Publié dans le magazine Books n° 2, janvier - février 2009. Par Antonio José Ponte.
Depuis le XIXe siècle, à Cuba, les ouvriers des fabriques de cigares écoutent des romans en travaillant. Une tradition unique au monde, véritable caisse de résonance des évolutions politiques de l’île.
Il n’existait, jusqu’à présent, aucun ouvrage digne de ce nom sur la lecture à haute voix dans les manufactures de tabac cubaines. Paru en 1994, le livre de l’essayiste Ambrosio Fornet,
El libro en Cuba (« Le Livre à Cuba »), aurait dû fournir une analyse sérieuse du phénomène, mais nous fûmes loin du compte. Pour une simple et bonne raison : l’indigence imaginative de la critique littéraire cubaine.
Pour comprendre la lecture à voix haute dans les fabriques, il faut en effet en goûter le romanesque, savoir s’émerveiller devant le lecteur de manufacture de tabac comme saint Augustin devant saint Ambroise lisant sans prononcer un seul mot. Car s’il est étrange de s’affronter au livre pour soi seul, sans laisser échapper la moindre syllabe, il n’est pas moins bizarre de s’y attaquer à tue-tête pour se faire entendre de tous les membres d’un atelier. L’étonnant, au final, c’est le fait même de lire.
Le lecteur de manufacture de cigares est l’un des êtres lisant les plus énigmatiques qui soient. Il s’apparente au moine chargé de la lecture au réfectoire, à celui qui lit...