Enseigner la morale du ministre

Le nouveau ministre (socialiste) français de l’éducation a frappé un grand coup en annonçant son « souhait » d’instaurer à la rentrée 2013 des cours de « morale laïque » pour les douze millions d’élèves français. Il savait ce qu’il faisait : une semaine plus tard, selon un sondage, neuf Français sur dix se montraient favorables à une telle mesure. Il ne semble pas exister de livre sur le thème « Peut-on enseigner la morale à l’école ? ». Il en existe bien un intitulé Faut-il enseigner la morale à l’école ? (Hervé Caudron, Hachette Éducation, 2007), mais il préjuge de la réponse à la première question (et répond, bien sûr, de manière normative, par un « oui » décidé). Le sujet de fond, le sujet difficile, est de savoir s’il est possible d’enseigner la morale à l’école et au lycée (puisque le ministre souhaite que les cours aient lieu jusqu’en terminale). Est-il possible d’organiser des cours de morale qui ne sombrent pas dans le ridicule ? La morale que le ministre a en tête est la morale « universelle », dit-il. Mais se contredit en disant et redisant qu’il s’agit de la morale « laïque », notion restrictive et exclusive, propre à l’héritage républicain français. Une morale historiquement et géographiquement située. Quels échos la notion de laïcité peut-elle donc rencontrer en Chine, au Japon, en Inde, dans le monde arabe, aux États-Unis et même chez nombre de nos voisins européens ? « La morale laïque c’est (…) distinguer le bien du mal ». La critique n’est que trop facile. On va enseigner si c’est bien ou mal pour un couple d’homosexuels de recourir à la fécondation in vitro. Pour un journal satirique de publier des caricatures du Prophète. Pour une prostituée indépendante d’exercer sa profession. Pour un élève de porter discrètement un insigne religieux . Pour un État de taxer les hauts revenus à 75% ... ou d’instaurer un enseignement de morale dans les établissements scolaires d’un régime centralisé. Pour cela, évidemment, il faudra former les enseignants eux-mêmes. Le ministre l’a prévu : « Je souhaite (…) que les questions de morale laïque soient enseignées à tous les professeurs. » Le ministre ne précise pas quels professeurs de morale vont enseigner la morale aux professeurs.

Qu’il existe des principes de « morale universelle », c’est probable. Peut-être même sont-ils inscrits dans nos gènes (lire « Les gènes du bien et du mal », Books, mai-juin 2010). Mais ils sont peu nombreux et leur énoncé fait problème. Au cinquième siècle de notre, c’était une interrogation centrale, presque obsessionnelle de Socrate de savoir si la morale peut être enseignée, même en dehors du cadre scolaire, par les parents par exemple. Si la question de Socrate elle était résolue, cela se saurait. 

Olivier Postel-Vinay

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