Ça vaut mieux qu’une jambe cassée
Publié en juillet 2025. Par Books.
En 1995, un ouvrier du bâtiment de 29 ans fut emmené aux urgences à Leicester ; un clou de 15 centimètres lui avait traversé la chaussure. Toute tentative de lui enlever le faisait hurler de douleur. On lui a administré des sédatifs et enlevé le clou, pour découvrir que celui-ci était passé entre les orteils. Mais pour l’équipe médicale il ne faisait aucun doute qu’il avait réellement ressenti la douleur qui le faisait hurler. Dans un hôpital londonien, dans les années 1980, un patient souffrant de douleurs abdominales chroniques jusque là non traitées vit arriver le médecin chef tenant au bout d’une pince à épiler un très gros comprimé blanc. Il laissa tomber le comprimé dans un verre d’eau, provoquant une forte effervescence, et enjoignit au malade de boire le verre lentement après la disparition de toute effervescence. La douleur disparut aussitôt. Or ce n’était que de la vitamine C, un placebo. Pour l’épidémiologiste Jeremy Howick, exerçant au Royaume-Uni, qui décrit la chose dans un livre bourré d’histoires de ce genre, l’astuce était la pince à épiler, qui donnait l’impression que le comprimé était trop actif pour être touché à mains nues.
Plusieurs méta-analyses ont montré que les antidépresseurs les plus sophistiqués, qui ont pu coûter jusqu’à un milliard de dollars en conception et essais cliniques, sont « au mieux marginalement plus efficaces que des placebos », écrit le médecin écossais Gavin Francis en rendant compte de ce livre dans la New York Review of Books. L’effet placebo et son inverse, l’effet nocebo, agissent sur les croyances et les attentes des patients de façon spectaculaire, entraînant d’indéniables effets physiologiques. Un homme enrôlé dans un essai clinique pour un antidépresseur a été emmené aux urgences car il avait surdosé sa prise et vu sa tension dégringoler. Or il avait pris le placebo. On a mis en évidence des effets du même type chez des rats.
Beaucoup de produits pharmaceutiques mis sur le marché sont en réalité des placebos. On a montré que des placebos chers attirent plus les clients que des placebos bon marché, que les gélules marchent mieux que les comprimés et que des gélules colorées marchent mieux que les blanches. Les bleues et les vertes marchent mieux comme sédatifs, les roses et les rouges mieux comme stimulants et anti-douleur – sauf chez les Italiens, pour qui le bleu est un stimulant.
Vu l’accroissement sidéral des dépenses de santé, Howick se demande si l’on ne pourrait pas envisager de systématiser l’usage des placebos. D’autant qu’étiqueter un médicament comme placebo ne le rend pas forcément moins attirant. Gavin Francis a repéré des flacons vendus près de 100 euros dont la notice (en petits caractères, certes) précise : « sans ingrédient actif ».