins d’impôts) parce qu’ils doivent s’occuper d’eux. Des personnes qui seront au ­chômage ou à qui l’État devra fournir un emploi adapté.

Même à l’échelle individuelle, le drame de la déperdition d’intelligence peut être chiffré. Selon une étude, à chaque point de QI perdu, on réduit ses revenus ­potentiels de 2 %. Ce ne sont là que des données statistiques, mais elles correspondent toutes à la vie réelle.
Les scientifiques continuent de débattre sur la cause exacte de la baisse du QI. Les gènes. La formation. L’éducation. Le numérique. La carence en iode. Les perturbateurs endocriniens. Le problème est très vraisemblablement multifactoriel. De même que Frank Spinath, le chercheur de Sarrebruck qui s’intéresse aux jumeaux, n’irait pas jusqu’à dire que seuls les gènes entrent en ligne de compte, Barbara Demeneix ne prétend pas que les perturbateurs endocriniens sont la seule cause.
L’être humain est beaucoup plus complexe que son QI, lequel est déjà fort complexe. Nous allons encore avoir ­besoin de beaucoup de personnes très intelligentes pour élucider peut-être un jour ce qui se passe à l’intérieur de nos têtes. 

Nataly Bleuel et Nike Heinen sont des journalistes scientifiques qui collaborent à plusieurs grands journaux allemands. Tanja Stelzer est responsable des grands dossiers à l’hebdomadaire Die Zeit.

Cet article est paru dans Die Zeit le 27 mars 2019. Il a été traduit par Baptiste Touverey.

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Pour prendre de la hauteur sur un sujet particulièrement complexe, on peut lire ce dossier en commençant par la fin. Notre « petit florilège sur la sottise » est une bonne mise en bouche. Surtout, il permet d’emblée de voir à quel point le sujet préoccupe les esprits forts depuis la nuit des temps. Et l’on appréciera à leur juste valeur quelques formules à l’emporte-pièce, comme cette maxime de La Rochefoucauld : « Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement ».

Toujours pour garder de la hauteur, on pourra lire ensuite l’article du psychologue américain Howard Gardner sur la multiplicité des formes de l’intelligence et donc de la bêtise. Et se livrer entre amis à un petit exercice de réflexion : combien de catégories d’intelligence pourriez-vous définir ? Après quoi vous aurez le recul nécessaire pour vous plonger dans la problématique ­actuelle. Elle est fondée sur la constatation d’une forte hausse du QI au xxe siècle, suivie d’une tendance à la baisse. Les deux premiers articles s’appuient sur les travaux de spécialistes pour qui l’évolution récente du QI traduit ou confirme une baisse de l’intelligence. Le troisième met en garde contre une telle conclusion et laisse le lecteur sur sa faim. La photo ci-dessus, elle, donne du grain à moudre.

Dans ce dossier :

L'intelligence en berne, par Nataly Bleuel, Nike Heinen et Tanja Stelzer (Die Zeit)

De quoi s’inquiéter ?, par Evan Horowitz (Think)

Les mille et une facettes de l’intelligence, par Howard Gardner (Le Philosophoire)

Tant de questions sans réponse, par Olivier Postel-Vinay

Petit florilège sur la sottise

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Que pensez-vous de l’idée de ­Leibniz selon laquelle nous vivons dans le meilleur des mondes possibles ?
Je n’y pense pas. La vie est déjà assez difficile comme ça.

Diriez-vous de vous-même que vous êtes un pessimiste ?
Dans mes bons jours, oui.

On définit souvent le pessimisme comme l’idée qu’il est préférable de ne pas exister que d’exister. Cette définition vous convient-elle ?
Pour moi, c’est une blague qui rend le mieux compte du pessimisme : « Je vois le verre à moitié plein, mais de poison. » Plus sérieusement, je ne conçois pas le pessimisme en termes de définitions, de doctrines, d’école de pensée ni même de philosophie viable. C’est un mode de pensée traversé par l’incertitude et par le doute, un sentiment de distanciation, ou, si l’on préfère, cette impression de ne pas saisir ce que tout le monde a l’air de saisir, de questionner les choses à un niveau fondamental dont personne ne veut entendre parler… Et oui, souvent, ce pessimisme-là s’accompagne de sombres ruminations sur la souffrance et la fragilité de la condition humaine. À mon sens, c’est ce moment où la pensée atteint ses limites, où la pensée de l’inutilité des choses devient inutilité de la pensée elle-même, où l’idée même d’humanité ­relève de l’hubris. Je suppose que je viens de définir le pessimisme malgré moi. Mais, comme vous pouvez le voir, cela ne nous avance guère. Cela n’a pas vraiment d’incidence pratique. Surtout pour les philosophes dits pessimistes qui le font.

Dans votre dernier livre, Infinite Resignation, vous notez : « Le pessimisme est une position philosophiquement intenable. » Or vous êtes philosophe et pessimiste. N’y a-t-il pas là une contradiction ? Comment lier pessimisme et philosophie ?
En un sens, c’est ce qu’est le pessimisme – la position philosophique de la position philosophiquement intenable. J’ai conscience que cela peut sembler simpliste, mais c’est là précisément que la philosophie devient intéressante pour moi. Le pessimisme m’intéresse parce qu’il met à l’épreuve l’esbroufe des jeux logiques de la philosophie et son rêve de maîtrise intellectuelle. Comment la philosophie peut-elle prendre la mesure de la vanité de la philosophie elle-même ? Le pessimisme est peut-être moins une philosophie qu’une zone d’ombre qui hante toute la pensée philosophique, si systématique, rigoureuse ou érudite qu’elle prétende être. Ce qui est construit doit aussi pouvoir se désintégrer.

Le pessimisme serait donc une manifestation de lucidité ? Une forme de radicalité ?
Les philosophes dits pessimistes peuvent faire preuve de lucidité – mais seulement dans leurs moments de confusion, de désorientation, de perplexité maximales. Est-ce de la radicalité ? Ce mot m’évoque un manifestant brandissant une pancarte : « La fin est proche » tandis qu’un autre tient une pancarte : « Cela ne finira donc jamais ? »
Vous écrivez dans votre livre : « Les philosophies de l’émerveillement étreignent le monde ; les philosophies du désespoir s’en méfient. » Comment décririez-vous la ­relation entre pessimisme et scepticisme ?
Pessimisme et scepticisme ont en commun l’incrédulité – une incrédulité envers ce qui est donné, une incrédulité à l’égard ce qui passe pour normal, une incrédulité envers toute la pantomime existentielle qui consiste à « faire semblant que c’est pour de vrai ».
En présentant des problèmes sans solution, en posant des questions sans réponse, en se repliant sur l’hermétisme, caverneuse demeure de la plainte, le ­pessimisme est coupable du plus inexcusable des crimes pour l’Occident – le crime de ne pas prétendre que tout cela a lieu pour une raison. Il ne respecte pas le principe le plus fondamental de la philosophie – le « comme si ». Penser comme si cela allait être utile, agir comme si cela allait changer quelque chose, parler comme s’il y avait quelque chose à dire, vivre comme si on n’était pas, en fait, habité par une non-entité murmurante depuis l’ombre et la boue.

N’y a-t-il pas une certaine lâcheté dans le pessimisme, dans le sens où le pessimiste redoute tellement d’être déçu par le monde, par la vie, qu’il refuse de s’exposer, de prendre le risque de la déception ou de l’échec, et préfère se réfugier dans une ­attitude ­grinçante et défaitiste ?
Si se sentir fondamentalement étranger à un monde débordant de souffrance, de conflits et de déceptions est une forme de lâcheté, alors oui : le pessimisme est une façon de se recroqueviller, de se mettre à l’abri de la stupidité foncière de la souffrance et de l’inanité d’un monde agressif façonné à notre image solipsiste.
Mais qu’a-t-on à perdre à être optimiste plutôt que pessimiste ? Au pire, de déception en désillusion, on devient pessimiste…
Eh bien, on a tout à perdre et on ­finira par tout perdre. Ce que je veux bien vous accorder, c’est que le pessimisme peut aisé­ment se muer en optimisme, et inver­sement. Parfois, le pessimiste le plus intransigeant est en fait un optimiste à court d’options. Parfois, l’optimiste le plus ardent est en fait un pessimiste arrivé à l’autre bout du tunnel. Par ailleurs, au ­niveau de la cohérence logique, l’optimisme finit incontestablement par l’emporter, puisque même le pessimiste le plus endurci doit, à tout le moins, affirmer le pessimisme lui-même. Je suis pessimiste sur tout – sauf sur le pessimisme.

Le pessimisme n’interdit-il pas toute action puisque, de son point de vue, toute action est vaine ?
Il y a ici une contradiction irrévocable. On est misanthrope, mais on tient la porte aux autres, on dit « s’il vous plaît » et « merci », on essaie de ne pas exprimer à voix haute ce qu’on pense. On soutient une cause sans y croire. Il faut distinguer la réalité conventionnelle de la réalité abso­lue. Il y a le monde pour nous, fait à notre image solipsiste, et il y a le monde sans nous, indifférent à nos pauvres ­petites peurs et nos pauvres petits désirs – la planète qui continue lentement de tourner. Il y a cette pandémie du syndrome de l’imposteur, de ce besoin d’attention doublé d’un déficit de l’attention qu’on appelle l’humanité, et la planète qui continue lentement de tourner. Il y a le mélodrame microscopique des réseaux sociaux avec son carnaval délirant de suffisance humaine, et la planète qui continue lentement de tourner.
Cela a de l’importance. Et, en même temps, cela n’en a aucune. La philosophie occupe l’espace entre ces deux affirmations. Sans compter que ne rien faire est beaucoup plus difficile qu’on le pense.

Le suicide n’est-il pas la seule action logique que puisse accomplir un pessimiste ?
Le suicide, c’est de l’optimisme. C’est trop volontariste. Jean Améry dit du suicide qu’il est « le refus de la logique de la vie », ce qui aboutit à un paradoxe terrifiant : je meurs, donc je suis. Mais Améry s’est montré extrêmement consciencieux dans son suicide1. Il faut beaucoup planifier, mettre de l’ordre dans ses affaires, etc. C’est fatigant de penser à tout cela. En un sens, pour beaucoup des auteurs que j’évoque, un livre est comme une longue lettre de suicide. J’ai lu récemment Paradis, clef en main, de Nelly Arcan : on y trouve une phrase formidable sur l’écriture qui prend la place de la mort à venir2. Et puis il y a Cioran : « Sans l’idée du suicide, je me serais tué depuis toujours.  »3

Dans votre livre, vous citez un certain nombre de penseurs pessimistes : Schopen­hauer, Kierkegaard, Dostoïevski, Pascal, Chamfort, Cioran, Nietzsche… L’un de leurs points communs est qu’ils s’expriment en général en recourant à la forme courte de la maxime, de l’aphorisme, du journal ou du fragment. C’est ce que vous faites vous-même dans Infinite Resignation. Comment expliquez-vous cette relation entre pessimisme et forme courte ?
Un système philosophique est très exigeant : il suppose une hiérarchie de parties s’inscrivant dans un tout, un argument menant au suivant, la construction d’une étincelante cathédrale de la raison qui vous engloutit dans son ombre. Sans être moins rigoureuse, la forme courte est plus attentive à l’humilité de la philosophie.
Prenons l’exemple de l’aphorisme. Il prétend exprimer, sinon une vérité, du moins quelque chose de signifiant. Contrairement à l’axiome, il n’a aucun goût pour les vérités qui vont de soi. Il n’a pas non plus la rigueur logique du théorème. Il lui manque même l’ingénuité de l’épigramme. Que fait donc l’aphorisme ? Le mot vient du grec aphorizein, qui signifie « délimiter », « marquer une séparation », « distinguer ». Nul doute que les pessimistes ont une prédilection pour l’aphorisme pour cette raison. C’est le rêve d’une négation se suffisant à elle-même, d’une accalmie dans l’abîme, la quiétude d’un murmure à peine audible. C’est aussi un rêve décevant, car l’aphorisme est également aphorismus – concis, résumé, défi­nitif. Le rêve d’exprimer quelque chose qui se dissoudrait – ou s’absoudrait – soi-même, avec toute l’aisance de l’abandon.

Autre particularité : parmi les penseurs pessimistes que vous mentionnez, beaucoup sont de grands écrivains. Est-ce une coïncidence ? Ne pensez-vous pas que les penseurs pessimistes ont une certaine tendance à se réfugier dans le style, l’art pour l’art, l’esthétisme ?
Écrire, c’est effectivement se réfugier dans le style. Un philosophe qui croit vraiment à la clarté et à la limpidité ­innées du langage devrait se consacrer à autre chose qu’à la philosophie.

Dans la seconde partie de votre livre, vous présentez toute une série de penseurs pessimistes. Ce qui est frappant dans cette liste, c’est qu’il s’agit en grande majorité de Français et d’Allemands. En tout cas, tous sont des penseurs d’Europe continentale. Il n’y a pas un seul anglophone. Pourquoi le pessimisme est-il plutôt l’affaire de penseurs continentaux ?
Je ne vois pas l’intérêt de faire des généralisations sur l’identité nationale, comme s’il y avait une façon « française » ou « allemande » de penser. De plus, si l’on considère mon livre dans son ensemble, on y trouve des auteurs issus d’un large éventail de cultures – celles du Brésil, de la Chine, de la République tchèque, du Danemark, de l’Italie, du Japon, du ­Portugal, de la Russie, de la Corée du Sud, de l’Espagne, du Royaume-Uni, etc. Je reconnais, cela dit, que je suis attiré par les auteurs qui répudient leur culture.

Néanmoins, parmi ces penseurs pessimistes, je serais tenté de distinguer deux groupes : les pessimistes un peu plus « joyeux », comme Montaigne, et les pessimistes franchement sinistres, comme Schopenhauer et surtout Mainländer. Il me semble que les Français se rangent plutôt dans la première catégorie et les Allemands dans la seconde. Vous n’êtes pas d’accord avec cette ­distinction ?
Pas du tout. Les écrits de Montaigne sur la dépression, la solitude et le scepticisme sont assez sombres. Tout comme ce qu’écrit Pascal dans ses moments de doute religieux intense. Il en va de même des moralistes français, Chamfort en particulier. Et sous les satires enjouées de Voltaire se cache une dérangeante mise en cause de l’orgueil de l’humanisme. N’oublions pas, enfin, que c’est cette tradition qui a débouché sur les violentes mises en accusation de Baudelaire, de Lautréamont, de Huysmans, sur les écrivains fin de siècle… et sur Houellebecq.
Pour beaucoup des penseurs pessimistes évoqués dans votre livre, le salut vient de la religion (je pense à Pascal, à Dostoïevski, à Kierkegaard, à Huysmans). Est-ce un signe de faiblesse, d’incohérence ? Comment peut-on être pessimiste et avoir la foi ?
D’une certaine manière, la misanthropie et le mysticisme sont les deux faces d’une même pièce. Peut-être que le mystique commence là où le pessimiste s’arrête. Peut-être que le pessimiste est un mystique pragmatique.

Vous consacrez plus de pages à Schopenhauer qu’à tout autre penseur. Qu’est-ce qui fait de lui, selon vous, le saint patron des pessimistes ?
Le fait qu’il ne se soit jamais perçu comme un « pessimiste ». Il a toujours considéré que ce qu’il faisait était de la philosophie – un point c’est tout. Il a également été l’un des premiers penseurs occidentaux à tirer sérieusement des enseignements des philosophies ­indiennes classique et bouddhiste. La souffrance constitue son point de départ. Il développe ensuite une philosophie de la « mauvaise attitude », une métaphysique du rapport grincheux au monde, mais aborde aussi ce monde d’un point de vue cosmique… Schopenhauer est un kantien dépressif.

Comment l’Américain que vous êtes peut-il être pessimiste ? N’est-ce pas épouvantable pour vous de vivre dans le pays de ­l’optimisme ?
Je ne me suis jamais défini comme américain et je ne m’identifie pas à la culture américaine. Mais c’est sans doute très américain de dire cela. Je ne sais pas quoi penser de cette société tapageuse, écœurante, fâcheuse et régressive qu’est l’« Amérique ». C’est à la fois l’empire de l’optimisme et celui du pessimisme. Certes, peut-être faut-il y voir les symptômes d’un empire en ruine. Mais il s’agit d’un processus lent ; les ruines ne surviennent pas du jour au lendemain. Cela prend du temps, le déclin est un travail de patience.

Pour finir, je ne peux m’empêcher de vous demander : comment vous sentez-vous ­aujourd’hui ?
Mieux, maintenant que j’ai fini cet entretien. 

— Propos recueillis par Baptiste Touverey

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En 2018, à tout juste 30 ans, Akwaeke ­Emezi a fait une entrée remarquée en littérature avec son premier roman, Eau douce (Gallimard, 2020). Le magazine littéraire sud-africain ­Johannesburg Review of Books a célébré dans ce récit fortement autobiographique « l’une des œuvres de ­fiction les plus passionnantes de la décennie ».

« Avec sa prose incantatoire, Eau douce oblige les lecteurs à sortir des schémas binaires corps-­esprit, homme-femme, psychotique-sain d’esprit, écrit le critique Ron Charles dans The Washington Post. Le roman traite des expériences éprouvantes d’une jeune femme nigé­riane qui abrite plusieurs moi ­distincts. »

Un peu comme Emezi, qui a grandi au Nigeria et vit aux États-Unis, et se définit comme une personne « noire, trans et non binaire », c’est-à-dire qui ne s’identifie ni comme homme ni comme femme. La fluidité de genre est aussi ce qui caractérise Vivek, le jeune protagoniste de son nouveau roman, The Death of Vivek Oji, qui s’est propulsé dans la liste des best-sellers de The New York Times.

Emezi situe son récit dans le ­Nigeria de son enfance, celui des années 1980, et fait mourir Vivek d’entrée de jeu. Mais ce qui l’intéresse ici c’est moins d’enquêter sur les circonstances de sa mort que sur son existence, note la critique Ilana Masad dans le quotidien Los Angeles Times. Les amis et les membres de la famille livrent chacun à leur tour des bribes d’information, entrecoupées par le témoignage d’outre-tombe de Vivek : « Je ne suis pas ce que tout le monde pense que je suis, dit le mort. Je n’avais pas les mots pour dire ce qui n’allait pas, pour rectifier les choses que j’estimais devoir rectifier. Et au quotidien, c’était dur de savoir que les gens me voyaient d’une certaine façon, qu’ils se méprenaient sur mon compte, que mon vrai moi leur était invisible. Qu’il n’existait même pas pour eux. »

Assez tôt dans le roman, on ­apprend que Vivek est né le jour où sa grand-mère est morte et qu’il a au pied une marque identique à celle qu’avait son aïeule. Un signe prémonitoire que les ­parents du jeune homme refusent de voir. « La vérité est trop ­effrayante pour eux », observe Ron Charles. « Car le Nigeria est un pays terriblement homo­phobe et transphobe. Les personnes qui ne se conforment pas aux rôles sexuels traditionnels sont humiliées, arrêtées, ­assassinées. Les parents de Vivek peuvent le protéger jusqu’à un certain point, mais les voisins cancanent. Et sa tante, qui se cramponne à sa foi “avec une sorte d’amertume tenace”, soumet Vivek à un exorcisme particulièrement brutal dans son église. Mais le problème n’est pas tant l’intolérance que l’ignorance qui ne donne à Vivek aucun moyen de savoir s’il est malade ou si c’est simplement sa vie. »

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Qui aurait parié sur le succès d’un livre dont le sujet est le livre ? Et pourtant, El infinito en un junco en est à sa seizième réimpression depuis sa parution en septembre 2019, il accumule les récompenses et est cours de traduction dans une vingtaine de langues – il paraîtra en français, aux Belles Lettres, à l’automne 2021. Son auteure, la romancière et spécialiste de lettres classiques Irene Vallejo, y retrace l’histoire de cette extraordinaire invention dont certains prédisent la disparition à brève échéance.

Pourquoi un tel engouement ? En partie parce que l’auteure ne se contente pas de remonter aux origines du livre et de faire ­l’historique de ses transformations successives au cours de près de trente siècles, du volumen au codex, de l’incunable jusqu’au produit industriel que nous connaissons aujourd’hui. « Irene Vallejo a eu la bonne idée de s’affranchir de la prose universitaire pour adopter le style d’un conteur qui conçoit l’histoire non pas comme une succession de références à des ­documents mais comme une fable », note dans le quotidien El País l’écrivain argentin Alberto Manguel, lui-même auteur d’Une histoire de la lecture (Actes Sud, 2000).

L’auteure confie d’ailleurs au quotidien El Mundo avoir cherché à donner à son essai une structure semblable à celle des Mille et Une Nuits. ­Shéhérazade moderne, elle égrène les ­récits épiques mettant en scène les héros de l’histoire du livre. En commençant par Démétrios de Phalère, qu’elle présente comme le tout premier bibliothécaire. Né vers 360 avant notre ère, cet homme d’État athénien contribua à fonder la célèbre bibliothèque d’Alexandrie, qui aurait abrité près de 700 000 volumes. « Peu d’écrivains aujourd’hui sauraient raconter aussi bien qu’Irene Vallejo comment des émissaires du roi d’Égypte Ptolémée II ­arpentèrent le monde à cheval à la recherche d’ouvrages à ajouter à la bibliothèque d’Alexandrie, estime le poète Luis Alberto de Cuenca dans le quotidien ABC. C’est aussi un récit d’aventures. L’auteure nous emmène sur les champs de bataille d’Alexandre le Grand et dans la villa des Papyrus d’Herculanum, ensevelie par l’éruption du Vésuve, dans les palais de Cléopâtre et sur le lieu de l’assassinat d’Hypatie, dans les toutes premières librairies, dans les ateliers des copistes et devant les bûchers où flambaient les ­codex interdits. »
Un tel phénomène éditorial invite à se déprendre du pessimisme qui plane sur l’avenir du livre. Visiblement, l’être humain n’aime rien tant que lire des histoires – sur papyrus, sur papier ou sur écran. 

[post_title] => Il était une fois le livre [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => il-etait-une-fois-le-livre [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-05-07 10:17:19 [post_modified_gmt] => 2021-05-07 10:17:19 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=101157 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Kjell Westö, qui appartient à la minorité suédophone de Finlande, a déjà séduit de nombreux lecteurs nordiques avec ses romans situés dans sa ville natale, Helsinki, parmi lesquels Un Mirage finlandais (Autrement, 2016) et Les Sept livres de Helsingfors (Gaïa, 2008).

Dans Tritonus, il crée un archi­pel fictif, habité par un chef d’orchestre de renommée inter­nationale sur le déclin. Dans son luxueux bunker, « Casa Tritonus », le vaniteux Thomas Brander se sent bien seul : il s’est fait quitter par une jeune violoniste et évincer d’un poste à Stockholm à cause d’une plainte un peu vague mais fatale à l’heure du mouvement #MeToo. Cette atmosphère mélancolique est bientôt rompue par un voisin impulsif, veuf depuis peu, piètre musicien mais organisateur hors pair, impliqué dans la vie locale – en somme, tout le contraire du protagoniste.

En Finlande comme en Suède, l’accueil est enthousiaste : « Westö réussit joliment à décrire la crise du quinquagénaire occidental et son angoisse de ne plus être à l’apogée de sa vie », note le journal finlandais suédophone Hufvudstadsbladet. Le quotidien suédois Svenska Dagbladet apprécie, lui, « une ­réflexion stimulante sur la rançon du succès doublée d’un hymne à la musique ». 

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Au printemps, durant le confinement, les mineurs du bassin houiller d’Ostrava-Karvina, en Silésie tchèque, ont continué à descendre dans les galeries. Une fois de plus, ils « ont été traités comme des citoyens de seconde zone », s’est insurgée la romancière Karin Lednická, elle-même originaire de la région, sur la chaîne d’information en continu CNN Prima News. Qui a entendu parler des catastrophes minières qui ont endeuillé les familles des décennies durant, ou du conflit meurtrier de 1918 entre la ­Pologne et la Tchécoslovaquie, qui revendiquaient toutes deux la région ?

Dans Šikmý kostel, un succès de librairie depuis des mois, ­Lednická met fin à l’oubli. ­Située entre 1894 et 1921, sa saga campe notamment des femmes malmenées par l’histoire mais dotées d’un courage hors norme. Des personnages attachants, juge la critique : « Nous partageons avec eux le mauvais pain des temps de guerre, nous allons boire une bière dans les cafés d’Ostrava. […] L’auteure écrit de façon si authentique sur l’époque qu’à la fin nous avons envie d’essuyer la sueur noire de notre front […] et d’applaudir », s’enthousiasme le quotidien Právo. En attendant le deuxième volet de la trilogie promise. 

[post_title] => Coups de grisou [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => coups-de-grisou [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-05-07 10:13:36 [post_modified_gmt] => 2021-05-07 10:13:36 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=101139 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )