Homme d'influence
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Edward Curtis, la mémoire photographique des Indiens

Le dernier chef de guerre des Indiens des plaines, Joe Medicine Crow, est décédé ce week-end. Il avait obtenu ce titre en raison de ses exploits pendant la Seconde Guerre mondiale, mais était anthropologue de formation et historien officiel de sa tribu. Avant lui, la mémoire des Crows avait été fixée par un autre Américain. Le Blanc Edward Curtis, mort en 1952, est l’auteur d’une encyclopédie en vingt volumes consacrée aux Indiens. Sur des milliers de pages, il décrit les traditions, les modes de vie, les cosmogonies, les savoir-faire des tribus qu’il a rencontrées. Le tout agrémenté de 40 000 photographies. Puisque l’image était son métier d’origine, comme le rappelle Timothy Egan dans L’Attrapeur d’ombres. Habitant Seattle, Curtis décide en 1896 de faire le portrait d’une figure locale, la « Princesse Angeline ». Cette  vieille femme clochardisée est le dernier enfant survivant du chef indien Seattle, qui a donné son nom à la ville. Cette rencontre bouleverse le photographe. Une seconde, avec un expert des Indiens des plaines, achève de le faire basculer. Il entreprend d’immortaliser sur la pellicule les visages des Indiens, avant que les tribus ne soient totalement transformées par la modernisation et la politique d’acculturation de l’Etat. Il y consacre des décennies, parcourant l’Amérique en tous sens, rendant visite à des dizaines de tribus, photographiant Geronimo comme les Indiennes devant leur métier à tisser, négociant six ans avec les Hopis pour assister à la cérémonie de la danse du serpent. Obnubilé par l’image des Indiens traditionnels, il élimine du cadre toute référence moderne. Les cols de chemise et les horloges disparaissent, au besoin par retouche. Sa grande  aventure lui coûte sa femme et sa famille. Il est perpétuellement absent et toujours à court d’argent. Il a pourtant réussi à faire financer son projet à hauteur de 2,5 millions de dollars par l’homme alors le plus riche du monde, J. P. Morgan. Mais quand il l’achève, en 1936, le photographe assure qu’il n’a pas de quoi s’acheter un sandwich. Il n’a vendu que 220 encyclopédies (à 80 000 $ actuels pièce), la moitié de ce qu’il espérait, et s’est séparé de tous les originaux et négatifs. Mais il a conquis le droit de porter plusieurs noms indiens, dont celui d’« attrapeur d’ombres ».

LE LIVRE
LE LIVRE

L’Attrapeur d’ombres. La vie épique d’Edward S. Curtis de Timothy Egan, Albin Michel, 2016

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