Les paradis fiscaux, un poison pour les démocraties

L’État de droit et le respect des lois et traités internationaux filent un mauvais coton, par les temps qui courent. Mais à cet égard, il y a le visible et le moins visible. La sociologue américaine Brooke Harrington s’est immergée dans le monde feutré des gérants de (très grandes) fortunes et en tire un « livre court (120 pages) mais puissant », écrit Brian Tanguay dans la California Review of BooksPour mener à bien son enquête, elle a commencé par dépenser 50 000 dollars pour suivre une formation débouchant sur un certificat l’autorisant à devenir elle-même gestionnaire de fortune. Forte de ce statut, elle a consacré près de huit ans à interroger des professionnels, ses nouveaux collègues, et s’est rendue dans dix-huit des paradis fiscaux les plus prisés. Elle s’est fait tout expliquer par le menu : comment les paradis fiscaux permettent aux vraiment très riches de dissimuler l’essentiel de leur fortune de façon à la mettre à l’abri non seulement du fisc mais de leurs créanciers. Elle décrit un monde de gens qui se sentent habilités à naviguer à l’écart des lois qui s’imposent aux citoyens ordinaires. Qui se sentent habilités aussi, pour certains d’entre eux, à peser sur les échéances politiques et la gestion publique. D’aucuns n’hésitent d’ailleurs pas à revendiquer ce statut. Tel Peter Thiel, cité par Harrington, qui a publié en 1997 un livre intitulé « L’individu souverain ». Il se décrit lui-même ainsi : « À la tête de ressources considérables, hors d’atteinte de nombreuses formes d’obligation, l’individu souverain réorganisera l’administration des États et reconfigurera les économies. » La mission confiée fin 2024 par Donald Trump à Elon Musk reflétait cette philosophie, estime Brian Tanguay.


Pour autant, Harrington n’est pas anticapitaliste. « L’offshore est dommageable pour le capitalisme », déclare-t-elle dans un entretien publié sur le site de son université, Dartmouth College. Elle évalue à 700 trillons de dollars par an (entreprises + particuliers) le manque à gagner que crée l’offshore pour les finances publiques. Surtout, dit-elle, « si l’offshore est tellement dangereux, c’est qu’il délégitimise le respect du droit. En permettant aux ultra-riches de contourner les règles qui s’imposent à chacun de nous, il délégitimise le processus démocratique. »

LE LIVRE
LE LIVRE

Offshore: Stealth Wealth and the New Colonialism de Brooke Harrington, Norton, 2025

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