Traduction manquante – Le voyage par les mots
Publié dans le magazine Books n° 51, février 2014.
Le récit de voyage, spécialité littéraire anglo-saxonne, connaît bien des avatars. Voici celui qu’a imaginé l’Américaine Susan Brind : le voyage avec les mots – par et à travers eux. L’auteure a longuement parcouru l’Égypte comme archéologue, naturaliste, amoureuse, poète, traquant les habitants du monde des sables et, surtout, les termes qui s’y rapportent : « Les mots sont des prismes qui véhiculent les nuances cachées de la pensée. Il faut les tourner entre ses doigts jusqu’à ce que la lumière éclate à travers eux, avec une couleur inattendue. »
« Tourner les mots entre ses doigts », c’est ce qu’elle fait dans son étrange petit opus, devenu une sorte de livre culte pour initiés du « travel writing ». Le langage de l’Égypte ? D’abord les hiéroglyphes, bien sûr, qui « ont fait passer la nature dans le langage », et peut-être même créé la poésie car, « dans les anciens textes égyptiens, les choses pouvaient être décrites simultanément de plusieurs façons, toutes également vraies ». Puis l’arabe, dont les sonorités – « Allah yanawer alleik, que Dieu vous baigne de lumière » – inondent le désert et les pages du livre. Emporté par un tourbillon de synesthésie, le lecteur découvre du même mouvement les sons, les coutumes, les odeurs et les couleurs du désert : « Le Soudan, c’est la terre des Noirs (« Elbelad asswadeen ») ; mais « les Soudanais n’utilisent pas le mot noir pour décrire la couleur de la peau de quelqu’un – plutôt jaune ou rouge (pour les tribus Maha et Danagla), vert (les habitants du Kordofan), et bleu (Dinkas et Shilluks) ». Y a-t-il façon plus totale de voyager ?