La formidable réussite d’un autocrate
Publié en mai 2025. Par Books.
Même à l’aune du XXe siècle, peu de trajectoires dictatoriales sont aussi spectaculaires que celle du leader nord-coréen Kim Il-sung. Né en 1912 dans une famille plutôt aisée (et protestante), il a créé puis dirigé la Corée du Nord depuis 1948 avant de mourir dans son lit, en 1994, toujours au pouvoir (officiellement). Il aura d’abord lutté contre l’occupant japonais, trouvé refuge en Mandchourie, passé la guerre en Sibérie avant de revenir en 1945 dans les bagages de l’armée russe en tant que « dirigeant-marionnette » choisi pour transformer la moitié nord de la péninsule en « pays frère » communiste.
Mais Kim Il-sung n’est pas du genre marionnette. En 1952, il déclenche une guerre pour reconquérir la partie sud du pays, tentative qui se soldera par un match nul et 2,5 millions de morts. Puis, par ses malencontreuses initiatives politiques et agricoles, il provoquera une famine qui fera encore au moins 1 million de morts tandis que, aléas climatiques à l’appui, la malnutrition deviendra quasi institutionnelle et « les Nord-Coréens perdront plusieurs centimètres par rapport à leurs frères du sud, pourtant génétiquement identiques », écrit le Wall Street Journal. En plus de gérer son pays au plus près, intervenant en direct dans tous les domaines, le « Grand Leader » est également l’auteur (présumé) d’environ 4 000 livres, sur tous les sujets dont le cinéma.
Mais là où Kim Il-sung surpassera ses grands collègues-dictateurs, Hitler, Staline et même Mao, c’est avec l’instauration d’un culte de la personnalité appelé à devenir un culte tout court, héréditaire qui plus est. Peut-être parce qu’il est issu d’une famille chrétienne, il va fonder une quasi religion empruntant beaucoup de traits au christianisme : naissance assortie de prodiges, culte marial (Madame Kim mère), miracles, sanctification (de généraux), sacrement de confession (pas forcément spontanée) avec possibilité (rarissime) de rédemption, théologie ad hoc (l’acrobatique « juché », ou pensée du corps-maître) et même résurrection (ramené sur terre par un vol de grues émues par les clameurs affreuses montant du pays, Kim Il-sung deviendra en effet « président immortel »). Comme cette religion-là peut compter en interne sur la protection d’une Inquisition stupéfiante de brutalité (la Bowibu, une police secrète pas secrète du tout), et en externe sur un arsenal nucléaire en croissance continue, elle ne semble pas près d’être éradiquée. Sauf miracle.