Quand la musique défie l’atome
Publié le 11 mars 2016. Par La rédaction de Books.
Selon le Premier ministre Shinzo Abe, le Japon ne peut pas se passer de l’énergie nucléaire. Tout au long de l’année 2012, des milliers de citoyens et d’artistes ont pourtant protesté contre le redémarrage des centrales. Dans The Revolution Will Not Be Televised, l’ethnomusicologue Noriko Manabe raconte le parcours semé d’embûches des musiciens qui élèvent la voix contre l’atome. Ce n’est pas un hasard si l’hymne du mouvement anti-nucléaire japonais, It Was Always A Lie, a d’abord été diffusé anonymement sur Youtube : la chanson s’en prend directement aux médias qui martèlent que l’énergie atomique est inoffensive. L’artiste, caché derrière un chapeau de cowboy et des lunettes noires dans la vidéo, a vite été démasqué. Mais Kazuyoshi Saito a beau être une véritable pop star dans l’archipel, le morceau qui a connu un succès viral sur Internet n’a jamais pu être diffusé via les canaux traditionnels. La maison de disque du chanteur a refusé de le produire, expliquant qu’elle devait prendre en compte « l’existence de différents points de vue sur l’énergie nucléaire » et « le respect dû aux entreprises concernées ».
Comme Kazuyoshi Saito, de nombreux artistes engagés se heurtent à un mur. Mur érigé d’abord par les mœurs japonaises, selon Manabe. La culture du consensus prévaut toujours, et élever le ton ne se fait pas. D’autant que, pour de nombreux Japonais, le rôle d’un musicien est de divertir, pas de réfléchir.
Mur érigé, ensuite, par la censure plus ou moins affirmée. « Le gouvernement ne censure pas les médias, écrit Manabe. Mais le secteur s’impose une certaine déférence vis-à-vis de ses annonceurs, et l’industrie du nucléaire est parmi les plus importants. » L’application de la loi du silence est plus ouvertement assumée dans l’industrie musicale. Même s’il parvient à obtenir l’accord de son label pour telle ou telle chanson un tant soit peu contestataire, l’artiste doit affronter la Commission d’éthique de l’industrie du disque et l’Association nationale des diffuseurs commerciaux, qui traquent toutes les atteintes réelles ou potentielles à l’autorité du gouvernement. Acid Black Cherry, avec son album concept 2012, a réussi à ruser, note Manabe, en racontant l’accident de Fukushima sous forme de conte de fées. Pour les autres, le seul refuge est le Web.