Empereurs, en veux-tu, en voilà

Même si les études classiques sont mal en point, l’Antiquité semble n’avoir jamais été autant à la mode. Un engouement auquel la vedette de l’histoire romaine, l’historienne britannique Mary Beard (également blogueuse et présentatrice télé), a largement contribué par une ribambelle de bestsellers. Le dernier en date est consacré aux empereurs romains, ou du moins une sélection d’entre eux : « les 26 hommes qui ont gouverné Rome depuis Auguste, le premier et le plus fameux d’entre eux, jusqu’à Sévère Alexandre, l’enfant empereur très justement oublié sur lequel se clôt la quatrième dynastie impériale de Rome », écrit Edward Watts dans la Los Angeles Review of Books. Soit une période de 250 ans, sur les 1500 allant de l’avènement d’Auguste (- 27 avant notre ère) jusqu’à la chute officielle de l’Empire romain d’Orient, à Constantinople en 1453. Mary Beard fait valoir que pendant ces premiers 250 ans, l’extension géographique de l’empire (de l’Écosse au Sahara, du Portugal à l’Irak), sa population (50 millions), le système politique (l’empire donc, avec un fallacieux vernis de démocratie sénatoriale) et la société romaine sont restés peu ou prou inchangés. Quelques têtes d’affiche – Auguste, Néron, Caligula, Claude, Marc Aurèle, etc. – fournissent à l’auteure assez de matériau pour une analyse non pas chronologique mais thématique des empereurs romains, une sorte de « job description » détaillant les capacités requises ainsi que les devoirs et les droits afférents à la fonction. Des droits dont d’ailleurs certains d’entre eux – Tibère, Néron, Caligula, Héliogabale – ont usé et abusé dans des proportions qui donnent à Mary Beard l’occasion de pimenter son érudition d’anecdotes ébouriffantes qui titillent le lecteur tout en l’instruisant. Si bien qu’aux savantes évocations du gouvernement impérial et des ambitions communes à tous les (bons) empereurs – conforter l’autocratie, embellir Rome, défendre et élargir l’empire, assurer la paix sociale et l’adhésion des peuples rattachés – se superpose la peinture de cruautés et d’extravagances gastronomiques, financières ou sexuelles auxquelles seul un pouvoir personnel absolu peut donner un si libre cours. Lesquelles expliquent la remarquable similitude des trajectoires impériales : arrivé sur le trône souvent de façon fortuite et parfois très jeune, sous la poussée d’intérêts personnels (le plus souvent familiaux) et parfois moyennant finances, l’empereur n’y reste que le temps de déplaire assez pour s’en faire éjecter violemment. Les transitions impériales s’opèrent dans des circonstances parfois grotesques (Caracalla poignardé en train d’uriner) mais le plus souvent tragiques, soulèvements populaires et affrontements à l’appui. Pendant ses 250 grandes années, l’Empire romain a prospéré, avec une administration très performante mais des institutions dysfonctionnelles. Puis il a lentement sombré. Message de la Rome antique à ceux qu’elle intéresse toujours : l’autocratie mal contrôlée n’est pas viable à long terme.

LE LIVRE
LE LIVRE

Emperor of Rome: Ruling the Ancient Roman World de Mary Beard, Liveright, 2023

SUR LE MÊME THÈME

Histoire 500 ans d’Empire romain
Histoire Dans les chaudes coulisses de Nuremberg
Histoire Génération perdue

Dans le magazine
BOOKS n°123

DOSSIER

Faut-il restituer l'art africain ?

Chemin de traverse

13 faits & idées à glaner dans ce numéro

Edito

Une idée iconoclaste

par Olivier Postel-Vinay

Bestsellers

L’homme qui faisait chanter les cellules

par Ekaterina Dvinina

Voir le sommaire