Le capitalisme ? Mais c’est quoi, au juste ?

« Une magnifique histoire du capitalisme » selon Amartya Sen, « un livre monumental, à lire absolument », selon Thomas Piketty, « un véritable tour de force » selon Peter Frankopan… Le fort ouvrage (1 300 pages) de l’historien de Harvard Sven Beckert est, à peine paru, sur la liste des bestsellers d’Amazon.


Dans le New York Times l’historien Marcus Rediker expose l’originalité d’une approche qui, au lieu de faire débuter le capitalisme en Europe, comme le veut la tradition, en décèle l’un des premiers vagissements dans la cité portuaire d’Aden, au XIIe siècle. Des lettres de marchands juifs, précise Gideon Lewis-Kraus dans le New Yorker, en attestent l’innovation essentielle : ce ne sont plus des marchands qui sillonnent les mers au risque de leur vie, mais des entrepreneurs qui financent des expéditions marchandes, au risque non de leur vie mais de leur capital. Si l’on en voit les prodromes au XIIe siècle, le capitalisme ne s’est cependant développé, selon ce même principe, qu’à partir du XVIe. La dynamique est d’emblée globale, sinon mondiale ; elle implique « le comportement particulier de marchands dans des lieux aussi éloignés que le Caire ou Changzhou », écrit Rediker. En créant des « réseaux de confiance élaborés s’étendant sur de longues distances, ils ont contourné et surmonté les résistances qu’ils pouvaient susciter, tant de l’aristocratie foncière que, en bas de l’échelle sociale, des cultivateurs et des artisans ». L’une des premières « villes capitalistes », selon Beckert, fut Potosí, dans l’actuelle Bolivie : tandis que mouraient un quart des ouvriers descendus dans les mines d’argent, « les riches Potosiens achetaient des diamants de Ceylan, des bas napolitains, du cristal de Venise et de la porcelaine de Chine ». Comme en témoignent encore la traite des Noirs et les guerres qu’il a provoquées, l’histoire du capitalisme est aussi celle de la violence.


Pour autant, le livre ne fait pas l’unanimité. Dans le New Yorker, Gideon Lewis-Kraus juge que Beckert fait bon marché de l’énorme impact de la technologie et aussi de l’implication croissante de l’État. Et il relève une forme de contradiction : d’une main l’auteur constate l’impossibilité de définir l’« essence » du capitalisme, de l’autre il aligne les métaphores pour décrire cette « essence » : « une force quasi géologique », écrit Beckert, « un arbre qui a percé la canopée… un torrent… un tsunami… une force qui modèle le monde », qui « incarne une logique unique… une tendance à croître, s’écouler et pénétrer tous les domaines d’activité ». Pour finalement lui trouver bel et bien une « essence », celle de « produire une diversité connectée ». Au bout du compte, écrit-il, « décrire le capitalisme comme un événement toxique porté par le vent, sans forme définie et toujours en expansion – ce n’est rien expliquer du tout ». 

LE LIVRE
LE LIVRE

Capitalism: A Global History de Sven Beckert, Penguin, 2025

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