Une faute linguistique aussi inexplicable que fréquente (et non l’inverse)

Voici comment Olivier Dazat conclut le chapitre consacré aux bouquinistes parisiens de son récent livre Hier encore sur la mélancolie, la nostalgie et tout ce qui (apparemment) est en train de disparaître : « Je reste convaincu que ceux qui liront ce texte viendront les voir [les bouquinistes] autant pour acheter un livre que pour être en contact avec les derniers êtres encore humains que je connaisse. »

Au-delà du caractère emphatique de l’affirmation, ce qui choque est surtout la somptueuse faute de construction qui entache la phrase, étonnante chez quelqu’un qui fait métier d’écrire. À l’évidence, ce qu’il voulait dire est en effet : « Je reste convaincu que ceux qui liront ce texte viendront les voir [les bouquinistes] autant pour être en contact avec les derniers êtres encore humains que je connaisse que pour acheter un livre. »

Toutes les fautes de langage (barbarismes, solécismes, fautes de construction) sont exaspérantes, mais celle-ci l’est particulièrement, parce qu’elle viole avec une impudente ostentation la plus élémentaire logique, qui veut que dans une comparaison de ce type, le comparé précède toujours le comparant.

Pourtant, on l’entend constamment, presque chaque fois qu’est évoqué un rapport d’égalité, et les journalistes (notamment de télévision) semblent même s’en être fait une spécialité : « Si le roi Juan Carlos a fait publiquement état de ses problèmes de santé, c’est autant par honnêteté que par calcul », quand le contexte indique clairement que c’est l’idée inverse que l’on veut exprimer : «  autant par calcul que par honnêteté ». Ou, à propos (autre exemple imaginaire) d’une physicienne de grand talent, « Une femme aussi intelligente que belle » au lieu de : « aussi belle qu’intelligente ».

Il est de nombreuses fautes dont on peut aisément expliquer (sinon excuser) la fréquence, parce qu’elles ne contreviennent qu’à des usages liés à des conventions arbitraires. Mais pour commettre celle-ci, il faut nécessairement ne prêter aucune attention à ce que l’on dit ou que l’on écrit, et oublier les règles fondamentales d’organisation d’une phrase dotée de sens. N’est-il pas un peu étrange de voir un écrivain professionnel les perdre ainsi de vue ?

Le linguiste

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