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Quand aurons-nous un vaccin fiable contre leCovid-19 ? Oublions les effets d’annonce. En réalité, nous n’en savons rien. Comme le rappelle le bioéthicien américain Carl Elliott dans The New York Review of Books, il a fallu quinze ans pour mettre au point un vaccin contre le papillomavirus, vingt-huit ans pour en trouver un contre la varicelle et nous n’en avons toujours pas contre le sida.
Le problème n’est pas seulement la difficulté de la tâche. Il est aussi qu’il ne faudra pas forcément prendre pour argent comptant les essais menés par les groupes pharmaceutiques ni même les autorisations de mise sur le marché. Depuis son numéro 4, en avril 2009, Books attire régulièrement l’attention de ses lecteurs sur les résultats biaisés et souvent truqués des essais cliniques réalisés par les compagnies pharmaceutiques. Le coup d’envoi avait été donné par la courageuse Marcia Angell, membre du sérail puisqu’elle avait longtemps dirigé la revue New England Journal of Medicine. En s’appuyant sur divers procès et enquêtes du Sénat américain, elle exposait comment l’industrie, pour « vendre » ses essais manipulés, corrompait de grands professeurs, afin qu’ils donnent leur imprimatur à ces escroqueries.
La littérature spécialisée sur le sujet montre que, dans presque toutes les disciplines, de la cardiologie à la psychiatrie en passant par la rhumatologie, on a pu déceler des manquements à l’intégrité scientifique conduisant à la mise sur le marché de médicaments pas plus efficaces que des placebos ou indûment étendus à des populations à risque. Il en est résulté un très grand nombre de décès et d’accidents de santé.
Le dernier livre en date sur la question ne fait hélas pas exception. Le bioéthicien Leemon McHenry, de l’université d’État de Californie, et Jon Jureidini, pédopsychiatre à l’Université d’Adelaide, en Australie, ont confié leur manuscrit à un petit éditeur pour être sûrs d’échapper à la censure. En dépit des mesures prises pour enrayer ces pratiques, les choses n’ont guère évolué depuis la publication du livre de Marcia Angell, déplorent les auteurs. Leur livre est le produit de dix ans d’enquête, au cours desquels ils ont notamment mis au jour deux cas patents de méconduite visant à prescrire un antidépresseur à des enfants et des adolescents. Il s’agit d’essais cliniques menés par GlaxoSmithKline pour la paroxétine (commercialisée en France sous le nom de Deroxat), et par Forest pour le citalopram (Seropram et Seroplex en France). Pour ce faire, ils se sont plongés dans des milliers de documents restés jusque-là confidentiels. Les entreprises avaient faussé les résultats sur la sûreté et l’efficacité de ces médicaments, dissimulé des données révélant un risque accru de suicide et recruté des professeurs d’université pour valider les études. Selon la pratique consacrée, l’éminent professeur, moyennant finances, signe un article scientifique rédigé par des scribes payés par l’industrie. Ces deux études, disent les auteurs, illustrent ce qui cloche dans un système qui permet à l’industrie de tester ses propres produits.
Et le contexte actuel les inquiète : « La pression du Covid-19 et les opportunités de recherche ainsi offertes signifient que les critères d’intégrité scientifique sont plus que jamais mis à l’épreuve et vont sans doute être mis à mal », estime Jureidini sur le site de l’Université d’Édimbourg.
Il faut noter que ce livre a fait l’objet d’une recension très positive dans la revue Nature, dont l’éditeur tire une part non négligeable de ses recettes des pages de publicité payées par l’industrie pharmaceutique. L’article est signé de Laura Spinney, une journaliste scientifique auteure d’un ouvrage de référence sur l’histoire de la grippe espagnole 1. Cela dit, la potion magique préconisée par les auteurs, retirer les essais cliniques des mains de l’industrie, relève d’une forme d’angélisme. Car ces essais sont très onéreux : qui va payer ?
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« Ici », ce sont les États-Unis de 1936, et « cela », cette chose qui ne peut pas y arriver, c’est une dictature de type nazi. Vraiment ? Non, démontre Sinclair Lewis, qui a été en 1930 le premier auteur américain à recevoir le prix Nobel de littérature : « cela » peut arriver n’importe où, y compris à Washington, capitale de la démocratie.
C’est l’épouse du romancier, la journaliste Dorothy Thompson, expulsée de Berlin après avoir interviewé Hitler (« Jamais vu un regard pareil »), qui a alerté son mari sur les dangers du fascisme issu des urnes. En cinq mois à peine, entre mai et octobre 1935, Lewis écrit, corrige et publie ce qu’il estime être un ouvrage de « propagande démocratique ». Ce roman qui « transgresse toutes les règles de l’écriture romanesque », dira un critique, devient pourtant immédiatement un best-seller, et Lewis en écrira l’année suivante une adaptation théâtrale (un film aussi était prévu, mais les studios MGM y renoncèrent pour des raisons financières et politiques).
Pour alerter ses concitoyens sur les risques d’élire n’importe qui à la place de Franklin D. Roosevelt en novembre 1936, Lewis imagine les conséquences qu’aurait l’arrivée au pouvoir par les urnes de Berzelius « Buzz » Windrip, un sulfureux bateleur d’estrade, un démagogue manipulé par une multitude d’intérêts contradictoires et soutenu par un prédicateur de radio catholique et antisémite. Windrip l’emporte sur Roosevelt et s’empare de la Maison-Blanche grâce à son programme honteusement populiste. Sitôt élu, il réduit le Congrès à un rôle purement consultatif, musèle la presse et les universités, donne champ libre à ses nervis. Ensuite, tout dégénère très vite. Le narrateur, Doremus Jessup, un journaliste libéral du Vermont, est expédié en camp de concentration, son opposant de gendre est fusillé, sa fille se sacrifie, son fils bascule dans l’opportunisme. S’ensuit un coup d’État, un contre-coup d’État, une guerre contre le Mexique, peut-être même une guerre civile…
Il ne s’agit heureusement que d’une dystopie, fruit de l’imagination fébrile de Sinclair Lewis. Mais, si cette fiction hâtivement rédigée a connu un tel succès immédiat, c’est sans doute parce qu’elle n’était pas si fictionnelle que cela. Alors que, en Europe, Hitler et Mussolini étaient installés au pouvoir, les États-Unis flirtaient eux aussi avec la tentation fasciste, incarnée par l’inquiétante candidature populiste du sénateur de Louisiane Huey Long. Ce démagogue pur jus soutenu par un prédicateur radio fascisant avait vu ses ambitions stoppées net par la balle d’un assassin en 1935.
Quelques mois plus tard, Roosevelt était triomphalement réélu : l’Amérique l’avait échappé belle. Mais certaines personnalités telles que le magnat de la presse Randolph Hearst, l’industriel Henry Ford et, surtout, le héros de l’aviation Charles Lindbergh avaient des sympathies pour Berlin. Un projet de coup d’État militaire fomenté par des industriels hostiles au New Deal aurait été ourdi en 1933 pour renverser Roosevelt. Et, en 1939, un meeting rassemblait 20 000 Américains d’origine allemande et pronazis au Madison Square Garden pour conspuer « Franklin D. Rosenfeld ».
Dans ce drôle de roman pas vraiment drôle, Lewis s’intéresse moins aux tyrans qu’à ceux qu’ils tyrannisent. Comment d’honnêtes et lucides concitoyens du Vermont, en tête desquels Doremus Jessup, ont-ils pu se laisser duper ainsi sans réagir à temps contre l’horreur parfaitement prévisible ? Réponse de l’écrivain : « La tyrannie de cette dictature n’est pas la faute des grands patrons ni de tous les démagogues qui font son sale boulot. C’est la faute de Doremus Jessup ! De tous les Doremus Jessup, respectables, consciencieux, paresseux intellectuellement, qui ont laissé les démagogues se faufiler sans protester assez vigoureusement. » Lewis emploie 400 pages à décrire toutes les étapes et tous les détails des glissements plus ou moins progressifs vers l’horreur, de l’aveuglement et l’indolence préélectorale au « fait accompli électoral » que suit un inévitable cortège de lâchetés, de soumissions, d’opportunisme financier ou carriériste…
Il est pourtant possible, et Lewis y contribue, de détecter en amont les individus prédisposés à devenir des dictateurs – ils se ressemblent tous. Le shakespeaorologue Stephen Greenblatt en énumère les traits dans le livre qu’il a consacré aux tyrans qui peuplent l’œuvre du Barde : « Ils ont un ego démesuré, s’estiment au-dessus des lois, prennent plaisir à infliger de la souffrance, ont un désir compulsif de dominer. Ils sont d’un narcissisme pathologique et d’une arrogance extrême. Ils ont le sentiment grotesque que tout leur est dû et ne doutent jamais de pouvoir parvenir à leurs fins. Ils exigent une loyauté absolue mais sont incapables de gratitude. » 1 Si ces traits de caractère peuvent s’épanouir, poursuit Greenblatt, c’est en raison des fragilités institutionnelles ou de la collaboration active et mortifère des élites politiques.
Le protodictateur, complète le neurobiologiste Dean Haycock dans le livre qu’il a consacré aux personnalités tyranniques 2, a en général une grosse revanche à prendre sur la société. Il est opportuniste mais se présente volontiers comme défenseur du « pauvre gars », auquel il propose de redonner sa chance et sa fierté. Il s’entoure en général d’acolytes plus intelligents, plus instruits, plus dangereux que lui, qui le manipulent avant de le trahir. Il exècre la presse, les intellectuels, les étrangers.
Les psychologues d’aujourd’hui ont mis au point – à l’usage de la CIA, du FBI ou des professionnels en général – des grilles d’évaluation qui devraient permettre, en théorie du moins, de détecter les personnes prédisposées à la « psychopathologie dictatoriale » (1 % de la population tout de même).
Mais, s’il faut visiblement certaines propensions pour souhaiter le pouvoir, elles ne sont en général suffisantes ni pour y arriver, ni pour s’y maintenir. Heureusement, parce que le pouvoir (notamment quand il est absolu) est un formidable incubateur de prédispositions suspectes, qu’il transforme presque immanquablement en véritables troubles mentaux. En gros, ces derniers sont ceux que l’historien romain Suétone avait déjà listés au Ier siècle : débauche, violence incontrôlable, hypersexualité, sadisme, cruauté, orgueil stratosphérique, superstition, déraison financière, jalousie, mégalomanie, complexe d’infériorité et, surtout, paranoïa. Le tyran en puissance passe en effet rapidement d’un autoritarisme incompétent, voire cocasse, au délire de persécution, car comment verrait-il autour de lui autre chose que des traîtres, des menteurs ou des assassins potentiels quand il a lui-même fait un usage abondant de la trahison, du mensonge, voire de la brutalité ? Et, de la paranoïa pathologique à la sociopathie, il n’y a qu’un pas, souvent franchi, hélas.
Alors que faire ? Lewis, qui se veut « diagnosticien, pas réformateur », décrit le danger sans donner les recettes pour le combattre. Les urnes sont des boîtes de Petri dont toutes sortes d’organismes toxiques peuvent surgir, se contente-t-il de montrer. Au citoyen américain de prêter attention à la personnalité de celui qu’il est appelé à élire tous les quatre ans et de réagir à quelques signaux inquiétants. Comme la vantardise, l’anti-intellectualisme, l’exécration de la presse, l’obsession des murs, le mépris de l’étranger ou la démagogie patriotique.
[post_title] => Le fascisme, ça n’arrive qu’aux autres
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Pitié pour le lecteur ! Halte aux livres démesurément longs, sauf ceux des littérateurs si grands qu’ils ont toute licence pour rallonger et rallonger encore leurs textes. Comme Proust collant des hectomètres de « paperolles » au bas de pages déjà nombreuses, ou James Joyce gonflant encore Ulysse sur le marbre de l’imprimeur. Mais pour le tout-venant des auteurs, pas de cette prolifération-là ; on attend d’eux au contraire qu’ils peaufinent leurs œuvres en les resserrant. Hélas, le scalpel est encore plus difficile à manier que la plume.
« Tuer ses propres bébés » – comme disait Hemingway – est en effet bien douloureux. Dans des conditions normales, enfin normales pour un écrivain, celui-ci produit disons 5 000 mots en trois à quatre heures de travail par jour, de préférence le matin. Mais, lorsqu’il s’agit de retrancher, le rythme est bien plus lent. Quand Jack London ne s’autorise à boire qu’après avoir produit à toute vitesse 1 000 mots, Joan Didion doit se verser un verre avant de pouvoir attaquer (en début de soirée) son rude travail de compression. Imaginez : il faut se relire, ce qui est déjà pénible. Puis tailler dans le vif des descriptions, et surtout des détails.
Diabolique, les détails : combien faut-il en éliminer pour ne garder que ceux qui illuminent le texte ? Même sort pour les images qui n’aident pas à voir, les anecdotes qui n’expliquent rien ou les personnages qui ne tiennent pas la route, rétrogradés, voire sacrifiés, au profit de petits arrivistes qui jouent des coudes et embarquent l’histoire avec eux…
« Écrire est humain, raccourcir est divin » décrète Stephen King du haut de sa montagne de livres. Il doit s’agenouiller devant Nadine Gordimer, qui parvient à diviser son texte initial par quatre. Dilatation-compression, diastole-systole, cette pulsation vitale donne naissance à une page tailladée, ajourée, parfois jusqu’à n’être plus bonne qu’à finir en boulette dans la corbeille. Mais ce qui survit à l’essorage est en général bien plus plaisant à lire, car rédigé dans une langue épurée, débarrassée des mots inutiles (notamment adjectifs et adverbes, « ces pavés de la route vers l’enfer », dit encore King).
Toujours technophiles, les Anglo-Saxons ont mis au point des outils de mesure de la lisibilité du texte, comme le célèbre Gunning Fog Index, un indice de graisse stylistique. Il se calcule en divisant d’abord le nombre de mots d’un échantillon par le nombre de phrases, puis en mesurant le pourcentage de mots « complexes » (de plus de sept lettres, rares, etc.). Résultat, après trituration : un indice qui, pour rester dans la zone de confort du lecteur, ne doit pas dépasser 8-10 (ici, on est à 10. Ouf, mais de justesse !) Avec Proust, on va pourtant jusqu’à 15 – maximum tolérable pour une lecture de plaisir. Mais, pour les lectures « obligées » comme les textes administratifs, le brouillard de jargon peut s’épaissir sans vergogne jusqu’à 20-25. Est-ce pour dissuader les administrés d’y regarder de trop près ou pour mieux répartir la charge entre lecteurs et auteurs des textes officiels ? Car la gomme, répétons-le, est bien plus difficile à manier que le crayon.
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Quel est le point commun entre l’esclavage et l’obésité ? Réponse : tous deux ont une même cause, le sucre. À en croire James Walvin, historien britannique spécialiste de l’esclavage, celui-ci fut l’aliment corrupteur par excellence au cours des derniers siècles, corrupteur de la morale (l’inhumanité de l’esclavage en est l’expression achevée) et corrupteur du corps lui-même. Dans un livre aussi excessif que son objet, il en retrace l’histoire riche et tumultueuse.
Longtemps, le sucre fut une denrée de luxe ; on lui prêtait des vertus médicinales. Obtenu à partir de la canne à sucre, qui est originaire d’Asie du Sud-Est, il arrive en Europe par l’intermédiaire des Arabes, lesquels se mettent à en produire directement au Proche-Orient. Mais l’élan décisif est donné par l’expansion européenne dans les îles de l’Atlantique et en Amérique. Saint-Domingue, la Guadeloupe, la Barbade, la Jamaïque se couvrent d’immenses plantations. La population autochtone, décimée, voire, souvent, anéantie par les violences et les maladies, ne suffit pas à combler le besoin en main-d’œuvre. On importe donc celle-ci d’Afrique. La traite négrière et le commerce triangulaire se mettent en place.
« Le sucre a servi de déclencheur à la première vague de mondialisation », souligne l’historien Sven Beckert dans The New York Times. Même le développement des États-Unis ne s’explique pas sans lui : les colonies britanniques d’Amérique du Nord ont au départ pour fonction, dans ce circuit mondialisé, de fournir des biens au complexe sucrier des Antilles (qui ne produit rien d’autre que du sucre et ce produit dérivé qu’est le rhum).
En Europe, la consommation augmente. L’abolition de l’esclavage au XIXe siècle ne la freine en rien. On recourt désormais à des travailleurs « libres » venus d’Inde ou de Chine qu’on exploite en Guyane, à Maurice ou dans les îles Fidji. On met au point le sucre de betterave et bientôt le sirop de maïs. « Pendant la révolution industrielle, le sucre fournit quasiment un cinquième de l’apport calorique des ouvriers britanniques », note Padraic Scanlan, historien de l’esclavage lui aussi, dans The Guardian. « Au milieu du XXe siècle, la consommation annuelle moyenne en Grande-Bretagne atteint 50 kilos par personne », ajoute Beckert. Soit presque 1 kilo par semaine. En conséquence de quoi la plupart des Britanniques et des Américains pourraient être obèses d’ici à 2050. Alors le sucre, cause de tous nos maux ? « On ne peut tenir rigueur à une denrée de la turpitude morale de ses producteurs ni du manque de discipline de ses consommateurs », estime le journaliste Banikinkar Pattanayak dans le quotidien indien Financial Express.
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Après Utopies réalistes (Seuil, 2017), best-seller dans lequel il plaidait pour le revenu universel, l’ouverture des frontières et la semaine de 15 heures, l’historien néerlandais Rutger Bregman enfonce le clou. Si ces « utopies » sont réalistes, c’est parce que la nature humaine est bien moins mauvaise qu’on le dit, assure-t-il dans son nouveau livre.
Bregman entreprend ici de démolir une certaine vision hobbesienne de la société. Nous considérer comme une espèce violente et cruelle, et adapter nos organisations, l’éducation, la justice, l’économie à cette conception, revient à créer une prophétie autoréalisatrice. Si nous attendons le pire de nos semblables, c’est ce que nous obtiendrons, estime-t-il.
Humanité. Une Histoire optimiste est un « livre poil à gratter et un correctif aux théories fumeuses de psychologues et de scientifiques trop zélés, juge Bryan Appleyard dans The Sunday Times. En quelques pages, Bregman démolit William Golding, Richard Dawkins et Steven Pinker. Le roman de Golding Sa Majesté des mouches avait tout faux, car des garçons échoués sur une île ne se comportent pas si mal. » Bregman donne l’exemple de ces six garçons originaires des îles Tonga qui se sont retrouvés seuls sur une île déserte dans les années 1960 : ils ont été retrouvés au bout d’un an, vivant dans l’abondance et l’harmonie.
L’historien néerlandais estime que la perception de la violence humaine a été faussée après guerre. Les intellectuels, tentant maladroitement de comprendre la Shoah, cherchaient à prouver que l’homme était intrinsèquement mauvais, quitte pour certains à introduire des biais dans leurs travaux. Et les théories en vogue des rationalistes, Dawkins et Pinker en tête, qui assurent que l’homme s’est lentement assagi grâce à la génétique ou à l’exercice de la raison, ne font qu’accréditer cette hypothèse. Bregman, lui, rassemble quantité d’éléments historiques pour montrer que l’humain, comme le souligne le titre original du livre, est deugen – qu’il a un bon fond. « Ce rousseauisme ne fonctionne pas vraiment, mais la vision brutale et méchante de Hobbes non plus. Pourquoi la méchanceté serait-elle une adaptation positive et la gentillesse ne pourrait-elle pas l’être ? » demande Appleyard. Et, de fait, pourquoi ne pas tirer parti de cette bonté innée pour repenser la société, comme le prône Bregman ? Utopique ? Comme l’historien néerlandais se plaît à le dire, relève Martin Bentham dans The Evening Standard, « ce qui paraît naïf un jour peut sembler relever du bon sens le lendemain ».
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Le permafrost, c’est ce sol gelé en permanence dans les régions froides du globe. C’est aussi le titre du premier roman de la poétesse catalane Eva Baltasar, métaphore de la carapace forgée par sa narratrice, farouchement indépendante, pour se protéger du monde et des autres.
Jusqu’ici inédite en France, l’auteure a été plusieurs fois récompensée en Espagne pour son écriture intimiste. Permafrost est le premier volet d’un triptyque qui donne la parole à des femmes vivant avec violence les contradictions entre leur corps et leur époque. « Le langage poétique domine la narration, qui s’écoule comme un monologue à voix haute », observe Anna Abella dans El Periódico. Au fil du récit, on croise une mère dépressive et manipulatrice, un père perpétuellement relégué au second plan et une sœur dont la vie rangée apparaît comme une aberration. Le roman tord le cou aux mythes de l’épouse comblée, de la mère épanouie ou de la fille accomplie tout en abordant des thèmes aussi délicats que le suicide, le lesbianisme ou le non-désir d’enfant. « La douleur circule sous le permafrost sans que personne s’en aperçoive », souligne le romancier Carlos Zanón dans El País.
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Dans le dernier roman du Suisse Alain Claude Sulzer, il est question d’un monde qui s’effondre. Ce monde, c’est celui de son héros Stettler, qui ne s’est jamais marié, n’a ni enfants ni amis et ne vit que pour son travail : depuis des décennies (il a 58 ans), il décore les vitrines des Quatre Saisons, un grand magasin de Berne. Or un jeune étalagiste est embauché pour l’épauler, dont les idées audacieuses ne tardent pas à faire fureur et à l’éclipser. Nous sommes en 1968, et parallèlement se déroulent des événements qui remettent en cause l’ordre ancien. « On dit souvent que la révolution dévore ses enfants, mais elle détruit surtout ceux qui préféreraient continuer de vivre sans elle. Stettler est livré sans défense aux temps nouveaux. Il n’a rien à leur opposer, et la modernité rageuse va le recracher comme un être inutile », commente Roman Bucheli dans le quotidien zurichois Neue Zürcher Zeitung. Le tour de force de Sulzer consiste à faire pénétrer son lecteur dans la conscience de son protagoniste. « Il l’immerge dans un contexte qui lui semble familier, poursuit Bucheli, mais dans lequel il fait soudain l’expérience d’une étrangeté troublante. »
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Elle est l’une des figures majeures de la littérature britannique. Lord Acton, un critique de son époque, la jugeait même « supérieure à Dante ». Ce n’est ni Jane Austen, ni Virginia Woolf, mais une écrivaine que l’on connaît sous un nom de plume masculin : George Eliot. Derrière se cache l’énigmatique Marian Evans, qui voulait préserver son œuvre du scandale attaché à son nom.
Marian Evans voit le jour en 1819, dans le centre de l’Angleterre. Enfant précoce, elle manifeste très tôt un don pour les langues et se fait connaître par ses traductions d’ouvrages philosophiques allemands et ses articles dans des revues radicales. Estimée dans ce milieu masculin, elle y fait la rencontre du philosophe George Henry Lewes, un homme marié avec lequel elle vivra en union libre pendant vingt-cinq ans. C’est pour lui rendre hommage qu’elle prend le nom de George Eliot.
Alors que l’on commémore le bicentenaire de sa naissance et que son œuvre paraît pour la première fois dans la Pléiade, elle est au centre du premier roman de la critique littéraire Kathy O’Shaughnessy. Mi-biographie, mi-roman historique, Une passion pour George Eliot se compose de deux récits enchâssés : celui de deux universitaires préparant un colloque sur Eliot, et le roman, inspiré de sa vie, que rédige l’une d’elles. Ce procédé permet de plonger dans le quotidien d’Evans au moment où elle devient Eliot, tout en présentant les perspectives critiques divergentes sur l’écrivaine.
« La romancière s’aventure là où les biographes ne peuvent pénétrer », note le professeur de littérature anglaise John Mullan dans The Guardian, en rassurant ceux qui redouteraient que le récit prenne trop de libertés avec l’histoire : « O’Shaughnessy s’est à l’évidence imprégnée des principaux ouvrages critiques et biographiques. »
En s'appuyant sur le journal et la correspondance de Marian Evans, O’Shaughnessy dresse le portrait d’une femme exceptionnelle et de la passion qu’elle suscita, chez le fidèle George Lewes comme chez ses nombreux lecteurs. Parmi eux, on croise des hommes de lettres comme Charles Dickens ou Henry James mais aussi des figures du féminisme victorien qui tentèrent en vain de faire d’elle leur porte-parole.
En dépit de l’acuité du récit, la spécialiste d’Eliot Rohan Maitzen y voit un portrait trop peu élogieux : « Il est paradoxal qu’un livre intitulé Une passion pour George Eliot communique si peu de passion à propos de George Eliot », écrit-elle dans The Times Literary Supplement. Et de conclure : « Pour comprendre ce que c’est que vouer une passion à George Eliot, il est peut-être plus judicieux de relire son roman Middlemarch. »
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Disons-le d’emblée : Bouleversement n'est pas une réussite. Jared Diamond prétend y donner les recettes qui permettent à un pays de surmonter de graves crises. Pour ce faire, il établit un parallèle entre les individus et les États. Selon lui, ce qui vaut pour les uns vaudrait aussi pour les autres, à quelques ajustements près. La souplesse, par exemple, ou le fait de reconnaître qu’on traverse une crise ; « l’absence de contraintes personnelles », aussi, qui devient « l’absence de contraintes géopolitiques » ou encore « la force du moi », qui a pour équivalent « l’identité nationale ».
Ces facteurs sont au nombre de douze. Un nombre idoine, selon Jared Diamond : moins, cela ne ferait pas sérieux, plus, ce ne serait pas gérable. Dans tous les cas, l’idée centrale est que, confrontés à une crise, individus et nations doivent accepter le changement, mais un changement « sélectif » : « Le défi […] consiste à déterminer quelles parties de leur identité fonctionnent bien en l’état et ne nécessitent aucune modification, et lesquelles ne fonctionnent plus et doivent être modifiées. »
C’est l’une des forces des livres de Diamond : même ratés, ils restent agréables à lire. « C’est comme suivre les cours de fac d’un professeur aussi sympathique qu’érudit, reconnaît Michael Schaub sur le site de la radio publique américaine NPR. Car Diamond est versé dans toute sorte de disciplines, notamment la physiologie, la géographie et l’histoire. »
Après un premier chapitre où il raconte la crise personnelle qu’il a traversée pendant ses études à Cambridge et comment il l’a surmontée, Diamond se penche sur celles qu’ont connues des pays tels que la Finlande, le Japon, le Chili, l’Indonésie, l’Allemagne et l’Australie, puis sur quelques crises du présent (en particulier aux États-Unis).
L’ouvrage, d’une manière générale, donne une impression d’arbitraire. Le choix des pays est dicté par la connaissance qu’en a l’auteur et n’est pas représentatif de quoi que ce soit. Par ailleurs, « Diamond cite peu d’ouvrages. Il préfère citer ses nombreux amis », ironise Anand Giridharadas dans The New York Times. Ainsi du coup d’État de Pinochet en 1973 dont « beaucoup de [s] es amis chiliens considèrent qu’il était inévitable ».
Diamond prétend poser les premiers jalons d’une « étude comparative des crises nationales », mais les analyses qu’il propose ne sont pas à la hauteur de son ambition. Dans The Times Literary Supplement, l’historien Niall Ferguson (lui-même friand de vastes synthèses) estime que le postulat même de l’ouvrage ne tient pas : les États ne sont pas comparables à des individus. Leur âge, leur taille, leur puissance varient dans des proportions qui n’existent pas entre individus. Reste que certains des cas qu’il étudie sont peu connus et fascinants. Prenons la Finlande. Au début de la Seconde Guerre mondiale, elle se retrouve dans une situation quasi inextricable : le géant soviétique lui pose un ultimatum inacceptable, qui reviendrait à la faire renoncer à son indépendance. Elle refuse, l’URSS l’attaque. Sur le papier, elle n’a aucune chance : elle est cinquante fois moins peuplée, n’a ni chars, ni aviation, ni artillerie modernes, pas de canons antichars ou de défense antiaérienne non plus. Elle manque même de munitions. Et pourtant le miracle se produit : elle tient l’Armée rouge en échec grâce à une résistance acharnée, à sa meilleure connaissance du terrain et à une utilisation optimale de ses ressources. À l’issue de la guerre, elle ne pourra éviter la perte de la Carélie, mais elle a atteint son objectif : « non pas vaincre l’Union soviétique, mais rendre toute nouvelle invasion extrêmement coûteuse, lente et douloureuse. » En conséquence de quoi, elle sera « le seul des pays d’Europe continentale ayant pris part à la Seconde Guerre mondiale qui n’ait pas subi l’occupation ennemie ». Mieux : après avoir été saignée d’un dixième de sa population par l’ogre russe, elle instaure avec lui, dès le lendemain de la guerre, des relations pacifiques fondée sur la confiance mutuelle ! Un exemple de Realpolitik inouï. « La Finlande a appris […] qu’elle ne serait en sécurité que si l’URSS se sentait, elle aussi, en sécurité », écrit Diamond. La presse finlandaise accepte notamment de censurer tout propos qui pourrait froisser le puissant voisin. « D’autres démocraties auraient trouvé cela honteux. En Finlande, ces mesures témoignaient plutôt d’une certaine souplesse : sacrifier juste ce qu’il faut de principes démocratiques sacrés pour pouvoir préserver son indépendance, le bien le plus sacré de tous. »
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Le répit fut de courte durée. Les quelque milliers de juifs qui vivaient encore en Pologne après 1945 ont vu leur monde s’écrouler à nouveau en 1968 : voyant en eux une « cinquième colonne », les jugeant déloyaux et de connivence avec Israël, le régime communiste lança cette année-là une campagne antisémite qui allait aboutir au départ de 13 000 à 15 000 d’entre eux.
L’armée, le Parti, les universités, les hôpitaux et l’intelligentsia furent particulièrement visés. Il s’agissait pour un régime fragilisé par la contestation étudiante de « purger l’appareil d’État, mais aussi de regagner du crédit auprès d’une partie de l’opinion sensible à la rhétorique polonaise », explique Adam Michnik, ancien opposant au régime et fondateur du quotidien Gazeta Wyborcza. Il aura fallu attendre cinquante ans pour que l’État polonais leur présente des excuses, en mars 2018.
C’est l’histoire de ces exilés que relate l’écrivaine polonaise Agata Tuszýnska dans Affaires personnelles, un récit choral dans lequel elle donne la parole à un groupe d’amis d’enfance, « liés par une fraternité inconsciente » comme le dit l’un d’eux, et qui jamais, même dispersés aux quatre coins du monde, ne se sont perdus de vue.
« Tuszýnska était la seule à pouvoir raconter cette histoire », estime le quotidien Metro Warszawa. Déjà « parce qu’elle a vécu pendant quinze ans avec un des exilés de ce groupe ». Ensuite parce que son histoire résonne avec la leur : « En 1968, écrit-elle, quand le ciel est tombé sur la tête de mes protagonistes, je ne savais pas que j’appartenais au même monde qu’eux. Si j’avais été un peu plus âgée, je serais probablement partie. »
En 1968 – elle a alors 11 ans –, Tuszýnska ignore en effet que sa mère est juive et qu’elle est une rescapée du ghetto de Varsovie. Elle ne l’apprendra qu’à 19 ans. Les parents des protagonistes gardaient eux aussi le secret sur leur passé, comme en témoignent Irka (« J’ai su quand j’avais 14 ans. On vivait entre nous, on ne savait pas de quelle origine on était ») et Barbara (« Maman s’inquiétait en silence. Je ne savais pas grand-chose de sa vie, je n’ai pas posé de questions. Elle avait un numéro tatoué sur l’avant-bras »).
Tuszýnska raconte la jeunesse privilégiée de ses personnages, enfants de juifs engagés dans la construction du communisme, qui portaient des jeans Levi’s, allaient au théâtre, ne se souciaient ni de religion ni de tradition et qui, soudain, ont été expulsés des trams et des facs, ont vu leurs portes taguées, leurs parents humiliés, leurs voisins leur demander quand ils allaient partir parce qu’ils voulaient récupérer leur appartement.
Sur la trentaine d’amis qui composaient le groupe, seuls trois sont restés. Tous les autres ont abandonné sur le quai de la gare de Gdańsk leur nationalité polonaise et l’espoir de revenir un jour, trouvant là aussi l’occasion d’un nouveau départ qui a mené la plupart d’entre eux vers des réussites personnelles et professionnelles exceptionnelles, en Suède, au Danemark, en Israël, aux États-Unis, en France ou en Australie.
« Affaires personnelles raconte le destin de gens ordinaires qui ont eu une grande histoire. Une histoire qui ne devrait jamais arriver, note Gazeta Wyborcza. Les autres livres publiés à l’occasion des cinquante ans de 1968 sont dominés par l’histoire du départ, la soudaine découverte de l’identité juive. Tout cela est présent aussi chez Tuszýnska, mais la description de la vie ordinaire à Varsovie dans les années 1960 y ajoute de l’authenticité. »
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