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La canicule, du chien au vin


Honoré Daumier

Rien ne sert de regarder le thermomètre. Il fait chaud. Pour les anciens, la canicule était liée à une certaine étoile et requérait certaines précautions (pas tout à fait les mêmes qu’aujourd’hui), explique le médecin Antoine Porchon en 1688 dans son Traité de la canicule.

 

On donne différents noms à la canicule ; car Hypocrate et les autres Grecs l’appellent Kion, Canis ou Chien, et disent que c’est une certaine étoile reluisante dans la gueule du chien, laquelle à son lever donne l’accroissement aux chaleurs de l’été. D’autres la nomment Syrios, Canicula, ou Canis minor, Canicule ou petit chien, qui est la plus grande de toutes les étoiles fixes, et elle est ainsi nommée, à raison de la chaleur et de la sécheresse, excessive, qu’elle cause à sa naissance, ou bien elle est ainsi nommée parce qu’elle répand la lumière comme en baillant, et qu’elle contraint les chiens d’avoir toujours la gueule ouverte ou béante, à cause de la soif excessive et véhémente dont ils sont pressés. Les Anciens prennent le mot Syrios pour toute la canicule, quoique improprement ; car à proprement parler, comme dit Galien, cette étoile est située dans la gueule du chien. D’autres enfin appellent la Canicule procyon, anticanis, tant parce qu’elle est placée dans la gueule du chien, que parce qu’elle se lève devant le chien, environ quinze jours. Quant au mot latin, canicula, il est dérivé du mot canis, chien ; de sorte que cette étoile est ainsi nommée parce qu’en ce temps-là les chiens sont sujets à la rage. De tous ces différents noms on peut conclure que les principales qualités de la canicule consistent dans la chaleur et dans la sécheresse ; ce qui est très facile de prouver par les effets qu’elle produit, et par les maladies qu’elle cause, et qui dépendent de la chaleur et de la sécheresse, comme je le ferai voir dans la suite de ce Traité.

(…)

Cette étoile fait assez connaître son arrivée par les effets qu’elle produit sur la terre : c’est ainsi que Pline en parle ; au lever de la Canicule, la mer bouillonne, les vins tournent dans les celliers, les chiens dans tout cet espace tombent dans la rage, et le grand Hypocrate assure que les purgations sont dangereuses, parce que tous les animaux sont alors dans l’abattement et la langueur, la bile augmente et devient plus aigre, les pores s’ouvrent pour donner passage aux sueurs : les pauvres gens qui travaillent à la campagne, et les voyageurs souffrent d’une soif qu’ils ont bien de la peine à éteindre ; le vin, ce doux nectar, ne plaît plus à moins qu’il ne soit bien trempé d’eau ; on préfère les herbages, les fruits et le lait, quoique peu salubres aux meilleures viandes, et qui seraient bien plus profitables ; le bain a des charmes pour tout le monde, et l’on cherche partout des lieux de rafraîchissement. Je ne m’étonne donc plus si les anciens Romains tenaient ces jours si dangereux, qu’ils avaient institué une fête à l’entrée de la canicule où ils sacrifiaient un chien pour apaiser sa fureur. Voilà ce me semble ce que l’on peut dire en général de la canicule.

(…)

Quoique l’eau pure durant l’ardeur de la canicule soit désirée de tout le monde, puisqu’elle est seule capable de puissamment rafraîchir et d’éteindre la soif violente dont souffrent principalement les gens de travail et les voyageurs qui la boivent avec avidité, et qui semblent n’en être jamais rassasiés. Je suis persuadé toutefois qu’à l’exception des gens bileux et extraordinairement échauffés, on ne la doit point boire pure, car elle refroidit l’estomac, produit des ventosités, empêche que la coction ne se fasse bien, blesse les parties solides et nerveuses, bouche les vaisseaux, retient les humeurs grossières et souvent éteint la chaleur naturelle, et par conséquent la vie, comme j’en ai eu l’expérience en un gentilhomme du Bas Poitou de mes amis, âgé environ de trente-cinq ans, qui étant échauffé de la chasse, but dans la maison d’un paysan une si grande quantité d’eau fraîche qu’il mourut une heure après. Il faut donc, si l’on m’en veut croire, mêler un peu de bon vin dans l’eau, chacun selon la coutume, son tempérament, son âge et son travail.

Si je ne conseille pas de boire l’eau pure, je ne suis pas d’avis non plus que l’on boive le vin pur, puisqu’il n’est pas moins dangereux. Si le vin trempé à proportion de la force et de l’état des personnes facilite la coction, recrée les forces, ouvre les pores, aide la nature à vider les excréments du corps, tempère la bile, la pousse par les urines, adoucit l’humeur atrabilaire, réjouit le cœur, donne au visage une couleur vermeille, répare des esprits épuisés, augmente la chaleur naturelle, nourrit le corps et fortifie toutes les facultés. Si on le boit pur, surtout si c ‘est un vin fort et généreux, il produira des effets tout contraire, il augmentera la chaleur étrangère, aigrira la bile, causera des amertumes de bouche, fournira de matière aux fièvres bileuses, intermittentes, continues et ardentes, en augmentant la bile et la rendant plus farouche au vertige, en remplissant la tête de vapeurs aux tremblements, en blessant les nerfs aux vieilles, et quand les vins sont fumeux au délire, à la frénésie, à la manie, en augmentant et aiguisant la bile, enflammant et desséchant le cerveau, à la pleurésie, à l’inflammation des poumons, à une infinité d’autres que je passe sous silence. Il faut donc après cela conclure qu’il ne faut pas boire de vin pur durant la canicule, mais qu’il le faut tremper, ayant égard à la force ou petitesse du vin ; car les vins aqueux n’ont pas besoin de beaucoup d’eau, mais les fumeux doivent être beaucoup trempés. Il faut aussi considérer l’âge, car les jeunes gens doivent mettre les trois parts d’eau et plus ; ceux qui sont dans l’âge de consistance le doivent tremper de la moitié ; et pour les vieillards et les gens de travail, il suffit de mettre une partie d’eau sur trois parties de vin ; ceux qui ne sont pas accoutumés au vin, de la tisane, de la limonade ou mêler dans l’eau le suc de cerises ou de groseilles rouges.

LE LIVRE
LE LIVRE

Traité de la canicule et des jours caniculaires de Antoine Porchon, M. Villery, 1688

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