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Rivales, inséparables, Vienne et Berlin - Books

Rivales, inséparables, Vienne et Berlin

Beaucoup d’idées et de talents naissaient à Vienne, mais c’est à Berlin qu’ils s’épanouissaient. Un nouveau livre explore l’effervescence intellectuelle et artistique des deux capitales entre la fin du XIXe siècle et les années antérieures au nazisme.


Vue de la Potsdamer Platz, à Berlin, aux alentours de 1930. © CC2.0, Sludge G

De la fin du XIXe siècle au début des années 1930, deux villes au cœur de l’Europe furent à la pointe de la modernité : à Vienne et à Berlin, la physique nouvelle, la logique mathématique, la psychanalyse, l’art nouveau puis l’art déco, l’école du Bauhaus en architecture, l’expressionisme en peinture et au cinéma, la musique post-wagnérienne, puis sérielle, fleurirent, tandis qu’apparaissaient des formes inédites et inventives de théâtre, de littérature, de spectacle, de journalisme critique et de satire politique. Cette effervescence intellectuelle et artistique et l’étonnante concentration de talents dans les deux capitales n’ont cessé de fasciner et sont célébrées dans de nombreux livres. Aux classiques Vienne fin de siècle de Carl E. Schorske et L’Esprit Viennois de William M. Johnston est venu récemment s’ajouter Vienna. How the City of Ideas Created the Modern World, de Richard Cockett. Berlin n’est pas en reste avec, notamment, le remarquable Before the Deluge: A Portrait of Berlin in the 1920’s d’Otto Friedrich. 


Dans l’ouvrage qu’il vient de publier, Jens Wietschorke a choisi de traiter simultanément des deux villes, dans une perspective originale. Loin d’être une simple histoire parallèle de Vienne et de Berlin à cette époque, le livre se présente comme l’étude de leurs relations compliquées : le mélange d’attraction et de répulsion qu’elles exerçaient l’une sur l’autre, le système qu’elles formaient ensemble, décrit comme une sorte de champ magnétique à deux pôles. Les deux métropoles n’ont cessé d’être comparées l’une à l’autre et se définissaient en opposition mutuelle. Dans son livre Wien-Berlin. Ein Vergleich (« Vienne-Berlin. Une comparaison »), le journaliste Alfred H. Fried, un des nombreux Viennois qui ont vécu à Berlin, le déclarait sans ambages : Vienne et Berlin sont « fondamentalement différentes », elles sont totalement étrangères l’une à l’autre, entre elles il y a « des mondes d’écart ».  


Dans l’esprit général, résume Wietschorke, « la répartition des rôles était claire […], Berlin symbolisait le progrès effréné, les possibilités illimitées, la technologie, la vitesse […]. Vienne, quant à elle, jouait le rôle d’une capitale établie de longue date, où l’on voyait les choses avec calme et distance. […] Vienne, ville de paysages et d’histoire, contrastait avec Berlin, ville sans paysages et sans histoire. » Face à Berlin agitée, protestante, industrieuse et dévorée par les affaires, Vienne la catholique était perçue comme la ville des traditions artistiques et musicales et des plaisirs civilisés. Dans l’imagerie courante, à Vienne le passé était toujours présent, à Berlin, c’est le présent qui dominait : quand le Viennois se promenait et flânait, le Berlinois, lui, n’arrêtait pas de courir. 


Cette image des deux villes, souligne Wietschorke, était largement le produit de clichés simplificateurs. Mais parce qu’elle correspondait à la manière dont les habitants des deux villes se représentaient celles-ci, elle exerçait dans la réalité des effets tangibles. Elle n’était pas non plus dépourvue de fondements objectifs, ancrés dans l’histoire et la géographie. Capitale en plein essor de l’empire prussien, puis de la République de Weimar, Berlin se développait à une allure soutenue dans toutes les directions, dans un environnement local qui ne contraignait que peu l’expansion urbaine. L’électrification massive, un réseau de métro étendu, de grands bâtiments publics et privés à l’architecture audacieuse, un trafic intense (en 1914, 44 % des rues étaient asphaltées) faisaient d’elle le prototype de la ville de l’avenir évoqué en 1927 dans le film documentaire Berlin: Die Sinfonie der Großstadt et illustré la même année, dans un style fantasmatique, par Fritz Lang dans son célèbre film Metropolis. Capitale d’un empire finissant au crépuscule de sa vie, amputé de sa partie hongroise à l’issue de la Première Guerre mondiale, Vienne, produit naturel de son environnement géographique, baignée par le Danube bien plus ostensiblement que Berlin par la Spree, demeurait une ville compacte à l’architecture monumentale ou bourgeoise classique, vivant à un rythme paisible. 


Deux grands romans, relève Wietschorke, reflètent fidèlement l’esprit des deux villes. Bien que le modèle du principal personnage, Paul Arnheim, fût une figure berlinoise fameuse, l’industriel, écrivain et politicien Walther Rathenau, L’Homme sans qualités, de Robert Musil, peut être considéré comme le roman de Vienne par excellence. Berlin Alexanderplatz, par contraste, d’Alfred Döblin, dont l’histoire se déroule dans la pègre berlinoise, met en scène « le changement constant, la turbulence d’événements imprévus » caractéristiques de la ville. Celle-ci présentait incontestablement certaines spécificités. On ne trouvait rien à Vienne d’équivalent à l’intense vie nocturne de Berlin, caractérisée, à tout le moins dans certains quartiers, par une grande liberté de mœurs, des spectacles de cabaret cultivant la provocation et manifestant une volonté de transgression, un milieu homosexuel et lesbien très actif qui attirait des personnes de toute l’Europe (Christopher Isherwood et W. H. Auden en furent des figures notables), l’usage ouvert de nombreuses drogues et le travestissement. 


Dans l’ensemble, cependant, il serait erroné d’identifier chacune des deux villes à un type particulier d’activités ou de créativité. Albert Einstein séjourna un temps à l’université de Berlin, mais c’est dans la capitale autrichienne que le « Cercle de Vienne » réunissait des logiciens, philosophes et mathématiciens comme Moritz Schlick, Rudolf Carnap et Otto Neurath. Avant d’être promu par Walter Gropius et Ludwig Mies van der Rohe au Bauhaus, le dépouillement en architecture avait été pratiqué par le Viennois Adolf Loos. En peinture, Berlin avait Georg Grosz et le mouvement dada, mais Vienne Gustav Klimt, Egon Schiele et Oskar Kokoschka. La critique sociale et la satire politique s’exprimaient sur les scènes des cabarets berlinois, mais tout autant dans la presse viennoise sous la plume impitoyable de Karl Kraus. La psychanalyse fut fondée par Sigmund Freud à Vienne, mais ses élèves Karl Abraham, Otto Fenichel, Theodor Reik et Melanie Klein travaillèrent à Berlin. 


Entre les deux villes, la circulation était constante, surtout dans le sens Vienne-Berlin. Beaucoup d’idées et de talents naissaient à Vienne, mais c’est à Berlin qu’ils s’épanouissaient. Les écrivains autrichiens Stefan Zweig et Joseph Roth séjournèrent tous deux un certain temps à Berlin, ainsi que le Viennois d’adoption Elias Canetti. (Dégoûté par le comportement grossier et incontrôlé de Georg Grosz au cours d’une fête, il regagna rapidement Vienne.) La romancière Vicki Baum, connue pour sa pratique de la boxe et pour avoir incarné le modèle de la « nouvelle femme », s’installa dans la capitale allemande, tout comme le musicien Arnold Schoenberg. Après avoir travaillé pour la presse viennoise, le futur cinéaste Billy Wilder fut journaliste à Berlin, avant d’y entamer une carrière de scénariste. 


C’est dans les arts de la scène que les liens entre les deux capitales furent les plus intenses et continus. Un des metteurs en scène de théâtre les plus réputés de Berlin était le Viennois Max Reinhardt. En 1905, il prit la direction du Deutsches Theater de la Schumannstrasse. « Par la suite, observe Jens Wietschorke, le théâtre devint une véritable ambassade artistique de Vienne à Berlin. Son frère, Edmund, assuma la direction administrative de toutes ses activités théâtrales et dirigea l’entreprise. Son régisseur et directeur technique, Franz Dworsky, était originaire de Vienne, tout comme le dramaturge Arthur Kahane, le metteur en scène et professeur d’art dramatique Berthold Held et son futur secrétaire Gusti Adler. » Les auteurs viennois, notamment Arthur Schnitzler et Hugo von Hofmannsthal, figuraient parmi les plus joués du répertoire, et la plupart des membres de la troupe étaient viennois. Les pièces berlinoises, par contre, ne suscitèrent jamais beaucoup d’enthousiasme dans le public viennois. C’est notamment le cas des pièces politiques de Bertolt Brecht. La réussite de Bertolt Brecht dans le Berlin des années 1920 doit par contre beaucoup à trois Viennois : la chanteuse Lotte Lenya, le compositeur Hanns Eisler, qui mit en musique beaucoup de ses textes, et l’actrice Helene Weigel, qui devint son épouse et sa plus proche collaboratrice. Dans le domaine de l’opéra et de l’opérette, une figure centrale est celle du Viennois Ralph Benatzky, surnommé le « roi de l’opérette ». La plupart des compositeurs qui s’illustrèrent à Berlin durant l’âge d’or de ce genre, rappelle Wietschorke, avaient fait leurs débuts à Vienne. 


Avec l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933 et l’instauration du régime nazi, le rideau tomba brutalement sur l’âge d’or de Berlin et de Vienne. Une grande partie des savants, intellectuels, écrivains, journalistes, musiciens et artistes qui avaient brillé dans les deux villes durant les trente premières années du XXe siècle étaient juifs. Beaucoup d’entre eux, les Allemands d’abord, les Autrichiens ensuite, choisirent l’exil, parfois ailleurs en Europe, fréquemment aux États-Unis, qu’ils gagnèrent souvent en passant par la France, puis le Portugal. Ils continuèrent à y exercer leur talent avec des fortunes variées, n’y rencontrant quelquefois que partiellement le succès qu’ils avaient connu en Europe, parvenant à y poursuivre leurs activités, comme un certain nombre de scientifiques, ou se réinventant dans leur pays d’accueil. Parmi les artistes, beaucoup se retrouvèrent à Broadway ou à Hollywood. Souvent, ils avaient passé leur vie entre Vienne et Berlin, à l’instar de Billy Wilder, Max Reinhardt, du compositeur Erich Wolfgang Korngold ou du chef d’orchestre Bruno Walter : « Désormais en exil, le système culturel viennois-berlinois […] se reconstituait. Ceux qui étaient installés depuis plus longtemps jouaient souvent un rôle clé – en l’occurrence les Berlinois, émigrés au début des années 1930, qui disposaient ainsi de quelques années d’expérience d’avance sur les Viennois. Il s’agissait souvent de Viennois de souche qui avaient émigré à partir de Berlin. » À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, les conditions qui avaient assuré le rayonnement de Vienne et Berlin et fourni le cadre de leurs relations faites de rivalité et de liens étroits disparurent complètement. Les deux villes étaient en grande partie détruites et divisées en secteurs sous le contrôle des troupes alliées. Vienne retrouva son intégrité, mais Berlin resta divisée en deux jusqu’en 1989. Les deux capitales étaient lancées pour la seconde partie du XXe siècle sur des trajectoires ordinaires très différentes de celles qu’elles avaient suivies de concert à son début, dont le souvenir brille encore aujourd’hui.

LE LIVRE
LE LIVRE

Wien-Berlin: Wo die Moderne erfunden wurde de Jens Wietschorke, Reclam, 2023

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