À surveiller de près

Paradoxe : le progrès technique, produit de l’homme, ne peut être arrêté par lui. C’est une force plus forte que celle qui la meut. Orwell ne pouvait imaginer que les pays les plus démocratiques se couvriraient de caméras de surveillance reliées à des ordinateurs centraux (trois millions chez nos voisins britanniques). Kafka ne pouvait anticiper que chaque citoyen figurerait, comme c’est le cas en France, dans quatre cents fichiers en moyenne. Peu de gens savent que l’on peut identifier une personne par la trace de son odeur ou capter l’iris de l’œil à vingt mètres, qu’un gravier jeté devant chez vous peut transmettre des informations sur vos allées et venues, qu’un policier prenant une photo avec son portable peut aussitôt confronter cette image avec une banque de données faciales. Bien sûr, le progrès technique peut être surveillé, contrôlé, encadré. C’est le rôle de la justice et du Parlement, au moins dans les pays disposant d’institutions indépendantes du pouvoir exécutif. Mais les choses vont tellement vite, la technique avance sur tant de fronts, que l’on est saisi de vertige. Surtout si l’on prend la mesure de l’étrange faveur dont cette évolution bénéficie auprès de l’opinion. Bien peu s’en inquiètent. Le phénomène est en phase avec l’air du temps. La surveillance est acceptée au nom de la sécurité, mais aussi parce que la transparence est appréciée et recherchée. Internet a mis en place un véritable panoptique virtuel, où chacun se montre et se regarde. Pensant n’avoir rien à cacher, les voyageurs se laissent suivre à la trace via leurs cartes de crédit et autres billets électroniques. Les consommateurs se laisseront bientôt poursuivre jusque chez eux par des puces intégrées aux marchandises achetées. On voit même des jeunes accepter de se faire injecter une puce dans le bras pour entrer dans une boîte de nuit et payer leurs consommations. Les pratiques les plus douteuses se répandent. Ainsi le site Internet Eyes offre une rémunération à ceux qui, en accédant depuis leur ordinateur à des caméras de surveillance, détectent un comportement suspect dans un magasin (le service est proposé en France). « Le moyen de cacher un homme ? », demandait Jean-Paul Sartre citant Paul Valéry. Aujourd’hui, la question serait plutôt : que peut-on encore cacher d’un homme ? Et demain ?    

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