Jeunes femmes, redécouvrez les attraits du couvent !
Publié en décembre 2025. Par Books.
On ne souhaiterait pas ce sort à sa pire ennemie : nonne dans un couvent espagnol du XVIe siècle. Et pourtant… D’abord, l’espérance de vie des religieuses était certainement supérieure à celle de leurs consœurs dans le siècle, victimes, pour les plus favorisées, du joug conjugal et des grossesses à répétition souvent mortelles, et, pour les autres, des durs labeurs et de la faim en prime. Les dames pieuses, elles, menaient des vies bien souvent plus longues et comparativement plus confortables, mais surtout plus gratifiantes même en ne s’en tenant qu’aux aspects laïques. L’existence monacale n’était pas exempte de certaines séductions, dues à la vie en communauté et aussi à la possibilité d’une activité intellectuelle créative. Car le couvent offre d’abord un concentré de la vie en société – enfants et hommes exceptés (envers lesquels beaucoup de ces femmes, « qui ont quitté le monde pour vivre entre elles », comme le résume María Sánchez Díez dans le New York Times, expriment leur éloignement voire leur dégoût). Mais l’affection, la solidarité, l’amitié au besoin très poussée, sont par contre bien présentes, et aussi la gaîté, dont une mère supérieure vante ainsi les mérites : « Vous découvrirez par vous-mêmes que parfois, alors que vous êtes réticentes à aller en récréation parce que vous êtes tristes et mélancoliques, la joie et le bon esprit des sœurs vous distrairont de vos peines et les tourneront en bonheur ». Et puis – autre avantage – ces femmes généralement intelligentes et parfois très bien éduquées ont la possibilité et souvent même l’obligation de produire un journal « de l’âme » (pour leur confesseur) ou leur autobiographie ; elles sont aussi des communicatrices assidues, soucieuses de partager avec leurs consœurs éloignées leurs expériences spirituelles et temporelles.
Il subsiste un amas de tels textes, dont deux thésardes de Brown University à Rhode Island se sont emparées et contre toute attente ont fait leur miel. Elles ont en effet découvert dans l’étonnant matériau « des voix incroyablement proches […] qui amènent à l’étrange constatation que la sagesse conventuelle du XVIe siècle peut apporter une réponse apaisante aux malaises des jeunes femmes du XXIe ». L’« intelligence collective » qui émerge sous la plume des nonnes de jadis montre en effet comment supporter et gérer la soumission pénible à une hiérarchie masculine accrochée à ses doctrines et ses privilèges ; ou résoudre les inéluctables problèmes d’argent avec une sagacité financière redoutable (comme Thérèse d’Avila) et un pragmatisme qui permet d’alimenter les caisses des couvents par des petits business : fabrication d’hosties ou de vêtements religieux, monétisation des extases spectaculaires de certaines nonnes (notamment les lévitations de Thérèse d’Avila, la « superstar du mysticisme », celles, « statiques », de Maria de Jésus de Agreda, ou les « extases de pleurs » de quelques autres), et même la production de romans comme ceux de la sœur Arcangela Tarabotti. Il est aussi beaucoup question d’amour, qu’il s’agisse d’amitié superlativement exaltée ou des relations très charnelles décrites dans les comptes rendus de procès d’inquisition, notamment celui d’Inés de Santa Cruz et de Catalina Ledesma qui contient les aveux très détaillés des deux pécheresses. Le jésuite Bernardo de Villegas, auteur d’un « Guide de conduite pour les fiancées du Christ », y soulignait le danger inhérent des « amitiés particulière » : trop de bavardages, trop d’émotions, trop de jalousies qui parfois se transforment en haine, trop de favoritisme… Thérèse d’Avila était elle-même très stricte sur la question, mais elle écrivait aussi « que seules les femmes savent parler le langage des femmes ».
C’est sans doute pourquoi les deux autrices ont été happées par ces paroles venues de si loin mais qui leur ont paru s’appliquer si pertinemment à elles-mêmes et à leurs problèmes de nonnes modernes (c’est-à-dire des thésardes), écrasées de travail souvent ingrat, affrontées à une hiérarchie masculine et oppressante, enfin confrontées aux mêmes vicissitudes des amours lesbiennes que leurs prédécesseures, Sainte Inquisition en moins. Ce qui a conduit nos deux universitaires, sur les conseils intéressés de leur éditeur, à transformer leur savante étude en un véritable guide de self-help pour demoiselles qui a le mérite additionnel de montrer que l’éternel féminin transcende en effet les siècles comme les circonstances.
