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A la table de la promotion littéraire


La table du Goncourt, chez Drouant

Le Goncourt et le Renaudot sont aujourd’hui indissociables du restaurant Drouant. Un lien entre table festive et écriture hérité de la Troisième République. Peu avant la naissance des prix littéraires, l’événement incontournable du monde des lettres était en effet le banquet.

Ecrivains et éditeurs prennent alors exemple sur les hommes politiques, et font de la table un événement promotionnel, rappellent Anthony Glinoer et Vincent Laisney dans L’Âge des cénacles. En 1881, un banquet est ainsi donné en l’honneur de Sully Prudhomme ; en 1883, on fête le 81e anniversaire de Victor Hugo ; en 1888, on rend hommage à Mallarmé ; en 1893, on déjeune en l’honneur de Zola… Le but de ces agapes ? Promouvoir un livre, un mouvement littéraire ou couronner la carrière d’un écrivain. Le nombre des convives est impressionnant : 300 pour Edmond de Goncourt en 1895, 250 pour Zola. L’affichage médiatique est tout aussi impressionnant. Ces événements sont relatés dans les journaux, les discours sont publiés. « Il s’agit toujours, par le truchement d’une sociabilité festive, d’engager la représentation que l’avenir devra se faire d’une période de la vie littéraire », écrit Jean-Louis Cabanès dans « Banquets littéraires : pompes et circonstances ». Toute une stratégie est développée autour de ces événements. Le banquet en l’honneur du Pèlerin passionné de Jean Moréas ne vise pas simplement à soutenir le livre. L’écrivain le conçoit comme le point d’orgue de sa stratégie publicitaire pour la reconnaissance du mouvement symboliste et de son propre statut de chef de file. Pour cela, il fait en sorte d’apparaître comme le centre de l’attention mais non l’organisateur de l’événement : c’est Mallarmé qui préside ce dîner du 2 février 1891, et les invitations sont signées par Barrès et Henri de Régnier.

Dans le cas de Zola, c’est son éditeur qui se charge des préparatifs. Charpentier célèbre ainsi l’achèvement des Rougon-Macquart et réalise une belle opération publicitaire pour sa propre maison. Edmond de Goncourt n’écrit plus de romans quand est organisé son banquet, le 1er mars 1895. La fête n’en est pas moins promotionnelle. Elle participe à l’organisation de sa gloire, sur fond de publication du « journal de la vie littéraire » et de projet de création posthume d’une certaine académie. Et ce banquet y réussit d’autant mieux qu’il réunit des écrivains de toutes les générations, et qui s’entendent parfois comme chien et chat, à l’image de Daudet et Zola.

LE LIVRE
LE LIVRE

L’Âge des cénacles de Anthony Glinoer et Vincent Laisney, Fayard, 2013

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