Le vent du large

L’interview est un genre, parfois un art. Le genre est récent. Il a été inventé par la presse américaine. Le mot lui-même est apparu en 1867. L’une des premières interviews en bonne et due forme, et l’une des plus célèbres, a été réalisée par le journaliste R. Landor pour le New York World, le 18 juillet 1871. L’interviewé n’était autre que Karl Marx. On était au lendemain de la Commune. Landor s’est rendu chez Marx, qui avait lui-même un passé de journaliste. Avant d’en venir aux questions-réponses, rendues de manière apparemment fidèle et dans un style très direct (quand Marx rit, il le précise), il présente l’homme et décrit son intérieur, dans son appartement de Londres: « Karl Marx est un docteur en philosophie, pourvu d’un vaste savoir d’Allemand, tiré tant de son observation du monde que des livres […]. Son environnement et son allure sont ceux d’un homme aisé de la classe moyenne. Le salon où je fus introduit ce soir-là aurait pu être celui d’un agent de change prospère qui avait fait ses preuves et était en train de faire fortune. C’était le confort personnifié, l’appartement d’un homme de goût pourvu de moyens, sans rien qui reflète les particularités de son propriétaire. Seul un bel album de vues du Rhin, posé sur la table, fournissait un indice de sa nationalité. Je m’approchai prudemment d’un vase posé sur un guéridon, en quête d’une bombe. Je cherchai l’odeur du pétrole, mais ne sentis que celle des roses. Je revins à pas de loup sur mon siège, m’attendant au pire. Il entra et m’accueillit avec chaleur. Et nous voilà assis, face à face. Oui, un tête-à-tête avec la révolution incarnée, avec l’authentique fondateur et guide spirituel de la Société Internationale […], en un mot, avec l’apologiste de la Commune de Paris ».
Vous ne trouverez rien de semblable dans ce numéro de Books, mais l’inspiration n’est pas si éloignée. La sélection d’entretiens que nous vous présentons, réalisés au cours des douze dernières années, répond au souci de présenter au lecteur français le point de vue, la réflexion, la pensée et le savoir d’auteurs venus d’ailleurs, qui apportent un regard différent de ceux dont nous sommes coutumiers. Certains de ces intellectuels, femmes et hommes, peuvent faire figure d’iconoclastes, mais leur analyse est toujours fondée sur une recherche approfondie ou une expérience peu commune. Rien de gratuit. On peut ne pas être d’accord, mais même lorsque leur pensée s’oppose radicalement à ce que nous croyons, le
soupçon s’insinue que l’erreur n’est peut-être pas forcément de leur côté. Un dialogue s’instaure, parfois dérangeant, toujours enrichissant. Nous sommes bien là au cœur de la mission de Books : ouvrir les fenêtres sur le vent du large.

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