Les paradis fiscaux, un poison pour les démocraties
Publié en juin 2025. Par Books.
L’État de droit et le respect des lois et traités internationaux filent un mauvais coton, par les temps qui courent. Mais à cet égard, il y a le visible et le moins visible. La sociologue américaine Brooke Harrington s’est immergée dans le monde feutré des gérants de (très grandes) fortunes et en tire un « livre court (120 pages) mais puissant », écrit Brian Tanguay dans la California Review of Books. Pour mener à bien son enquête, elle a commencé par dépenser 50 000 dollars pour suivre une formation débouchant sur un certificat l’autorisant à devenir elle-même gestionnaire de fortune. Forte de ce statut, elle a consacré près de huit ans à interroger des professionnels, ses nouveaux collègues, et s’est rendue dans dix-huit des paradis fiscaux les plus prisés. Elle s’est fait tout expliquer par le menu : comment les paradis fiscaux permettent aux vraiment très riches de dissimuler l’essentiel de leur fortune de façon à la mettre à l’abri non seulement du fisc mais de leurs créanciers. Elle décrit un monde de gens qui se sentent habilités à naviguer à l’écart des lois qui s’imposent aux citoyens ordinaires. Qui se sentent habilités aussi, pour certains d’entre eux, à peser sur les échéances politiques et la gestion publique. D’aucuns n’hésitent d’ailleurs pas à revendiquer ce statut. Tel Peter Thiel, cité par Harrington, qui a publié en 1997 un livre intitulé « L’individu souverain ». Il se décrit lui-même ainsi : « À la tête de ressources considérables, hors d’atteinte de nombreuses formes d’obligation, l’individu souverain réorganisera l’administration des États et reconfigurera les économies. » La mission confiée fin 2024 par Donald Trump à Elon Musk reflétait cette philosophie, estime Brian Tanguay.
Pour autant, Harrington n’est pas anticapitaliste. « L’offshore est dommageable pour le capitalisme », déclare-t-elle dans un entretien publié sur le site de son université, Dartmouth College. Elle évalue à 700 trillons de dollars par an (entreprises + particuliers) le manque à gagner que crée l’offshore pour les finances publiques. Surtout, dit-elle, « si l’offshore est tellement dangereux, c’est qu’il délégitimise le respect du droit. En permettant aux ultra-riches de contourner les règles qui s’imposent à chacun de nous, il délégitimise le processus démocratique. »